Mémoires inédits de Madame la comtesse de Genlis, sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 [...]
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Genlis, Stéphanie-Félicité Du Crest comtesse de (1746-1830). Auteur du texte. Mémoires inédits de Madame la comtesse de Genlis, sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu'à nos jours. T1. 1825.
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MÉMOIRES
SUR LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE ET LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. "
MÉMOIRES
INÉDITS'' '
DE MADAME LA COMTESSE
DE GENLIS.
source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
PAEIS. —IMPRIMERIE DE FA (N, HUE RACINE, N«. 4
M** BE GEN IL.U i’.'
A 15 ANS.
MÉMOIRES '
.- INÉDITS * k ^
DE MADAME LA COMTESSE
SUR „LE DIX-H ÜÍT lÈME^SIÈG L E
LA REVOLUTION FRANÇAISE, .
DEPUIS 17^6 JUSQU’A NOS JOURS. , • «>
'■^v. < " ^7'7 S
"^1 :tome premier.' :
. A PARIS, ■
CHEZ LADVOCAT, LIBRAIRE DE S. A. R. MONSEIGNEUR LE DUC DE CHARTRES, AU PALAIS-ROYAL.
M. DCCC, XXV.
AVIS
DU LIBRAIRE-ÉDITEUR.
JLe Public a-si souvent encouragé nos entreprises que nous lui devons une justification sur le retard de la publication de cette première livraison. L’impression simultanée des Mémoires de madame la comtesse de Genlis, dans les principales villes de l’Europe, et la perte de la première préface, sont les véritables causes de ce retard. Nous osons rappeler que nous avons toujours mis la plus grande exactitude à remplir nos engagemens, et l’on doit penser que notre zèle n’a pu se ralentir en offrant au Public un ouvrage aussi important qu’il est agréable.
Nous nous engageons à publier la seconde livraison à la fin de mars ; la troisième , le i5 mai ; et la quatrième , à la fin de juin. •
Les deux portraits, dont l’un devoit orner le premier et l’autre le huitième volume des Mémoires , paroîtront avec la dernière livraison. 11 étoit impossible de les faire paroitre dans l’ordre désirable, étant exécutés par nos premiers artistes^
LADVOCAT.
Paris j ce i*r- mars i8'i5,
Tout- auteur’ doit répondre de son ouvrage, c’est une vérité incontestable , puisqu’il est également reconnu qu’il y a de la lâcheté à publier un écrit à la fois anonyme et critique ; quelque fondée que 'soit la censure, un auteur ne peut se la permettre avec autorité et par conséquent avec fruit,1 qu’en se nommant. Il est impossible qu’il n’y ait pas uh grand nombre de critiques (et souvent très - piquantes ) dans un ouvrage qui contient une infinité d’anecdotes particulières, et le récit des événemens arrivés successivement pendant plus d’un demi-siècle. Laisser après soi des mémoires , qu on eût craint de publier durant sa vie, c’est rendre suspecte leur véracité, et c’est en quelque sorte pro-
faner Basile inaccessible et sacré de la tombe j faite pour être le dernier refuge de l’innocence opprimée i~ elle ne doit pas l’être de la pusillanimité des écri-» vains ^ quels qu’ils ' soient , qui n’dsent
mettre au jour leur histoire, que lorsqu’ils sont renfermés dans son sein.-La pierre sépulcrale est muette. Puisqu’on ne peut l’interroger, elle ne doit retentir que pour être l’écho touchant-des vœux de la religion et des regrets de l’amitié. L’authenticité ; des * mémoires * ( surtout dans les temps de troublés et de factions) n’est incontestable à tous des yeux; que lorsque l’auteur se décide a voir paroître de son vivant ces récits contemporains ; alors • même que les écrits posthumes sont parfaitement exacts et * fidèles / le public peut toujours - croire qu’ils sont falsifiés. . ,
La malveillance n’a jamais pu, dans aucun de mes ouvrages, relever un seul mensonge, une seule citation inexacte;
cependant ces ouvrages contiennent beaucoup de critiques; mais je. ne me suis jamais .permis d’en faire que pour l’intérêt de la religion et de la morale 1, et j’ai toujours loué de bonne foi 3 et souvent mes ennemis même,. lorsqu’ils ont. été irréprochables à cct égard ; on trouvera dans ’ces mémoires la même droiture et la même impartialité ; ils seront utiles , parce qu’ils seront véridiques, et que l’humeur et le ressentiment n’en auront pas dicté une seule ligne. ■
: C’est à regret que j’ai été forcée dans ces-mémoires de rendre compte d’une partie des procédés de feue madame de Montesson , ma tante 7 avec moi ; je,dis une partie, car il s’en faut bien que je sois entrée dans tous les détails que j’aurais . pu donner à cet égard ; il ne m’en eût
y 1 Quoique feu M. Suará ait dit, dans un écrit impri-'méj que mou seul talent supérieur était celui de l(t critique. Si cela est, je puis me flatter de Savoir jamais abusé de cet unique (aient.
rien'coûté d’omettre ma propre justifica-^tionj mais il m’étoit impossible de sacrifier celle de ma mère et de mon frère,; qui, comm^on le verra dans cet ouvrage,T se trouvent 'continuellement impliqués " dans ce récitr. Mais en prouvant par des
faits que madame de Montesson n’a jamais été ma bienfaitrice, qu’elle ne m’a de sa vie rendu'un seul'service', qu’elle m’a fait beaucoup de mal, je parle toujours d’elle sans animosité^ je n’attaque jamais ses moeurs et sa réputation, je la justifie ? me nie d’une ’ insigne calomnie généralement reçue J je rends avec plair sir justice à-ses bonnes qualités, 'et je
’ Ainsi qu'un prince infortuné qui depuis a souillé sa vie par une action horrible, inexcusable, mois qui, dans le temps que je retrace, n/avoit toujours montré que des. benlimens humains et nobles, et qui, comme je le prouverai, s’est toujours conduit avec madame de Montesson de la manière la plus généreuse. J’ai dit ailleurs qu7/y a de ki perversité à vouloir noircir la vertu ^ mais quil y a de la táchete à calomnier les coupables, j’ajouterai que lorsqu'ils sont sur quelques points injustement accuses il y* a au^t de la lâcheté à ne pas les justifier quand on te peut.
MI r conte d’elle un trait charmant qui nest connu de personne. , . - .
•Je m’applaudis d’être le premier auteur qui ait donné l’utile exemple de publier ses mémoires de. son vivant; j’ai eu quelque mérite à prendre cette résolution, cai' j’imaginois qu’en général les gens du monde la désapprouveroient par ces phrases banales si souvent appliquées sans discernement, et qui néanmoins font tant d’impression sur les esprits irréfléchis : je croyois que l’on répéteroit qu77 ne faut Pa^ ^ mettre en scène, q^une femme surtout doit‘éviter ïé^ ' clat, etc., etc. , î .
Un auteur n’est que trop accoutumé à se mettre en scène lorsqu’il a fait imprimer une grande quantité de volumes et que depuis un demi-siècle il attaque sans interruption les mauvaises doctrines et par conséquent les philosophistes; aussi depuis long-temps suis-je entièrement Blasée sur les injustices, les écrits sati-
riques , les libelles et la crainte de me mettre en scène. D’ailleurs, dans un siècle où Fon-.voiiTles biographies sur les personnages vivans se. multiplier, il devient presque indispensable de publier* ses mémoires lorsqu’on' a pris la peine ’ de les écrire afin, de rectifier un nombre J infini d’erreurs et de calomnies qui sqnt presque toujours involontaires T.
1 Par exemple, ou a jugé à propos ( à mon insu et sans consulter ma famille ) de placer dans trois biographies un. abrège de ma. vie. J’ai lu ces trois articles, et j’ai vu, entre autres méprises, que le rédacteur ignoroit qu’avant mon mariage j’ai été chanoinesse; que je n’ai jamais porté à cette époque le nom qu’il me donne ; que M. de Gcnlis m’épousa à cause de ma grande réputation littéraire. J’avois dix-sept ans, et certainement alors je ne prêvojois pas moi-même que j’aurois le courage de devenir un jour auteur. On dit aussi , dans ces étranges articles que feue madame de Montesson étoît tante de M. de Genlis , et elle étoit sœur de ma mère. On peut juger, d’après ceci, de la véracité de ces histoires contemporaines. , .
TABLE
PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE,
‘ DES NOMS
CITÉS DANS LE PREMIER VOLUME,
Adèle et Théodore, roman ; Épisode de Cécile, 176.
Age de l’homme ; sa durée probable ,109.-
Alamdert (d'J; sou portrait, io5. ■,
Amour patehnel (trait remarquable d’), 56.
Anatomie, t'oyez Biberon.
Andlau ( le baron d') épouse la mère de madame do ■' Genlis, i55etsuiv.
Aniécer, espèced’adoption;avantagesqu'elleprocuroit, 21, Antoine (le père ) , capucin , 46 , 5o.
Arnauld (l’abbé ) , 280.
Arnould ( mademoiselle ), 70. tome 1. a
jj table alphabétique.
Audick ( le comte d ), 2ï5.
Auterociie (M. d'); ses méprises, 35?
Avaret (madame d'), 171. ^
Aventure de couvent, 178; de voiture, i5o.
( Bâillon (mademoiselle ), 337 ; son portrait, 558.
Balincour (le maréchal de), 586 et suiv.'J
Balincour (le comte et. la comtesse de), i65, 386. -I Bals de la cour et de la vili k , 90. '’
Barbançon (le comte de), 197."-^ Rarbantane (le marquis de) ,’ 262.
Barbantare (le chevalier de ), 261 , 55g. *
Barbier (mademoiselle), 27.'^ '
Beaueort (mademoiselle de), 181, 18?; son portrait, ’i85,'i84, i85. • -i .-^|
Beauvau ( le comte de), $79. -¿ -’-.
Beauvau (mesdames de), 520, 32ii
Boues-meres mauvaises , reléguées dans la bourgeoisie’, 58o. _ ,
Belleveau (la comtesse de), 12, 65.''
Bellot ( madame de ), 87. - >'
Belzunck (M. de), 554. » ¿tr'? .>
Belzunce ( madame de ), 264. *\- >’r
Berri (la duchesse de), fdle du régent, 573.-^f
Bernard ( Samuel), 267.
Bkrtaud, maître de pension, ta.v
Bertin, le poëte, 97, 142-'*;-
Beuvron (la comtesse de) , i46. . .t
Biiieron ( mademoiselle ), anatomiste, J09.
BiouMpaiES des personnes savantes ; opinion qu’en a madame de Genlis, 160.*’
Blajciiibd, intendant, igi, 224, 2Î2. *
Bouflers (le chevalier de ), 9.5r. ^- L
Bouflers ( la comtesse de), 294» 298, 299.
Bouflers ( la comtesse Amélie de ), agg, 381, 383. _ ^
Boulainvjlliers (M. de ), 271, 270,554-
J Boulalvilliers ( madame de ) , 229 , 266 ; sa bienfaisance, 268 ci miv. '>
Bourbon-Lancv ( la ville de) , 10, i6r.
Bourgeois ( M. ) , officier de fortune ,211.», ^
Bourgogne ( le duc de ) ; ce qui cause sa mort, 129, 13o. Bournonville (M. de), i8g.
Boukret , fermier-général, 24.
Bskteüil (le marquis de), pris pour Mandrin, 44 clxitiv.
Buvant (mademoiselle); mot de cette comédienne sur Bcrtin, 142.
Buffon, 364 et 3g5.
Bullion (M. de), r64-
Busseuil ( le baron de ), 60. "
Callebasse (sirop de), efficace daffs les maladies de poitrine , 15?.. .'
Carmontel , 5i5, 3i6.
Casimir; cadence dont il est inventeur, i43.* r
a*
¡V- TABLE ALPHABÉTIQUE.
Charriant (M.‘ de), Soi, 002, -,~^i
Champcery, lieu oùmadame de Genlis est née, 6.'^1
Cjumpfout , 291. J^X í^zr ' - ^il
Chamousset (philanthrope), 208.-îl^,^ - îz”* -^ ' 1 Chassé (chanteur), 14, i5. ’ x_ •'^^ - ^^.^
Chateau (vie de), 18g. 1
Chaulhes ( la duchesse de ), 277.^ ______r. ~ '..i-J
Chaumes (mademoiselle de ), 5jo. î.^^ ’^^^Tj'
Cjiauvelin (le garde des sceaux) , 267.? ~"^ "„ ’
Cnwiuv, maison de plaisance dc M. de Jouy/i5i et suii>. ■ ~
Ciievreuse ( le duc de ), 370. ■ 3 ’ 4 "f£S"4
;CmiAï (les princesses de) ( 277, 370, 071.- 1 3śr^t
Chloe et le Papillon, fable, 346^ ; i^J—1^#
' Civrac ( le duc de Durfort ), i|5, 538 ciJUiV.t "’
Civrac (la duchesse de), 245. f‘t ”lh ¿’! i * - - ; Civhac (la marquise de ), 1^55 "^ 7 -^^ ;
Clavecin; méthode pour jouer de cet instrument, 2o5 et suiv.-
Clermont ( le marquis de )/ 3ro , 374*7
Clermont (mademoiselle de), 348. / 7^ ' .ï^^^
Clugny ( la comtesse de), 2i, *7 '^-~ ^*"
Coaslin (la marquise de ), 171. ' ^ JŁ
Coignï (le chevalier de), appelé Mimi, 3^2. "¿ 7
Coigny (la comtesse de) , 3oS.7 —'
Colgny (le duc de), 375.™^ 7^ c ” ¿ -7:.
^Colaudeaü, 275 et s^. : ^-7- à ^z_ ^ "ÿ -
Comtesse, titre des chanoinesses d’Alix, 161 ,^
Coske ( maison de ), 7 • À• ^~
Coste (l’abbé de la), 84 , 85. « , _ - ' > '
Cour (présentation à la), 24° et ^f- ^ - > ' - ' Cour (femmes de la), 278. Poyes Société. ■ -_ _ „
'Courtes (le chevalier de ), 229,' a3i , 255.. .f’ 4 - T¿ h«4 -^
Cramer, violon, 358. ■ ^J" ' '’
Custines ( le comte de ) , 282, 290. ^ »¿ . ; '» .
CusTiNEs ( la comtesse de J, 290^ 35g.^
“^“^ * Sr- f "T '‘j > t b .l’j
Damier des liaisons (le), roman de la mère de madame deGenlis, i54* " ^( ’ Łt"Ł
Danse, amusement qu'on ne peut prendre seul, go; rc / ligicuscs dansant, 172. , ‘;^ ^
Dauphin, fils de Louis XV ; sa mort,’ 244.^
Desbordes, poète, 34-5. ^ d rflt ł
Deshayls j maître de ballets ,90. V Dessallluï ( mademoiselle ), isS, 274 ? 3?4 ' Dialogues improvises, g£ , 187* " ;rj ^
Donezan (M. ) j 5o4 î 5i6t SyS^^; ^\ ^7
Droménil ( madame de), grand’mère de M. de GenUs, 262^ et suiv. va , ’^^iv'^-
Duchés r^M. ) , frère de madame de Genlis, ïi ; est mis en pension, 12 , y5 ; passe une année à Genlis, 206 ;
^ est nommé officier du génie , 207. ic f, J'Y -
Ducrest ( M. ), père de madame de Genlis ; son por-* trait,' 24; ses goûts,'" 2Ò ; va à Paris , 55 ; causes qui " ' lui firent quitter le service , ai ; part pour Saint-Do-¿ - mingue , io3 ; est pris par les Anglois ,147; est ar’
reté, 149; meurt, i5o."- _ ^Cf'
Dupont , violon. . < - .
D... (madame de), célèbre par sa simplicité , 295. « “
Egmont (la vieille comtesse d'); son histoire , 548. /
Egmont (la jeune comtesse d’), 3io ; son portrait, ibid. Enfans be qualité ; manière dont ils étaient élevés, g, i5, -.^ 20, 2^ 28, 3i , 55, 56,5?,' 48 ; de quelle manière . on dispos oit d’eux, 22. -‘ -^^ _
Esustims imaginaires , g4- - ^“ '_
Estourmelle (la comtesse d’), nouvelle Sara ,218. * I
Esparbes ( madame d’), 15g ; favorite de madame de '.Pompadour, i4o,_; . - '''¡¿^-j r. 1 EsTRtnan (le marquis d’), 075. ' '''.'/^ ■J Etrke (la maréchale d'), 164 ? 229, a5r , 25g ’ 'î
Étree (le maréchal d’), 24°-'"^'■t’ -^
Fauboas (madame dc) , 27».'^x£jr' .-
Femmes (soupers de) , 552.^
FtMMLS de la société; leurs jalousies , 278, 5ao.
Feutry , poète } 2i|; vers à madame de Genlis , 24g. Flavimîy (le marquis el la marquise de), 189 , 196.
Fleurit ( madame de ) , 3o8.
. tir
Fosmjgk (madame de),5j(.
, FûmENiLiE ( la marquise de ) , 120.
Force ( mademoiselle de la ) ; ses romans, 49
Frédéric II, roi de Prusse, 092. j
Friseri , joueur de mandoline ,558. * m
Fuzelier; notice sur ce poete , i2o+
TA
Gaufre, Allemand, joueur de harpe, invente les pedales, 87 ; ses écoliers, 88, v_ _ t * r^ t*
Garde-chasse qui séduit une jeune fille, 261. - f^^ ,ÿ_
Garuel , maître de ballets, 243 } 356.
Garnisons ; les femmes des officiers n’y suivaient pas leurs maris, 17 r. - ^^
Ga vicies ; notice sur ce violon célèbre, u¡3t ' s
Genlis (le marquis de); son portrait, i65; ses passions , 166 î/ îwp.; fete quon lui donne, 18g, 201 ; tombe malade , 222 ; part pour Paris, 224 ; y retombe malade , 226; se marie, 23t.'
Gexlis (la marquise de); son portrait, 234? 50,1 cdl‘ic' ^ 1ère, 252," 257, 355; ses taleus, 255, 250, 335, 35? ; joue la comédie , 337 ; va au bal, 354.
Genlis (le comte de), prisonnier en Angleterre avec M. Ducrest/iiy; ses services dans la marine, 147 ; sa conduite dans l’Inde, 147 ; vient en France, épouse secrètement mademoiselle Ducrest, 160; mariage que M de Puisieux vouloit lui faire faire, 162 , scs servi-
ces dans la marine, i63 ; dans l'Inde , 164 ; pris par les Anglois"/ 164 ; passe au service de terre, 164 î e^l
de son mariage / 164 ; vers pour les rosières, 249; marie son garde-chasse^ 260? y ~’ /
Girandoles de diamans¿244~ ^r^'^ '*
Gleimau ( le baron ) ; extraits de ses mémoires iné
■ Gouhgtjes (la présidente de J, 277 ; 366 , 367.
1 Gossec, compositeur, 87, i" :^:
. Grammont (madame de), 320, lk^ ~ - v ’ - ' *
Grandvàl, le comédien, 3i5. "J/?"~ :¿^
Gresset; note biographique sur ce poète, 77*
Guines ( le comte de), 224 ; son portrait, 307 ; ses amours,
/5ij, 3i8, 383 , 090 ci su¿y.\
Harce, invention des pédales, 87 ; cet instrument n’é-~ toit connu qu’en Allemagne / 88 ; madame de Genlis en réforme le doigté, 102; méthode pour cet instrument, ?.o5 et suiv. ' “ ,
Hajpe ( M. de la J, 294 •
HAaviLLKfla comtesse d’), 290; son portrait, 29c.
Hautefeuille (le marquis de), 371. ~
Haïe (le marquis de la), surnommé le beau de la Haye^
Helvetius ; le livre de l’Esprit, 72 , yS,
Henin (le prince d’) , 314 > son portrait, 58ot * - t f Herouville (le comte d* ), 202. /:_
Homme; durée de son existence, 109/
Honavre, cleveciniste , 142; cadence dont il est linven-y teur, 143- •: /// ~ -;i
Hussok (le marquis d*), 37 3 x
Indolente (T), comédie inédite, 8g. ' *-
Inondation, 2ï5.
Instruction; ce qui la forme, 209. *./
Instrumens; méthode pour ceux qui en jouenl, 2o3.
Jabnac (le vicomte de), 3o8. - '*
Jaucoubt (le marquis de), appelé le Clair de lune, 366, 56? ; histoire singulière, 368. ^ ‘'‘
JÉuote, chanteur célèbre, ^5 "^ ’ * -'^
Jfunes personnes; moyens à prendre pour être heureuses, , 554.l< :
Joui (M. de), homme de robe, i3i ; ses prodigalités, j j3i ; est arrêté, i4o._ ~ 5 r ' ' '
Joueurs (les), comédie inédite, 89.£
Journal de l’empire ; citations fausses, 106.^ » *
Kain (le), 3i4.
Lauave (madame de), grandnière de madame de Gerdis;
sa conduite envers ses enfans d’un premier lit, i 14 3 v 128 ; met sa fille au couvent etuveut la forcer de sc ^ faire religieuse ; envoie son fils en Amérique comme ¿ mauvais sujet, 11O; reçoit madame de Genlis, 274 ;
portrait de la marquise, 274 ; ses sermons, 2^5. ^r Laiiaiu (le marquis de); son portrait, 120 ; sa conduite
envers madame de Genlis et de sa mère, 126; tue à Meudon, 127; cause de la mort du duc de Bout-gogiæi ^9> " ' .
Latour , peintre, 96 ; comment il allait de Paris à Passy, 96 j cité, 107 ri ¿ ’VL
Laukes (le chevalier de), poëte, 96. ~ - , ,-^ - - -, Lauzun (madame de), 554, 38i,'582. ,:
Lauzun (le duc de), 58i, 58a, Sgi. ;
Lavater , 4i.
LefÍvbk ( M. ), teinturier de madame de Montesson, 566.
LefÈvjie (M. ), créole; sa famille^ 100. „ - - - ’’r
Legendre , auteur du Traite' de l’opinion^ notice sur cet ^auteur, i5y. ' - ,^:i
Lemire, domestique, 207. »r ;™'Cr 'ï >• ^'--t Lettres de deux jeunes personnes f roman de la mère de madame de Genlis , i54' .’^m. ~r 4 r *
; Liancourt (la duchesse de ), 292 , 554-^’
Lille (l’abbé de ), 282 , 5g3. ’-eí
Livri (la marquise de), 277, 071. *^f - ’ - r t
Lowendal (le maréchal de ) , 16. '^-i’ ’ i
Logny (madame de), 282 , 280 ci suiv. " *>
Lolotte, femme du marquis d’Hérouville ; ce qui lui arrive ¿r aux noces du marquis de Genlis, 202. - -^ ^ ’
Loages ( le duc de ), a45. ■ >-‘ ~ J, - '
Louis XV; son portrait, 240. ~ ~ j
Louis (madame), 55y. Voy. Bâillon. '.,;- ',J -^ ; Louv ois ( madame de ), 282, 286 et suiv. ^ ’" ‘ !
1
TABLE ALPHABÉTIQUE. xj
Louvois ( M. de), a85 ci suiv. , 4).
Lusicmas (M. de J , appelé ïa grosse iête, 5i i ; mot singulier, Bit."
Luxembourg (lamaréchale de) ; notice sur cette dame, 294» 396 ; son portrait, 296; son autorité en fait de choses d’élégance et de goût, 297, 3ao, 58r, 58a, 585. : >
Lyon ; madame de Genlis y va pour se faire recevoir cha-noinesse, 17.■
Malnoue ( ahbaye de ), 114. V,
Manche (gentilshommes de la) ; ce que c’étoit que celte place , 129. — Sa suppression ,129. >T
Mandrin, 44- . ^ ' » - «t
Marche (le comté de la), 374.. - j ,
Mari; ce que les religieuses appellent ainsi, 19.
Mamony ( madame de), 554- ^, 1,
Marivaux , 255, 2^4. , ’* *
Marmotte ,' habillement savoyard, 17.^/^
Marquise (courtisane), 3ao. _-
Mars ( mademoiselle de), 29 ,* 41 i 52,54,79, 80.
Martigny , 247.
Massais (la comtesse de la) , 277.'
Mabaiun (la duchesse de), 277. ,
Melfort (la marquise de), 378.t
Mémoires. A quelle époque furent commences ceux de madame de Genlis, 5. .^
Mékirs du dauphin, 12p. Voy. Gentilshommes de la
- Mères ; haines maternelles ; Lahaye (marquise de), i i5
Méthode pour apprendre à jouer des instrumens de mu sique J 2o3 et SUÎV. -y ,¿^¿r;
Mézièms (la marquise de),' n4 ™‘
Mézieres ( le marquis de), oncle de madame de Genlis n5etsuiv.' r, —>- '” ^ i>
Mezières (mademoiselle de) , nièce de madame de Genlis , I l4 , 120 ,121, 122 , 123 , i53.
- Miaules , nourriture des enfans en Bourgogne , 7 -Milet (M.), chirurgien, 207.
Mion (mademoiselle), danseuse,’4?’
Moeurs des châteaux , 07. ' 4 ' ■'
MosciiAT(le chevalier de ), 224.-
* Moncrif J le poëte , 155. 4 '^;j^-i-
Mondorge (M. de) , 66 ^67 Z'-- '^
Moktusson (madame de), 124) 1^9 , î5i , 765, 229, 273 , 275, 295 , 296 , 3o5 7 3o6 , 307, 3i2,5i3, - - 317, 318 , 321 , 322 3a5 , 365 , 366 , 377 , 384 1 . 385,38g ;39o. "
Montesson ( M. de), 5i8.7 5.'".^ -*4’
Mothe ( mademoiselle de la ) , 162.
Monville (M. de), io5. “ v-1 ^ ^
Musette ; madame de Genlis apprend à jouer de cet instrument , 101/?)’-T^'* ^ ^ ';
Ml STI fi cation , 324- ' 7 —.7^ -
TABLE ALPHABÉTIQUE. ¿
xîij
Necker (Souvenirs de madame ) , 281*
Noces du marquis de Genlis ; ce qui s’y passa ,25t. ł Noailles ( madame de ), 264,
N... (madame de) ; tracasseries dont elle est cause, 2,
Orléans (le duc d'J, joue la comédie, 3ï5. —Amoureux, de madame de Montesson ? 517, —* Portrait de ce prince , 519. — Se fait passer pour auteur de la comédie de Mariane 1 320 ; lit cette pièce ; effet de la lecture , 3a4 ; avoue qu’elle n'est pas de lui, 524* — Prend en aversion le comte de Guines , 384- — Esl dupe d'un artifice du comte ; le fait nommer ambassadeur en Prusse , 3go. 7
Olivet (Tabbé dT ) ; notice sur cet auteur , g6*
Origny (abbaye de Sainte-Benoîted), 170. — Religieuses de celte abbaye , leur existence, 175. — Dignitaires , i?3. — Division parmi les religieuses , i 70.
Ostentation dans la bienfaisance, défaut, 83.
Oxenstiern (le comte de); notice sur trois hommes célèbres de cette famille, ï5y.
Paysanne (jeune) ; son histoire, 2 5g.
Paysans quise font saigner, aîg.^
PscnE de nuit,
Pkllegiuni , musicien ; œuvre qu’il dédie à madame de Genlis ? i55.
Pelleiilr ( de Morfontaine le) , 246 » ^49 1 36a, Perigny (le president de) , 287 , 289.
Puihovi^r . 717 ,
xiv ' „TABLE ALPHABETIQUE. ,
PjIlLlDOR* IOO. ' ' . - r ’A~_
Physionomies ; impressions qu’elles produisent,4t. —
Découvrent^ks vices du cœur, ¿p ? $4- ' * - ¡
1 Pinot ( le docteur ) et son fils y 58 ; Sg/
. Poix (madame de) ^ 3?8,38o. ^, y-S
Pont ( le comte de ) , 314, 3j5. - r 'k -* r ^
Pont-ue-Veyle, 299,3oo. ' * - -s I
Popelinière (M. de la ) j fermier-général, 81, 84 7 86, 87 , 89 7 91 ,' 95 7 96.
Portal ( le président ), 262. 7í"‘-.¿' ' *’
Précieux-Sang ( filles du ) , i5o , i5r.'^
Princes ; avantages d’une belle représentation, 245, ï44 Pringle ( chcv. ), 3og. - -7} ' j'-
Provaibe , liant-bois , 2o3.
Pügnani , violon, i44- .-’L. -. >* •
Puisieux (le marquis de) , 148 , i6i,‘ 162 , i63 , a5r ,'
Puisieux (madame de ) } 229^ q3i , 25g , 2G2 , 32? ?
Quadrilles ; bruit que fait celui inventé par madame de T Genlis, 554.
7' ’ " S* ,i AT i t
Racine, chirurgien-barbier, partisan de l’émétique , 258.'
Rameau ; notice sur ce musicien , io5> ■ *“ ’-
Reine ( la), fille de Stanislas, a44 5 son portrait, 245-*
Reith (mademoiselle de), religieuse, 188; son his-toire , 189.<
Religieuses; vie quelles mènent, 172, 175? I77‘"' * "
Revenais ; histoire du chevalier de Jaucour, 568. ^
table alphabétique. XV
Rêveries ; goût de madame de Perdis pour ce genre d1 illusions , 187.
Reuniere ( madame de la ), 277, 278.
Reynière ( M. de la ), 280, 56a.
Riccouûni (madame), auteur de romans , 96.
Richelieu (le marquis de ) , 54g.
Richelieu ( le cardinal de ) ; authenticité de son Testament , 55o. *
Rocitambeau ( la comtesse de ) , 3o3.
RocnEFORT (M. de ), 544-
Rochefort (madame de ) , 174 > portrait de cette religieuse , 174; son histoire , ij5 ; épisode de Cécile dans Adèle et Théodore , 176.
Ploessy ( madame de ), 156, 3o8.
Ronce ( la marquise de ) , 291 , 55g.
Rose, petite fille à qui madame de Genlis enseigne a jouer de la harpe, s55. 1¿^
Rosières de Salency ; origine de cette institution, 247 ;
¿ procès qu’elles soutiennent et gagnent contre le seigneur de Salency, aîo.
Rossignol (madame), abbesse du couvent de Malnoue, ig r ♦ Rousseau ( J.-J. ) ; défauts de son style, 3g8t *
Sadbaj ( madame de ) , abbesse d’Origny , 171, 17?, i82,i83. -\
Sabray ( madame de ), ûo5. vt ’ j1 1 Sailly ( la marquise de), 218.
Salekcy (le seigneur de); son procès contre les rosières , 25b. _
* Saint-Aubin ( le marquisat de ) acheté par le père de madame de Gen lis, 8 ; description du château de Saint-Aubin, 9. if^"/ \
Saint-Aubin ( la marquise de ), mère de madame de Gen-lis; portrait de cette dame , g3 ; procès contre sa mère j 114 ; respect filial ,129; compose des romans , > 154 j épouse le baron d’Andlau, i54- j
Saint-Aubin ( le marquis de ) , auteur. Payez Legendre. ■■ ' -~™ ^.
Saint-Cenis (M. et madame de) , 189. 4
Sainte-Foix; sa laideur, 142; mot de madame Bryaut sut cet auteur, 142. ‘«.•i'^ , t
Saint-Germain ( le comte de ) ; portrait de ce charlatan célèbre T 107 ci suia. ; son âge, 109.
Saint-Julien ( M. de), 354 ; son portrait, 357. ^_ • ।
Saint-Lambert, 5g4 et suiv. ; jugement sur le poëme des
Saisons, 3g6. - _ —-
Saikt-Nkaisb, église de Reims , a65. *
Saint-Pouen (le marquis de ), ij4.ë
Sain^-Piuest (M. de) , 365.
Sauvigny , notice sur ce poète, r5g; ses ouvrages, 160 ; ses opinions littéraires , 176 , 2oS , 2 04, ao5, 206 5 vers , 249 ? a5o , 307 ; joue la comédie, 55g, - '
Savoyard déguisé en chat, 555.vjj:“i
Sedaine , 3 i 5, 5 i 9.
SÉGun ( mesdames de) , 3ao.
Sept-Fonts ( abbaye de ), io.'* —
Sercey (le comte et la comtesse de), 5/¡ , 55, 56, t55 , 162 , 229. " Ç
Sekciï ( le jeune Lucain de J ; trait de courage , So ; va à Saint-Domingue, 58. ‘ - ' j *>
Société ( femmes de la ). J^oyez Femmes.
Soirées; ce que madame de Genlis appelle tes Soi nés tte madame du Bocage 55g.^
Soûl ( la comtesse de), ai 5. --fss ?.. j
Souvre (M. de) , ai8, 282 , 283. * „’ =
Stanislas (le roi ) ; cour de ce prince à Lunéville ,170,
Talleyrand (le chevalier de), 35g. ą ^..
Tapisserie. Vcyez Revenans, 568..5
Tessé (lamarquise de), 278. ( t j, 1 ¿
Testament authentique du cardinal de Richelieu, 55o.
Tjioinard (M. de), i38. — Tué en Corse, 13g. ' ;,.,
* Tirmane, peintre; son portrait, 190.—Tours qu’on lui „ , joue^igi et siw. . ^ 7p
Toilette poux’ la coui\ û4o f ail'et 2^2. ki ’ ^
Tonnerre (madame de)j son portrait, 271,’ ’
Tympanon ; madame de Genlis apprend à jouer dr col i instrument, 551.
Uhgon (mademoiselle), maîtresse d’école, J r
Uzes (la duchesse d1 ), i45/. j
- . ;"Ê W- ;
Valois ( le chevalier de) ; son histoire et celle de sa
yakloo , peintre, 107, , ^ 'i'
Vaubecourt (madame de), 35i; son histoire, 35a,, Vaubecourt (M. de), 35a. --4’ n Vaucanson, mécanicien; note, 96?
Víotedil (M de), 314- '^''■Éd'?’ ’ »
Vaüxmexil (le président de); 189. »* < <3 -:.
Vérac (M. de), SSq. '2
Vérag (madame de), 35p. ••’;•• ,\- -< / ' ■«
Victoire, femme de chambre, 176, 226,22S.
• Villepatob (M, de); mot de lui sur la marquise de Genlis, 234- ~— '¿^-' -a "
ViLMïcii (mademoiselle de), 229. — Épouse le jnar-^ quis de Genlis, 251. î^-^" ~ - .70?^-' l - .
Viole (par-dessus de); madame de. Genlis apprend àr jouer de cet instrument, soi. . À> J .- *
ViokÉnil (le baron de), 167. ^ ' \ îc • .
VioTTi, -violon, 144- ’ '^/j^ V* u ¡.-z ' f-;
Voleurs (attaque de), 23o. , ^À?\ u -
Voltaire; origine de l'a^crsion de madame de Genlis pour lui, 5o. — Ses vers et ses lettres à la mère de madame de Genlis, i55. — AM. de Rochefort, 544• ' — Au maréchal de Richelieu, 55o. — Joue dans5 ~ les soupers, 56o.' . ^~ a — ■
Wns, médecin; 215
Zén&dk , pièce de madame de Genlis, 272.
ZlMMERMAN, officier SUÎSSC , 98. ^ L-
Zimmerbian ( madame de) 5 histoire singulière de cette dame, 98 et99. 4/
Züelauben, colonel suisse , veut épouser mademoiselle
FIN DE LA TABLE ALPHABÉTIQUE.
4
DE MADAME LA COMTESSE
DE GENLIS.
r ' i --^MN^HQ^-----
Presque tous mes contemporains ont laissé des mémoires contenant l’histoire de leur vie entière, ou du moins celle d’une longue suite d’années. J’ai lu tous ces mémoires, ils parlent du temps où j’ai vécu, des choses qui se sont passées sous mes yeux, etdont j’avois moi-même recueilli les détails dans un journal particulier auquel j’ai travaillé, sans interruption, tous les soirs pendant les quinze ans que j’ai passés de suite dans le plus grand monde '. Il est vrai
1 J’avois , en quittant la France , confié mes journaux à nia fille, qui, ayant été mise en prison, n’a pu veiller à leur conservation. Ces manuscrits, quiétoienttousde mon écriture , ont été perdus, avec beaucoup d’autres queje ne pus emporter : mais ce qu’ils contiennent est parfaitement gravé dans ma mémoire ; car, outre que je les ai
TOME I
3
¡qi® tous les mémoires qui ont été publiés jusqu’à cotte année, 1812,' contiennent un grand ’ nombre d’anecdotes scandaleuses, et que je ■ n’en ai jamais recueilli de telles; mais je pourrai dans cet ouvrage réfuter beaucoup de ca- -lomñies / et ce sera d’une manière non suspecte,. car elles me sont étrangères, et souvent même elles tombent sur des gens qui ont été mes ennemis, Le désir de faire cet acte de justice a beaucoup contribué à me donner l’idée d’entrepren- ' dre ces mémoires. D’ailleurs j’ài connu près-’
écrits, je les ai lus successivement et un grand nombre de fois âmes amis. Je n’ai conservé de ces journaux que quatre
- volumes ,'j’en ai perdu trois. Un volume fait au Palais-’ Royal ne contenant} presque en entier, que le détail des tracasseries que me fit éprouver madame du N’"’”* que je ne désigne1 ainsi sous de tels traits, que parce que ses aventures ont eu depuis le plus horrible éclat et qu’elle-meme .a été renfermée pour le reste de sa vie. Je la cob-noissoisparfaitementlorsque j’écrivis tout ce que j’ai souffert d’elle; cependant je proteste que;’ dans ce même - volume, je n’ai pas dit un seul mot qui puisse même indirectement attaquer sa réputation et ses mœurs. Au reste, ce volume est le seul de mes journaux dans lequel j’ai longuement parlé de moi. Je ne le regrette point :je n’en ferdia nul usage dans cçs mémoires, '- f“f - ' .
Le second volume que j’ai perdu faisoit partie de mon
que tous les littérateurs célèbres de ce siècle, et ma jeunesse s’est passée durant la maturité et la vieillesse de ceux du siècle précédent. Ainsi j’ai pu me flatter de laisser sur plus d’un demi-siècle de notre littérature de bons mémoires, parce qu’ils seront parfaitement véridiques. J’ai dû croire encore qu’ayant passé une grande partie de ma vie à la cour et dans le plus grand inonde, je pourrois donner un tableau fidèle d’une société éteinte ou dispersée, et d’un siècle non-seulement écoulé, mai¿ effacé du souvenir de ceux qui existent aujourd’hui. Enfin, j’ai pensé que ma vie litté-
1 t ' J» ^ ^
second voyage en Angleterre, voyage fait depuis la révolution. Le troisième volume conlcnoit la description Li plus méthodique, la plus détaillée et la plus claire de toutes les manufactures que j'ai vues dans vingt-cinq ans en France et dans mes voyages, avec beaucoup de réflexions sur le perfectionnement des arts et métiers , et l’amélioration des apprentissages. J’ai beaucoup regretté celui-là, il pouvoit être utile, et c’étoit le fruit d’une immense quantité de courses , de beaucoup d’argent et d'une très-longue étude qui, d'ailleurs , m'avoit fourni le plaisir particulier de rectifier un grand nombre d’erreurs et de bévues de XEncyclopédie. A ce volume étoit joint un manuscrit, en cahiers, intitulé : Examen critique (sur le même sujet), et perdu aussi. -
■* -^ - * ( Kolü de Paulé!h ) 1
rairc'n’étoit pas dénuée de tout intérêt'; et qu’il seroit assez curieux d’y voir comment une personne qui _a tant aimé la solitude, la paix et les beaux-arts,' et dont'le caractère étoii naturellement doux, timide et réservé, a pu sè résoudre à faire tant de bruit, \à se mettre si souvent en scène et à s’engager dans des guerres interminables.. ^..•"^
i‘’ Si je" sen fois au fond de mon cœur le moindre ressentiment, la plus légère rancune contre les gens dont je veux parler, je renoncerois à cet ouvrage, dans la crainte qu’il ne s’y glissât, malgré moi,’ quelque trait amer ou malin ; je puis protester /avec une scrupuleuse vérité, qu’il n’existe pas dans mon âme un seul mou- * - vcment de malveillance contre qui que soit, cl que, dans tous les instans de ma vie, je n’eusse jamais refusé de rendre un service, meme se-cret;' au plus ardent de mes.ennemis, si j’en eusse eu le pouvoir. A soixante-six ans passés, quand on a beaucoup souffert, quand on est jisé par un long travail, on voit de si près la ' nuit inévitable et prochaine du tombeau; qu’il * ne faut pas un grand effort d’imagination pour se croire déjà enveloppé de ses ombres!."...... Là J toutes les illusions humaines ont disparu,
toutes les petites vanités sont'appréciées, toutes les inimitiés s’anéantissent.........Du fond de la tombe, un cri éternel, un seul cri s’élève depuis la naissance du inonde, il implore la miséricorde ! Le juge souverain n’y répond que par ces paroles : Âs-iu pardonné ?........
Oui, Seigneur, j’ai pardonné sans restriction , et du fond de cette âme que vous n’avez creee
que pour vous connoitre et vous aimer; de cet Le âme formée pour un amour sublime, et que tout sentiment haineux souille et dénature..... J’ai pardonné ! c’est vous seul que je prends pour juge; daignez guider ma plume, ne souffrez pas qu’il s’en échappe un seul mot d’aigreur ; si j’ai commis quelque injustice, faites que je me la rappelle pour la réparer dans cet écrit, afin que vous ne me la reprochiez point. Que la candeur et la bonté brillent surtout dans cet ouvrage, 'et que pour être utile tout y soit pur '. ‘ -
’ J'ai commencé ces mémoires beaucoup plus tôt que je ne l'indique ici ; j’en avois écrit à Belle-Chasse une grande quantité de morceaux détachés ; j’en ai fait le troisième volume, presque tout entier, durant l’émigration je n’ai eu depuis qu’à réunir et à mettre en ordre tous ces fragmens.
' (Note clc l'auteui.)
\ Je naquis le ^vingt-cinq janvier de l’année mil sept cent quarante-six, dans une petite terre en Bourgogne/ près d’Autun, et qu’on appelle Champcéri, par corruption, dit-on, de Champ de Ce'rès/nom primitif de cette terre. Je vins au monde si petite et si foible, qu’il ne fut pas possible de m’emmaillotter; et peud’in-stans après ma naissance, je fus au moment de perdre la vie. On m’avoit mise dans un oreiller de plumes dont, pour me tenir chaud, où avoit attaché avec une épingleJes deux côtés repliés sur m’oi: on me posa / arrangée ainsi, dans le salon sur un fauteuil. Le bailli du lieu, qui étoit presque aveugle, vintpour faire son compliment à mon père; et comme/ suivant l’usage de province, il écartoit avec soin les grands pans de son habit pour s’asseoir,’ on s’aperçut qu’il aUoit s’établir sur_ le fauteuil où j’étois; on se jeta sur lui ' pour le. faire changer de place; et l’on m’empêcha ainsi d’être écrasée. On me donna une nourrice qui me nourrit au château; cette nourrice cacha quelle étoit grosse de quatre mois; mais elle inc nourrit avec du vin mêlé d’eau et d’un peu de mie de pain dé seigle/passée'dans un tamis, sans me donner jamais une seule goutte d'aucun lait.
DE MAD1ME DE GEKLÏS. 7 Cette singulière nourriture, qu’on appelle, en Bourgogne, delà miaulée, réussit parfaitement; avec l’apparence de la délicatesse, je pris une très-bonne santé, æéprouvai dans mon enfance une suite d’accidens fâcheux. A dix-huit mois je me jetai dans un étang, on eut beaucoup de peine à me repêcher; à cinq ans je ils une. chute, j’eus une grande blessure à la tête : comme elle rendit plus d’une palette de sang, on ne me fit pas saigner; un dépôt se forma dans la tète, il perça par l’oreille au bout de quarante jours ; et, contre toute ¿espérance, je fus sauvée. Peu de temps après, je tombai dans le brasier d’une cheminée; mon visage ne porta point, mais j’ai conservé toute ma vie deux marques de brûlures sur le corps. Ainsi fut en danger tant de fois, dès ses premières années, cette vie qui devoit être-si orageuse ! - 1
4 Mon éducation a été si extraordinaire, que je ne puis m’empêcher d’en rendre compte ici. Mon père vendit la terre de Champcêri (je n’avois alors que deux ans). Il possèdent une maison à Cosne, il alla s’y établir, et y passa trois ans. 'Le souvenir de cette maison, de son superbe jardin et de sa belle terrasse sur la Loire est resté ineilaçablement gravé dans
8 — T* ï-' "MÉMOIRES» ; ^ . - ^
• * , . * . . r . / , '
ma mémoire, ainsi que celui du château de Mienne, à une lieue de Cosne, où nous allions j sans cesse. Passant sur cette route, trente-cinq ; ans après, je reconnus dans l’instant ce châ-, tcau; je n’avois pourtant que cinq ans, lorsque । nous quittâmes Cosne. Mon père acheta le mar- = quisat de Saint-Aubin, terre charmante par sa situation ?‘ son étendue et ses droits honori-fiques et seigneuriaux. Je n’ai jamais pensé ; sans attendrissement à ce lieu, qui m’a été si j cher, et dans lequel se sont écoulées pour , moi, six années d’innocence et de bonheur ! O } combien,, à l’instant où j’écris, il m’est plus , doux de me retracer les promenades et les jeux de mon heureuse enfance, que la-pompe et^ l’éclat des palais où j’ai vécu depuis!... Toutes 1 ces cours si florissantes alors sont anéanties ! ' tous les projets qu’on y formoit avec tant d’assurance1 n’étoient que des chimères ! L’impé- * nétrablc avenir* a trompé également la sécurité i des princes et l’ambition des courtisans ! Ver- “ sailles' tombe en ruines, les délicieux jardins de 1 Chantilly, de Villers-Coterets, de Sceaux, de , ITle-Adam, sont détruits; j’y chercherois en j vain les traces de cette fragile grandeur que j’y admirois jadis; mais je retrouverois les rivages i
DE MADAME DE GENLIS. () de la Loire aussi rians, les prairies de Saint-Aubin aussi remplies de violettes et de mugue Ls, et ses bois plus élevés et plus beaux ! Il n’y a point de vicissitudes pour les beautés immuables de la nature : tandis que, dans les révolutions sanglantes, les palais, les colonnes de. marbre, les statues de bronze, les villes même disparoisseñt en un instant, la simple fleur des champs, bravant tous ces orages, croit, brille et se multiplie toujours.
Le château de Saint-Aubin ressembloit à ceux qu’a dépeints depuis madame RadclilT. Il étoit antique et délabré, il avoit de vieilles tours, des cours immenses, dans l’une desquelles étoit un canal bordé d’ébéniers, arbre très-rare alors. On nourrissoit de belles carpes dans cette pièce d’eau. A deux pas de la Loire, on avoit eu la maladresse de bâtir le château de manière que d’aucune fenêtre on n’apercevoit cette belle rivière. On me logea au rez-de-chaussée dans une tour, formant une petite chambre humide qui donnoit sur une terrasse, au bas de laquelle étoit un vaste étang '. Ma
1 Celte petite tour, où je couchois, est la seule chose qu’on ait conservée de l’ancien batiment. Les babil ans du pays se sont souvenus et ont dit que cette tour, dans
' méro habitoit l’autre côté du bâtiment; j’étois-séparée d’elle par une pièce où couchoit ma gouvernante, et'par un immense salon. Les appartemens du premier étaient réservés pour les étrangers^ La ville la plus voisine de nous étoit Bourbon-Lancy, à deux lieues de Saînt-Aubin ; mon père en étoit seigneur. Il y avoit dans cette ville dès eaux minérales et chau-
. des j elles étoient alors assez fréquentées : nous étions à six lieues deMoulins et à douze d’ Autun. t- En sortant du château, on se trou voit sur le bord de la Loire; et sur l’autre rive, vis-à-vis fe château, étoit située la fameuse Abbaye de Sept-Fonts, dont mon père étoit aussi sei- ’ gneur, ce qui établissoit de grandes relations entre lui et les religieux de cet ordre. Nous allions quelquefois dîner dans cette abbaye, car il y avoit un appartement pour les étrangers, et les pères y donnoient à diner. C’étoit un très-grand plaisir pour moi de m’embarquer, et de passer la Loire en bateau pour aller à Sept-
mou enfance, étoit ma chambre ; et, par une bonté dont je suis très-touchée, on. n’a point voulu l’abattre. Je tiens ce détail de M. le marquis d'Aligue,* possesseur actuel de* la terre de Saint-Aubin. ł‘- ’ ~ -
( Notv de Tau le ai * )
Fonts. D’ailleurs j’avois tant de vénération pour ces saints solitaires, queje ne me lassois point de regarder ceux qui venoient nous tenir compagnie; je savois que dans l’intérieur de leur maison ils gardoient un silence éternel , de sorte que je trouvois aussi curieux de les entendre parler, que s’ils eussent été naturellement privés du don de la parole. Lorsque nous fûmes établis à Saint-Aubin, on commença à s’occuper de mon éducation. Mademoiselle Urgon, maîtresse d’école du village, m’apprit à lire. Comme j’avois une très-belle mémoire, j’appris avec une très-grande facilité; au bout de six ou sept mois je lisois couramment. J’étois élevée avec mon frère, plus jeune que moi de quinze mois; je l’aimois tendrement; à l’exception d’une heure de lecture, nous pouvions jouer ensemble toute la journée. Nous passions une partie du jour dans les cours ou dans le jardin, et le soir nous jouions dans le salon. Mon père, trouvant nos jeux trop bruyans, imagina de nous proposer de jouer aux pères de Sept—Ponts au lieu de jouer à madame. Cela nous parut charmant. Nous substituâmes à nos cris, à nos bruyans dialogues, des gestes, et la plus paisible pan-
\12f MÉMOIRES'
tomime; et le silence qu’on nous anroit vainement recommandé de toute autre manière, fut gardé avec autant de plaisir que d’exac-
' titude. ' ' \
' J’avois six ans lorsqu’onenvova mon frère à Paris, pour le mettre dans la fameuse pension du Roule de M. Bertaud, le plus ver-tueux et le meilleur^ instituteur public de ce temps. C’est lui qui inventa la manière d’apprendre à lire en six semaines sans épeler, avec des boites de fiches/ Deux ou trois mois après le départ de mon frère, ma mère fit un' voyage à Paris, et m’emmena avec elle. J’avois à Paris une tante, jeune et belle, nommée la comtesse de Bellevau; j’en parlerai avec détail dans la suite. Madame de Bellevau avoit avec elle deux enfans, qu’un de nos parens, M. Du-crest de Chigi, avoit7 en.se mariant, reconnus pour scs filles ; elles portoient par conséquent le nom de Ducrcst/et personne ne pouvoit juridiquement le leur contester. Elles appeloient madame de Bellevau leur tante. Je ne fus pas émerveillée de Paris, et dans les premiers jours surtout je regrettai amèrement Saint-Aubin. On me fit arracher deux dents; oñ me donna un corps de baleine qui mc scr-
DE MADAME DE G E ps LIS . ï5 roit à l’excès; on m’emprisonna les pieds dans des souliers étroits, avec lesquels je ne pou-vois marcher ; on me mit trois ou quatre mille papillottes sufJa tête ; on me lit porter, pour la première fois, un panier; et, pour m’ôter mon air provincial, on me donna un collier de fer; en outre, comme je louchois un peu de temps en temps, on m’attachoit sur le visage tous les matins, dès mon réveil, des besicles que je gardois quatre heures ’. Enfin, je fus bien suprise, quand on me dit qu’on alloit me donner un maître pour m’apprendre ( ce que je croyois savoir parfaitement ) à marcher. On ajouta à tout cela de me défendre de courir, de sauter et de questionner. Tous ces supplices me firent une telle impression, que je ne les ai jamais oubliés, et que je les ai fidèlement dépeints depuis dans la petite comédie de mon Théâtre d’éducation, intitulée: La Colombe. Cependant une grande cérémonie, et ensuite de belles fêtes, me firent bientôt oublier mes chagrins. Je n’étois qu’ondoyée, on me
1 Excellente chose pour celle difformité et qui me Fota entièrement et sans retour en trois mois. Jl est vrai qu’avant je ne louchois pas habituellement.
( Note dc i autrui )
l4 ^. , MÉMOIRES - ,-j£
baptisa solennellement; madame de Bel le vau fut mą marraine; M- Bouret, fermier général, mon parrain *. On me fit de beaux présens ; on me donna en outre beaucoup de bon-bons et de joujoux, et je repris ma belle humeur.; On me mena à l’Opéra,, qui me causa un ravissement inexprimable. Je n’oublierai jamais que je vis jouer, par le fameux Chassé, qui étoit déjà très-vieux, Roland le' furieux? Chassé me faisoit frémir en arrachant1 tous les arbres des coulisses. Il est remarquable que, dans un temps où l’on attachoît tant' de prix à la noblesse, on ait anobli cet acteur" à cause de sa voix et de son beau chant. On*’ fit à ce sujet le couplet suivant : '
Dans la pastorale d’Issé . ’ 4 , ^J
Avez-vous entendu Chassé ? -_^ \ i
^ 1 Financier célèbre par sa magnificence et sa prodigalité. C'est lui qui fit bâtir le superbe pavillon de
• Croix-Fontaine, uniquement pour y recevoir Louis XV, lorsqu’il alloit à la chasse de ce côté. Le roi s’y reposoit et y trouvoit toujours une magnifique collation .
" ' ( Note do rautem, ) "
Bouret est mort, en 1778, si pauvre, qu'il ne trouva pas à emprunter cinquante louis dont il avoitbesoin. Cependant ce financier fastueux avoit possède six cent mille livres de rente. ^ ^
^(vtc dc Vcditrui )
ïie madame de genlis. as
.Ce n’cst plus celte voix tonnante. Ce ne sont plug ces grands éclats, C’est un gentilhomme qui chante Et qui ne sc fatigue pas Í
Nous allâmes passer une partie de. Télé ¿ans une charmante maison à Étioles, chez M. Le Normand, fermier général des postes, mari de madame de Pompa Jour, qui éloit déjà depuis Jong-temps favorite déclarée. De tous les personnages queje vis là, un seul me frappa, et j’en ai conservé un tel souvenir, que je me * rappelle encore l’expression de son sourire, ses gestes, sa démarche, son maintien. C’étoit
le maréchal de Loewcndal '. J’avois entendu dire que c’étoit un héros, on m’avoit expliqué ce que c’étoit qu’un héros; tout le monde chan toit alors cette chanson faite pour lui, et si jolie dans son genre : ~^' ~ ^ ^
j. . S’li*là qui pincit Berg-op-Zooin ?
* Est un vrai moule à 7’e Detwt, etc. * ^" _*; ^
Et je regardois ce héros avec une espèce de saisissement. Cette première impression d’admiration' fut si vive en moi, que ma physionomie l’exprima avec toute la naïveté de mon âge; le maréchal m’en sut gré, il s’occupa beaucoup de moi,-il me prenoit souvent sur
Le comte de Loewendal, arriére-petit-fds de Frédéric III , roidcDancmarck, étoit né en 1700, etn’avoit que cinquante-deux ans à l’époque dont parle madame de Genlis. Loewendal embrassa à treize ans l’état militaire; il servit en 1715 comme simple soldat; mais, dans le cours d’une année, il parcourut tous les grades, et fut fait capitaine. Il passa au service de France en 1745 : il étoit alors lieutenant-général. Les ’ sièges*de Menin, d’Ypres, de Fumes, de Fribourg, de Gand, d’Oudenarde, d’Os-’ tende, de Neupont, de l’écluse du Sas-de-Gand, de Berg-op-Zoom,' et la part qu’il eut à la victoire de Fon-lenoy, lui donnèrent une grande et juste célébrité. Mort te 27 mai lySS.^ _ -
' ~ (Note de l'éditeur. )
ses genoux, j’en étois plus flattée que de tout ce que les autres pouvoient faire pour mou -J’avois quitté mon panier en arrivant à Étioles, pour prendre ce qu’on appeloit un habit de marmotte ou de Savoyarde: c’étoit un petit juste de taffetas brun avec un jupon court delà même étoffe, garni de deux ou trois rangs de rubans couleur de rose cousus à plat, et pour coiffure un fichu de gaze noué sous le menton. Je retrouvois un jardin ravissant, j’avois la permission d’y cueillir des fleurs, je dînois à table avec mon héros, ensuite je cou-rois toute la journée sous les ombrages du jardin; le soir je soupois dans ma chambre avec l’aînée de mes cousines qui n’avoit que quatre ans. Cette vie me paroissoit délicieuse. Sur • la fin du voyage, on donna une grande fête au maître de la maison, et l’on m’y fit jouer le personnage allégorique de XAmitié. J’avois un bel habit, je chantai avec beaucoup de succès un mauvais couplet, queje n’ai jamais oublié, tant cette journée me parut glorieuse. Après ce voyage, ma mère, matante, ma cousine et moi, nous partîmes ensemble dans une immense berline, et nous allâmes à Lyon, car on devoit nous faire recevoir, ma cousine et moi,
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chanoinesses du chapitre noble d'Alix. Comme il falloit d’abord que les comtes de Lyon examinassent les preuves_de noblesse des postulantes, nous restâmes environ'quinze jours à Lyon. Nos preuves étant en régie" nous allâmes à Alix, qui n’est qu’à peu de lieues de Lyon. Ce chapitre formoit, par ses immenses bâti-mens, un coup d’œil singulier. Il étoit composé d’une grande quantité de jolies petites maisons toutes pareilles, et toutes ayant un petit jardin. Ces maisons étoient disposées de manière quelles formoient un demi-cercle dont le palais abbatial occupoit le milieu. Je m’amusai beaucoup à Alix: l’abbesse et toutes les dames me combloient de bontés et de bonbons, ce qui me donnoit'une grande vocation pour l’état dechanoinesse. Cependant mon bonheur fut un peu troublé par la terreur que m’inspiroit une bête féroce, d’une espèce inconnue et singulière, quidésoloit alorscecanton; oncncon-loit des choses si effrayantes qu’aucune des dames n’osoit sortir de la maison pour, aller se promener dans la campagne. Le gouvernement ordonna, à ce sujet, des chasses publiques; et peu de jours après notre départ d’Alix, on tua ce terrible animal.* J’ai vu depuis, quinze,
■ DE MADAME DE GENLIS. 19
ans après, se renouveler cette espèce de fléau. Tout le monde a entendu parler de la hyène de Gévaudan qui a fait tant de ravages.
• ’ Le jour de ma réception fut un grand joui’ pour moi. La veille ne fut pas .si agréable, on me frisa, on essaya mes habits, on m’endoctrina, etc. Enfin le moment heureux arrivé,, on nous vêtit de blanc ma cousine et moi, et l’on nous conduisit en pompe à l’église du Chapitre. Toutes les dames habillées comme dans le monde, mais avec des robes । de soie noire sur des paniers, et de grands manteaux doublés d’hermine, étoient dans le chœur. Un prêtre, qu’on appeloit le grand prieur, nous interrogea, nous fit réciter le credo , ensuite nous fit mettre à genoux sur des carreaux de velours. Alors il devoit nous couper une petite mèche de cheveux; mais, comme il étoit très-vieux et presque aveugle, il me fit une petite coupure au bout de l’oreille, ce que je supportai héroïquement sans me plaindre; on ne s’en aperçut que parce que mon oreille sai-gnoit. Cela fait, il mit à mon doigt un anneau d’or bénit, m’attacha sur la tête un petit morceau d’êtoflè blanc et noir, long comme le doigt, que les chanoinesses appeloient un mari.
Il me passa les marques de l’ordre, un cordon rouge et une belle croix émaillée, et une ceinture d’un large ruban noir moiré. Cette cérémonie terminée,“ il nous fit une courte exhortation , après laquelle nous allâmes dans l’église même embrasser toutes les chanoines— ses ; puis nous entendîmes la grand’messe. Le reste de la journée^ à l’exception de l’heure de l’office’, après le dîner, se passa en festins, en visites chez toutes les dames7 et en petits jeux très-agréables. Dès ce moment, on m’appela madame la comtesse de Lancy ('): mon père étoit, comme je Fai dit, seigneur de Bourbon-Lancy,' c’est pourquoi ce nom me fut donné. Le plaisir de m’entendre appeler madame surpassa pour moi tous les autres. Dans ce chapitre on étoit libre de faire ou non des vœux à l’âge prescrit ou plús tard; quand on n’en fai-soit point ori ne gagnoit à cette réception que le titre de dame et de comtesse, et l’honneur de se parer des décorations de l’ordre. Les dames qui faisoient des vœux f" aveient avec le temps d’assez bonnes prébendes ; ¿ on n étoit
f™ J Toutes les chanoinesses d'Alix avoient le droit de porter le titre de Comtesse et j’ai porté le noie dc Lancy
jusqu'à mou mariage. -
(Note Je l’jtiUlir )
DE MADAME DE GENLIS.
DE MADAME DE GENLIS. " 21 obligée de résider au chapitre que lorsqu’on ' avoit fait des vœux, et dans ce-cas, outre qu’on ne pouvoit plus se marier, on étoit forcée de rester au chapitre deux ans sur trois ; on alloit passer l’année de liberté où l’on vou-loit. Il y avoit dans ce chapitre, ainsi que dans 1 quelques autres, une espèce d’adoption formellement autorisée par les statuts. Chaque chanoinesse ayant fait des vœux avoit le droit d'anîècer, c’est-à-dire d’adopter pour sa nièce une jeune chanoinesse étrangère, sous la condition que cette jeune personne prononceroit ses vœux quand elle en auroit l’âge, et qu’en attendant elle resteroit toujours avec elle. Alors la tante adoptive pouvoit laisser après elle à sa nièce, ses bijoux, ses meubles, sa petite maison et sa prébende. Madame la comtesse de Clugny, une de nos parentes et chanoinesse de ce chapitre, offrit de m’a/zzècfir.Elle étoit riche, et elle pressa beaucoup ma mère de consentii' à cette adoption : ma destinée sans doute eût été beaucoup plus paisible si l’on y eût consenti !
Apres un séjour de six semaines à Alix, nous partîmes ; je pleurai amèrement en quittant ccs aimables chanoincsses, mon cœur dès lors s’attachoit avec une vivacité peu com-
mune. A Lyon, nous nous ’ séparâmes dejna tante et de ma cousine, qui retournèrent à Paris, et nous'prîmes la route de Bourgogne/ Un sensible chagrin nous y attendoit : ma mère était accouchée l’année d’avant d’un garçon,’ que mon père avoit fait recevoir chevalier de Malte au berceau/ce qui étoit un grand avantage pour la suite en faisant des vœux et des caravanes ; c’est ainsi* qu’alofs on disposoit de la destinée de ses enfans/ un peu légèrement il faut en convenir. Ce pauvre enfant venoit de mourir à l’âge de dix-huit mois ! J’avois eu une sœur morte pareillement au berceau.'Je l’ai' toujours regrettée ! j quelle amie qu’une sœur ! Je suis sûre que j’aurois passionnément aimé la mienne....>yv ^
J’étais dans ma septième année, j’avois une belle voix, j’annonçois beaucoup de goût pour la musique; ma mère avoit pris des arrange-mens à Paris pour faire venir de la Basse-Bretagne une jeune personne," fille de l’organiste de Vannes, excellente musicienne et jouant parfaitement du clavecin. Nous trouvâmes à Saint-Aubin un bon clavecin, un vieux Rucher arrivant de Moulins / et nous attendîmes avec la plus vive impatience mademoiselle de Mars, s
‘ DE MADAME DE GENL1S. ' -25 c’étoit le noDi de la jeune musicienne. Elle vint en effet à mon extrême satisfaction ; sans être jolie, elle avoit de beaux yeux/une physionomie expressive, des manières remplies de douceur, un air sage et un peu grave, quoiqu’elle n’eût que seize ans. Je me passionnai pour elle dès les premiers jours, et ce sentiment a été aussi solide qu’il étoit vif. On la chargea de m’instruire, de me guider en tout; on me livra entièrement à elle, et malgré sa grande jeunesse on ne pouvoit me remettre en de plus dignes mains.
Mademoiselle de Mars n’avoit nulle instruction profane, mais elle avoit de l’esprit naturel, un caractère doux et sérieux, une âme noble et sensible, et la piété la plus sincère.
Ma mère, distraite par ses occupations particulières et par les visites continuelles des voisins, ne s’étoit jamais occupée de moi, et l’on ne m’avoit encore appris qu’un peu de caté-, chisme, que m’avoient enseigné les femmes de chambre avec lesquelles je passois ma vie, et qui a voient d’ailleurs orné mon'esprit d’un nombre prodigieux d’histoires de revenans. Au reste, ces femmes de chambre étoient d’excellentes filles, qui ne m’ont jamais donné
5^ » «í* '^*ł^* ' _ iyi È JIO1K E S ^ ^c» *. ,^.
un seul mauvais exemple. Je quittaientière-ment leur société pour celle de mademoiselle de Mars, qui valoit infiniment mieux. Je ne voyois ma mère et inon père qu’un moment à leur réveil/et aux heures des repas. Après le dîner, je restois une heure dans le salon ; je passois le reste de la journée dans ma chambre avec mademoiselle de Mars, ou à la promenade toujours seule avec elle. Mon père avoit une grande meute de chiens de chasse, il chassoit beaucoup ; il nous donnoit de temps en temps le divertissement d’une pipée, c’est-à-dire de voir de petits oiseaux pris à la glu dans une feuillée. Nous allions aussi à la pêche sur la Loire. On m’admettoit quelquefois aux pêches de nuit; on étoit dans des bateaux avec des torches de paille emflammées qui attiroient le poisson, ce spectacle me paroissoit admirable. Mon père avoit reçu de la nature des dons rarement réunis : sa figure étoit d’une beauté remarquable, sa taille élevée et parfaite; il avoit beaucoup d’esprit et d’instruction, ayant fait aux jésuites de Lyon d’excellentes études; ainsi que son frère aîné mort avant ma nais-sanee: ce dernier étoit compté au nombre des bienfaiteurs de cette même maison des jésuites
à laquelle il laissa par testament un très-beau cabinet de médailles. Mon père avoit quelques notions de la science numismatique, mais il avoit fait une étude particulière de la chimie et de la physique ; il avoit à Saint-Aubin un joli cabinet de physique, et je lui ai vu faire dans mon enfance une grande quantité d’expériences sur l’électricité, et sur la machine pneumatique. Il joignoit à toutes ces connoissances un caractère d’une douceur angélique, une grâce infinie dans l’esprit,' et l’âme la plus généreuse et la plus sensible; il aimoit et savoit la musique, il donnoit du cor et jouoit* passablement du violon. Il étoit entré au service dès sa première jeunesse, et il y montra la valeur la plus distinguée; une affaire étrange lui fit quitter le service à trente-deux ans, trois ans avant son mariage. Il étoit capitaine dans le régiment de M. le duc d’IIostun qui avoit pour lui une amitié particulière; ilétoiten garnison avec son régiment dans une ville de province ; une intri-* gue d’amour qu’il avoitàParis, le décida à y revenir secrètement passer trois jours sans congé; - il feignit d’ètre malade, se mit au lit/laissa un domestique quidevoit seconder ce stratagème; et, sous un autre nom ' il partit seul à franc-
étrier au milieu de la nuit, et il arriva a Paris. Le lendemain même passant à minuit sous les guichets du Louvre, il fut attaqué par trois hommes; mon père tira son épée, s’appuya contre le mur, tua undes assassins, en blessa un autre mortellement qui tomba/et mit lé troisième en' fuite? Pendant ce temps il survint du monde / la garde accourut, mon père fut arrêté et conduit chez un commissaire chez lequel on transporta aussi le meurtrier qui respiroit encore. Il fut bien constaté par les aveux de ce misérable, quemón pèren’avoit fait que défendre sa vie contre trois brigands ; mais ce qu’il y avoit de fâcheux, c’est qu’il falloit se nommer, et faire’connoitre quon étoit à Paris sans congé. Mon père demanda à être conduit, chez " M. le? duc d’Hostun son colonel ', qui heureusement étoit à Paris ; mon père comptoit sur son; amitié, il avoit raison. Le duc arrangea cette affaire; mais il ne voulut jamais consentir à laisser mon père passer encore quelques jours à Paris. Mon père fut obligé de retourner sans délai à sa garnison ; il en eut tant de dépit,' qu’il se promit de quitter le service, ce qu’il fit en effet trois mois apres, à trente-deux ans. “
Mon père avoit pour moi la plus vive tendresse ; mais il ne se mêla de mon éducation que sur un seul point : il vouîoit absolument me rendre une femme forte, et j’étois née avec une quantité de petites antipathies : j’avois horreur de tous les insectes, surtout des araignées et des crapauds ; je craignois aussi les souris, je fus obligée d’en élever une. J’aimois passionnément mon père, et il avoit un tel empire sur moi que je ne balançois jamais à lui obéir. Il m’ordonnoit sans cesse de prendre avec mes doigts des araignées / et de tenir des crapauds dans mes mains, chose qu’il faisoit continuellement. A ces commandemens terribles, je n’avois pas une goiïtte de sang dans les veinesj mais j’obéissois. Au reste, ces tours de force m’ont bien prouvé que les crapauds n’ont aucun venin ; mais ces violences ont beaucoup contribué à m’attaquer les nerfs , et n’ont fait qu’augmenter en moi ces antipathies que j’ai ' conservées toute ma vie. Cependant elles ont pu servir à me donner de l’empire sur moi-même, et cela seul est un grand bien. Du reste, mademoiselle de Mars étoit seule chargée de mes éludes, elle devoit me faire répéter mon caté-' chisme, un abrégé d’histoire du Père Bullier,
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et me donner une leçon de musique et deux de clavecin. Dans ces dernières leçons elle : exi-geoit avec raison que jeregardasseavec attention sur mon livre, afin d’apprendre à déchiffrer; mais j’avois trouvé un artifice, qui me dispenso! t de cette peine? Je'feignois d’aimer à la folie la pièce qu’on vouloit me faire apprendre, et sous ce prétexte je la faisois jouer continuellement à mademoiselle de Mars pendant deux ou trois jours. Au bout de ce temps je la .savois par cœur, et alors la .mémoire et l’oreille me suffisoient pour l’étudier à la grande satisfaction de ma maîtresse, qui s’applaudissoit^des étonnans progrès que je faisois dans la musique; tandis que j’avois les yeux attachés sur mon livre sans regarder les notes, et que jejouois absolument de routine^ Quant au Père Buflier il nous ennuya tellement que nous l’abandonnâmes sans retour au bout de huit jours , et jamais on ne nous en a demandé compte. A la prière de mademoi-selle'de Mars, mon père tira de sa bibliothèque délie de mademoiselle de Scudéry, et le théâtre de mademoiselle Barbier 1 ; il nous
1 Marie Anne Barbier a fait des tragédies, des comédies ? des opéras et des ballets. Elle consultent souvent
donna ces deux ouvrages qui ont fait nos délices pendant bien long-temps; dès lors, à huit ans, je commençai à composer des romans et des comédies que je dictois à mademoiselle de Mars, car je ne savois pas former une lettre. Nous avions les paroles imprimées de trois ou quatre opéras , nous trouvions .un plaisir extrême à les chanter de tête en improvisant ; c’étoit un de nos plus grands amusemens. Au milieu de tout cela , nous nous occupions sérieusement de la religion; les sentimens religieux sont nés avec moi; dès ma plus tendre enfance, je n’ai jamais regardé un ciel étoilé non-seulement sans plaisir, mais sans une émotion extraordinaire. Mademoiselle de Mars, qui étoit un ange, me parloit souvent de Dieu, surtout dans nos promenades. Nous n’avions nulle idée de botanique et d’histoire naturelle; mais nous admirions avec extase les deux , les arbres , les fleurs, comme preuves de l’existence de
Pcllegrin; c’cst ce qui a fait attribuera l’abbé les ouvrages de cette demoiselle. Ses Saisons littéraires sont un mélange de poésies, d'histoires et de critiques. Il y a dans ses vers de la facilité et du naturel, mais peu d’élégance et ' point de force. Les ouvrages de mademoiselle Barbier ont été recueillis en 2 volumes ia-i2. Morte en 1742.
" _ ( Jîote deFedikiu#)
3° '<7/MÉMOIRES J^S _
Dieu et comme ses ouvrages, et cette idée ani-moit et embelli soit pour nous toute la nature entière. Ce n’étoitpoint une savante institutrice -qui me donnoit de graves leçons, c’étoit une jeune fille de dix-sept ans, remplie de candeur, d’innocence et de piété, qui me confioit ses pensées, et qui faisoit passer dans mon âme tous les sentimens de la sienne; sous ce rapport nulle éducation n’a pu'se comparer à la mienne.
Tous les jours après le diner en sortant du1 salon , nous allions dans nos chambres réciter l’office de la Sainte-Vierge^ et c’étoit avec un tel goût, que lorsque quelque chose dérangeoit cette habitude, nous en'éprouvions un véritable chagrin. Dans ce temps il m’est arrivé bien souvent, en me réveillant au milieu de la nuit, de me lever, et de me prosterner sur le plancher poui’ prier Dieu." -
’ J’étois" aussi heureuse qu’un enfant peut l’être; quoique fort in appliquée" je n’étois jamais grondée, on ne m’a jamais parlé de pénitence. Je savois sur le clavecin sept ou huit pièces que je jouois passablement; j’avois une belle voix’ et je chantois trois ou quatre cantates de Clérambout, c’en étoit assez pour cn-chanter mes paren s et pour me faire admirer
" DE MADAME DE GENLIS.^ * _- - $1 de nos voisins. Mademoiselle de Mars m’en- ‘ seignoit fort peu de chose; mais sa conversation formoit mon cœur et mon esprit, et elle me donnoit en tout l’exemple de la modestie, de la douceur et d’une parfaite bonté. Je l’ai-mois et je l’admirois tant, je craignois tellement de lui déplaire qu’elle m’auroit donné de l’application, si elle l’eût voulu; mais elle n’y pensoit pas ; contente de mon caractère , elle Fétoit de tout, et elle n’avoit nulle envie de me contraindre. Dès ce temps j’avois le goût d’enseigner aux enfans et je m’étois fait maîtresse d’école d’une singulière manière. J’avois une petite chambre à côté de celle de mademoiselle de Mars, la chambre de cette- dernière avoit une petite porte qui donnoit dans le salon, ma chambre ne communiquoit qu’à celle de mademoiselle de Mars; mais mà fenêtre sur la belle façade du château n’avoit pas tout-à-fait cinq pieds d’élévation : au bas de cette fenêtre étoit une grande terrasse sablée, avec un mur à hauteur d’appui de ce côté, très-élcvê extérieurement et s’étendant le long d’un étang qui n’étoit séparé du mur que par un petit sentier couvert de joncs et d’herbages. -
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<" Des ' petits garçons du village ^venoient là ^ pour jouer et couper des joncs ; je m’amusois à les regarder, et bientôt j’imaginai de leur donner des leçons, c’est-à-dire de leur enseigner ce que je savois ; le catéchisme, quelques vers des tragédies de mademoiselle Barbier, et ce qu’on m’a voit appris par cœur des principes de musique.' Appuyée sur le mur de la terrasse, je leur donnois ces belles leçons le plus gravement du monde? J’avois beaucoup de peine à leur faire dire des vers à cause du patois bourguignon; mais j’étois patiente, et ils étoient dociles. Mes petits disciples, rangés au bas du mur au milieu des roseaux et des joncs, le nez en 1 air pour me regarder ; m’écoutoient avec la plus grande attention, car je leur promettois des récompenses 7 et je leur jetois en effet des fruits, des petites galettes et toutes sortes de bagatelles. Je me rendois presque tous les jours à mon école en passant par ma fenêtre ; j’y atta-chois une corde au moyen de laquelle je me laissois glisser sur la terrasse : i’étois leste et légère et je ne suis jamais tombée. Après ma leçonjefaisois le tour par une des cours, etjeren-trois parle salon sans qu’on prît garde à moi. Je choisissois pour ces escapades les jours de poste
où mademoiselle de Mars écrivoit a ses parens : elle étoit tellement absorbée dans ses dépêches, qu’elle ne faisoit pas la moindre attention à ce qui se passoit autour d’elle; ainsi je tins paisiblement mon école pendant fort long-temps, d’autant plus que c’étoit toujours à des heures où ma mère n’étoit pas dans le salon. Enfin mademoiselle de Mars me surprit un jour au milieu de mon école, elle ne me fit aucune ré-Z
primando ; mais elle rit tant de la manière dont mes élèves déclamoient les vers de mademoiselle Barbier, qu’elle me dégoûta de ces doctes fonctions. • • •
, , Le premier chagrin vif et profond que j’aie éprouvé, fut causé parle départ de mon père, qui fit un voyage à Paris, en assurant qu’il reviendroit dans six mois. J’aimois mon père, comme j’ai toujours su aimer, avec une vivacité, un dévouement dont bien peu de coeurs .sont capables. Son départ me causa un cha-.grin qui altéra ma santé; le temps eu s’écoulant ne le diminua que par l’espoir qu’il me donnoit de le voir revenir bientôt. Au boni de trois mois, ma mère voulut préparer une fête pour son retour. Elle avoit beaucoup de talent naturel pour la poésie, quoiqu’elle n'en
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sût'pas parfaitement les règles, mais elle a : fait de très-jolis vers^ Elle composa une espèce d’opéra comique dans le genre champêtre'; avec un prologue mythologique; j’y jouois T Amour? On donna" des - rôles à toutes - les ■ femmes de chambre,1 elle en ayoit quatre, et; toutes jeunes et jolies; de plus/ on voulut jouer une tragédie / on choisit Iphigénie en Aulide; manière joua Clytemnestre; et l’on me donna le rôle d’Iphigénie. Un médecin de Bourbon-Lancy,'nommé le docteur Pinot, se chargea du rôle d’Agamemnon; son fils aîné, âgé de dix-huit ans, eut un succès prodigieux
‘ dans celui du bouillant Achille : il étoit en ' effet très^bouillant, son génie théâtral avoit deviné toutes les contorsions,' les convulsions, les tapemens de pied et les cris terribles que l’on a tant ' applaudis depuis à Paris sur le théâtre; je me cachois pour en rire, car dès cet âge l’affectation, l’emphase et tous les mouvemens forcés me paroissoient excessive-; ment ridicules. Mademoiselle de Mars pensoit, comme moi, et nous nous amusions en secret, Edans'notre chambre, à contrefaire ce grand acteur, dont nous n’osions nous moquer aux répétitions. Ma mère, pour nous faire des ha-
bits, sacrifia sans pitié ses plus belles robes. Je n’oublierai jamais que, dans le prologue, mon habit à'^mour étoit couleur de rose, recouvert de dentelle de point parsemée de petites fleurs artificielles de toutes couleurs 5 il ne me venoit que jusqu’aux genoux; j’avois des petites bottines couleur de paille' et argent, mes longs cheveux abattus et des ailes bleues. Mon habit d’Iphigénie, sur un grand panier, étoit de lampas, couleur de cerise et argent, garni de martre. Comme ma mère n’avoit point de diamans, elle avoit fait venir de Moulins ,une grande quantité de fausses pierreries qui complétoient notre magnifique parure. Il y avoit dans le prologue un endroit qui me plai-soit beaucoup, et certainement l’idée en étoit neuve. Comme je l’ai dit, je représentois l’Amour; un petit garçon du village représentait un Plaisir; je chantais un couplet dans lequel j’étais censée m’adresser à mon père; et je di- • sois à la fin de ce couplet :
Au Plaisir y arrache les ailes,
* Pour le mieux fixer près de vous.
- En achevant cela, je me jetais sur le petit Plaisir, et je lui arrachois en effet les ailes; mais il arriva un jour à une belle répétition
habillée, que les ailes étant trop fortement attachées , elles me résistèrent ; je secouai vainement le Plaisir^” les ailes ne vinrent point; je m’y acharnai, je jetai'par terre le Plaisir, pleurant à chaudes larmes’, je ne le lâchai pas, tout terrassé qu’il étoit^et j’cn vins à mon honneur, f arrachait ailes du Plaisir désespéré i et jetant les hauts cris. * - ^
Nous fîmes un nombre infini de répétitions habillées devant beaucoup de spectateurs ; cela dura trois mois, pendant lesquels on" perfectionna le théâtre. Au bout de ce temps nous jouâmes une autre tragédie 7 Zaïre, et l’on me ’ donna ce rôle ;. mademoiselle de Mars jouoit ' Fatimę. J’avois si naturellement la mesure des vers dans la tète, queje reprenois ceux qui la gâtoient sans savoir leur rôle. Nous jouâmes aussi les Folies amoureuses de Regnard ; j’y jouai'le rôle d’Agathe?’Nous appelions tout cela des répétitions; mais c’étoient de véritables représentations; il y venoit un monde énorme deBourbon-Lancy et de Moulins ; et ces fêtes ' éternelles dévoient coûter beaucoup d’argent. On trouva que l’habit d’Amour m’alloit si bien, qu’on me le fit porter d’habitude; on m’en fît faire plusieurs. J’avois mon habit d’Amour
DE MADAME DE GENLIS. 5y pour les jours ouvriers, et mon habit d’Amour des dimanches. Ce jour-là, seulement pour aller à l’église, on ne me mettoit pas d’ailes, et l’on jctoit sur moi une espèce de mante de tafle tas couleur de capucine, qui me couvroit de la tête aux pieds. Mais j’allois journellement me promener* dans la campagne avec tout mon attirail d’Amour, un carquois sur l’épaule et mon arc à la main. Au château, ma mère et tous les voisins ses amis ne m’appeloient jamais que Y^mour, ce nom me resta. Tels furent régulièrement mon costume et mes, occupations pendant plus de neuf mois. .J’ai peint çette singulière éducation dans l’histoire de la comtesse de Rosmond, des Mères rivales, etj’ai été bien loin, dans ce roman, d’en exagérer la bizarrerie; car dans la mienne, il y eut un inconcevable mélange de choses profanes et de pieuses cérémonies: par, exemple, je suivois toujours habillée en ange toutes les processions de la Fête-Dieu. Dans ce temps, on rai-sonnoit fort peu, on faisoit avec une grande simplicité beaucoup d’actions étranges, surtout en-province, où la bonhomie du voisinage. de châteaux étoit portée au ¿omble. Il y a toujours eu du commérage et de la mé-
L dîsance dans les petites villes; mais on n’en , trou voit point alors parmi les voisins de châteaux, ce qui prouveroit que plus on vit solitairement et en famille / et moins on est méchant et tracassicr. " - 1 ’ ™’ j ' '
Je rends compte de ces petites particularités, parce quelles'ont eu une grande influence sur 'le reste de ma vie; car les impressions reçues dès l’cnfa^ce, lorsqu’elles ont été vives, ne s’effacent jamais. Cette bizarre éducation produisit dans mon imagination et dans mon caractère un mélange à la fois re-■ ligieux et romanesque, dont on ne trouve que ’ trop de traces dans la plus grande partie' de mes ouvrages. /\ -
...Les éloges outrés que l’on donnoit à la manière dont je jouois la tragédie et la comédie, ne m’enivrèrent point; mademoiselle de Mars, sans chercher à rabattre ma vanité par des réflexions morales, attachoit réellement si peu d’importance à ce genre de succès, que cela;
naturellement elle ne me louoit que survies chosesqui tiennent à l’âme et au caractère, ou, pour mieux dire, alors elle me.caressoit et avoit l’air de m’aimer davantage ; voilà ce qui "
DE NADAME DE GENLIS. 5y me faisoit une grande impression, le reste ne m’en faisoit aucune. Quant à mon singulier costume, elle en avoit d’abord un peu ri, mais sans nulle causticité ; je lui soutenois qu’il étoit fort commode : A la bonne heure, disoit-elle; et d’ailleurs elle ne le critiquoit en rien.
Ce n’étoient point les fadeurs qu’on me disoit sur mon habit d’Amour qui me plaisoicnt; ceux qui me prodiguoient le plùs ces sortes de louanges, étoient précisément des personnages queje trouvois ennuyeux ou ridicules, de sorte que ces éloges n’eurent aucun danger pour moi. Ce qui me charmoit dans cet habillement étoit la singularité,' car je suis née avec le goût des choses extraordinaires. Un de mes plus grands plaisirs dés lors, étoit do faire des châteaux en Espagne; je me composois une destinée; non-seulement je la remplissons d’é-vénemens singuliers, mais j’y plaçois des ren-versemens de fortune, des persécutions; j’ai-mois à me figurer que j’aurois la force d’y résister. Je me suis supposée mille fois proscrite, calomniée, errante, forcée de me cachet' sous des noms supposés, et de vivre de mon travail. A la fin de ces romans je ne manquois pas de triompher du sort et de mes ennemis;-
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^ mais' cette partie de mon histoire m’amusoit
peu / elle éteignoit mon imagination, je la ter-, minois brusquement/ Ces espèces d’exercices de tete, ces inventions/qui m’accoutumoicnt ' à me familiariser avec l’idée de la persécution et du malheur, ne m’ont pas été inutiles par la suite. Je dois dire une chose à ma louange, ■ et qui m a distinguée de toutes les personnes d’une imagination romanesque/c’est queje ne, désirois les événemens que pour déployer certaines qualités de l’âme que j’admirois, la pa-
■Hience, le courage, la présence d’esprit; .et * c’est pourquoi je me plaçois toujours dans des
situations malheureuses. Ainsi il y avoit dans ; ces rêveries un fond d’amour pour la gloire et
pour la vertu qui surtout dans l’enfance les ren- r doit remarquables. D’ailleurs j’avois Ierplus grand éloignement pour tout mouvement extra-"ordinaire de société", pour lesyommérages, les
rapports/les tracasseries, etc. Taimois le repos intérieur et la solitude,'je haïssois toutes" les petites agitations/et personne au monde n’a eu plus que moi dans tous les temps de sa r vie, l’esprit de paix et de conciliation. ^ ■ '* J
Mademoiselle de Mars avoit tant de douceur, -elle attachoit si peu d’importance aux petites "
choses, que je sentois peu mes défauts avec elle; je ne me connoissois alors que celui de la brusquerie et d’une extréme vivacité. J’étois facile à conduire, et naturellement complai- ’ santé; je n’avois ni hauteur, ni caprices, ni rancune, mais je supportois mal le- moindre retard dans ce qu’on m’avoit promis, et alors je me fàchois, et je disois quelquefois beaucoup d’impertinences. Mademoiselle de Mars,' toujours calme, n’étoit pas cependant sans défauts .’ elle avoit de l’humeur ,1 et lorsqu’il m’étoit échappé avec elle une parole peu convenable, elle me boudoit long-temps. Mais ces , querelles étaient bien rares entre nous, ma vivacité et ma brusquerie ne s’exerçoient communément que contre les femmes de chambre, ou contre un de nos voisins qui venoit souvent au château, et,que j’avois pris en horreur. C’est une chose si singulière que cette antipathie, que je ne dois pas la passer sous silence. Je ne crois pas aux règles sur la physionomie données parLavater; mais je crois que la nature .a doué certains individus d’un instinct précieux, celui de connoître. à peu prés Y âme par l’impression que produisent en eux certaines physionomies, et je suis .persuadée
42 -ï- ,;G- ' MÉMOIRES "^-X^,. J. que j’ai cet instinct» Ce personnage que je haïs-- sois, étoit un gentilhomme que l’on prétendoit être de l’ancienne et illustre maison de Châ-lons, depuis long-temps éteinte; il s’appeloit M. de Chàlons, âgé alors de trente et quelques années;' quoiqu’il fût assez riche, il n’avoit jamais voulu se marier sous prétexte d’une extrême dévotion; il avoit une telle réputation de piété, qu’il passoit pour un saint. Sa figure étoit assez h'elle, mais sa manière de regarder en dessous et à la dérobée avoit commencé mon aversion pour lui. J’avois remarqué aussi que, lorsqu’il étoit à l’église, il faisoit de pieuses contorsions; des yeux eu l’air et*des mains croisées sur la poitrine qui ne m’édilioient pas du tout. Enfin j’avois deviné qu’il étoit un hypocrite , et la suite a prouvé qu’il étoit le plus horrible scélérat dont on ait jamais entendu parler. Il a fait des crimes épouvantables qui furent à la fin découverts de cette sorte. Enhardi par la confiance qu’il avoit usurpée,’ il y compta trop ; le ciel lui mit un bandeau sur' les yeux, et il en vint à commettre des forfaits d’une imprudence inconcevable. Sous prétexte de faire travailler au linge de sa maison, il fit venir d’Autun une jolie petite ouvrière
qu’il avoit vue dans cette ville; il la garda dans son château environ six semaines, ensuite elle disparut, et il manda à sa mère qu’elle s’étoit sauvée avec un amant. En même temps il . prioit cette femme de lui envoyer la sœur cadette de cette jeune fille, qui étoit aussi très-jolie, parce que, disoit-il, le raccommodage de son linge n’étoit pas fini. On la lui envoya; au bout de deux mois, elle disparut ainsi que l’autre, et le monstre écrivit à la mère qu’elle avoit suivi l’exemple de sa sœur, et que de même elle s’étoit évadée. A cette fois, la malheureuse mère, éclairée par son désespoir, porta ses plaintes à la justice, qui ordonna une visite chez M. de Châlons. Ce scélérat fut averti, prit la fuite; on n’a jamais pu découvrir ce qu’il étoit dévenu. La Providence l’aura sûrement poursuivi et fait périr misérablement dans quelque asile obscur. On fit en effet une descente dans son château; on trouva des traces de sang mal lavées dans un de ses cabinets, des poisons affreux dans une armoire, et dans son jardin plusieurs cadavres de femmes enterrées, et ceux de ses dernières victimes ! La première des jeunes filles fut reconnue par une bague de crin avec une devise, qu’il
lui avoit laissée1 !~.. Ainsi mon antipathie pour ce monstre ne fut que trop justifiée par la suite»‘
; Au milieu de nos répétitions et de nos fêtes, un incident assez singulier vint répandre pendant une soirée la terreur dans lechàteau.
C*étoit dans ce temps que le fameux Mandrin, “ à la tête de sã troupe /exerçait en Bourgogne ses brigandages : il n’en vouloir disoit-il, qu’aux fermiers généraux et à leurs employés ; cepen-" dant de temps en temps il mettoit à contribu-. tion des personnes qui n’avoient rien de commun avec' ses ennemis déclarés. Un soir on vint nous dire , qu’une troupe assez considérable avec des uniformes pareils à ceux des gens de MandrinÍ arrivoit dans le village; que le commandant de la troupe s’en disoit colonel ; et se donnoit sous le nom de marquis de Bre-teuil a, mais- qu’on neidoutoit pas que cet ' homme ne fût Mandrin. Ce récit jeta l’alarme
^Tontes les époques ont eu^leurs monstres, des Léger et des Maingrat. , .^ ^ ?? x^ - - *
_ - (Note de Pcdileur.)
^23 Mandria commença par être soldat; il déserta, se fit hax-monnoyeur, contrebandier, et enfin chef de brigands. Son air n’avoit rien de farouche et ses repar- -
dans le château, ma mère fut très-effrayée, mademoiselle de Mars le fut encore davantage; M. Corbier, notre intendant, ne montra pas dans cette grande occasion une valeur bien ■déterminée^ Ma mère le chargea d’aller dans le village prendre des informations • il revint plein de terreur nous dire que le commandant et ses officiers, qui étaient chez lé cabarcticr du village/ avoient des figures épouvantables ; qu’ils faiśoient un vacarme affreux, et qu’il étoit impossible de méconnoître en eux Mandrin et ses complices. Un instant après, un message nous annonça la visite de ce redoutable marquis de Breteuil \ L’effroi fut au comble dans le château; pour moi j’éprouvai que la curiosité peut l’emporter sur la peur, je n’a-vois jamais vu.de brigand, et j’avois un désir extrême de voir et d’examiner Mandrin. Dans ce moment critique nous vîmes arriver le père
ties étoient vives. Il fut arreté sur les terres du roi de Sardaigne / où il s’étoit réfugié, et roué à Valonee le îj mai 1754- ^
, (Noto do ràhleur.) \^J
* Madame Duchastelet étoit de la famille des Letón-nellier de Breteuil, «.,J / , ■ r , u
(Notedel’editcui,)
Antoine; c’étoit un capucin qui desservoit la cure depuis trois mois, parce que le curé étoit mort. Ce bon capucin, excellent religieux, étoit très-brave,ce qu’il avoit prouvé dans plusieurs incendies, en exposant sa vie avec une intrépidité admirable; nous l’aimions beaucoup, il m’avoit donné des images et des chapelets, il étoit mon confesseur, et j’avqis pour lui autant d’attachement que dé vénération. Ces senti-mens, qu’il méritoit d’inspirer,'m’ont laissé pour toute ma vie un respect particulier pour les capucins en général; c’est pourquoi, en souvenir de ce vertueux religieux, j’en ai placés dans niés ' romans,' que j’ai tâché de rendre intéressans," dans la Duchesse de la Kallièrc, et dans le Siégé de la Rochelle. ^
^ La présence du père Antoine nous rassura un peu. Enfin, on annonça M. le marquis de Bretemi, et nous vîmes paroitre un homme d’assez mauvaise mine, suivi de deux officiers qui avoient des figures très-rembrunies. Bien persuadée que je voyois Mandrin, je le regardois avec une application dont rien ne pouvoit *me distraitre, et je m’étonnois beaucoup qu’un brigand n’eût pas des traits plus marqués: comme il prolongeoit sa visite, l’heure avan-
DE MADAME DE GENLIS. 47 çoit, et l’on vint annoncer que le souper étoit servi ; ma mère d’une voix tremblante l’invita a souper, il accepta ; le père Antoine resta, on se mit à table; tout d’un coup un gros chat de ma mère vint sauter sur l’épaule de M. le colonel, qui au même instant pâlit, et fut près de se trouver mal; un des officiers dit que M. le marquis avoit une antipathie invincible pour les chats. Je me penchai vers mademoiselle de Mars, assise à côté de moi, et je lui dis tout bas : Ce riest pas là Mandrin, car Mandrin 7i aurait pas peur d'un chat. J’avois raison, ce n’étoit point Mandrin, c’étoit en effet un marquis de Breteuil de je ne sais plus quel régiment. • '
, Cependant nos fêtes continuoient toujours, et mon père absent depuis dix-huit mois ne revenoit point. Ma mère, voulant joindre la danse à la musique et à la tragédie, fit venir d’Autun une danseuse-, qui s’appeloit mademoiselle Mion, et qui m’apprit à danser, le menuet et une entrée toute seule, dans mon habit d’Amour que je portois toujours régulièrement. Mademoiselle Mion étoit rousse, et s’enivroit; au bout de trois mois on la renvoya, et on fit venir un danseur de cinquante
ans? qui de plus étoit maître en fait d’armes;1 - il joignît à mon entrée une sarabande, et ił me trouva si leste qu’il proposa de m’ap-'-prendre à faire des armes, ce qui m’amusa, beaucoup ; j’y réussis si bien que ma mère eut l’idée de me faire jouer Darviane/ dans Mêla-nide de la Chaussée, rôle dans lequel il faut tirer l’épée et se mettre en" garde.* Alors je quittai mon costume d’Amour, parce qu’on me fit faire un charmant habit d’homme que j’ai constamment .porté jusqu’à mon départ de la Bourgogne. C’étoit une chose tout-à-fait inusitée dans ce temps J d’élever une petite fille avec des habits si peu convenables à son sexej. j’ai toujours été surprise depuis, par réflexion, que le père Antoine, qui étoit si pieux," n’ait pas fait là-dessus quelques représentations, et que personne, à ma connoissance, n’ait paru1 scandalisé de cette innovation. Au reste j’y ai1 gagné d’avoir eu, dans ma jeunesse, les pieds¡ mieux tournés/¿de. mieux marcher que les । autres’ femmes en général,".et surtout d’être plu s'a gile qu’aucune que j’aie connue. Je me-i nois une vie qui me charmoit : les matins je joùoisun peu du daveefn^etje chan lois; ensuite j’apprenois mes rôles7 et puis je preuoisJ
DE MADAME DE GENLIS. 4 * n 49 ma 'leçon de danse, et je tirois■ des , armes. Après cela je lisois jusqu’au dîner avec mademoiselle de Mars. Une‘de inos voisines lui avoit prêté le roman de la Reine de Navarre, de mademoiselle de La Force \ que nous dévorions; nous le relûmes deux fois.'Je l’ai1 relu vingt ans après avec un grand plaisir, et j’ai * toujours conservé un goût particulier pour ce. roman. Le souvenir du plaisir qu’il m’a fait’, {” dans mon enfance, y contribue peut-être. En. , sortant de'table, «nous allions faire une'lec-^*11 turc de piété,’ dirigée par le père Antoine; c’étoit l’Évangile; l’Imitation de Jésus-Christ , et des Pensées de la Journée chrétienne.’ En- ^ suite nous allions dans le salon; quand il n’y -avoit pas de monde, ma (mère alors étoit en-^ „ fermée dans sa chambre) et nous; nous amu-.
/ Charlotte-Rose de Gaumont de La Force mourut -en 172-$, àHge de 74. ans. Ses compositions, dont lé fond repose sur des'faits véritables / ont dû donner, à Waller Scott et aux écrivains de notre âge, l’idée des ' H romans historiques : elle écrivoit bien en vers. Ses prin-' cipaux ouvrages sont.- une Histoire secrète, da B oui 7 ”
gagne, en deux volumes ; l’Histoire de Marguerite de Halois, etc , en quatre volumes; el les Mémoires hitio-riquet de la duchesse de Bar^ sœur de JieiuiIV.
r» (ÿuk ¿u rubinu )
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'sions à ? faireïdes guirlandes de fleurs artificielles pour noś' fèLes. G’étoit ûné femme de
^Bourbon qui,nous les faisoit faire; máis des fleurs très-grossiêreè faites avec du papier.
- Les í femmes de - chambre ’ travailloient avec nous; et' souvent le bon père Antoine nous aidoit à les peindre. Après cela nous allions nous promener, mademoiselle de Mars et moi. Depuis nos fêtés J c’est-à-dire,. depuis ’ que
- j’âvois quitté lesf habits de , femme, ; j’étois ' beaucoup, moins raisonnable à la promenade : je( ne causois plus/”Je né. me plaisois qu’à côurit en avánt¿ à sauter des petits fossés",
?efà faire.mille folies, ce qui dura jusqu’à mon départ de lat Bourgogne..^- . ,¿ - ■; -*. Voici la première originé de mon aversion
' pour Voltaire. La voisiné qui prêtoit des livres à mademoiselle de Mars, lui prêta une brochure nouvellement arrivée de Paris, et faite contre M. de Voltaire. Nous commissions la plupart de ses tragédies , nous jouions Zaïre - et
• nous . avions lu les autres; par. cette raison la brochure nous intéressa; nous ÿ vîmes avec chagrin que cet homme que nous avions admiré étoit un impie / la brochure étoit ter- • minée par de mauvais vers, des stances satiri- ,
qîièsddns lesquelles Voltaire ri’étoii désigné que : sous l’anagramme dé sein nom; chaque stance étoit teriïiinée’pàr ùii vers ironique qui fest toujours resté dans ina tête^ et qué voici :1 ^^
. u Ma foi, Toi vaireest ungrand homme ! ri ^ ^//p.I
Nous nè trtíuvâmes pas lés vers bons; niais les accusations continúes dans lés Brochures nous firent Unë impression irièfTaéáblé. Je n’ai jamais » dépiiis relu; ni révu bette broêhùre. Comme il y a dans Zaïre des sentimens religieux, j’é-tôis doublenient indignée Cofitré l’àuteùr ; je perdis beaucoup de mon ádmiráüòn ’ pour Zaïre ; et je dóiínái toütè préférence à móń rôle d’IphigéïiÎë èn Aulidé, ht' par édiiséquent a R a-' ciné, car bn lù’asSutbll qUe ce grand liomme a voit été atiśsi véfttiëùx qu’il fest sublime. Ce-peadâiit j’aVois ëu' dé&' succès prodigieÛi dans lé rôle de Zaïre, èt tellémeht que dés daines de Moulins, veïiüêâ à ńósfepićsentationś; déclarèrent gravement que mon talent de tragédienne surpassait celui de la Clairon. Cette louange fit bien rire mademoiselle de Mars, qui se moquoit un pèu de moh ton ' emphatique ,dans la scène où je disbis ; Est-ce vous, Nérestan?^ mon côté, je cdhtréfaisois assez
"plaisamment, entre nous, ses yeux hagards, furibonds/son ton âcre et son grasseyement, lorsqu’au dénoûment^ elle disoit à Orosmanc .
" Tigre, alteré de „sang !^ Toutes ces moqueries Jsur nous-mêmes.nous faisoient rire aux larmes^ ce qui nous ‘ accoutùmoit naturellement à n’attacher aucun" amour-propre à de „petits ridicules, et ajoe trouver d’importance qu’aux choses dignes d’être estimées; enfin à - ne mépriser que ce qui est vicieux^' et non des puérilités. ^ _¿; JCv / - * J =,.¿ . n¿ rr¿
""" Dans ce temps nous vîmes arriver à Saint-Aubin , i un ' homme. qui excita vivement ma curiosité/C’étoit un,très-mauvais auteur; et ’ le premier homme de lettres que j’aie vu dans ma vie. Ayant été au collège avec mon père, il en étoit assez aimé sans en être estimé sous au-' cun rapport : un procès l’obligea d’aller à Dijon, et de là il vint à Saint-Aubin 5 C’étoit le chevalier de La Morliére \ auteur dès lors de quelques
. r - -
1 Jacques-Louis-Auguste de La Morlière, sieur de la Rochette, chevalier du Christ,' est mort à Paris en 1785. Il a fait des comédies détestables et de mauvais romans licencieux ; le seul qui eut, dans sa nouveauté, quelque succès, fut celui qu’il intitula, Angola ; mais on prétendit que ce petit coate n’étoit pas de lui et qu'il l’avoil volé ;
mauvais romans très-licencieux. On nous dit ' seulement qu’il avoit fait plusieurs ouvrages imprimés, ce qui me donna une grande considération pour lui; mais je ne la gardai pas long-temps. M. de La Morlière qui déclamoit fort bien/me fit répéter les rôles de Zaïre et d’Iphigénie, et à mademoiselle de'Mars celui de Fatimę dans'Zaïre; mais tout d’un coup il s’avisa de devenir amoureux de mademoiselle de Mars, qui trouva1 son amour ridicule, et sa déclaration impertinente / elle lui montra beaucoup de dédain ; ' et il la prit * dans une aversion qui me le rendit odieux. Nous en fûmes heureusement débarrassées aù bout d’un mois, il partit pour Paris. Peu de jours après i une affreuse epidemie de petite vérole se déclara à Saint-Aubin. On prit beaucoup de précautions pour m’en préserver; mais mon imprudence les rendit “s inutiles. Celle des femmes de ma mère, que j’aimois le mieux, nommée Montigni, eut les symptômes de cette horrible maladie, qu’elle prit en effet;
aussi, clans le temps, une feuille périodique parlant de M de La Morinare le désigna ainsi • T Usurpateur du petit royaume et Angola. ^ u
7 , ? (Noie dû IWiLeur ) r ■ "
54v mémoires ^^'-r'^
ipais^ djpis une œaisop du village dans laquelle onia eqnduisit/j’allqi la yoir furtivement/et en secre| : sa vye ^e pétrifia çl’horrenr deux jours après je me sentis malade, et je pris pim petite vérole confluente, dont j’ai étéajaderr ni ère; extrémité, mais si bien soignée par notre docteur Pinot;'queje n’en eus pas pne seulp marque. Mademoiselle de Mars me donna^' dans cette maladie, les plus touchantes marqués d’amitié, ce qui porta au combje mon a^achement pour clip. Je mp trouvai en pleine cogvalesceqçp ep ąutąmne; alors nous quittâmes Spint-Ąubin, parce que le .château tom-boit ep rpines; nous allâmes à Bourbon-Lancy, où ma mère loua une (rès-jolie maison avec un jardin. La comtesse deSérçey, ma tąnte, sœur de mon père, y arriva ąvpc Je pomte de Ser-gpy, son mari, tombé en paralysie ; j ai conté, à ce sujet, daps mes Souvenirs, un. trait touchant d’Qmppr t paternel X Tout l’hiver se
1 ..Voici comment cette anecdote est racontée par î auteur * « La comtesse de Sercey, ma tante, conduisit aux eapx de Bourhon-Lancy son m^ri% tombé en apoplexie ef paralytique de la moitié du corps. Il étoit depuis deux mois aux eaux, et toujours dans le même état dans son lit, prive de la parole J ne donnant aucun signe
DE MADAME DE GEA'LIS. - " 55
passa, pour nous, à jouer la tragédie, ‘ la comédie, et sur un assez joli petit théâtre que ma mère fit Ąire. Je jouai Zaïref Iphigénie; Hector, dans le Joueur de llegnjird; 22arpiauc, dans Mélanide; * un 'Paysan, dans ' George Dai)din; un autre petit-rôle dans Atteude^-jnai sous forme; et Cènie, dans la pièce de ce
de connaissance, ne pouvant faire le moindre mouvement de son bras droit, ni même soulever la main de ce côté, lorsque ma tante reçut une lettre de M. de Chezac, com-upmdnnt de la marine ( nous étions alors eq guerre avec l'Angleterre) , qui lui faisoit le détail d’une action très-brillante dujeune Lucain deSprcey, âgé de seize aus, qui sep oit dans la marine. Dans un combat, il s’élança le premier à l’abordage, et, malgré plusieurs blessures, il lit des prodiges de valeur; le vaisseau ennemi futpris, et le combat fini on questionna le je une Serc rj pour le panser^ parce qu’il étoit couvert de sang. Je croîs , dit-il, que c’est le sang des Anglais , car je n'ai rien senti. G’étoit bien le fien; il avqit trois blessures, mais qui n’étoieat pas dangereuses. Sa mère reçut, avec la lettre de M. de Chezac, un billet écrit de la main de son fils. »
Madame de Sercey, pensant qu'il n'étoit pas impossible que son mari eût conservé une sorte de connois-sance intérieure 5 résolut de lui lire ce détail. Il y avoit dans la chambre sept qp huit personnes; j'étais de ce nombre. On ouvre tous les rideaux } on entoure le lit ; je me mis à genoux sur un tabouret, <iu pied du lit, les
nomz L’hiver entier s’écoula dans ces diver-¿tissemens.1En parlant de mes études, je n’ai -point fait mention de l’écriture, par une bonne raison, c’est qu’on ne,m’en a jamais donné une seule Jeçon. Il est assez singulier qu’une personne qui a tant écrit, n’ait jamais appris - à écrire; mais c’est un fait. Au mois de janvier 1757, ayant onze ans, je voulus écrire à
yeux attachés sur le malade, qui ne parut faire aucune attention à ce mouvement ; mais quand ma tante, se plaçant à son chevet, eut prononcé le nom de son fils, en lui disant que cet enfant (qu’il cliéríssoit particulièrement) s’étoit couvert de gloire,' une émotion très-mar-" quée se peignit sur son visage ; il regarda fixement madame de Sercey, qui lut alors à haute voix, et en prononçant doucement, la lettre deM. de Chezac. Lorsqu’elle eut fini, on vit deux larmes couler sur les joues du malade ; et au même instant, soulevant ce liras immobile et glacé depuis trois mois, il joint ses deux mains, les élève vers le ciel en s’écriant distinctement, O mon Dieu!... Tout le monde fondit en pleurs. On cnit le malade guéri; mais ce miracle do la sensibilité ne fut produit que pour donner à ce tendre père une dernière jouissance paternelle ; sa dernière lueur d’intelligence' fut un mouvement passionné de joie et de gratitude pour l’Etre Suprême ; il recouvra toute son existence durant quelques minutes, il ne la reprit plus , et il mourut peu de mois apn^.
i^r *(Note ¿c 1 edifem )
' ^ DE MADAME DE GENLIS.^ 5y mon père pour le nouvel an; et n’ayant jamais tenu une plume, j’écrivis à mon père une longue lettre, avec une grosse et vilaine écriture; mais d’une bonne orthographe, car la lecture, comme je l’ai dit, avoit gravé dans ma tête tous les mots comme on doit les écrire. Depuis ce jour-là, je m’exerçai toute seule à écrire, me perfectionnant peu à peu. Je n’ai point une belle écriture; mais je me suis fait une écriture très-lisible, et assez jolie. Enfin, mon père revint au printemps, ce qui prolongea nos fêtes pendant deux mois encore. Il m’arriva à cette époque une chose que je ne puis passer sous silence : nous avions, made-moiselle de Mars et moi, chacune un petit ca^ binet à côté de notre chambre; et notre logcj ment, tout au haut de la maison, étoit sous un grand grenier. Un jour, après le diner, j’allai dans le cabinet de mademoiselle de Mars pour la presser de venir avec moi à la promenade ; elle écrivoit, et me dit qu’elle ne pourroit y aller que dans une demi-heure; j’insistai, -elle refusa positivement; je ne me rebutai point, et je la tourmentai tant, qu’elle céda en,grondant , je l’entraînai presque de force ; ÿ peine avions-nous passé le seui I de sa port a, la queue de
58 , .^^ mémoires"" , '
sa robe étojt eneorp ¿ans le cabinet ( car alors ^ les robes les plus simples avaient une petite " queue ), que le plafond1 de son cabinet tomba tout entier avec un fracas épouvantable; une grosse servante, qpi- faisoit sécher du-linge dans le grenier, tomba à cheval sur une poutre, elle en fut quitte pour quelques contusiops.’ Ainsi, mon importunité, ou, pour mieux dire,' mon pressentiment, nous sauva la vie à l’une et à l’autre. '"^ '. ' 'F*? "
Ayant de quitter la Bourgogne, je rendrai compte encore d’un fait qu?une femme n’oublie jamais; c’est la première passion qu’elle ait inspirée. J’étois encore bien enfant, je n’avois que onze ans et trois mois, j’étois même fort petite pour mon âge, et j’avois un visage et des traits si délicats que ceux qui me voyoient pour .la" première fois,’ne me donnoient que' huit ou neuf ans tout au plus; cependant un jeune homme de dix-huit ans étoit éperdument amoureux de moi ; c’étoit le fils du docteur Pinot, l’un des premiers médecins des eaux (J® Bourbon—Lancy- 11 jouoit depuis deux ans avec nous la tragédie et la comédie; j’ai déjà parlé de sa véhémence dans les rôles tragiques. Personne au monde ne soupçonnoil sa folie, et
assurément je n’en avois aupunp idée; un mątin que noną venions de répéter le Distrait dp Regard, pejepnp homme, après la répétition , saisissant up moment ou sur le théâtre je pie trouvois (éloignée des aptres acteurs et seule dans une coulisse, s’approche dp moi précipitamment, et avec un air égaré me remet un billet en me disant tout bas qu’il me prioit de le lire, et de ne le montrer à personne ; très-surprise je prią ce billet, il s’éloigna aussi' tpt. Mademoiselle de Ąlars vint me rejoindre, je mis le billet dans ma poche, et nous mqntà-mes dans notre chambre ; je me foisois un vrai scrupule de montrer ce billet à mademoiselle de Mars, an m’avoit si vivement recommandé Je secret!..., Mais un secret me pesoit vivement avec l’amie qui m’étoit si chère, en même temps ma curiosité étoit extrême- Enfin, mademoiselle de Mars me quitte , je cours m’enfermer dans mon cabinet, j’ouvre le billet, et j’y trouve une déclaration d’amour ti'ès-positive, Mojí premier mouvement fut d’être excessivement choquée, que le fils d’un médecin , qu’un homme qui p’étoit point gentil-hommą q^it ype parler d’amour I J’allai sur—le— I champ montrer ce hiltet à mademoiselle de
Mars , qui me dit queje devois le porter á ma \ mère, ce queje iis. Le jeune homme lut répri-£ mandé par son - père ~'comme il méritoir de Fêtre; il conçut tant de chagrin de celte aventure, qu’il s’engagea et disparut.'Quinze ans après, son père, ayant fait un voyage à Paris, vint me voir au Palais-Royal, je lui demandai des nouvelles de son fils, ce qui le fit sourire; et il me répondit qu’il l’avoit pleuré pendant trois ans le croyant mort; qu’au bout de ce temps il étoit revenu y qu’on avoit obtenu son congé, qu’il avoit fait un'excellent mariage, qu’il étoit heureux et un très-bon sujet.
J’ai oublié de parler d’un de nos voisins, nommé le baron * de Busseuil, pour lequel j’avois une grande vénération : c’était un vieux garçon de quatre-vingts ans, parent demon père, qui l’appeloit son oncle. II avoit un joli château; et nous y allions assez souvent passer trois ou quatre jours. M. de Busseuil avoit fait à quarante-cinq ans Faction la plus extraordinaire et lapluscourageuse.il étoit d’uñegrande taille et d’une prodigieuse force physique. Sur la fin d’un été ; un loup enragé fit d’affreux ranges dans sa terre; il assembla un matin ses paysans, les arma de fusils, et il fut décidé qu’en sortant
DE MADAME DE CEA'LIS.
6l de la grand’messe on iroit à la chasse de ce loup, ce,qui fut exécuté ; mais en entrant dans un chemin creux qui conduisait au bois, le loup apparut tout à coup de si près qu’il étoit impossible de l’éviter, car ce chemin étoit excessivement profond et étroit. M. de Busseuil à la tète de ses gens, leur cria de s’arrêter; alors s’avançant vers le loup qui accouroit la gueule toute grandcouvcrte,' il enfonça son bras dans cette gueule épouvantable, saisit l’animal furieux par la langue, l’arrête tout court, et le fait tuer à bout, portant par ses gens 1 Tl eut le pouce de la main droite coupé, et alla sur-le-champ à la mer, ce qui le préserva de la rage \ ■ _f . , , >d ■ » fç
- Cette action fut mise dans toutes les gazettes, f elle parut si merveilleuse qu’elle valut à Mfde Busseuil la croix de Saint-Louis que lui envoya M. le régent,' seul exemple, je croîs, de cette
1 L’opinion où l’on étoit alors de l’efficacité des bains de mer contre la rage est bien tombée aujourd’hui. On sait que ce remède réussit un peu mieux que tous ceux qui ont été employés jusqu’ici contre cette affreuse maladie ; et c’est a cette triste conviction qué se réduit , a eet égard , toute la science des médecins *
^b^ ( Noie de l’i diii tu ‘
^ /.^ J V mémoires ¿ “V gràcfe poiir une action de ce genre. Ce respectable vieillard m’aimoit beaucoup, j’ai souvent été sur ses genoux; j’avois un grand plaisir à baiser respectueusement.la cicatrice de son pouce,, et à lui entendre coûter avec détail celte belle aventure.’•7^^' V-"^ * ’ • z -v'. Deux mois après la fuite romancsquë dû fils du docteur Pinot, ma mère partit potir Paris;
’ on fit les malles comme ne devant plus revenir; md mère m’einmena ainsi que mademoiselle de Mars et toutes ses femmes; mon père seul resta. J’avóüéraí, à ma honte, queje quittai la Bourgogne sans attendriSsenient; ce beau pays où j’étois née; où mon enfance s’étoit écoulée d’une1 manière si douce et si riante ! et que je n’aurais pu revoir quinze ans'après sans répandre des lamies4 ; et sans éprôùver les plus vives sensations. Mais l’erifance n’a point dé ces émotions-là, elle aime le changement, parce qu’elle a besoin de mouvement ; pour regretter il faut avoir pu' comparer f * il faut que le temps ait formé des souvenirs / qu’il ait pu même les mûrir par de longues réflexions ! 5- < „/Le voyage fut long parce que ma mère voyagea avec2ses chevaux, et fit une partie de la route sur • la ’ Loire 7 dans un grand ha-
DE MADAME DE GEMIS. C ’ 65 teaü qui conterioit avec nous notre voiture et nos chevaux’. Nous séjournâmes à Orléans chez linearnie de ma mèré; où je repris mes habits de femme pour hé les plus quiitfer. Là je lus pour la première fois Télémaque, et, loin d’en sentir la beauté, je le trouvai fort inférieur à délie,- malgré ce beau jugement, il fallut l’achever par complaisance pour : mademoiselle de Mars, car nous passions presque toute la journée dans notre chambré. Ma mère nous ÿ renvoyoit presque: aussitôt après le dîner,1 à l’exception de deux soirées où l’on me fit chanter, jouer du clavecin Í et déclamer le monok> gûè d’^Zz/re : ' .L • . a
" « Mânes de mon amant, fai donc tralii ma foi, etc. a J1 ‘ et devant une très-nombreuse assemblée. ¡¡^ ?J Nous arrivâmes à4 Paris sur la fin de l’été* J’eus un grand ¿plaisir ^ celui de revoir mon frère, que j’ai toujours aimé avec la plus vive tendresse. Ma tante; madame dé Belleveàu, vint aussitôt nous Voir à notre hôtel garni. Elit avoit alors virigt-ueuf ans, et, si elle avoit eu des dents passables, há beauté eût été parfaite. Une taille majestueuse; des manières'nobles et remplies de grâce; un éclat éblouissant, des
' traits réguliers, une conversation spirituelle et piquante^, * des talens agréables la rendoient ' l’une des plus charmantes personnes que j’aie jamais vue. Elle me trouva jolie; elle fut charmée de mavoix et'de ma1 déclamation,. me caressa beaucoup, et je pris pour elle un grand attachement; en, meme temps je la craignois extrêmement; son élégance et ses grâces m’en imposoient beaucoup plus que. n’auroit pu le faire de la sévérité; j’avois peur quelle ne me trouvât l’air où le ton provincial ; pour la première fois je redoutais le ridicule, je commen-çoist.à .attacher^,de l’importance aux apetites choses, l’air dangereux de Paris agissoit déjà sur moi" Au bout d’un mois nous allâmes lo-ger et nous établir à demeure chez madame de
- Belleveau ; * j’y retrouvai avec'- joie ’ mesj deux cousines; l’aînée avoît neuf ans,'; et la cadette sept. L’aînée étoit à çet âge ¡d’une beauté remarquable; mais son ¡visage parfait alors n’a-voit rien" d’enfantin;.7ses traits ' étaient trop formés, et sa tête était celle d’une belle personne de vingt ans. -Aussi par la suite n’a-1-elle pas-même été jolie. A quinze ans son nez prodigieusement grandi gâtait sa ligure, 'son visage et son menton s’allongèrent à l’excès, il
ne lui resta que de beaux cheveux blonds et une assez belle taille. La cadette, sans être jolie, avoit une figure agréable. Nous dînions à table et nous soupions dans nos chambres. Je continuéis mes études avec mademoiselle de Mars,' mais toujours fort nonchalamment pour lè clavecin. On me donna un maître de guitare; cet instrument me plut, et j’y fis de rapides progrès. - ’ • - »
: Je vis dans cet hiver, 'chez ma tante, un auteur célèbre, M. Marmontel*. Il venoit lui faire des lectures de ses contes; j’assistai à la lecture de celui qui est, je crois, intitulé le Soi-disant philosophe, dans lequel une grosse présidente barbouillée de tabac d’Espagne, mène en lesse, avec un ruban couleur de rose, ce soi-disant philosophe. Quoique je n’eusse que douze ans, je trouvai ce conte ridicule et plat; c’étoit le bien juger. L’auteur étoit loin de se douter que cette petite fille qu’il voyoit là, feroit un jour imprimer une critique a de
1 Le recueil de ses œuvres surpasse trente volumes in-octavo. - ’
(Note de l'editcur.)
3 Dans le conte intitulé : Xej Deux Réputations.
( Note de railleur.)
TOME 1. 5
1
I
ses Con tes J qui lui causeroit les plus violen s accès de colère.'L’inimitié et l’amitié n’ont jamais en la moindre in fluence sur mes juge-’ mens et sur mes opinions.: Je trouvois ma tante spirituelle et charmante, et presque tous ses jugemens me paroissoient faux; ils l’étoient en effet, mais elle parloit avec grâce, sans pédanterie; elle avoù du naturel ; et la fausseté de ses idées venoit plus de son ignorance et de sa mauvaise. littérature que de son esprit : aussi ne paroissoit-elle être en elle que de la légèreté et du manque de réflexion. Elle a été auteur ; elle a fait imprimer un petit roman qui a pour titre : Lettres d’une jeune veuve. Il est écrit avec grâce et naturel. -
, Je voyois aussi chez madame de Belleveau, un financier homme de lettres, M. 'de Mon-dorge1, qui avoit alors au moins quarante-six ou quarante-sept ans, et qui1, dix ou douze ans après, épousa l’aînée de mes cousines. M. de Mondorge avoit de l’esprit, de l’agrément, et une grande douceur. Il faisoit des
1 Antoine Gautier deMondovge, né a Lyon en 1727 , est mort à Paris en 1768 ; il a composé un grand nombre de poésies légères , quelques pièces de théâtre et des lettres sur les beaux-arts.- ^V'
* (Note deFédileiu )
chansons et des opéras. Le poëme de l’opéra intitulé les Païens lyriques, est de lui. On me faisoit chanter toutes ses chansons. Je n’ai jamais oublié celle-ci, qui n’a point été imprimée '
> D’Hebé vous avez la jeunesse T j 1 i * ~ , Et les appas, \ ź n
’ ^ \ Dans les yeux certaine finesse ^
Qu elle n à pas.
Si la belle eût joint votre grâce r»r - A sa beauté, "î .
^ Jamais Ganymède à sa place Ne fût monté Í 'T.
^ Comme elle remplissez mon verre ; *"^ ;
, Et j’aime mieux )^ * , /« Lu
Avec vous boire sur la terre -*
‘ Versez , versez toujours de même;
, Recommencez. , h . ? ■ » : sf
t Ah! s’il faut boire autant que j’aime, ^ ^
Versez, versez.
. - M. de Mondorge avott une très-jolie'conversation, remplie de traits piquans et d’anecdotes; il avoit un excellent ton/c’est le
r On sait que, dans la mythologie, Hébé encourut la disgrâce des dieux, parce qu’elle eut la maladresse de faire une chute en servant le nectar-
t
4
(Note de Fauteur-)
5’
68?„. ^-^mémoires
premier homme qui m’ait donné l’idée d’une conversation véritablement agréable. Je ne me lassois point de l’écouter. J’écrivois sans cesse, avec ma grosse vilaine écriture, des lettres énormes à la nièce , d’un curé de Bourbon-Lancy: ma tante un'jour en montra une de seize pages à M. de Mondorge, qui fit de cette lettre les éloges les plus exagérés. Il m’exhorta beaucoup à lire et à écrire, et me fit des prédictions très-flatteuses. Ce fut mon premier encouragement en " ce , genre. Les 1 vers de M. de Mondorge me donnèrent l’envie d’en faire, j’en sentois parfaitement la mesure; et la ? comédie -et la . tragédie/ que j’avois tant jouées/m’avoient" donné, dès ma première enfance, beaucoup de goût pour la poésie. Ma mère avoit une femme- de chambre qui s’ap-peloit Victoire, l’un de mes noms de baptême étoit celui de Félicité, ces deùx noms joints à celui de mademoiselle de Mars, me donnèrent l’idée de ma première composition poétique; je fis là-dessus les vers suivans : , / - .
, ’ - * Félicité, Mars et Victoire
• ' Se trouvent rassemblés chez nous.
Eût-il rien de plus grand, est-il rien de plus doux Que de fixer chez soi le bonheur et la gloire ?
DE MADAME DE GENL1S.
69
M. de Móndorge, en pensant à mon âge ( je vehois d’avoir douze ans), fut dans un en-1 chantcment inexprimable de ces vers; il les écrivit, les montra à tout le monde, et peu de jours après, il me fit présent des Poésies, sacrées et des Odes de J.-B. Rousseau / riiagni-fiqpement reliées en maroquin rouge. Six mois après, je savois parfaitement bien tous ces beaux vers, j’avois toujours dans ma poche un de ces petits volumes. On se plaisoit à me faire déclamer ces admirables poésies; celles quejé déclamois le mieux étoient; - r r , ' .
J ai vu mes triâtes jó uni tes, etc., f>
Jj’Ode au Prince Eugène, et VOde à la Fortune. Il ne m’étoit guère possible de suivre le conseil de M. dé Mondorge: je ne pouvbis faii'e des lectures assidues, je n’avois point dé livres; ma tante ne lisoit que de petites brochures, dont la plupart m’étoient interdites. D’ailleurs j’aurois eu besoin d’être dirigée à cet égard, et je n’avois point de guide. Jedon-nois plus de quatre heures à la musique, tant pour le chant que pour le clavecin et la guitare; j’cmployois une heure à répéter mes vers ; je passois tous les jours au moins trois
70 -'-^H, Í ^i^ MÉMOIRES^ 7* :rr < heures chez ma tante; en outre j’allois tous les jours à l’Opérà ou à la Comédie Françoise, ma tante avoit des .loges à ces deux spectacles.* Je vis débuter mademoiselle Arnoult1 à l’Opéra; je me souviens’ encore de l’habit qu’elle avoit, il étoit lilas et argent sur un grand panier. Je
vis à la Comédie Françoise la première représentation fl Ifypermnestre de Lemierre3 ; j’aimois
1 Cette actrice , non moins célèbre par ses bons mots
I
que par ses talens, étoit née en tjUi et n’avoitpas encore quatorze ans lorsqu’elle débuta à l’Opéra en 17^7; elle y est restée jusqu'en 17785 époque de sa retraite. Elle est morte en i8o3. Ce fut mademoiselle Arnoult qui,’ dans un jardin àfangloise } dit, en voyant un ruisseau honoré du nom de rivière : Cela"ressemble à une rivière comme deux gouttes d’eau. Ce fut elle 'encore qui fit une variante très-plaisante à ce vers ridicule de Lemierre : . . .
Bouche, œil, sein, port, teint, taille r en elle tout ravit*
Voici la variante de mademoiselle Arnoult :
En toi tout est touchant, tout attendrit, tout touche / Sein, bras, front, teint, port, taille, etc*
, DE MADAME DE GEKLIS. . JI le spectacle avec passion, et sur tout la tragedie. Ainsi, mes journées se trouvoient employées, sinon convenablement, du moins en totalité, il n’en restoit rien pour des études sérieuses.
• Dans ce mémo hiver, la Providence veilla sur mes jours d’une manière singulière. Ma mère, voulant me donner son portrait en miniature, le fit monter en bracelet avec un joli entourage d’opales et d’émeraudes. Ce bracelet, qui m’a été volé sept ou huit ans après, me fît tant de plaisir, et j’en ai conservé un souvenir si agréable, que j’en ai donné un pareil ( en description) dans les Chevaliers dit. Cygne, à Time de mes. héroïnes. Ma mère imagina une manière charmante de me donner ce bracelet : ce fut de l’attacher à mon bras pendant mon sommeil. Je couchois seule dans une chambre, mademoiselle de Mars couehoit dans un cabinet à côté de moi ; nous étions toutes les deux profondément endormies, lorsque ma mère, tenant le bracelet et une lanterne sourde, entra doucement dans ma chambre. Quelles furent sa frayeur et sa surprise en trouvant la chambre remplie d’une épaisse fumée, et voyant mes rideaux et mon lit tout eh flammes!... Je dor-mois du plus profond sommeil, le feu étoit
près de m’atteindre, dix minutes plus tard jY-tois perdue!...’On m’arracha de mon lit7en me porta dans une autre chambre ; on crie, on me questionne, on me gronde, toute la mai-i son accourt,* je n’oublierai jamais cet effrayant tumulteî.ï J’avouai qu’ayant voulu lire, dans mon lit, les paroles de l’opéra gascon, Alcima~ dure, que l’on donnoit alors, dan|l’espoir que je les comprendrois mieux en les entendant chanter, je m’étois endormie en faisant cette lecture, et sans avoir éteint la lumière. Pour me punir, on me ht attendre le bracelet que je ne pus obtenir quel huit jours après cet événement. —r .-5:s • ' . '
'^ Vers ce temps parut le mauvais et pernicieux livre de M. Helvétius ’,. intitulé - de l’Esprit. J’entendois beaucoup disserter- sur cet ouvrage, et dans un bon- sens; tout le monde fut indigné du but et des principes de Fauteur. On appeloit M. Helvétius,un philosophe i et tout ce queje recueillois, à ce sujet,
et que j’écoulois avec curiosité, jetoiti dans mon1 jeune esprit, les germes d’un-profond mépris pour „la philosophie moderne.'jVL de
' M. Helvétius7.ne en 17 tí, mourui en 177t. ^^^V" ' ' {Nole de Tcdtleur, J
Moiidorge venoit tous les jours conter,quelque trait relatif à ce .livre et à son auteur; entre * autres, la rétractation de l’auteur, que l’on trouva honteuse,, parce que l’on crut qu’elle n’avoit rien de sincère. M. de Mdndorge par-loit très-bien sur. l’infamie des principes de son livre h ’ ’
j Lorsque l’hiver • fut passé, nous allâmes à Saint-Mandé dans une maison de campagne de ma tante. Cette maison étoit charmante, elle avoit un joli jardin avec une porte qui donnoit dans le bois de Vincennes. Nous étions là quatre enfans, dont j’étois la plus âgée, mon frère, mes deux cousines, et moi. Ma tante logeoit au rez-de-chaussée ; ’ le salon, très-beau et très-grand, étoit au premier; on y fit mettre mon clavecin, et on nous l’abandonna pour mes études et pour nos jeux, excepté les jours où il venoit beaucoup de mon-
1 « Ce livre affreux ( dit Colle ), en horreur aux pères de Famille et aux âmes honnêtes, n’a dû sa réputation éphémère qu’à sou impudence , et c’est ¿Tailleurs un ouvrage très-ennuyeux.» (F’oyez Mémoires etc Colle ^ tom* ci , j^^c 256. ) Je cite ee jugement non suspect, car Colle n e toit assurément ni un dévot ni un moraliste austère.
, " /( Noie de Taiilun J t
de f. ce qui n’arrivoit guère que tous les huit ■^ ou, dix jours, Bailleurs ma tante se tenoit' dans sa chambre avec^ma mère et trois ou quatre personnes de sa société intime. ?
Cet été s’écoula délicieusement pour moi; après mes trois ou quatre heures d’études musicales ? j’étois maîtresse de l’emploi de mon temps J r que je „passois en promenades et en. jeux nouveaux inventés par moi. C’étoient des pantomimes formées de lambeaux des tragédies que je connoissois, et des romans que j’a-vois.lus, avec quelques petites inventions de ma façon. Les acteurs étoient mon frère, mes cousines, mademoiselle de Mars, et moi; et les spectateurs les femmes de chambre. Bientôt j’ajoutai à cela des pièces toujours d’un genre héroïque, dans lesquelles il falloit parler de tête; j’étois obligée d’y jouer un rôle qui remplissoit presque toute la pièce, car. j’avois beaucoup de peine à faire parler mes acteurs. Cependant cet amusement prit une telle célébrité dans la maison, que nous eûmes bientôt pour spectateurs ma mère,-ma tante, et les personnes de'leur société. On nous demanda'des représentations fixes deux fois par semaine, ce qui dura tout l’été. Jé-
DE MADAME DE GENLIS. 7 5
lióte y venoit de temps en temps, et chan toit à la fin des piècesj et souvent des duos avec moi. Ces jours-là je jouois du clavecin et de la guitare, et l’on donnoit de grands • éloges à ces espèces de petites fêtes. ?
: Mon frère n’étoit pas à beaucoup près un enfant aussi brillant que moi; sa figure étoit jolie, mais il étoit gauche,_ mal adroit, et d'une inconcevable simplicité. Il avoit en vain demandé à mon père la permission de tirer des coups de fusil, on lui répondit qu’on le lui permettrai t lorsqu’il saurait passablement faire -des armes,-chose pour laquelle il n’annonçoit nulle disposition.’ Alors il prit un parti aussi violent que mystérieux : il chargea secrètement un fusil, s’enferma dans sa chambre, et, pour tirer sans faire de bruit, il imagina d’enfoncer le bout de son, fusil sous les malclals de son lit; il tira de cette discrète manière, mit le feu au lit, et fut renversé du coup.... On accourut, et l’on découvrit avec surprise ce singulier expédient. Nous avions dans notre jardin une petite porte 1 qui donnoit dans le bois de Vincennes; une vieille servante nommée Véronique en avoit une clef, qu’elle nous prêta plus d’une fois pour une demi-heure; alors
nous faisions plusieurs petites escapades dans le bois, et, pour nous donner une certaine dignité aux yeux des passans/ nous imaginâmes/ Fainée de mes cousines et moi/ de nous faire porter alternativement la queue de nos petites robes par mon frère (les robes et même les fourreaux de ce temps avoient toujours des queues), ce qui étoit d’autant plus singulier, qu’étant destiné à l’état ecclésiastique, il étoit toujours habillé en abbé; mais il n’en portoit pas moins nos queues avec beaucoup de douceur et de sérieux; nous nous promenions ainsi avec une grande gravité pendant notre demi-heure. Malgré * cette simplicité, cet enfant avoit beaucoup d’esprit et de génie. Six mois après il trouva dans le Journal encyclopédique un problème proposé aux savans; il en envoya au même journal la solution qui étoit bonne, avec cette signature : par un éco-her de onze ans, de chez M. Bertaut. On ignoroit à sa pension que cette solution fût de ^ lui, et l’on fut trés-surpris en apprenant qu’il ' en étoit l’auteur; de ce moment ses maîtres s attachèrent à lui, et il en profita au delà de leurs espérances. '^rS'”'^
Nous retournâmes à Paris sur la fin de l’au-
• î- DE MADAME DE GENLIS. ^ yy tomne, et l’hiver suivant se passa comme le précédent. Au jour de Fan,* M. de Mondorge me fit présent dés poésies de Gresset ’ et dos Fables de La Fontaine. J’appris par cœur par son conseil, de Gresset, la charmante pièce de vers intitulée : Épitre à ma Sœur, sur ma convalescence, la ’ Chartreuse ; et de La Fontaine, les fables du Chêne et du Roseau, du Mulet, du Rat'de ville, du Loup et de Vigneau , de I Amour et de la Polie, de la Colombe et de la Fourmi , de Baucis et Philémon, des deux Figeons et du Lièvre dans son gîte ; que je n’ai jamais oubliées, ce qui, joint à tout ce que je'savois déjà, remplit mà tète de très-bons vers. J’ai oublié de dire, que pendant les sept mois que nous avions passés à Saint-Mandé, j’avoisassisté régulièrement et de moi-même aux levons de latin que recevoit tous les jours mon frère, d’un répétiteur très-bon homme et très-instruit, qui, charmé de ma me-
1 Jean-Baptiste-Louis Gresset, né en 170g à Amiens, et mort.dans la même ville en 1777 , est trop connu , ses ouvrages ont eu trop de célébrité pour qu’il soit besoin. deles nommer. J.-B. Rousseau appeloit'Vert-Pert, le phénomène littéraire-. ' ’ '
— - ” , +- t (Note de Fcditcur, )
yS ¿">z ^-^ ” / . MÉMOIRES - ™ ? *4
¿moire, sut intéresser assez mon amour—propre * pour m’inspirer toute F application du meilleur jécolier. II me donna des soins particuliers, et j’avois fait de tels "progrès, que je m’étois at-tachée à celte étude. Je désirois la continuer à Paris/nia mère ne le voulut pas; j’y gagnai toujours quelques notions’ de grammaire',' qui par la suite ne m’ont pas été inutiles. ■ -V Sur la fin de l’hiver, j’éprouvai de* grands
- chagrins qui me furent d’autant plus sensibles/ que jusque-là j’avois été parfaitement heureuse; mais je n’ai senti vivement que les peines du
. cœur, et non les revers de la fortune. Je m’é-■ tois placée si souvent, dans mes châteaux en
Espagne * dans des ; situations^ malheureuses,' que ces mêmes rêveries avoient donné à mes ' idées, je ne sais quelle vigueur et quelle éleva-tion qui memettoient pour ainsi dire au-dessus des coups du sort. Mon esprit n’étoit pas formé, je tenois encore à Fenfance parûmes goûts et par une extreme naïveté; mais mon âme avoit une force qu’on a bien rarement à treize « ans. On me déclara la rùine entière de mon ! père , et la.vente de Saint-Aubin; toutes les dettes payées,' il ne nous restoit.plus qu’une ’ modique pension viagère de douze cents francs, J
* sur les têtes de mon père et de ma mère ; et pas un asile sur la terre !.... A cette même époque, ma mère et ma tante se brouillèrent; ma mère m’annonça que nous la quitterions sous un mois, et qu’il falloit me séparer de mademoiselle de Mars, que sa situation ne lui permettent / plus de garder!.... J’aimois ma tante, je ché-rissois mademoiselle de Mars ; ma douleur,' qui fut extrême , déplut à ma mère ; il fallut la cacher.....J’en eus le courage, mais je pieu-rois tous les soirs dans mon lit, et souvent deux ou trois heures. Mademoiselle de Mars n’étoitpas moins affligée, non qu’il'ne lui fût aisé, avec ses talens et son esprit, de trouver une place plus lucrative, d’autant plus qu’elle avoit à Paris une tante fort à son aise, qui la prenoit chez elle, jusqu’à ce qu’elle fût placée ; mais elle m’aimoit véritablement et nous nous étions promis tant de fois de ne jamais nous séparer!... Je n’oublierai jamais la veille de cette cruelle séparation! Elle me permit de veiller avec elle jusqu’à une heure après minuit, elle me donna d’excellens conseils pour la suite de ma vie ; elle me fit promettre d’avoir plus d’application, d’employer mieux mon temps et de modérer ma vivacité, qui ne me portait pas àJla colère;
8o .^ r >-. *MKMOIRESn* * '
mais qui me donnoit un enthousiasme ardent pour tout ce qui me plaisoit. Enfin elle m’ex-horta à conserver - mes sentimens religieux. Nous échangeâmes nós Heures ; j’ai conservé plus de vingt ans les siennes, qui étaient une Journée chrétienne f sur lacpielle son nom était écrit; je les ai perdues dans un voyage.’Je lui donnai une petite bague de mes cheveux, que j’avois à cette intention reprise à ma cousine; Nous nous engageâmes à prier Dieu l’une pour l’autre, tous les jours soir et matin; nous versâmes des torrens de larmes , je pleurai dans mon lit près quetoute la nuit. Mon réveil fut affreux; on m’apprit qu’elle étoit partie à sept heures du matin; elle m’avoit laissé l’espérance que je la reverrois encore et qu’elle déjeune-roit avec moi ; je pleurois si.amèrement que j’en étais défigurée; on me gronda, je fis les plus grands efforts sur moi-même ; mais j’é-- touffai toute la journée. - h; ' j
, - Quinze jours après, nous. quittâmes • ma tante, qui me montra beaucoup de tendresse et de regrets , elle me serra long-temps^dans ses ; bras, et ses larmes coulèrent-avec les miennes; je mie souviens qu’elle me dit : «Pauvre enfant,’ tu ne seras jamais heureuse, tu
-7“ '^ de madame de genlis. v 8i es trop sensible. » Elle avoit raison. Elle me donna un charmant petit panier de porcelaine, * rempli de pastilles de chocolat, enveloppées dans du papier, parmi lesquelles' se trouvoit une très-belle, bague de rubis entourée de brillans. Je regrettai peu mes cousines : la cadette étoit trop enfant, l’aînée avoit peu de sensibilité, et beaucoup de jalousie des préférences souvent trop marquées de sa tante pour moi ; elle a été depuis une femme très-estimable. Nous allâmes loger rue Traversiére,
1 dans un petit appartement au rez-de-chaussée donnant sur un jardin humide; cet appartement me parut bien triste et bien mesquin en le comparant à l’élégante maison que nous venions de quitter/ Combien je m’y trouvai seule, privée de l’amie si chère avec laquelle j’avois passé sept ans et demi, c’est-à-dire plus de la moitié de ma vie!. '. '
Au bout de quinze jours,'nous allâmes à Passy chez M. de la Poprlinière, fermier-général, où nous passâmes tout l’été. M. de la Po-peliniére étoit un vieillard de soixante et six ans, d’une santé robuste, d’une figure douce, agréable et spirituelle ; il n’avoit pas l’air d’avoir plus de cinquante ans. On a pu donner
LOME l, 6
quelqués ridicules à cet homme, célèbre pai\ son faste et sa bienfaisance, il eût été impossible de lui trouver un tort ou un vice. 11 avoit'1 beaucoup d’esprit, un caractère facile et doux;\ et une très-belle âme; il faisoit avec agrément des vers, des chansons J des comédies et des romans^ II protégeoit avec discernement les artistes et les auteurs saiis fortune. Mariant et dotant tous les ans'six'pauvres filles," il faisoit en outre un bien infini à Passy 5 faisant travailler les ouvriers, répandant d’abondantes aumônes dans les familles indigentes. Il avoit les mœurs les plus pures," la conduite la plus ' décente et la plus régulière; il tenoit un grand "état de maison sans avoir jamais fait aucune dette; il recevoit beaucoup de monde et très-bonne compagnie ; il faisoit les honneurs de sa maison avec autant de grâce que de noblesse; il ne jouoit jamais, et ne permettoit chez lui que des jeux de - commerce ; enfin, sobre, généreux,~ il aîmoit passionnément la littérature, les arts, les talons/il possédoit aussi toutes ■ les vertus domestiques ; bon ' maître, bonvparent, ami fidèle et tendre / tel étoit l’homme sur lequel la moquerie pendant plus de trente ans fut inépuisable. Il est vrai qu’il
y eut trop de pompe, d’appareil et de singularité dans quelques-unes deses actions, et c’est ce qu’on ne pardonne pas surtout à un bourgeois. D’ailleurs, de tous les défauts, l’ostentation dans la bienfaisance est celui pour lequel le monde a le moins d’indulgence. On n’aime pas ces grands exemples qui jettent une espèce de blâme sur ceux qui, pouvant les suivre, ne les imitent pas. On ne veut point qu’il s’établisse en maxime qu’il vaut mieux, même par vanité, employer une grande fortune à faire du bien, qu’à briller seulement par un luxe frivole. On répète qu’il faut se. cacher pour faire le bien, comme si de certaines actions, et les plus belles et les plus utiles , pouvoient se faire en secret! C’est ainsi que la petite et plate vanité a dans tous les temps fait avec succès la satire d’un noble amoiir-propre, et souvent même a calomnié les intentions les plus pures de la charité chrétienne la plus sincère. Pour moi,^. toutes les époques de ma vie, je me suis livrée au doux plaisir d’admirer le bien partout où je l’ai vu. Chercher de mauvais motifs aux belles actions, c’est en quelque sorte participer à la bassesse de sentimens des ingrats, qui ne manquent
jamais de trouver des raisons de ce genre pour se dispenser de la reconnoissance qu’ils doivent à leurs bienfaiteurs.
Le jour même de notre arrivée a Passy, je donnai une nouvelle preuve du talent dont la nature m’a douée, delire sur les physionomies et d’y découvrir les vices cachés du cœur. Après avoir fait et reçu les premiers compli-mens, je me détournai, et je vis derrière moi un homme tle cinquante ans, gros et court, habillé en abbé, et dont la figure me parut si repoussante, qu’elle me fil tressaillir; ma mère me demanda ce que j’avois, je lui répondis tout bas : Regardez cet abbé, je suis sûre qu'il sera pendu. Ma mère me gronda, mais je gardai mon opinion. Cet homme étoit le fameux abbé delà Coste, qui cinq mois après alla à Toulouse de la part de M. de la Popelinière chercher * mademoiselle de Mondran, fille d’un capitoul, que M. de la Popelinière sur sa réputation de talens vouloit épouser, et qu’en effet il épousa. ’ Cette singularité romanesque ne réussit pas. Ce mariage rendit M. de la Popelinière si malheureux, qu’au bout de dix-huit mois? le chagrin le conduisit au tombeau. Son destin étoit d’être malheureux en femmes. Tout
le monde sait les aventures scandaleuses de sa première femme avec le maréchal de Richelieu. J'en ai mis le fond dans l’histoire de monsieur et de madame du Resnel, dans mon roman des Mères rivales. Pour revenir à l’abbé de la Coste, peu de temps après le mariage de M. de la Popclinière avec mademoiselle de Mondran, il fut convaincu du double crime d'avoir l'ail les plus infâmes libelles diffamatoires sur M. de la Popclinière et plusieurs autres personnes, ’ et d’en avoir jeté les soupçons, avec la plus grande vraisemblance, sur un ami de M. de la Popclinière, qu’il vouloit perdre. Afin de le mieux persuader, ce scélérat disoit beaucoup de mal de lui-même dans ces libelles. On découvrit toutes ces horreurs et beaucoup d’autres, * et un grand nombre de faux et d'escroqueries. Cet indigne abbé ( qui n’étoit point prêtre) fut livré à la justice et condamné au carcan et aux galères. Le jour où il fut conduit à la Grève pour y subir ce supplice, un étranger, voyant dans les rues un grand attroupement, demanda ce que c’étoit; quelqu’un répondit : C’estl'am-bassadeur de M. delà Popelinière qui fait sou entrée.
Le surlendemain dc^otrc arrivée à Passy ,
j’assistai à la célébration des noces de six paih Tres filies, mariées par M. de la Popeliuière/ Elles étoient toutes vêtues uniformément en paysannes f mais avec élégance. M. de la Pcn pelinière donnoit ces habits, un joli trousseau, cinq cents francs en argent, à chaque couple, et il faisoit tous les frais de noces; il consàeroit, ‘ tous les ans, six mille francs à cette charité: il y eut un bal champêtre dans le château dc Passy, et un grand festin pour, les nouveaux mariés. Je dansai beaucoup, je m’amusai infiniment, et je me passionnai pour M. de laPopclinière,. qui donnoit des fêtes d’un si beau genre. Je le re gardois "avec: admiration." Il nous lisoit de temps en temps, quand nous étions en petite société, des morceaux d’un roman oriental intitulé Daira, qu’il composoit alors, et qui me paroissoit, charmant. Il y avoit chez lui une femme à talent qui s’appeloit par hasard du nom de la.terre que nous'avions possédée ( Saint-Aubin). Ma mère avoit quitté ce nom pour prendre celui de Ducrest; mais par habitude on fappeloit encore souvent la marquise de Saint-Aubin. La personne attachée à M. do la Popelinière qui se nommoit ainsi n avoit pas un seul talent supérieur; mais elle
DE MADAME DE GENLIS. 87^ en avoit beaucoup d’agréables: clicétoitbonne musicienne, elle chantoit assez bien l’italien , elle jouoit de la musette j elle étoit d’ailleurs honnête , modeste, bonne et fort aimable. Je „vis là aussi à demeure, madame Belot1, auteur de la traduction estimée de l’histoire d’Angleterre de M. Hume : c’étoit une femme d’un très-grand mérite. J’entendis pour la première fois à Passy jouer de la harpe. M. de la Pope-linicre avoit une musique à lui et parfai tement bonne. Gossec, excellent compositeur, qui vit encore, en étoit. Mais ce qui m’en charma le plus fut un vieux jouent de harpe, un Allemand nommé Gaiffre, qu’on appeloit le roi David, et à qui l’on doit l’invention des pé-
dales.. Avant lui la harpe, n’ayant point de pédales, étoit un instrument si borné qu’on ne le connoissoit qu’en Allemagne dans les rues et. dans les tavernes. Gaiffre l’ennoblit, par une invention qui en fit le plus beau des instru-mens? Il n’en jouoit que pour préluder fort médiocrement, quoiqu’il fût bon harmoniste ; mais il manquoit de.doigts, .et n’avoit pas! l’idée de ce qu’on peut faire sur cet instru- ’ ment admirable. 11 avoit én tout quatre ou cinq écoliers, parmi lesquels se trouvoient M. de Mon ville et madame Saint-Aubin, qui tous ne savoient faire que quelques arpégemens pour s’accompagner en chantant; et c’étoient là les seules personnes qui jouassent en France de la harpe. Au reste,de bon Gaiffre posoit mal à la harpe ses écoliers, qu’il faisoit asseoir beaucoup trop bas, ce que font encore les maîtres de harpe; mais il posoit bien”les mains, ce qui est un grand point. Je pris une passion si démesurée pour cet instrument, queje conjurai ma mère avec la plus vive instance de .me donner Gaiffre pour maître, ce qu’elle fit/Je pris tout de suite des leçons ; mais, n’ayant que la harpe de Gaiffre, je’ ne pouvois pas étudier-seule, je ne jouois que deux fois la semaine avec
DE MADAME DE GENLIS. «g mon maître. Gaiffre, qui étoit le meilleur homme du monde, charmé de mon zèle et de mes dispositions, s’attacha singulièrement à moi; il. me donnoit d’énormes leçons et quelquefois de trois lieures. Si j’avois eu à moi une harpe à Passy, rien n’eût manqué à mon bonheur. On joua la comédie, et des pièces faites par M. de la Popelinière ’ ; on m’y donna des rôles ; je jouai un rôle d’ingénue, et un autre de soubrette , dans deux pièces intitulées , lindo-lente et les loueurs; elles n’ont jamais été im-
1 Alexandre-Jean-Joseph Le Riche de la Popelinière naquit à Paris en 1692 , et mourut au mois de novembre 1762. Il fut également célèbre par ses richesses, ses pré-tentions au bel-esprit et ses disgrâces conjugales* En 1748 , il découvrit dans la cheminée du boudoir de sa femme une plaque à charnière qui servoit de moyen de communication avec la maison voisine , où le duc de Richelieu avoit loué un appartement. La Popelinière fil constater juridiquement son affront et sa découverte. Il se sépara de sa femme, qui mourut au bout de quatre ans d'un cancer au sein. A l'époque où le même financier donnoit scs fêtes de Passy ? mademoiselle Mondran de Toulouse , qu’il épousa , en faisoit le charme par son esprit et son talent pour lo théâtre* Il a composé plusieurs ouvrages : un seul a été imprimé, il est intitulé Daim 3 histoire orientale. - . f
(Nule de lïJitcur. )
/primées, Je dansai, à ces représentations/ une ^ danse,' seule,'qui eut le plus grand succès. Un .maître de ballets'de la Comédie Italienne J nommé Déshaies / m’apprit ' celte danse, que l’on me fit danser non-seulement sur le théâtre, mais continuellement dans ,1c salon. Javois pour la danse les plus grandes dispositions; mais je ne les ai point cultivées par la suite, ' n’y mettant aucun amour-propre. Je n’ai jamais aimé la dansé qu’à la campagne; je n’ai été au$ bals à la cour et à la ville que pour avoir le bon air d’étre invitée, et pour mettre un joli habit différent de ceux qu’on portoit dans le monde / Il m’a toujours paru inconcevable d’attacher du prix à un talent dont on ne peut s’amuser seul / qu’il est impossible ( lorsqu’on n’en fait pas son état ) de porter à une certaine supériorité, et que la plus‘médiocre danseuse de l’Opéra , possède toujours infiniment mieux que la femme de la société la plus exercée dans ce genre. .
- SU de la Popclinière étoit enchanté de mes petits talens ; il disoit souvent en me regardant
* et en poussant un profond soupir : «Quel dommage qu’elle n’ait que treize ans ! » (lySg) Je compris fort bien à la fin ce mot, si souvent
répété, et je fus fâchée moi-même de n’avoir pas trois ou quatre ans dé plus, car je l’admi-rois tant que j’aurois été charmée de l’épouser. C’est le seul .vieillard qui m’ait inspiré cette idée. Il me donna son portrait parfaitement tien gravé : il étoit représenté assis devant un bureau, tenant des roses effeuillées, avec ces vers faits par son ami M. de Broussonel : ?L
Ce sage, des arts le Mécène,
Par ses propres talens plein de célébrité, . *
' Est au sein de Plutus l’homme de Diogène^ ^
Et le plus tendre ami qu’ait eu l’humanité,
M. de la Popelinière trouvant, avec raison, que ces vers n’alloient point au sujet, fit ceux-ci : ’ ' 1
Pour ces fleurs il n’est qu’un printemps ;
Du moins la vie a sou automne.
Prenons ce que le sort nous donne, Et connoissans le prix du temps.
Ces vers me parurent alors si charmans, ils se gravèrent tellement dans ma tète que plus d’un demi-siècle écoulé depuis n’a pu les effacer de ma mémoire. Comme j’avois grande envie de plaire à M. de la Popelinière, j’aurois bien voulu que ma mère lui eût dit les vers que j’avois faits sur mon nom et ceux de ma-
- demoiselle de Mars et de Victoire. M. de Mon-t dorge en avoit paru si surpris, que je me fiât— tois que M. de la Popelinière en seroit content f mais ma mère n’en parla jamais, et je n’osois pas lui confier ma secrète vanité d'auteur, car je la craignois tant, qu’il m’étoit impossible de' lui parler à cœur ouvert. Il y a quelque chose d’extrême dans mon caractère’ et une grande mesure dans mes opinions j ce qui a fait que j’ai bien raisonné, que j’ai eu du goût, et que néanmoins j’ai fait beaucoup d’étourderies et de fausses démarches. Ou j’ai une confiance sans bornes, ou je n’en ai point du tout. Mon amitié est du dévouement, mon estime de l’admiration ; j’ai toujours parfaitement vu les défauts de ceux que j’aimois, mais je ne les ap-pelois des défauts que parce queje sentois qu’ils dévoient paroitre tels aux autres; pour moi ce n’étoient que des écorces fâcheuses, j’en faisois des vertus, et ces vertus, créées par mon imagination, m’attachoient d’autant plus, queje me disois qu’elles n’existoient que pour moi, et que je mecroyois seule capable de les découvrir et de les apprécier. Quand je n’aimois pas, je voyois sans exagération le bien et le mal; jamais l’aversion et le ressentiment ne m’ont fait
DE MADAME DE GENLIS? ^ ^ ÿ - faire de faux jugemens. Je respectais ma mère, ma soumission profonde pour elle ne s’est jamais démentie un instant. Je croyois devoir lui payer en soins, en respect, en obéissance parfaite (et jusqu’à sa mort), ce que je ne pouvois lui donner en intimité de confiance. Il y avoit dans nos genres d’esprit, nos opinions, notre humeur, et nos caractères la plus singulière opposition. Elle étoit sérieuse, sévère, imposante ; sa figure étoit la plus noble que j’aie vue; elle avoit de grands yeux noirs un peu couverts, mais d’une singulière beauté; je n’ai jamais pu soutenir son regard pénétrant. Au reste elle possédoit d’admirables qualités, elle étoit charitable, généreuse; sans être dévote elle avoit des sentimens religieux : un esprit infini, qui auroit eu beaucoup d’éclat si elle eût eu plus d’instruction. Lorsqu’elle avoit envie de plaire,’ personne au monde ne pouvoit être plus aimable. * ' ■ i’-
Je me levois de grand matin à Passy, et j’allois, avant le réveil de ma mère, me promener dans le jardin avec mademoiselle Victoire; cette dernière s’asseyoit sur un,banc, et cousoit tandis queje me promenois sous ses yeux. Là, je faisois des châteaux en Espagne,
94 ‘"^Æ ‘ Mémoires ,
. et souvent des dialogues, en parlant tout haut, -habitude que j’ai conservée toute ma vie,' et qui m’a procuré les plus agréables amusemens et même les plus grandes consolations que j’aie goûtées. Dans ces premiers dialogues, je me supposois toujours avec mademoiselle de Mars venant me voir secrètement.'-Je lui contais „tout "'ce ^ qui z m’arrivoit ', * tout ce que je pensois; je là faisois parfaitement parler dans son caractère; elle me donnoit de très-bons conseils pour le présent et pour l’avenir; elle me conloit aussi de son côté toutes sortes de choses que j’inventois avec une merveilleuse - facilité. Je me passionnai pour ces entretiens imaginaires/ au point que la réalité h’auroit ï guère eu plus de charmes ¿pour moi. J’é-tois au désespoir quand - mademoiselle * Victoire me rappeloit, et je promettais bien à - mon amie de revenir le lendemain à là même
heure. " -J^ ’ f j
; J Les comédies, les danses, les concerts, me ^forcèrent, à mon grand regret, d’interrompre mes études de harpe, d’autant plus que je n’en pou vois pas jouer avant le réveil de ma mère, parce que, couchée près d’elle dans un petit cabinet, elle ’m’auroit entendue.' Mais comme
DE MADAME DE GENLIS. $5 j’aimois les fêtes, la musique et la conversation, je m’amusois infiniment à Passy. Tous les dimanches nous avions, dans la chapelle de la maison, une messe en musique: madame de Saint-Aubin .y jouoit? d’un petit orgue, Gossec et les autres musiciens y exécutoient de belles symphonies? Ce joür-là il y avoit un grand dîner, beaucoup de monde de Paris, et toujours des ambassadeurs et des ambassadrices : leur conversation m’amusoit. M. de la
Popelinière les faisoit toujours parler de leur pays, ce que j’écoutois avec beaucoup de curiosité; on causoit encore après le dîner; on ne jouoit qu’aux échecs.' A cinq heuresf il y avoit, dans une grande galerie,' un beau concert, auquel venoit encore du monde de Paris. On soupoit à neuf heures. Après souper communément on faisoit une petite musique particulière ; M. de Mon ville, qui venoit toujours
le dimanche, y jouoit de la harpe, je chantois, et je jouois de la guitare. A onze heures et* r% ■ A- - / ‘ '
demie, on alloit se coucher. Les autres jours J je me eouchois à dix heures, même les jours
de comédie, excepté encore le mardi,.consacré en général aux beaux-esprits et'aux sa va ns. Ces jours-là’nous avions toujours l’abbé d’Oli-
g6 ■ “ ?" C MÉMOIRES
■vet1, de l’Académie Françoise ; madame Ricco-boni, auteur des Lettres de milady Catesby (qu’elle avoit déjà données au public); le célébré Vaucanson a ; le chevalier de Laurès, qui
^Z -Joseph.Thoulier d’Olivet,” né en 1682, mort en 1^58, estfl'un de nos meilleurs grammairiens et l’un des écrivains francois les plus féconds- Le nombre de scs ouvrages et de ses traductions est très-considérable. Voltaire Fappeloit son maître ; en effet il avoit dirigé ses premières études littéraires , et ce fut lui qui le reçut à l'Académie francoise. Xr4
7 ‘ r 41 ^^''^ (Note de l'editcur )
? Voici ce qu’en dit l’auteur dans ses Souvenirs de Felicie : ~ 7 <: "
t « J'ai beaucoup vu dans mou enfance et dans ma première jeunesse- le fameux Vaucanson^ le plus grand mécanicien de son temps, qui avoit fait un automate qui jouoitde la flûte , et un canard artificiel qui mange oit et digéroit. Lorsqu’il fut reçu à l’académie des sciences, il s’aperçut que presque tous ses nouveaux confrères lui faisoient fort mauvaise mine* Il en demanda la raison a M. dcBùffon, qui lui répandit, avec sa bonhomie ordinaire: « G’ est que vous netos pas plus fort que moi en géométrie^ et qiTici ils ne font cas que de cela.» «Eh ! que ne me le disoient-ils? s’écria Vaucanson , je leur aurois fait un géomètre. » Il ne pensoit pas que cela fût plus difficile que de faire un flûteur et un canard.'
t ^ ^/^“ ( Note de Pcdilcim ) '
DE MADkME DE CENEIS, '"^i g? fais oit des vers; M. Bertin £, autre poëtc.’ Ces' jours-là venoient aussi beaucoup d’artistes; je *ne me souviens que du peintre Latour:-il. avoit un caractère fort original ; il donnoit à deviner comment il venoit de Paris à^*assy, en disant que ce n’étoit, ni en bateau d’aucune . espèce, ni en voiture d’aucun genre, ni à pied, ni à cheval, ou sur un âne ou un mulet, ni'même par terre, ni en nageant/ Personne ne pouvoit deviner cette énigme. Voici com-ment il l’expliquoit : il se mettoit en chemin, se plongeoit dans la rivière, et, ne sachant pas nager, il s’accrochoi t avec ses deux * mains à un bateau; et ainsi remorqué^ ilarrivoità Passy traîné par ce bateau. Après le souper, il y avoit toujours une petite lecture, et en outre ► on me faisoit déclamer, des vers. J’en sa vois par cœur un nombre prodigieux. Telle .étoit.
, 1 Berlin (Antoine), né à File de Bourbon en ij52, mort itl’île de Saint-Domingue en. 1790. Amené de bonne heure en France, il y fit toutes ses études,' sortit du col-lége pour entrer dans un régiment, et ne tarda pas à obtenir le grade de capitaine et la croix de Saint-Louis. Ses élégies, intitulées les Amours , et un grand nombre de poésies érotiques, lui ont valu le..titre de Tibullc français. . ' " ' t ■
( Note do l’éditem ) ront t,
-g8Í-- '^""^^MÉHOIRES
. nia vie, qui me convencít d’autant plus/' que . j’avois une amie dans la maison; c’étoit une/ Jeune personne/jolie, douce, intéressante que M. de la Popelinière avoit en quelque sorte
- adoptée pour sa fille. Il Favoit mariée à M. de Zimmerman ^ officiel' dans les Gardes Suisses,
- qui étoit jeune/aimable, et qui jouoit du violon de" là seconde force. L’histoire, de madame
, de Zimmerman étoit singulière. La voici : Elle Jétoit fille d’un;pauvre gentilhomme, et avoit été élevée au fond d’une province J" à cent cinquante lieues de Paris: pour une"affaire de famille qui dépendoit*. des fermiers^généraux , elle écrivit à M. de la Popelinière, qu’elle ne
, coniioissoit que de.réputation. M. de la Popelinière, sachant' que c’étoit une jeune personne de dix-huit ans (pii lui’ écrivoit, lut la lettre ' avec intérêt quoiqu’elle fut extrêmement simple; mais il en admira la, belle écriture et For-thographe parfaite ; il accorda la grâce qu’on lui ¿,demandoit, alors il reçut une lettre charmante de réniercîment; il répliqua, une correspon-
¿ dance s’établit,' elle dura six mois. M. de la Popelinière se passionna pour cette jeune provinciale qui montroit tant d’esprit, de grâce, de sensibilité/Il écrivit dans la province pour
DE madame de cenlis. . gg prendre des informations sur elle ; on lui mande que celle qui l’intéresse si vivement est jolie, et quelle est un ange par son caractère et par sa conduite. Le voilà amoureux, il dé- , h clare ses sentimens, il reçoit une réponse qui achève de lui tourner la tête: if offre sa main? on accepte, l’on part, et l’on arrive. La pre-/ mière entrevue le refroidit un peu, mais sans le faire changer; il ne trouva pas sa future aussi jolie qu’il se l’étoit figuré, parce qu’elle -étoit mal mise, qu’elle avoit l’air gauche, et beaucoup de taches de rousseur. Au ^out de quelques jours, M. de la Popelinière’ fut si, mécontent de son esprit/ qu’il lui vint des soupçons sur les lettres charmantes qu’il avoit tant admirées. Il questionna cette jeune personne , qui lui avoua naïvement qu’elle ne sa-voit même pas l’orthographe, et qu’elle n’avoit fait que copier des lettres faites par le curé du lieú. M. de la Popelinière lui donna un beau trousseau, pour trente "mille francs de dia- s mans, et cent mille francs de dot; et il logea et nourrit chez lui les deux époux. Madame de Zimmerman, quand je l’ai connue, étoitma-riée depuis cinq ans : elle n’avoit plus de taches de rousseur; un maître à danser lui avoit
3 00 MÉMOIRES . _
donné bonne Agrace, elle avoit appris Fortho-graphe/; elle étoit agréable, jolie/modeste/ sage/il me sembloit que M. de la Popelinière' devoit la regretter.^ ; ~ -
*’ Nous retournâmes à Paris dans les premiers joursd’octobre. Je quittai M. de la Popelinière avec peine, j’avois pris pourjui un véritable attachement. Nous allâmes loger dans la rue Neuve-Saint-Paul. Nous avions là un fort joli voisinage, la famille de JÏ. Le Févre, un créole très-riche, cpii demeuroit sur le quai des Cé-lestins; il avoit quatre filles charmantes dont la plus jeune étoit de mon âge. Elles étoient aimables, bonnes, jolies et remplies de talens : nous faisionSjde la musique tous les joursjje passoîs presque toutes mes journées chez elles, et j’y employois une partie du temps à jouer de la harpe, a chanter, à jouer de la guitare et du clavecin. Ainsi je cultiyois parfaitement la musique. On me donna un maître de chant italien/'nommé Pellegrini/qui venoit à six heures du matin; je prenois cette leçon à la lumière. Philidor 1 me donna des leçons d’ac-
-tí ... .DE MADAME DE GENLIS, 101
compagnement. Au milieu de l’hiver, j’eus la fantaisie d’apprendre à jouer de la musette; au lieu de souiller avec la bouche, oh donnoit le vent au moyen d’un soufflet posé -sous le bras. J’avois tant de dispositions pour les in-strumens, qu’en moins de deux mois j’en jouai presque aussi bien que mon maître. Alors M. de Zimmerman, que nous voyions tous les jours, m’apprit à jouer du par-dessus de viole, et j’y réussis de même. Cependant j’aimois la harpe de préférence à tout, j’en jouois au moins cinq heures par jour. Gaiffre, après m’avoir donné quarante-deux leçons, ne voulut plus prendre de cachets; mais il venoit- toujours par amitié, et il me faisoit déchiffrer. J’avois réformé tout son doigté : il faisoit les grandes roulades d’un doigt, en glissant ce doigt sur
à Londres, où il s étoit réfugié pendant la terreur. Quoique très-bon musicien, il est presque aussi célèbre par son talent au jeu des échecs et son analyse de <e jeu que pai' ses opéras. H acquit une célébrité fâcheuse en pla- . çant dans le Maréchal Ferrant l’air de Gluck, Objet de mon Amour, qui alors n’étoit pas connu en France. L’opéra françois d’Orphée n’est qu’une imitation de ï'Otfco italien dont Gluck avoit fait la musique.
; ( Note de l'cdili ur.}
4
102 C‘~ MÉMOIRES
toutes les cordes, ce que certaines personnes font encore aujourd’hui, ce qui ne peut avoir-ni tact,1 ni aplomb,!et chose aussi ridicule que si l’ondoigtoit ainsi sur le clavecin. Gaiffre nefaisoit point de cadences, et j’en fis avec "beaucoup de facilité. Enfin,'j’imaginai de me servir du petit doigt de lamain droite dans les arpégemens.' J’exerçai ma main gauche séparément en lui faisant faire tout ce que faisoit la droite? Comme il n’y avoit de gravé, pour la harpe, que qüelques niaiseries de Gaiffre, je me mis à jouer des pièces de clavecin, et bientôt les plus difficiles, les pièces de Mondonville, ide Rameau, et ensuite de Scarlati, d’Alberti, ' d'Hendel/etc. J’étois encouragée par la vive - admiration de Gaiffre, je faisois d’inconceva-
bles progrès ; on venoit m’entendre comme une £ merveille, tout le monde voulut apprendre à
jouer de la harpe; Gaiffre en étoit le seul maître, il ne pouvoit suffire à ses écolières. J’eus
J le plaisir extrême d’être la cause de la fortune ^ de cet excellent homme," qui en étoit recon-noissant comme si je n’eusse joué de la harpe que dans ce dessein. Ma passion et mon ardeur pour cet instrument croissoienl avec mes suc-
- cès. Sur la fin de l’hiver, je me mis à jouer au
v ' - ■ DE MADAME DE GENLIS.- io3 moins sept heures par jour, très-souvent huit "ou neuf, et quelquefois dix ou douze.’ Cette rage d’étude dura plus d’un an; au bout de ce temps, en jouant depuis dix-huit mois, sans compter mes petites études de Passy, j’étois réellement de la première force, et d’une force tout-à-fait inconnue jusqü’alors sur cet instrument. *— '^ Mon père, qui étoit resté .en Bourgogne, revint pour peu de temps, et partit pour Saint-Domingue , où il espéroit rétablir sa fortune. Ce grand voyage m’affligea sensiblement; je ne trouvai de consolation que dans ma harpe ;. j’avois quatorze ans et demi. Je fis dans ce temps une étrange conquête, celle du baron de Zurlauben, colonel, des Suisses;' il avoit quatre-vingts ans , il prit pour moi une si extravagante passion, qu’il voulut m’épouser; mais je déclarai, malgré ma timidité, que rien au monde ne me1 feroit consentir à épouser un vieillard. Peu de mois après, M. de Monville devint veuf; lorsqu’il eut quitté les pleureuses, il vint nous voir, et revint souvent. Malgré ma jeunesse, je m’aperçus bientôt du sentiment qu’il avoit pour’ moi. Il étoit jeune, il n’avoit alors que vingt-six 011 vingt-huit ans; il étoit beau et d’une beauté noble, romanes-
? IL
I o4 1 • 5> mémoires ^Î^
'que i élégante, qui me plaisoit particulière-* ment; ses manières étaient^rempliesde grâce;J il avoit des talens cliarmans / de l’agrément dans l’esprit'et le caractère le plus aimable; il joignoit à tout cela une grande fortune, c’étoit le seul homme de cet âge que j’eusse remarqué et qui m’eût paru digné de l’être. Cependant; .j’étais-décidée à n’épouser qu’un homme de qualité; un homme de la cour. J’aurois préféré à tout autre M. de la Popeli-nière , un fermier-général / et un vieillard ; mais ce vieillard avoit subjugué mon admiration, ét je ne voyois dans M. de Monvillequ’un homme aimable. Depuis que je n’avois plus
- mademoiselle de Mars, la vanité étoit devenue le principal mobile de mes actions. On culti-voit si peu mon cœur et ma raison , on me louoit tant sur des choses frivoles, que j’avois pris enfin un amour-propre puéril qui’me, faisoit attacher une grande importance aux talens agréables qui pouvoient donner de la célébrité. J’aimois véritablement la musique et la harpe; mais je n’aurois jamais fait des études aussi longues et aussi constantes, sur un instrument, sans le plaisir secret queje trou-vois à être citée comme un prodige, et à voir
. ' DE MADAME DE GENLIS. io5 les artistes les plus célèbres venir4 m’en tendre et m’écouter avec admiration. Pellegrini me dédia une œuvre musicale de sa composition ; quand je vis mon nom gravé à la ^ té te d’une épître remplie de flatteries, ma joie fut extrême,1 et je la montrai naïvement. Je n’ai jamais eu de dissimulation que celle qui tient au courage; j’ai su cacher mes peines, je n’ai jamais su déguiser mes sentimens et mes opinions. Il en a résulté que la force et l’empire sur moi-même ne m’ont point donne la prudence, mais aussi que la franchise et le naturel n’ont point donné de mollesse à mon caractère.
Je fus très-flatLée qu’un savant, un géomètre d’une grande réputation eût une envie passionnée de m’entendre jouer de la harpe : il est vrai qu’il avoit fait je ne sais quel ouvrage sur l’harmonie, c’étoit d’Alembcrt ; il se fit ' présenter chez ma mère et parut charmé de ma harpe. Il avoit une figure ignoble, il con-toit des historiettes burlesques, avec une voix-, de fausset aigre et criarde, il me déplut beaucoup. Je voyois souvent aussi, dans ce temps, le célèbre Rameau 1, pour lequel j’avois une
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grande vénération. Mais j’ai oublié de parler d’un personnage très-singulier que j’ai vu pies-queutons les jours/ pendant plus de six mois, avant ledépart de mon .père; c’étoit le fameux charlatan; comte de Saint-Germain ’. Il avoit* l’air alors d’avoir tout au plus quarante-cinq :ans, et par le témoignage de gens qui l’avoient vu trente ou trente-cinq ans auparavant, il paroît certain qu’il étoit infiniment plus âgé; il étoit un peu au-dessous de la taille moyenne, bien fait et marchant fort lestement ; ses chc-? veux étoient noirs , son teint fort brun , r sa physionomie très -spirituelle^ ses traits assez
gistrer, par économie. Il mourut dans la même année. H fit la musique-de vingt grands opéras. Ses principes en musique sont consignés dans deux ouvrages qu'il publia, ' l'un presqu’au commencement, l'autre vers la fin de sa
carrière : le premier est intitulé , Démonstrations dupria-_ *; t"
cipe de l'Harmonie; Vautre ? Code de la Musique.^
j J’ ~ -- r (Note de l’editeur, ) ^
r f í£
a ' 1 Dans l'année i8i5,on a cité, au mois de mai, dans 4 le Journal de l’Empire , plusieurs traits de ce comte de ? St.-Germain , traits tirés , dit-on ¡ des mémoires inédits 'd'un baron de Gleinhau ; toutes ces anecdotes sont faus ses et contées par quelqu’un qui n’a jamais connu ce comte de St.-Germain/^ '^
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DE MADAME DE CEDTLIS. ■ IO7 réguliers. Il parloit parfaitement le frànçois sans aucun accent, et de même l’anglois , l’italien , l’espagnol et le portugais. Il étoit excellent musicien; il accompagnoit de tête sur le clavecin tout ce qu’on chantoit, et avec une rare perfection, dont j’ai vu Philidor étonné, ainsi que de sa manière de préludera II étoit bon physicien, et très-grand chimiste ; mon père étoit fort en état d’en juger, et admiroit beaucoup ses connoissances en ce genre. Il peignoit à l’huile, non pas de la première force, comme on l’a dit, mais agréablement; il avoit trouvé un secret de couleurs véritablement merveilleux, ce qui rendoit ses tableaux très-extraordinaires ; ilpeignoit dans le grand genre, des sujets historiques ; il ne manquoit jamais d’orner ses figures de femmes d’ajustemens de pierreries; alors il se servoit de ses couleurs pour faire ces ornemens, et les émeraudes, les saphirs, les rubis, etc., avoient réellement l’éclat, les reflets et le brillant des pierres qu’ils imitoient. Latour, Vanloo, et d’autres peintres, ont été voir ccs tableaux, et admiroient extrêmement l’artifice surprenant de ces couleurs éblouissantes, qui avoient l’inconvénient d’éteindre les figures, dont elles détruisoient,
d’ailleurs , la vérité par leur étonnante illu-sion. Mais, pour le genre d’ornement, on au-roit pu tirer un grand parti de ces singulières couleurs, dont M. de Saint-Germain n’a jamais voulu donnér le secret. M. de Saint-Germain avoit une conversation instructive et amusante: il avoit beaucoup voyagé, et il savoit l’histoire moderne avec un détail étonnant, ce qui a fait dire qu’il parloit des plus anciens personnages comme ayant vécu avec eux; mais je ne lui ai jamais rien entendu dire de semblable. Il montroit les meilleurs principes, il remplissoit avec exactitude tous les devoirs extérieurs de la religion, il étoit fort charitable, et tout le monde s’accordoit à dire qu’il avoit les mœurs les plus pures. Enfin, . tout ' étoit grave et moral dans son maintien et dans ses discours. Cependant, il faut ' avouer. que cet homme si extraoi'dinaire par ses talens et par l’étendue de ses connoissanccs, et par tout ce qui peut mériter la considération personnelle, le savoirs-dés manières nobles et sérieuses, une conduite exemplaire, la richesse et la bienfaisance; que cet homme, dis-je, étoit un charlatan , ou du moins un homme exalté par quelques secrets particuliers, qui lui avoient cer-
DE MADAME DE GENLIS. ^\, IOg taincment procuré une santé très-robuste et une vie plus longue que la vie ordinaire de l’homme. J’avoue que je suis persuadée, et mon père le croyoit fermement^ que M. de Saint-Germain, qui paroissoit avoir alors tout au plus quarante-cinq ans, en avoit au moins quatre-vingt-dix. Si l’homme n’abusoit pas de tout, il parviendroit communément à une vieillesse plus avancée encore, dont on voit quelquefois des exemples ; sans ses passions et son intempérance, Page de l'homme seroit cent ans et la très-longue vie cent cinquante ou cejit soixante. Alors, à l’âge de quatre-vingt-dix on auroit la vigueur d’un homme de quarante ou de cinquante ans; ainsi, ma supposition, sur M. de Saint-Germain, n’a rien de déraisonnable, si l’on admet encore la supposition qu’il eût trouvé, au moyen de la chimie, la composition d’un breuvage, particulièrement d’une liqueur, appropriée à son tempérament ; on pourroit - admettre aussi, sans croire à la pierre philosophale ; qu’il avoit à l’époque dont je parle un âge beaucoup plus avancé que celui que je lui donne. M.'de Saint-Germain, pendant les quatre premiers mois de notre intimité, non-seulement ne dit pas L une extravagance, mais
n^dit pas uno seule phrase extraordinaire; il-avoit même quelque chose de si grave et de si respectable dans sa personne, que ma mère n’osoit pas l’interroger f sur’les singularités qu’on lui attribfioit ;' enfin1; un' soir ,^ après .m’avoir accompagnée d’oreille plusieurs airs italiens, il me dit que dans quatre ou cinq ■ ans j’aurois une belle voix; et il ajouta : «Et quand vous * aurez dix - sept " ou dix - huit ans,' serez"-vous bien aise d’être fixée à cet âge-là ^ du moins pour un très - grand nombre d’années? » Je répondis que j’en serois charmée/ « Eh bien , reprit-il très-sérieusement, Je vous le promets a; et aussitôt il parla d’autre
' Ce peu de mots enhardit ma mère, qui, ¡un ins tantea près, lui demanda s’il étoit .vrai ;que l’Allemagne fut sa patrie.' Il secoua la tête d’un air mystérieux, et poussant unpro-fond soupir : « Tout ce que je puis vous dire sur ma'naissance, répondit-il, c’est qu’à sept, ' ans j’errois au fond des forêts avec mon gou-jerneÜTp/ et que ma tête étoit mise à prix!..»
Ces"paroles me:firent frissonner, car je ne mettois pas èn doute la sincérité de cette grande confidence../. « La veille de ma fuite, conti-
nua M. de Saint-Germainf ma mère, queje ne devois plus revoir!... attacha son’portrait à mon bras!...» Ah Dieu! m’écriai-je; A cette exclamation M. de Saint-Germain me rc-garda, et parut s’attendrir en voyant que j’a-vois les yeux remplis de larmes. « Je vais vous le montrer, » reprit-il. A ces mots il retroussa sa1 manche, et il détacha un bracelet parfaitement peint en émail, -et représentant une très-belle femme. Je contemplaif ce portrait avec la plus vive émotion. M. de Saint-Ger-main n’ajouta rien et changea de conversation. Lorsqu’il fut parti, j’eus un grand chagrin, celui d’entendre ma mère se moquer de sa proscription, et de la reine sa mère, car cette tête mise à prix dès' l’âge de sept ans , cette fuite dans tes forêts avec un gouverneur, don-noient à entendre qu’il étoit le fils d’un souverain détrôné... Je croyois et je voulois croire ce roman d’un si grand genre, en sorte que les plaisanteries de ma mère me scandalisèrent. beaucoup. Depuis ce jour M. de Saint-Germain ne dit rien de remarquable dans ce’genre • je ne l’entendis parler que de musique, des arts, et des choses curieuses qu’il avoit vues dans ses voyages. Il medonnoit sans cesse des bonbons
excellons, en forme de fruits, qu’il m’assuroit avoir faits lui-même; de tous ses talens ce n’étoit pas celui que. j’estimois le moins. 11 me donna aussi une boite à bonbons très-singulière/dont il avoit fait le dessus. La boite, d’écaille noire, étoit fort grande; le dessus en étoit orné d’une agate. de composition beaucoup moins grande que lé couvercle; on po-soit cette boîte devant le feu; et au bout d’un instant ,,en la reprenant J on ne voyoit plus l’agate, et l’on trouvoit à sa place une jolie miniature représentant une - bergère tenant une corbeille remplie de fleurs ; cette figure res toit jusqu’à ce qu’on fit réchauffer la boîte, f alors l’agate reparoissoit et cachoit la figure.
Ce seroit une jolie manière de cacher un portrait. J’ai depuis inventé une composition avec laquelle j’imite à s’y tromper toutes sortes de cailloux, et même des agates transparentes; cette invention m’a fait deviner l’artifice de la boîte de'M. de Saint-Germain.' *
¿r Pour finir tout ce qui a rapport à cet hom-’ me singulier, je dois dire que quinze ou seize ans après, en passant^ à Sienne, en Italie, j’appris qu’il hahitoit cette ville, et qu’on'n’y croyoit pas qu’il eût plus de cinquante ans.
Seize oudix-sept ans après, étant dans le Ilolstcín, j’appris de M. le prince de Hesse/ beau-frère du roi de Danemarck, et beau-père du prince royal (aujourd’hui'sur le trône), que‘M. de Saint-Germain étoit mort chez ce prince, six mois avant'mon arrivée dans ce pays. Le prince eut la bonté de répondre à toutes mes questions sur ce fameux personnage; il me dit qu’il n’avoit Pair ni vieux ni cassé à l’époque de sa mort, mais qu’il parois-soit consumé par une insurmontable tristesse/ Le prince lui avoit donné un logement dans son palais,* et faisoit avec lui des expériences de chimie. JM.' de Saint-Germain étoit arrivé dans le ïlolstein, non avec l’apparence de la misère, mais sans suite et sans éclat. Il avoit encore plusieurs beaux diamans. Il mourut de la consomption. Il montra en mourant d’horribles terreurs, et meme sa raison en fut altérée; elle s’égara tout-à-fait deux mois avant ' sa mort; tout en dui annonçoit alors le trou-^ ble affreux d’une conscience agitée. Ce récit me • fit de la peine, j’avois conservé beaucoup d’intérêt pour ce personnage ¡extraordinaire. ':'
Aussitôt que mon père* fut parti pour Saint-Domingue, ma mère s’occupa sérieusement dę
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reprendre et de suivre la plus triste des affaires ; un procès contre sa mère !... mais la mère La plus dénaturée!.?.Madame la marquise de La Haie, ma grand mère, avoit épousé en premières noces M. de Mézières, qui possédoit une terre en Bourgogne?auprès d’Avallen. M. de Mézières avoit beaucoup d’esprit et étoit un très-grand géomètre. C’est une anecdote parfaitement connue dans la province, queM. deMé-zières, voisin de la célèbre madame du Châtelet, cultiva ses dispositions pour la géométrie, et lui donna tous les matériaux des ouvrages qu’elle a publiés depuis. Il est assez bizarre que ce soit mon grand-père qui ait ainsi contribué à établir la réputation de la plus grande admiratrice qu’ait eue M. • de Voltaire !...
Ma grand’mère devint veuve ; jeune encore et. très-belle. "Elle .avoit eu deux enfans de M; de Mézières, un garçon et une fille qui étoii ma mère , l’un âgé. de huit ou neuf ans et l’autre de six. Elle mit la fille au couvent dans l’abbaye de Malnoue près de Paris et le garçon au collège; et elle se remaria avant que l’année de son„veuvage fut tout-à-fait ’révolue. Elle épousa en secondes noces le marquis de La Haie, qu’on appeloit le beau La"Haie ; il avoit été
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page, et ensuite l’amant de madame la duchesse de Berri, fille de M. le régent ; il étoit fort “ riche. Madame de La Haie prit en horreur les - enfans de son premier^ mariage, elle déclara à l’abbesse de Malnoue qu’elle destinoit sa fille au cloître, et qu’elle vouloit qu’on l’élevât dans cette idée. Aussitôt queM. de Minières son fils eut treize ans, elle l’envoya comme mauvais sujei en Amérique. Cet enfant étoit cependant l’homme le plus distingué, et même le plus étonnant par son* esprit, par son génie, son courage et ses vertus. Arrivé dans l’Amérique septentrionale , il se sauva et il alla se réfugier en Canada parmi les sauvages; il n’avoit pas quatorze ans. ïl leur fit entendre qu’il étoit abandonné de ses parens et qu’il vouloit vivre avec eux ; ils y consentirent à condition qu'il subiroit l’opération dmtaionÆge, c’est-à-dire, qu’il se laisscroit peindre tout le corps à leur manière, avec des sucs d’herbes / opération très-douloureuse qu’il supporta avec un courage qui charma les sauvages. Il*avoit une mémoire prodigieuse, la santé la plus robuste ; bientôt il apprit leur langue, et il excella dans tous leurs exercices. Pour ne point oublier ce qu’il savoit ( il avoit fait pour son âge d’excel-
Ipntes études et remporté tous les prix de ses " classes), il traçoit tous les jours surdes écorces d’arbres, des passages de poésie latine et fran-coise et des figures de géométrie. Il se fit de ses écorces un recueil prodigieux qu’il conserva avec le plus grand soin ; il acquit parmi les sauvages1 la plus haute considération, et avant l’âge de vingt ans il devint leur clief par ■ une proclamation unanime. Les sauvages dé-* clarèrent la guerre aux Espagnols. Mon oncle apprit aux sauvages à la faire avec plus d’intelligence, il remporta, en les commandant, des avantages qui surprirent les Espagnols, qui ' trouvèrent que le jeune chef des sauvages avoit des talens extraordinaires. Ils parlèrent de paix, mon oncle fut envoyé pour la négocier ; et il mit le comble à l’étonnement des Espagnols, en ne leur parlant qu’en latiií. Ils questionnèrent ce singulier sauvage ; et, touchés du récit qu’il leur fit,’charmés de l’esprit et même du génie qu’il leur montra, ils lui■ offrirent de l’attacher au service des Espagnols ; il y consentit à condition qu’ils feroient la paix avec les sauvages. Quand cette paix fut faite il se sauvai et passa chez les Espagnols; il s’y conduisit d’une manière si parfaite 7 qu’il y fit un riche ma-
DE MADAME DE GENLIS.r f. 11? riage, et, au bout de dix ou douze ans, il fut nommé gouverneur de la Louisiane. 11 acquit de belles habitations, se forma une superbe bibliothèque et vécut là parfaitement heureux. Par la suite il fit un voyage en France, sa cruelle mère n’existoit plus. Jetois • alors au Palais-Royal; il venoit diner presque tous les jours chez moi : il étoit grave et mélancolique, il avoit un esprit infini, sa conversation étoit du plus grand intérêt. Outre les choses extraordinaires qu’il avoit vues, il avoit prodigieusement lu * et sa mémoire étoit admirable. On voyoit à travers scs bas de soie, les serpens peints parles sauvages, qu’il avoit ineffaçablement gravés sur ses jambes. Il me montra sa poitrine qui étoit couverte de grandes fleurs peintes aussi, les couleurs en étoient très-vives. J’éprouvois pour cet homme singulier et respectable , une admiration et une tendresse extrêmes. Il ré-pondoit à toutes mes questions avec laconisme,. mais avec une excessive bonté. Je n ai jamais vu personne dire plus de choses en moins de paroles. Il avoit conservé un tendre souvenir des sauvages, et même de leur genre de'vie. Il
' Djlis les langues latine , françoise et espagnole.
1 (Note tic Vau lutu j
me dit une chose qui me surprit; c’est qu’en général les voyageurs qui ont parlé avec détail des sauvages (à un peu d’emphase près), les ont assez bien jugés ; quoiqu’ils n’eussent aucune conñoissance de leur langue, il les ont fait parler à peu près comme ils parlent. « La raison en est simple, disoit mon oncle : si l’on jugeoit les Européens, ajoutoit-il, d’après leurs démonstrations et leur extérieur on s’abuseroit. beaucoup; mais ori ne se trompe point en ju-; géant les sauvages : leurs mouvemens, leurs physionomies, leurs actions peignent ce qu’ils sont et ce qu’ils pensent. » Mais, malgré cette réflexion de mon oncle,, comme les idées métaphysiques ne se représentent point de cette ma-nière, une grande quantité de discours que les voyageurs prêtent aux sauvages n’en sont pas moins ridicules. Mon oncle'me donna un petit mémoire qu’il fit à ma prière sur les sauvages; je l’insérai six ou sept ans après dans les Annales de la Inertu., en en faisant honneur à son auteur. Ce morceau, quand cet ouvrage parut, fut très-remarqué ; on regretta qu’il n’eût pas ¡ plus d’étendue. Je n’y avois pas changé un seul mot. Cette manière d’écrire est bien extraor-' dinaire dans un homme expatrié depuis l’en-
%. DE madame de GENLIS. -- Iig fance, et qui avoit passé quinze ans parmi les sauvage. Ma mère étoit toujours en tiers avec nous, elle dirigeoit la conversation et commu-nément je ne pouvois qu’écouter. C’étoit une occasion unique de m’instruire avec certitude d’une infinité de choses curieuses dont la con-noissance eût été bien utile à mon étude favorite , celle du cœur humain $ je n’ai profité que superficiellement de cette précieuse occasion. Cependant comme je veux donner dans quelques mois un recueil de nouvelles, j’en veux faire une que j’intitulerai le Sauvage européen; j’y mettrai tout ce qu’il m’a dit, et je tacherai de suppléer au reste par l’imagination 1. ' ’ . ' - x
Pour revenir à l’histoire de ma mère, elle fut mise au couvent dès l’âge de six ans, et élevée dans l’idée que sa mère la destinoit à l’état monastique. L’abbesse de son couvent, madame Rossignol j étoit une personne de beaucoup d’esprit; elle prit pour ma mère la plus vive affection et donna les plus grands soins à son éducation. On payoit sa modique pension,
1 Je n’ai pas eu le temps de faire cette nouvelle, qui au roil pu être très-originale*
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mais sans maîtres: L’abbesse lui fit apprendre la musique, à chanter des motets et à jouer dé l’orgue. Ma mère dinoit avec l’abbesse et pas-soit avec elle toutes ' lés journées. Elle voyoit souvent: à son parloir le poete Fuzelier \ qui récitoit de jolis vers de sa composition / ce qui donna à ma mère le désir d’en faire. Pour son essai elle fit une espèce de cantique sur sainte Cécile : l’abbesse en fut enchantée et le montra à Fuzelier, qui donna à ma mère quelques règles de versification, qu’elle n’a jamais bien sues, et c’est dommage^'car elle avoit beaucoup de dispositions pour la poésie. Le jour où elle eut quatorze ans accomplis on lui fit prendre le voile. Sa mère ne venoit la voir’ que tous les six mois tout au plus; mademoiselle de Mézières, qui n’en avoit jamais reçu une seule caresse, n’osoit ni parler, ni leverjes yeux en sa présence, et se contentait d’écouter en si-
.* 1 Fuzelier (Louis), né à Paris en 1672 et mort en 1752 , est auteur d’un grand nombre de pièces. Il a travaillé pour le Théâtre-François, pour l’Opéra, pour T Opéra-Comique , pour le Théâtre-Italien, pour les ma- , rionnettes de la foire , et de tant d’ouvrages il n’eu est ‘ resté aucun-au théâtre. ^
( Note de Pétille 111,)
lence les lieux communs que débitoit madame de La Haie, sur les dangers du monde et les douceurs du cloître. Ma mère avoit à peine atteint sa seizième année lorsque madame de La Haie lui déclara qu’il falloit faire ses vœux et s’engager irrévocablement; ma mère pleura, on n’en tint compte, et l’on désigna un jour du mois suivant pour la cérémonie. Cejourarrivé, ma mère déclara nettement qu’on auroit bien la puissance de la conduire à l’église, mais que là, au lieu de prononcer le oui irrévocable, elle diroit non. L’abbesse assura madame de La Haie, qu’elle le feroit certainement, qu’elle Favoit annoncé depuis l’enfance, qu’elle avoit un caractère très-décidé, et que toute violence à cet égard ne serviroit qu’à donner au public un scandale odieux. Madame de La Haie fut outrée , mais il fallut céder. Ma mère reprit ce jour même ses habits mondains, qu’elle avoit quittés deux ans auparavant: comme elle avoit grandi durant son inutile noviciat, ses habits - étoient ridiculement courts, mais elle ne les en reprit pas avec moins de joie. On la laissa au couvent, sans jamais l’en faire sortir. Ellede-J vint une personne très-agréable et très-distinguée par sa figure, ses talens et son esprit. Elle
122 - j’-i-'"mémoires '--j;;
_ éioit chérie de tout ce qui la connoissoit^ à l’ex-^ception de sa mère, qui montroit sans déguisement pour elle l’aversion la plus injuste ét la plus dénaturée. Ma mère resta dans ce couvent jusqu’à l’âge de vingt-six ans et demi ; à cette époque elle se lia intimement avec la marquise deFontenille, une veuve retirée dans l’intérieur du couvent/ La marquise étoit parente de mon père^ qui venoit assez souvent la voir au parloir ; il y vit mademoiselle de Mézières ; en devint amoureux," et la demanda en mariage. Madame de La Haie, par une animosité inconcevable, refusa pendant trois mois son consentement.. Ma mère ne pouvoit cependant pas es-pérer^ un meilleur mariage : elle n’avoit que quarante ou quarante-cinq mille livres de lé-2 gitime, et elle trbuvoit un très-bon gentilhomme, qui avoit dix ou douze mille livres de rentes, tren te-sept ans, et qui étoit aimable, rempli d’esprit et beau comme un ange. Madame de La Haie ne donna ni légitime, ni trousseau, ni présens : la bonne abbesse fit les frais de noce. Ma mère se maria dans l’église du couvent; madame de La Haie vint cependant à la ’ messe nuptiale avec ses deux enfans du second Ut, sou fils âgé dé onze ans, et sa fille de huit
ans et demi, et qui a été depuis madame de Montesson. Ma mère partit aussitôt pour la Bourgogne, pour sa terre de Champcery, où je reçus le jour quinze mois après son mariage. Ma mère, à diverses époques, avoit vainement demandé sa légitime, c’est-à-dire la portion qui lui revenoit du bien de son père; à force de persécutions, elle n’en avoit pu obtenir qu’une très-petite partie; à l’époque de sa ruine elle devint plus pressante; enfin, comme je l’ai dit, après le départ de mon père pour Saint-Domingue, elle se décida à plaider. Elle écrivit elle-même un mémoire, et avant de le* faire imprimer et de commencer la procédure, elle chargea son avocat de le communiquer à madame de La Haie. Ce mémoire / très-respectueux par les expressions, étoit foudroyant par les faits. Madame de La Haie le sentit, elle envoya chez ma mère son fils, le marquis de La Haie, qui se fit médiateur entre sa mère et sa sœur. Le marquis de La Haie, sans être disgracié de la nature et sans être borné, n’étoit ni beau, ni distingué par l’esprit, mais il étoit sensible et bon. 11 ne m’avoit jamais vue, il me regarda beaucoup, avec attendrissement, et me témoigna le plus tendre intérêt. Tout à,
124 ^ / ‘ ^ - 'MÍM01KES -^./ coup il nous proposa de nous níéñer sur-le-champ chez madame de La Haie, en ajoutant qu’en nous voyant tout s’arrangeroit. Il pressa ma mère si vivement, qu’elle y consentit. Il nous mena dans sa voiture et nous conduisit d’abord
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chez madame de Montesson,' qui vint nous faire une visite à notre arrivée à Paris, et qui ensuite ne revint plus. Madame de Montesson étoit chez elle J mon oncle nousjncna dans son appartement, elle n’étoit point habillée et ne nous at-tendoit point ; elle parut plus embarrassée que touchée de notre visite.: Cependant elle dit qu’elle approuvoit l’idée de mon oncle, qu’elle alloit s’habiller et’qu’elle vieñdroit avec nous. Je ne lui trouvai ni la cordialité, ni la bonté de mon oncle.' Sa toilette me parut longue," il me scmbloit que dans cette occasion elle auroit dû se faire avec plus de promptitude. Mon oncle vouloir absolument qu’elle s’occupât de moi ; à toute minute, il lui disoit en me regardant': « Comme elle est intéressante ! comme elle est jolie !....» Madame de Montesson ne répondoit rien, elle se contentoit de pencher la tête en faisant un soupir / et en prenant un air attendri. Enfin, lorsqu’elle fut habillée, clic donna le bras à ma mère, et passa devant nous; mon
DE MADAME DE GENIUS. " 1^5 oncle me prit affectueusement par la main, il s’aperçut que je tremblois, et tâcha de me rassurer, en me disant les choses les plus aimables et les plus tendres. Nous montâmes en voiture et nous nous rendîmes dans la rue Cas-sotte, ou demeuroit ma grand’mère. Je voyois ma mère très-émue, ce qui me causoit un saisissement inexprimable: il me sembloit si extraordinaire que celle qui m’inspiroit tant de respect pût craindre quelqu’un !.... D’ailleurs j’avois entendu dire de si terribles choses de ma grand’mère que le sang ne me parloit point du tout pour elle. Arrivés dans sa maison, mon oncle et ma tante nous laissèrent dans un cabinet et allèrent la prévenir; au bout d’un demi-quart d’heure, ils revinrent avec ma grand-tante , mademoiselle Dessaleux, sœur de ma grand’mère. Mes deux tantes donnèrent le bras à ma mère en l’assurant qu’elle seroit bien reçue ; mon oncle me conduisit. Je n’avois pas 1 une goutte de sang dans mes veines en entrant dans la chambre de ma grand’mère. Sa figure acheva de me glacer; on m’avoit dit qu’elle étoit belle encore, elle ne me parut qu’effrayante. Elle étoit fort grande, fort droite, toute sa personne avoit quelque chose de hautain et d’im-
/ périeux que je n avois vu qu’à elle; il y avoit ' -/ encore de la beauté dans ses traits /mais elle.
avoit beaucoup de rouge et de blanc,‘ et une physionomie l;i la î foisj. immobile, froide et dure../'..? Elle me fît peur,~ ma mère courut se jeter à ses pieds, A ce spectacle je fondis en larmes. Ma grand’mére releva sèchement ma mère sans l’embrasser / ce qui m’indigna. Mon oncle / quime tenoit toujours par la main/ me présenta à ma grand’mére en disant: Maman j regardez cette charmante petite!.... et il ajouta plus bas : Maman, embrassez-la.... Elle jeta sur moi un regard sombre et fixe, qui me fît baisser les * yeux / mon ' oncle' me dit de‘ lui baiser les mains; j’obéis en tremblant, elle me baisa au front / alors je m’éloignai promptement , et j’allai me jeter en sanglotant dans
. les bras de ma mère. Madame de La Haie sonna . et demanda avec emphase un verre d’eau , madame de Montesson et' mademoiselle Des-saleux eurent l’air de croire qu’elle alloit se trouver mal, quoiqu’iln’y eût pas la moindre altération sur ce visage peint, qui' ne pouvoit ’ changer ; madame de Montesson s’empressa J auprès de sa mère/avec cette tête penchée et ces yeux à moitjé fermés/ enfin,' toutes les mines
DE MADAME DE GENLTS. ’ - 12?. qu’elle prenoit dans les occasions touchantes ,7 et qui lui donnoient l’air du monde le plus hypocrite. Lorsque madame de La Haie eut bu,-et fait trois ou quatre soupirs, mon oncle avec une bonté infinie, parla en faveur de ma mère. Madame de Montesson dit quelques mots dans le même sens. Madame de La Haie’ répondit d’abord par des' reproches", ensuite elle s’adoucit, clic dit quelques phrases maternelles ; elle ajouta que ma mère devoit se fier à elle, se désister de ses poursuites, et qu’elle ne perdroit rien à lui donner cette preuve de respect, ma mère s’attendrit et promit tout; alors elle fut embrassée; et presque caressée. On se quitta parfaitement réconciliées. Je voyois ma mère heureuse, charmée; ma joie inférieure alloit jusqu’au transport. Ma mère, avec une bonne foi et une générosité ‘ touchantes, envoya chercher sur-le-champ ses gens d’affaires et signa son désistement, qu’elle fit remettre le jour même à madame de La Haie?-Mon oncle revint nous voir, et me témoigna plus de tendresse que jamais ; il étoit bon ; honnête, et de la sincérité la plus parfaite; mais il partit à cette époque pour l’armée , et il fut tué à la bataille de Mindęn.
I2Ô ~ ^MÉMOIRES i4‘-^-
Je perdis beaucoup à sa mort, je suis sûre - que j’aurois toujours trouvé en lui un bon pa-rent, un zélé protecteur/ et que, s’il eût vécu, la conduite de madame de La Haie eût été toute différente/Après son départ nous retournâmes plusieurs fois chez ma grand’mère sans être reçues. Enfin vint la nouvelle de la mort de mon oncle, la justé douleur de madame de La Haie suspendit• toute idée d’affaires; mais, lorsque les premiers momens furent passés et que ma mère renouvela ses demandes, elle ne reçut que des réponses sèches et vagues ; elle pressa, on ne répondit plus; elle insisla, elle écrivit sans relâche, on finit par lui faire dire qu’elle n’avoitrien à prétendre, qu’elle Favoit reconnu elle-même en donnant son dé-sistement. Ce coup fut rude à supporter, tous les gens d’affaires furent indignés de cette basse et révoltante injustice / ceux mêmes de madame de La Haie en parurent consternés. Pour moi je fus saisie d’étonnement et d’indignation au point d’être malade; je. n’avois pas d’expressions pour peindre ce que j’éprouvois; je suis persuadée que si le hasard m’eût fait rencontrer madame de La Haie, je me serois évanouie; je ne pouvois penser à elle sans fié-
missement, je no crois pas avoir éprouvé dans le reste de ma vie un. sentiment plus'pénible et plus violent. Ma mère à ce sujet me dit ces belles paroles : 'Ce qui me* console, (¿est que je vous ai donné un bon exemple, celui d'une ' confiance généreuse, et du respect filial le plus parfait. Je ne répondis à ma mère que par mes larmes ; depuis ce moment-là nous ne revîmes plus ma grand’mère.et matante, jjrí: • A cette époque, on conta dans 1er monde ' une anecdocte si universellement répandue et reçue, queje ne puis la passer^sous silence; la voici : Après la mort du marquis de La Haie, * tué à Minden, comme je l’ai dit, M.lc duc de* Bourgogne, lîls aîné du dauphin, âgé alors de douze ans et se mourant d’un mal inconnu. -montra beaucoup de, chagrin de cette mort
. (M. de La Ilaie avoit été son gentilhomme de la ; manche et celui qu’il aimoitic plus *), etM. le/*
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T Celle place de gentilhomme de la manche auprès dn fils aîné de rhériücr présomptif, n’étoil donnée t^u’à des jeunes gens de la cour , distingués par leur naissance *ct ^^ par leur bonne réputation. Elle fut supprimée après la mort de Mgr. le duc de Bourgogne , du moins on en changea le litre : les menina de Mgr. le Dauphin ( depuis Louis X\I) ? étoient la même chose- , ■ / >
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duc der Bourgogne ajouta ; Cestjui qui est ~ cause de mo?i mal, mais je lui avais promis de
ri en point parler. Ce jeune prince, questionné,* raconta qu’étant seul un jour avec M. de La :' Haie, ce dernier avoit voulu le placer sur un grand cheval de carton/ et l’avoit laissé tomber très-lourdement; et comme mon oncle ne vit aucun danger à une chute sans blessure, sans fracture, et dans laquelle la tête n’avoit point porté, il avoit"supplié le prince de n’en point parler. C’étoit depuis ce’-temps que le prince
soùffroit et dépérissoit, sans que les médecins connussent la cause de, son mal. Il avoit un abcès dans le corps Í Ce jeune prince mourut: il - annonçoitun grand caractère, beaucoup d’es-T prit et de sensibilité ; s’il eût vécu, le malheu-. veux Louis XVI n’auroit point été roi I ce qui {seul eût donné naturellement une autre di-r rection aux œvénemensJ Ainsi, un joujou d’enfant / un cheval de carton , changea le ’ destin de la France et celui de l’Europe en-¿ tiere 1 !......" -. ^¿. ,
JÍÍ J’,1™8 quinze ans, lorsque nous allâmes au
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"^ 1 II y auvoit eu d'autres ministres 7 d’autres agens du gouvernement f etc. ^¿\4 *
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mois d’avril à Chévilly, près de Paris, chez monsieur et madame de Joui *. M. de Joui, père de madame d'Esparbès ( qui vit encore et qui avoit alors vingt-deux ans ), étoit dans la robe et d’une famille de finance. Fils d’une madame Thoinard, célèbre par sa richesse et son avarice, M. de Joui étoit fort prodigue, il avoit des dettes immenses; mais sa maison étoit encore très-brillante, et l’on ne connoissoit point le mauvais état de ses, affairés. Il avoit de l’esprit, une mauvaise tête: sa société étoit douce et agréable; mais nous n’en jouissions guère;/ il étoit presque toujours à Paris. Madame de Joui étoit un ange et Pavoit toujours été ;-je n’ai jamais vu de piété plus sincère, d’indul- ” gence plus parfaite, de caractère plus aimable et plus accompli : elle avoit quarante ans, et elle étoit encore belle; ses manièresétoient remplies de douceur_ et de noblesse / le son de sa voix alloitau cœur. Elle adoroit son mari ’ dont elle connoissoit les torts sans avoir jamais -Pair de lui en soupçonner un seul, étoit un lieu charmant et ne ressembloit à au-
i5a^ * ' "mémoires
cunr autre. La maison n’étoit qu’une ferme ornée, mais commode et charmante à habiter." Elle était placée entre une grande cour et un bois délicieux ^ surtout au printemps, car il étoit exactement tapissé de violettes doubles et de-muguet. Je n’oublierai jamais le plaisir extrême que j’ai goûté durant tout le printemps à cueillir des fleurs dans ce bois • embaumé, pour en faire tous les matins des bou-quets pour madame de Joui ! . Ily avoit dans ce corps-de-logis, appelé la Ferme, une laiterie célèbre alors ; elle étoit neuve / éblouissante, tout en coquillages nacrés et en marbre blanc, et les vases en porcelaine. On y trou-voit à toute heure et en abondance de la crème excellente. Le jardin de Chevüly avoit, je crois, quarante arpens, il étoit tout’ entier planté d’arbres fruitiers; sa forme était carrée, et entourée*de*, quatre terrasses élevées; chaque terrassé bordée'de rosiers superbes; disposés en talus du côté du jardin / et contenue par un treillage vert an bas duquel on¿ voyoit une guirlande de fraisiers entourant le jardin ; de l’autre côté de la terrasse étoit un mur à hau-teurd appui, au-dessus duquel on découvroû la campagne;’ par delà ce mur, étoit un pro-
DE MADAME DE CENLIS. l55 fond fossé faisant tout le tour du jardin et défendu par des pointes de fer. Au bout de chaque terrasse se trouvoit un ; petit pavillon bâti en pierres de taille, renfermant(un joli salon , au-dessus duquel étoit une terrasse à l’italienne, on y montoit par un petit escalier. Au milieu de ce magnifique verger, s’élevoil un grand pavillon bâti aussi en pierres de taille, et d’une élégante architecture. L’inté- ; ■' rieur étoit composé d’un très-beau salon au rez-de-chaussée, élevé de cinq marches, on y entroit par une grande porte de glace, le plancher : étoit en marbre blanc, les murs peints à fres- , ques en paysages^ il étoitsuperbement meublé, toutes les chaises étoient, recouvertes d’étoffe d’argent. Au-dessus de ce vaste salon, sc trouvoit un petit appartement de trois jolies pièces, c’étoit là notre logement. Des arbustes et des fleurs formoient autour de ce pavillon une double couronne, rompue seulement vis-à-vis la porte de glace, pour laisseï’ le passage libre. Ainsi, nous étions là au milieu des fleurs et des fruits de toute espèce. Très-souvent on vc-noit prendre des glaces ou faire des collations dans le salon,, et alors j’étois I chargée d’en faire les honneurs. J’y ai reçu plusieurs fois la
vieille maréchale de Villars, âgée alors de quatre-vingt-trois ans,veuve du grandVillars
, qu’elle avoit ’ épousé à quinze ‘ ans ; c’étoit la vieille laplûsjjelle et la plus majestueuse que j’aie jamais vue. J’ai oublié de dire que dans un* des côtés de la cour on voyoit d’immenses volières remplies de toutes les espèces de poules les plus rares ,'la plus utile'des collections,
'. puisque elle produisoit d’excellens œufs. Der--rière l’uni des côtés du jardin, se trouvoient "en outre devastes basses-cours. J’ai vu depuis en France, en Angleterre^'en Allemagne, en Italie,-’ etc., ^de superbes habitations, je n’en ai jamais vu"de si riante et de si agréable à mon gré. M. de Joui, créateur dece jardin, y avoit dépensé des trésors; mais du moins il y avoit dans cette dépense une simplicité de bon goût, ce n’étoit pas là ùn luxe financier. Il semble qu’on devroit être à l’abri du malheur de se ruiner lorsqu’on dédaigne tous les colifi-chets d’un faste vulgaire, et que l’on n’aime à s’entourer que des véritables richesses offertes par la nature, des fleurs, des fruits, des animaux . domestiques; mais il est vrai que beaucoup “ d’autres goûts / beaucoup moins innocens, ont infiniment plus contribué au^ bouleversement
i
de la fortune de M. de Joui, que la ferme et le jardin de Chevilly. *7 '
r. Il m’arriva à Chevilly une aventure qui fit’ beaucoup d’honneur à mon courage, la voici .•
Un soir, qu’il ¿toit venu beaucoup de monde de Paris, on eut envie de m’entendre jouer de la harpe ; j’envoyai à notre pavillon chercher ma harpe, on me l’apporta, mais sans clef; et. au lieu de donner une seconde commission, j’allumai ma petite lanterne de papier, et je' courus à notre pavillon; il étoit nuit, et je savois que le laquais de ma mère et sa femme de chambre n’y étoientpas, ils sortoientle matin quand leur ouvrage étoit fait, pour n’y retourner qu’à l’heure de notre coucher ,#à l’exception de deux ou trois heures dans la journée que la femme de chambre y passoit avec moi durant mes études. Nous étions tout le reste du temps à la ferme, séparée du pavillon par une immense cour et une grande partie du jardin. J’allai donc en courant à notre pavillon : en approchant je remarquai sur le sable une traînée de taches qui me parut noire comme de l’encre, je n’y fis pas grande attention, et, toute essoufflée, j’arrivai à la porte de glace après avoir monté le petit perron. Je vis avec
l56.\ ^-^ " MÉMO IRE S - ¿ .
quelque surprise que la porte étoit entr’ouverte/ et que deux carreaux dé glacé étoient cassés;* j’entre dans le salon," et j’y aperçois un ex-' trême désordre ; toutes les chaises étoient renversées'' et je' retrouve sur'le plancher "de marbre blanc ces mêmes taches que j’avois' vues sur le sable et sur le perron, et qui ne m’avoient pani que de l’eau cfui dans l’obscu-ri té semble être noire;3 je me penche vers le plancher en approchant la lumière de ma petite lanterne, et je découvre avec horreur que ces taches sont de sang, ce. qui me fit aisément deviner qüe toutes les traces que j’avois vues en étoient aussi : saisie de frayeur, j’imaginai qu’on' avoit commis un' meurtre* dans ce pavillon, et que les assassins a voient pris la fuite. Mon premier mouvement fut de me sauver, mais je pensai sur-le-champ qu’il scroit beau de - rapporter ma clef, et à l’instant je m’y décidai. Je traversé le salon comme un trait, sans regarder"autour de moi; je monte l’escalier,'j’entre dans la chambre de ma mère 7 frémissant d’y trouver un cadavre; je passe ' dans mon cabinet, je saisis nia clef, croyant tenir un trésor de gloire; aussitôt avec plus de joie de mon exploit; que de terreur de l’a-
1 DE HÁDAME DE GENLIS. ” l3y venture, je retourne rapidement sur mes pas, je me retrouve hors du pavillon avec ravissement, je franchis à toute course le jardin et la cour, enfin je touche la ferme, je monte l’cs-calier, cl j’entre en triomphe dans le salon en élevant le bras, montrant ma conquête et m’écriant: «Voilà bien ma clef de harpe !...» A ces mots je tombe dans un fauteuil; j’étois pale comme la mort, je respirois à peine..... On m’entoure, on me questionne, et je conte ma superbe aventure. Elle produisit un' grand effet, on éleva aux nues mon courage héroïque, les hommes surtout, car les femmes criti-quoient un ■ peu la témérité de mon action ; elles n’avoient pas tort, cette espèce de vanité eût été une vertu dans un homme, ce n’étoit qu’une folie dans une femme ; et sans le reste d’enfantillage qu’on a toujours à quinze ans, et que j’avois plus qu’une autre, cette folie bizarre eût manqué de grâce. Cependant tous les hommes, s’armant très-sérieusement, font allumer des flambeaux et se rendent au pavillon ; ils trouvèrent que je n’avois rien exagéré ; ils virent les traces de sang, les carreaux de glace brisés, le salon souillé de sang dans toute son étendue, et avec une effroyable
iSS'R"3-1 » ' MÉMOIRES t~~’“X' :^_ < abondance. Toutes leurs recherches, d’ailleurs/ ne leur apprirent rien de plus. En sortantdü ' pavillon, on vit qu’il y avoit sur le sable deux traces de sang qui s’éloignoient l’une de l’autre ; on suivit celle qui ne conduisoit pas-au pavillon, elle mena dans une basse-cour, dont, malgré les défenses du maître de la maison, la porte étoit ouverte; et, en suivant toujours la ..trącej on parvint à l’étable d’une truie qui nouvellement avoit mis bas! Cette truie, échappée dans cet état, avoit parcouru le jardin en y laissant çà et là des tracés de sang dont plusieurs étoient rompues par ses allées et venues ; cet animal, ayant trouvé la porte du salon mal fermée, l’avoit poussée en cassant les vitres; elle s’étoit fait à la gorge plusieurs coupures ; elle étoit entrée dans le salon, avoit bouleversé les meubles et inondé de sang le plancher, ensuite elle avoit regagné son étable. Tel fut le dénouement de cette fameuse aventure qui fit un grand bruit dans la société de madame de
-Joui. îrL; ~
y Je passai tout cet été de la manière la plus - agréable à mon gré. Monsieur et madame de Joui avoient des enfans : un garcon élevé chez eux qu’on appeloit M. Thoinard, qui n’avoit alors
DE MADAME DE GENLIS. l5g que quatorze ans; il étoit beau, sérieux, studieux, et. passoit presque toutes les journées enfermé avec son gouverneur; il a été depuis tué en Corse ; l’autre enfant étoit madame la comtesse d’Esparbés, âgée alors de vingt-deux ans, et qui vit encore au moment où j’écris ces mémoires; elle étoit fort petite; elle avoit la vue très-basse, des yeux bleus éteints, un nez un peu cassé; elle'étoit rousse et cependant fort jolie, quoique sa physionomie fût peu agréable; mais elle avoit un teint éblouissant, une bouche et des dents parfaites, et des mains charmantes. A propos de ces jolies mains, je me souviens de lui avoir entendu dire, qu’à souper dans les petits appartenions, elle étoit chargée de peler avec ses doigts des cerises pour le roi (Louis XV), qui ne les mangeoit qu’aînsi, en les trempant dans du sucre. Madame de Joui dit un jour à ma mère, en ma présence, que l’éclatante blancheur des mains de madame d’Esparbés lui cou toit cher, parce que, sans en avoir le moindre besoin, elle se faisoit saigner souvent pour l’entretenir; cependant sa blancheur n étoit nullement blafarde. Elle venoit de temps en temps passer deux ou trois jours à Cheyilly; elle avoit de la
i4o 4\... ¿mémoÍbes ' :-?n:/ ; gaieté, dela grâce, elle étoit aimable. Madame d’Amblimon et madame ' d’Esparbcs étaient alors, à la cour, les favorites de madame de Pompadour 1, qui leur donnoit dans son intérieur intime d’étranges petits noms d’amitié - ' elle les appeloit mon torchon, et ma salope. Ce n’étoit pas là le ton des maîtresses de ’ Louis W-J;- - . :
-* Notre séjour à Chcvilly se termina par une scène bien ‘ douloureuse. Les créanciers de M. de Joui, d’accord avec sa famille qui vouloit sauver ce qui restoit de sa fortune, obtinrent .une lettre de cachet pour le faire enfermer à Pierre-Encise , “ où il resta plusieurs années. Rien ne peut donner l’idée de la douleur qu’é-prouva madame de Joui, cette intéressante et vertueuse femme ! M. de Joui fut arrêté et en-’levé à six heures du matin , sans qu’on eût le moindre soupçon de cette violence, même la
^ 1 La dépravation des mœurs corrompt le goût cl introduit, dans le langage le plus poli, les expressions les plus Ł grossières. Au temps oit madame de Pompadour donnoit - à ses favorites les noms de Torchon et de Salope ', son
royal amant appeloit Chiffe, Toque, Graille et Coche scs propres filles, mesdames Adelaide , Sophie et Victoire.
‘ 3 (Note de L éditeur. )
, DE MADAME DE GENLIS. '' lAl' veille. Madame de 'Joui reçut aussitôt après son départ les visites de sa fille et de quelques parentes; ces visites furent très-courtes, et ces personnes ne revinrent plus durant le peu de temps que nous restâmes à Chevilly. Nous ne quittâmes point madame de Jouy pendant trois jours et trois nuits qu’elle fut dans ùn état affreux; on accorda à mes instantes prières la permission de passer tout ce temps avec elle, c’est-à-dire sans me coucher. Ce sont les premières nuits que j’aie passées de ma vie, elles furent consacrées à la compassion et à l’amitié. Durant ces veilles et ces tristes jours, madame de Joui s’évanouissoit souvent, pleuroit sans discontinuer , * me faisoit faire des lectures pieuses, nous serroit les mains et nous em-brassoit en silence. Elle ne parloit que pour nous prier de temps en temps d’aller nous coucher ; et sur notre refus elle nous'embrassoit , avec une expression déchirante.’ Enfin le"quatrième jour on se coucha. Nous allâmes le lendemain matin à l’église; nous restâmes'encore cinq ou six jours à Chevilly , ensuite nous partîmes pour Paris. Madame de Joui arrangea à la, hâte quelques affaires, et,’après nous avoir fait les plus'tendres adieux/ elle parfit pour
1.4a ítá/* 7rr5 MÉMOIRES ~^<-.£-^
- Lyon, afin de se rapprocher de son malheureux ^mari. j^^;-‘ ; : * :-t'jp
* - Ma mère loua une petite maison dans la rue d'Aguesseau: elle recevoitquelques gens de lettres, entre autres Sainte-Foix, auteur des Essais sur Paris, de la jolie comédie dcl’Orac/e et de
; celle ¿/es Grâces, et de quelques autres petites pièces de théâtre ¿sa tournure et ses manières contrastoient étrangement avec la grâce de ces agréables productions; il avoit un ton brusque et grossier, un .visage affreux et la physionomie la plus rude et la plus sinistre. Une comé-
' dienne très-spirituelle / mademoiselle Bryant , disoit de lui et de M. Bertin lé poète, qui avoit un visage long et pâle; les jottes pendantes; les yeux éteints’et .le regard sombre, que le premier (Sainte-Foix) ressemhloit au crime et le second au remords. Il n’y avoit rien de plus frappant que ce mot, pour ceux qui avoient vu
. ces deux figures. Au reste Sainte-Foix, quoi-"que un peu ferrailleur, étoit au-fond um bon r homme, et d’une parfíate, probité. .Quelques' -artistes yenoient aussi chez ma mère ; Latour le peintre, qui parloit bien de son art; Ho-navre, le plus célèbre claveciniste de ce temps,' qui me donna ^quelques leçons de clavecin. Il
1 3- DE MADAME DE GENLIS. ^ 1^5
faisoit seul alors une difficulté qui me charma.' C’étoit une cadence avec une basse faite de la même main ; je la transportai sur-le-champ sur la harpe, en lui conservant le nom de cadence de Honavre ; elle étonna d’autant plus. que personne n’en pouvoit bien faire de simples sur cet instrument. Casimir en a inventé une bien plus miraculeuse et que luis eul peut faire : c est de faire de la même main avec la cadence, des trils simples et doubles avec le troisième 7 le quatrième et le petit doigt, et avec une perfection incroyable, et de même de la main gauche. Casimir, qui a recréé la harpe , fait beaucoup d’autres choses impossibles aussi sur le piano ; et il exécute sur la harpe,' sans rien y changer, les plus grandes difficultés, du piano. Nous' voyions encore alors Philidor le compositeur et fameux joueur d’échecs ; Gaviniés, le violon1 le plus célèbre à cette époque; et Barihehnont,
* Pierre Gaviniés, violon célèbre, né à Bordeaux en 1726 , mort à Paris en 1800. Son art étoit si parfait qu'il arrachoit des larmes dans les variations d'une romance -que tout Paris voulut entendre. Il a composé un opéra, des sonates, des concertos et des caprices , auxquels il a donné le nom des Vingt-quatre Matinées.
r * * - . £ Note de Icdllcur )
.À^ 1 J
l44^ S MEMOIRES
• excellent violon aussi ; qui yenoit m’accompagner tous les jours / ce qui acheva de me per-
’fectionner. Il venoit gratuitement et avec un zèle et un attachement que je n’ai jamais ou- . bliés. Il fit fortune peu d’années après. Il passa en Angleterre,' et devint premier violon de la reine; il avoit autant de vertus que de talens. L’année d’ensuite, j’entendis avec admiration le fameux Pugnani, dont l’un des grands titres de gloire est d’avoir été le maître de Viotti, artiste fait 'pour servir à jamais de modèle à ceux qui se consacrent aux arts / par son prodigieux talent, la culture de son esprit, ses . moeurs, sa conduite noble et pure dans tous
les temps, et les qualités de son coeur. Au milieu de tout cela j" je faisois continuellement de la musique : outre la harpe, dont je jouois six ou ' sept heures par jour, je jouois du clavecin, de la guitare,' de la mandoline, du pardessus de viole, et de la musette, instrument qui avoit beaucoup de grâce ; on souflloit ( comme je l’ai déjà dit) non avec la bouche, mais avec un soufflet posé sous le bras. Avec ces occupations je n’avois guère le temps de lire et de cultiver mon esprit; mais je répétais toutes les semaines les odes de Rousseau et les vers de Grcsset, ce
DE MADAME DE GENLIS. ‘ I^ qui, joint au dictionnaire de la fable de Chom-pré, queje savois exactement par cœur, formoit toute mon instruction. J’avois un goût extrême pour la poésie ; de temps en temps je faisois des vers et des chansons, mais que je me gardois bien de montrer, et que communément je n’écrivois même pas. Je les composois en me promenant dans notre petit jardin , c’étoit là mon plus grand amusement.
Ma mère avoit renouvelé connoissance avec une amie de couvent, madame la comtesse de Civràc, très-belle encore, quoiqu’elle ne fût plus jeune, et qui me combloit de bontés. Nous allions souvent souper chez elle ; j’y jouois sans cesse de la harpe, elle étoit passionnée pour mon talent ; et je n’oserois rapporter toutes les choses véritablement folles que je lui inspirois quand elle me voyoit à ma harpe. J’entendis là Albanèze ’, compositeur et chanteur très-agréable. Madame de Civrac nous fit faire connoissance avec madame la duchesse d’Uzès,
' Albanèze , Italien, soprano célèbre , né en. 1704, mort, en France, vers l’année 1800. Il a composé plusieurs airs et des duos qui pendant long-temps curent Une grande vogue.
(Núte de l’ûhlcui ) *
TOME I.
I O
IÁ6 „-y' MÉMOIRES. \ < _
sa sœur, et avec madame la comtesse de Beu-vron. Je soupois dans ces maisons trois ou quatre fois la semaine, et j’y jouois sans cesse de la harpe. Malgré toutes les louanges dont on m’accabloit, et malgré ma grande jeunesse et mon inexpérience, un instinct de bon goût né avec moi me faisoit- sentir que ma mère prodiguoit beaucoup trop ma harpe et mon chant. J’étois mal à mon aise dans ces brillantes sociétés, quoique j’y fusse caressée à l’excès. Je pensois deux choses .* la première, qu’il ne faut se prodùife dans le grand monde que lorsqu on peut y être a peu près comme les antres,\pour la manière d’être mise, etc.; la seconde,'que sans mestalens on n’aurait eu aucune envie de m’attirer/ Ces idées me bles-soient, me doûnoient le goût de la solitude, et une excessive timidité, que j’ai conservée bien long-temps. . Í 7 ."j ^ ;. f .t— 1
Mon père, en revenant de Saint-Domingue, fut pris par les Anglois avec tout ce qu’iLrappor-toit; on le conduisit à Lanceston, ville maritime d’Angleterre ; il trouva là beaucoup de prisonniers françois, et, entre autres, un jeune homme dont la jolie figure, l’esprit et "les grâces lui inspirèrent, le plus vif intérêt ; c’é-
DE MADAME DE GENLIS?- I^ tait le comte de Genlis,' qui, en revenant de Pondichéry, où il avoit commandé un régiment pendant cinq ans, avoit été conduit en Chine, à Kanton où il passa cinq mois, et ensuite à Lanceston. - ■ ■ >; , , '
• Le comte de Genlis servoit dans la marine depuis l’âge de quatorze ans; il s’étoit couvert de gloire au fameux combat de Mi d’Aché; il étoit alors lieutenant de vaisseau, il avoit à" peine vingt ans. De vingt-deux officiers, il ne resta que lui, tous les autres furent tués. M, de Genlis fut couvert de blessures, il en a gardé une ouverte pendant huit ans et demi. Ce combat lui valut le grade de capitaine de vaisseau et la croix de Saint-Louis. M. d’Aché détacha la sienne pour la lui donner sur le vaisseau le jour du combat, en lui disant qu’il étoit certain que la cour ne- le désavoucroit pas. Le comte de Genlis se conduisit à Pondichéry avec une valeur‘aussi brillante. Aussitôt après son retour en France, M? de Puisieux lui fit' quitter la marine, et le fit entrer au service de terre avec le grade de colonel aux grenadiers de France. , • '<;?;.
i Durant son séjour' à Lanceston, il se lia intimement, comme je Fai déjà1 dit/ avec mon
¿148 l mémoires^- 1 '^-M^ père, qui portoit habituellement une boite su? : laquelle étoit mon portrait, me représentant jouant de la harpe; cette peinture frappa le comte de Genlis, il fit beaucoup de question^ sur moi, et il crut tout ce que lui dit un père, qui ne me voyoit nul défaut. Lés Anglois avoient laissé à mon père mon portrait, mes _ lettres et celles de ma mère, qui ne parloit que de mes succès et de mes talens. Le comte lut ces lettres, qtft lui firent une profonde impression. Il avoit un oncle ministre alors des af-faires étrangères (le marquis de Puisieux), il
obtint promptement sa liberté, et il promit à mon père de s’occuper de lui faire rendre la sienne. En offet, aussitôt" qu’il fut à Paris, il vint chez ma mère lui apporter des lettres de mon père; et en même temps il sollicita avec ardeur son échange ¿ et trois semaines après mon père arriva à Paris. - U • ■
^ Peu de temps après l’arrivée de mon père, j’éprouvai' la plus vive impression de douleur que j’eusse encore’ ressentie. Des embarras d’argent déterminèrent mon père à faire une lettre de change. A la~surveille de l’échéance, n’ayant paś la somme"entière, ma mère, au désespoir, eut le courage'de s’adresser à sa
DE MADAME DE GENLIS. 14g sœur, madame de Mon tesson, de lui exposer sa situation et de lui demander six cents francs. Elle reçut par écrit le refus le, plus seç et le plus absolu !.. J’ai lu ce billet d’w«e sœur!... Mon âme oppressée pardonna dans la suite cet indigne procédé!... mais que de choses depuis ont dû me le rappeler!.,. Mon père fut arrêté/' et conduit au Fort-l’Évêque... il me seroit im-î possible de donner une idée de l’excès de ma désolation.... Ma mère alla le lendemain matin à la prison, elle ne vouloit pas m’y mener; je la conjurai avec tant d’instance de rie pas m’abandonner, en me laissant seule avec ma douleur, qu’elle me permit de la suivre. Quel fut mon saisissement en apercevant çe triste séjour!., et comment peindre ce que j’éprouvai en entrant dans 1$ chambre où mon ,père étoit renfermé ! Je courus me jeter à ses genoux, j’avois besoin de me prosterner devant lui pour le dédommager, par mon respect et par? ma tendresse, de l’humiliation de sa si^ tuation; je baisois ses pieds, que j’arrosois de, ' mes pleurs ; il me releva en me disant que je, lui faisois mal, et que j’affaiblissois son cou-rage. Nous retournâmes à la prison passer les, journées presque entières pendant tout le temps,
ï5o 1’^-? 5:.'~< MÉMOIRES
_ que mon père y resta, c’est-à-dire pendant î11^™ jours.'Enfin^ la lettre de change fut ■payée, et mon père recouvra sa liberté. Mais le chagrin l’avoit frappé d’un trait mortel !. ? Il étoit foible, languissant ^ sédentaire, ne voulant pas sortir; son seul plaisir étoit de m’entendre jouer de'la’harpe, et de causer avec "moi. Je le questionnois sur Saint-Domingue, sur l’esclavage des nègres, sur les belles productions du pays,'sur lanavigation et sur son " séjour en ’ Angleterre^' Sa conversation étoit aussi spirituelle qu’instructive ; je n’ai connu personne qui ait autant lu, et avec une plus - belle mémoire. Chaque jour Al s’affoiblissoit, * qùoiqu’il fût encore dans la force de l’âge ! en-fin, une maladie se4déclara, et ce fut une - fièvre maligne : il y succomba 1 Je le perdis * après Favoir^oigné, veillé, pendant un grand -nombre deŁnuits/ seule consolation d’un tel malheur ; car c’en est une ’ d’avoir rempli ces “ devoirs sacres !.... Dans ce moment affreux, . une amie prêta à ma mère ’ un appartement dans l’intérieur du couvent des Filles du Précieux Sang, rue Cassette.' Nous allâmes nous ty renfermer ;:nous y passâmes quatre mois et demi. A notre grand étonnement, madame
DE MADAME DE CENLÎS.
l5l
de Montesson vint au parloir nous y faire une visite de compliment; ma .mère la reçut sèchement ; et j’eus avec elle une froideur glaciale,. Elle ne revint plus. Madame de Montesson, au sein de l’opulence; avoit refusé à sa Sœur, dans l’affliction et la détresse, six cents francs ! et elle ne crut pas pouvoir se dispenser de lui faire une visite d’usagé! Ce trait peint tout son caractère; elle n’eut jamais Vidée d1un véritable sentiment; et elle ne respecta réellement d’autres devoirs que ceux
t quimpose la bienséance/. ' ; J y^ ,xr
Je pris au Précieux Sangj une grande vénération pour les religieuses des ordres austères ( celles-ci suivoient la’règle et pràtiquoient toutes les austérités des Carmélites), ainsi k que pour la perfection de leur piété, de leu; sainteté, qui surpasse tout ce que j’en pour-. rois dire, et elles se trouvoient heureuses, parce qu’elles étaient tout à Dieu. Là, point de petites cabales, point d’envie, point de
132 ' r/ ^. MÉMOIRES _
commérages; là ces filles angéliques n’étoient* ^constamment occupées qu’à prier Dieu/qu’a * soigner les malades de la maison, et qu’à tra
vailler pour les pauvres.^ Elles faisoient poui' eux des -,couvertures ,.fdes vétemeos, des layettes d’enfant ; et les dimanches, delà charpie pour les hôpitaux et pour les prisons. Plusieurs 'religieuses me prirent en amitié, entre autres la mère Séraphine et la mère Véronique. Je les regardois avec une vénération particulière en pensant ' qu’étant depuis leur première enfance dans ce couvent, leurs bouches si pures n’avoient proféré que les louanges de l’Eternel/ou des paroles de paix et de charité;, qué leurs ' oreilles n’avoient jamais ? rien entendu de scandaleux, et que leurs mains sages et ingénieuses, comme celles de la femme forte,'n’a voient travaillé que pour les infirmes et les indigens. \ '
La mère Véronique,'attaquée de la poitrine, étoit condamnée parole médecin à n’avoir,pas trois mois à vivre. Ma mère avoit deux grands flacons de sirop de calebasse , que mon père avait rapportés de Saint-Domingue; j’en obtins un pour la mère Véronique, et à la grande surprise du médecin et de toutes les reli-
DE MADAME DE GENLIS. l55 gieuses, je la guéris radicalement eu moins de deux mois '.
/ Je n’ai point parlé jusqu’ici d’un ancien ąmi de mon père, parce queje voulois rapporter à la fois tout ce qui le concerne. C’étoit le baron d’Andlau; il venoit nous voir très-souvent au parloir il avoit plus de soixante ans, jl étoit, expansif et rempli de bonté; il me témoignoit la plus grande amitié ; j’en étois d’autant plus touchée que j’attribuois ces marques d’aifcc-tion au souvenir qu’il conservoit de mon père; mais enfin il me fit connoître ses véritables sentimens par la plus singulière, déclaration d’amour qu’on ait. jamais faite : il m’envoya par son valet de chambre un gros paquet contenant sa généalogie toute entière, en me faisant prier de l’examiner avec’attention; mais toute mon application à cet égard ne me rendit nullement favorable, à ses i vœux. Il vint le jour , même demander solennellement mon
Í
* Il faut que ce sirop soit fait sur les lieux avec la plus grande attention ; si les calebasses sont trop mûres ou qu’elles ne le soient pas assez , le sirop ne vaut rien. Si elles sont parfaitement mûres , ce sirop est admirable, ^lon père l’avoit fait faire sous ses yeux à St.-Dominguc+
> ; , (Note do rautem. ) rL
; cœur et ma main; il fut très-surpris que ses ' superhes parchemins eussent produit si peu d’effet sur mon esprit.?Ma mère m’ordonna cependant de réfléchir à sa proposition, en me représentant qu’il étoit riche et qu’il avoit une grande naissance; je persistai avec beau-coup de fermeté dans mes refus, et il n en fut plus question Z II ne discontinua point ses visites, mais il fut beaucoup plus froid avec moi; il ne s’occupa plus que de ma mère, et il s’en occupa si bien, que dix-huit mois après il l’épousa ; j’aimois infiniment mieux l’avoir pour beau-père que pour mari. Je reprends la suite'de|mon récit» J’enchantois le couvent avec ma harpe/Je chantai deux fois des motets dans la tribune intérieure et grillée de l’orgue; la religieuse organiste jouoit bien de l’orgue/ j’étois accompagnée par elle et par ' ma harpe ; il y eut les deux fois un monde énorme dans l’église extérieure - pour • m’entendre. Ma mère, ne voyoit personne au parloir; elle brodoit, elle écrivoit toute la journée. Elle faisoit son second roman intitulé ; Lettres - de deux jeunes personnes. J’ai oublié de dire qu’elle avoit envoyé le premier ( le Danger des liaisons) à M. de Voltaire, qui lui fit une ré-
DE madame de genlis. . i55
pense remplie de choses flatteuses, etqui com-mençoit par quatre vers qui ont ete imprimes dans plusieurs recueils, et qui n’en valoient guère la peine; les voici :
J*ai lu votre charmant ouvrage.
Savez-vous quel en est l’effet? 1 ■ . "
On veut se lier davantage
Avec la muse qui Fa fait. * "
Ma mère avoit plusieurs lettres de M. de Voltaire. Pour moi, je lisois quelques livres que madame la comtesse deSercey, ma tante, sœur de mon père, me prêtoit; entre autres les .Essais sur Paris de Sainte-Foix, qui m’in-téressoient d’autant plus que j’en connoissois l’auteur; je trou vois cet ouvrage ce qù’il est, très-amusant, rempli de traits d’esprit et de petits faits curieux.’ Les Poésies de madame Deshoulières , que j’apprenois par cœur, et les Œuvres de Moncrif'.' Je joignis à ces li-
,1, Auteur , musicien et poëte , Moncrif fut, dit-on , Pâme des divertissemens alors à la mode. Il excella dans les parodies et dans les parades, qu’il composoit pour plaire à ses protecteurs, le comte de Maurepas et le grand prieur d’Orléans. Il devint, par une destinée assez étrange pour un homme tout occupé de théâtres et de plaisirs, lecteur de la reine Marie Leczinska ; il voyoit souvent cette princesse , qui passoit presque toutes ses soirées chez sa dame d’honneur, la duchesse de Luynes.
i56 ~ -¿x mémoires .^ ’ ¿^ ^ ~ vres les Pensées du ’ comte - Oxenstiern 1, et
Il est à remarquer que cette nouveauté, contre l’étiquette, ne scandalisa personne, et que ce même témoignage de bonté, donné par l’infortunée Marie-Antoinette, fut cruellement critiqué. Il est vrai qu'après avoir fait des vers très-profanes il composa des poésies chrétiennes. D’Alcmbert a dit de ces compositions que côtoient des poésies spirituelles dans tous les sens de ce mot. ¿
La reine, trouvant un soir la duchesse de Luyncs finis-— ~ / di
sant un billet adressé à Moncrif, traça une ligne dans ce billet; elle y ajouta ces mots : «Devinez quelle est la main, qui vous écrit. » Moncrif, le même jour, envoya ces vers à madame de Luynes : ’ > i
* ^ Ah ! dans quel mortel embarras
Me plonge cette main divine, i
æ -.^ - Qui traça ces mots pleins d’appas !
? C’est trop oser si je devine < “^ , ^ '
C’est être ingrat que ne deviner pas.
Moncrif, dont le véritable nom étoit Parądis , mourut aux Tuileries eu 1770, âgé de quatre-vingt-troi s ans.
^ (Note de l'cditeur. )
1 Trois hommes célèbres se sont presque succédé dans cette illustre famille : le comte Oxenstiern, sénateur et chancelier de Suède , qui fut long-temps à la tête del’u-niversitê d’Upsal et refusa le titre de duc que vouloit lui
Ł ł.
donner la reine Christine ; Benoît Oxenstiern qui tenta, par les efforts de la raison, de mettre un terme aux héroïques folies de Charles XII ; et enfin le comte Gabriel-Thuréson Oxenstiern , auteur du livre dont parle ici madame de Genlis. Ses œuvres ont été publiées en 3 vo-
DE MADAME DE CENLIS?' l5y le Traité de l'opinion de M. Legendre1, deux ouvrages que mon père aimoit beaucoup, et qui lui avoient appartenu ; par cette raison ils m’étoient précieux. Je les ai perdus depuis dans un déménagement, ce qui me fit beaucoup de peine. Le Traité de l’opinion me charma; cet ouvrage, qu’on ne lit plus, est très-curieux et très-instructif. Je commençai à faire mes premiers extraits sur ce livre, et de ce moment je n’ai jamais lu un volume sans en faire l’extrait, ou du moins sans en extraire
lumes in-8°. à Stockholm. Il mourut en 1707 Ûansle duché de Deux-Ponts , dont il étoit gouverneur.
(Noto de l’édilflur.)
1 Lanlenr <lu Traité de lf opinion , ou Mémoires pont servir à. F histoire de F esprit humain, se noinmoit Gilbert-Charles Legendre , matqüis de St.-Aubin. Montrer les erreurs elles faiblesses de l’esprit humain, tel est le but de ce traité, où l'on remarque plus de savoir que de méthode et de saine logique. Le marquis de St.-Aubin s’est beaucoup occupé des antiquités de la monarchie francoise, et il a composé plusieurs ouvrages sur cette matière ; mais, malgré l’incontestable érudition de l’auteur , ses livres doivent être consultés avec beaucoup de précaution, parée qu’il avoit l’esprit très-systématique. Lè marquis de St.-Aubin est mort à Paris en 1746, âgé de
, cinquante-huit ans. j, ( Noie de l'editeur.)
" quelque chose. Ces occupations, le temps assez considérable que je passois à l’église, et ma harpe et mes autres instrumens, me firent, trouver très-courts les quatre mois et demi) que nous passâmes au couvent du Précieux-Sang? Je formai là une. liaison d’amitié avec une jeune personne charmante, que j’ai retrouvée depuis dans le monde, mademoiselle . de Roissi ; elle n’avoit que : treize ans, mais elle étoit extrêmement raisonnable pour son âge, et très-spirituelle.., Èlle m’aimoiLà la folie, et quand nous quittâmes le couvent, elle étoit dans une telle affliction, que je convins avec sa gouvernante de lui cacher le jour de notre départ. . , , ^
, Nous allâmes nous, établir dans le couvent de Saint-Joseph. Ma mère loua un appartement dans l’intérieur du couvent. Madame Du Deffant en avoit un à l’extérieur, mais je n’eus dans ce temps aucun rapport avec elle. Deux ou trois mois après, mon cousin, le marquis de Sercey, partit pour Saint-Domingue; la veille de son départ se trouva être le jour de sa fête. Ma tante voulut célébrer ce jour, mais seulement en famille; elle conjura ma mère de m’y amener et de m’y faire jouer un petit
DE MADAME DE CENEIS.
rôle; ma mère y consentit. J’aimois tendrement ma tante et mes cousins; je fis une romance pour mon cousin, et j’en composai aussi l'air, dont je me souviens encore, ainsi que du premier couplet que voici ( nous étions aux derniers jours du mois d’octobre) :
De ces fleurs P éclat dure encore; Vous partes, il va se flétrir: *^ Voici les derniers dons de Flore, L’Amitié vient vous les offrir.
J’ai oublié les autres; je me rappelle que le dernier fut trouvé très—touchant. Habillée en bergère, je lui chantai cette romance apr,ès lui avoir donné un bouquet, et en m’accompagnant de la musette. Ensuite je revins habillée en Espagnole, chanter avec la guitare une autre romance sur un air de la garde, dont ma mère avoit fait les paroles. Enfin je jouai de la harpe, ce qui termina, q^tte petite fête. Dans les premiers jours démotre établissement à Saint-Joseph, ma mère fit connoissance avec un compatriote qui n’avoît alors que vingt-huit ou vingt-neuf ans, et qui lui fut amène par un de ses amis, M. Marin. C’étoit M. de Sauvigny1, connu alors par sa tragédie en trois
‘ Je pris M. de Sauvigny en amitié , parce qu’il parlent très-bien et très-vivement contre les principes de
l6o s & MÉMOIRES ‘ -
actes, la Mort de Socrate, qu’il avoit donnée 'deux ans auparavant ; pièce très-froide, qui cependant eut du Succès, et qui annonçoit le talent de la - versification. M. de Sauvigny avoit fait encore les? Amours de Pierre le Long et de Planche Bazu, en style maroti-que; ouvrage charmant," plein de grâce et de naïveté. Je n’ai jamais aimé ce genre d’imitation, mais ici l’imitation est si parfaite quelle a tout le mérite de l’originalité. Il y a dans ce roman de charmantes romances, ’ que Marot lui-méme n’auroit pu faire plus naïves et plus agréables, et qu’Albanèze mit en musique. ,
Ün mois après le départ de mon cousin pour Saint-Domingue, mon sort fut fixé sans retour; j’épousai M. de Genlis, mais secrètement \
M, de Voltaire et des autres philosophes, qu’un instinct heureux me faísoâhajr depuis mon’ enfance , quoique d’ailleurs je n’en eusse entendu parler jusqu’alors qu’avec admiration ; mais je savois , ainsi queje l’ai conté , qu'ils étaient irréligieux. ^ , ' (Bote de Fauteur.)
’ Nous voyons de nos jours des choses qui n’eurent jamais d'exemple , ce sont des biographies de person-, nages vivans , dont on écrit les prétendues histoires sans leur aveu et sans avoir recueilli les moindres document donnés par leurs familles ; de sorte que ces biographies sont remplies des plus étranges bévues. Je n’accuse point
DE MADAME DE GENLIS. T ï6i
M. de Genlis , âgé de vingt-sept ans, n’ayant ni père ni mère, pou voit disposer de lui-même; mais il avoit une trop bonne raison de redouter
les auteurs de méchanceté et du dessein de calomnier ,
car en. général ces faussetés ne sont que.des méprises causées par l’ignorance absolue des faits. C’est ainsi, par exemple , que je me trouve dans trois biographies différentes. Dans toutes , on ignore jusqu’au nom que j’ai porté depuis l’àge de six ans jusqu'à mon mariage ; on ignore également que j'ai été reçue chanoinesse à six ans au chapitre noble d’Alix près de Lyon f c’étoit les comtes
de Lyon qui examinoient nos preuves J , je m'appelois
madame la comtesse de Lancy , du nom de la ville de
Bourbon-Lancy dont mon père étoit seigneur, et qui est
Située près du château de St .-Aubin : les ch an oi nesses d'Alix prenoient le titre de comtesses. Le fameux M. PeL legrini, qui fut mon maître de chant, me dédia, sous ce
nom et avec ces titres , une œuvre de sa composition d’ariettes italiennes qui eut dans le temps une grande vogue;
j’avois alors treize ans. Dans une de ces biographies on prétend queM. de Genlis m’épousa à cause de ma^w/irfe réputation littéraire : je n’avois assurément à cet âge aucune réputation de ce genre. On y dit aussi, comme une chose reconnue , que feue madame de Montcsson étoit tante de mon mari , et il est connu de tout le monde
qu’elle étoit sœur de ma mère. Ces citations suffiront pour faire juger de la véracité du reste des articles. ¿
( Note de fauteur* )
TOME 1.
i i
^ IÔ2 Jt-iÆ^’ * NÉ >«OI K ES ' -j3X " ' » une opposition à son mariage. M/ le marquis -, de Puisieux, chef de sa famille7 désoles pre-Miniers jours de son arrivée en France fini avoit ,- parlé d’un mariageavecïme jeune personne / orpheline J possédant' actuellement quarante' ' mille livres de rentes j elle s’appcloit made-" moiselle de La Motte ; M. de Genlis y consentit. ~ M. de Puisieux s occupa vivement de cette af-'j faire; cinq semaines après, il dit à M. deGenlis
qu’il espéroit réussir ; M. .de Genlis ne s’en ' * soucioit_déjà plus, mais il n’osa l’avouer." Au
bout de quelque temps M. de Puisieux lui dit que la chose étoit sûre ‘ et qu’il avoit donné sa parole; M/ de Genlis n’eut pas le courage de lui déclarer ses sentimens, et ce fut dans
* ce moment que je me mariai. ' Ainsi, M.'de Puisieux devoit être’excessivement mécontent que celui qu’il fegardoit comme son fils, et qui n’étoit pas riche, épousât une jeune personne qui n’avoit rien, et surtout qu’il lui eût j-< i' T ,^ ^ L6^ -
laissé faire une infinité de démarches superflues, et donné sa parole en vain !... aussi, sa colère a-t-elle été violente et longue. , •
* - Huit jours avant mon mariage, nous quittâmes Saint-Joseph, et nous allâmes demeurer chez madame la comtesse de Sercey, ma tante f qui lo- -
tDE MADAME DE GENLIS? . ' l65 » geoit dans le cul-de-sac de Rohan. Je me mariai là à sa paroisse à minuit. Le lendemain, on desdara mon mariage, qui fît beaucoup de bruit, car la colère de M. de Puisieux, qui se plai-gnoit avec amertume, fit, pendant plusieurs jours, le sujet de toutes les conversations. M. de Genlis, cadet de Picardie, n’avoit que douze, mille livres de rentes, et pour toute espérance f sa part dans la succession de madame la marquise de Droménil, sa grand’mére, qui avoit environ quarante mille livres de rentes. Elle habitoit Reims, et elle avoit quatre-vingts ans. M. de Genlis avoit servi dans la marine avec le plus grand éclat de valeur et d’intelligence, ainsi que je l’ai déjà dit, à un fameux combat sur mer, commandé par M. Daché,- de vingt-deux officiers, il ne resta que M. de Genlis, mais couvert de blessures, dont une à Jaunisse qu’il garda ouverte pendant cinq ans : il la fit fermer en se mariant, sans prendre aucune .précaution d’ailleurs, ce qui causa, par la suite, un affreux dérangement dans sa santé. Pour ce combatr, dont je viens de parler, M. de Genlis eut la croix de Saint-Louis à vingt-un ans moins trois mois, grâce extraordinaire dont je n’ai vu qu’un seul exemple après celui-ci. M. de
Bullion, pour une belle ' action'à la guerre, Fèutaussi/ mais un1 peu moins jeune;' il avoit ■^ vingt-quatre ans. M. de Genlis resta long-temps aux Indes/ il y éommanda’un régiment pendant cinq ans / et sé trouva au siège de Pondichéry, il s’y conduisit avec la brillante valeur qù’ib a toujours montrée/ Pondichéry fut pris par les Anglois/ alors tous les officiers François passèrent en France. M. dé Genlis, comme je l’ai dit/ fut pris1 par les Anglois et conduit à la Chine ; il séjourna quatre mois ‘ et demi à Kanton, et de là fut mené à Lanceston, dans le Cornouaille. Lorsqu’il fut à Paris, M. de Puisieux J qui étoit’ alors ministre des * affairés étrangères, l’engagea à quitter lamarine, il“étoit capitaine'de'vaisseau, et à passer au service de ' terre, - avec * le grade dé’colonel ; il fut ■ fait colonel des ' grenadiers de France.
;r; Je ne passai que dix jours à Paris après mon mariage. - M.‘ de'Genlis alla se présenter chez ■M. de Puisieux'et chez madame lá ’ duchesse maréchale d’Étrée/ fille dc M. de Puisieux j4 et il ne fut pas reçu; il leur écrivit ct°nc reçut point de réponse. Il nie'fit écrire à sa grand’-mère, qui garda aussi un profond silence. De
DE madame de genlis. i65 tous ses parons, le comte et la comtesse de Balîncour furent, les tseuls qui, dans cette oc- r casîon, lui donnèrent des marques d’amitié. * Ils vinrent me voir, et me comblèrent de car ressę$?)ils me firent les prédictions les plus flatteuses. Cette visite me lit un plaisir inexprimable , et la reconnoissance qu’elle m’inspira. . commença la liaison.si intime,, que j’ai eue u depuis avec ces deux personnes que j’ai si ten- ‘ drement aimées. . ; , . ' '
Une visite qui me toucha beaucoup moins » fut celle de madame de Montesson,. qui vint . voir ma mère; ce mariage plaisoit à sa vanité.... Elle fut très-aimable pour M. de Genlis, qui» me .mena le lendemain chez elle et chez ma- -l dame de Balîncour; nous partîmes pour Genlis quatre ou cinq jours après.' Mon beau-frère, .d qui nous y attendoit, nous reçut avec beaucoup de grâce et d’amitié. _ . 4t j.
Le marquis de Genlis, âgé aloi’S de trente-un ans ( de quatre ans de plus que son frère), ^ avoit une belle taille ainsi que son frère ; mais a il se tenoit mieux, et je, n’ai jamais vu de . tournure plus noble, plus lester et plus élégante. Il avoit déjà perdu presque tous ses clic- a veux; on'disoit qu’il avoit eu des dents aussi
Ml
parfaites que celles de son frère ; mais elles étoient déjà toutes gâtées; d'ailleurs tous "ses traits êtoient beaux; et l’ensemble de sa figure très-agréable. Jamais homme n’a moins profité des avantages les plus brillans de la nature et de la' fortune. Avec une figure remarquable/ de l’esprit, de la grâce, il se trouva, à quinze ans/'possesseur de là terre de Genlis, l’une des plus belles du royaume/ et libre de toute hypothèque, avec la certitude d’avoir un jour celle de Sillery, qui lui étoit substituée. M. de Puisieux, son tuteur, et très-aimé du roi, le fit faire colonel à l’âge de quinze ans, et lui dit: «Soyezsage, vous ferez le ¡plus grand mariage; étant colonel à votre âge, vous avez devant vous la plus belle carrière militaire; et à cause de vous, qui me tenez lieu de fils, j’obtiendrai du roi, à l’époque de votre mariage, l’érection de Sillery en duché. »' Tout cela étoit sûr, en supposant même la médiocrité de talens, pourvu qu’on fût exempt de folies éclatantes. Mais, àdix-sept ans / il montra déjala passion du jeu et une extreme licence’ de mœurs. Il fît "des dettes, des extravagances; on le gronda, on paya, on pardonna. Il ne se corrigea nullement. Enfin, à vingt ans,* il^perdit
TÔ7 au jeu, dans une nuit, cinq cent mille francs -contre le baron de, Viomónil; il devoit d’ailleurs environ cent mille francs. La colère de M. de Puisieux fut extrême, et l’emporta trop loin: il obtint uüe lettre de cachet, et fit enfermer, au château de Saumur, son pupille; il l’y laissa cinq ans ; et, comme le disoit mon beau-frère, une année pour chaque cent mille francs. Sa carrière militaire fut [perdue par ! cette rigueur; ayant été obligé de quitter le service, il n’y rentra plus. Quand‘il sortit de Saumur, on avoit déjà payé la moitié de ses dettes ; M. de Puisieux alors le fit interdire, et exiler à Genlis. Cette terre valoit à peu près soixante-quinze mille francs de revenu. On fit à mon beau-frère une pension de quinze mille francs, le surplus des revenus fuRemployé à? payer le reste des dettes. Son exil dura deux ans, ensuite. il eut la liberté d’aller à Paris,1 où il passoit seulement trois mois d’hiver;’ niais M. de Puisieux déclara qu’il ne lèveroit l’interdiction, que lorsqu’il feroit un .bon mariage. Telle- étoit encore la situation du marquis de Genlis quand j’arrivai dans son château. Malgré ses disgrâces et scs malheurs, il étoit d’une extrême gaieté. Rien n’annoncoit en
l68^'^<-' MÉMOIRES „i^^.
lui le goût de la licence, il avoit le ton le plus décent et le plusparfait; ses plaisanteries’ étoient toujours fines J mesurées et délicates-on a beaucoup loué la politesse et la grâce de ses manières ; elles étoient en .effet trés-distin-" K guées. On' a cité de lui une infinité de bons mots; il apassé pour avoir un esprit supérieur, c’est ce qu’il n’avoit pas; il n’avoit que des saillies et un grand usage du monde; d’ailleurs incapable de la moindre réflexion', et d’une frivolité dont j’ai vu peu d’exemples; il étoit au-dessous de la médiocrité aussitôt qu’il falloit agir ou parler sérieusement. Il prétendoit avoir beaucoup luf et se plaignoit extrêmement de sa mémoire, ce qui signifie toujours qu’on est très-ignorant, et qu’on en rougit. II mêloit à tout une nuance d’ironie' et un très-léger per-sifflage qu’il mit à la mode,'niais que personne
-n’a su employer avec autant de grâce; cetic manière n’avoit en lui rien d’offensant,' c’étoitson f genre de gaieté ; la méchanceté ne s’y joignoit jamais. Ce ton légèrement moqueur le rend oit - piquant quand ou ne le vbÿôit qu’en passant;
et; tout au contraire, linissoit par le rendre insipide quand on vivoit habituellement avec ’ * lui, car il étoit impossible de l’en sortir; et j’ai
^„J^DE MADAME DE GENLIS, 169 toujours trouvé qu’il n’y; a rien, de plus fatigant, et même de plus ennuyeux, à la longue, que les personnes qui n’ont qu’un seul ton, et, qu’un seul genre d’esprit, quelque brillant qu’il puisse être. On louoit aussi le marquis de Genlis de son égalité d’humeur qu’aucun événement n’a jamais altérée ; mais cette louange n’est due qu’aux gens réfléchis,et sensibles, . l’égalité d’humeur vient alors du courage et de , la force de l’àme ; les mêmes effets apparens, sont souvent produits par l’insouciance et la . légèreté. - 5 ' ¡
Je ne restai que quelques jours à Genlis ; on m’y donna le divertissement de la pêche des étangs. Pour mon malheur, j’y allai avec des petits souliers blancs brodés; arrivée au bord des étangs, je m’y embourbai; mon beau-frère vint à mon secours, remarqua mes souliers, se mit à rire, et m’appela une jolie dame de Paris, ce qui me choqua beaucoup; car, ayant. été élevée dans un château, j’avois annoncé * 1 ( 1 1 r
toutes les prétentions d’une personne qui n’é-toit étrangère à aucune occupation champêtre. Je répondis avec assez d’aigreur I aux plaisanteries de mon beau-frère; mais, tous les voisins rassemblés à cette pêche répétant que
- j’étois une belle dame de Paris, mon dépit de— ¿" vint extrême; alors je me penche^ je ramasse ' un petit poisson, long comme le doigt, etjel’avale tout entier, en disant: «Voyez comme je suis une belle dame de Paris.» J’ai fait d’autres folies dans ma vie ; mais certainement je n’ai ja-, mais rien fait d’aussi bizarre. Tóútle monde fut confondu. M. de Genlis me gronda beaucoup, et me* fît peur en me disant que ce poisson pouvoit vivre et "grossir dons mon estomac, frayeur que je conservai pendant plusieurs mois.
Dans les derniers jours de novembre, M. de Genlis me conduisit à l’abbaye d’Origny-Sainte-Benoite,‘ à huit lieues de Genlis et à deux de Saint-Quentin/ Je devois y passer quatre mois; c’est-à-dire, tout le temps que mon mari reste-roit à Nancy / où se trouvoit le régiment des grenadiers de France, dont il étoit l’un des vingt-quatre colonels.' Me trouvant trop jeune pour m emmener à Nancy et pour me présenter dans June cour qui passoit pour être très-licencieuse, malgré la piété, les vertus et la vieillesse du bon roi Stanislas, ; M. de Genlis ' pensa" avec raison’ qu’il étoit plus convenable de me laisser dans un couvent'où il avoit
des parentes. D’ailleurs dans ce temps il ne-toit pas du tout d’usage que les jeunes femmes suivissent leurs maris dans leurs garnisons. Madame d’Avaret, sœpr de-madame de Coas-lin, est la première qui, trois ou quatre ans après, ait donné cet exemple, | qui fut très-critiqué et qui n’a jamais été universellement suivi. Je pleurai beaucoup en me séparant de M. de Genlis, et ensuite je m’amusai infiniment à Origny. Cette abbaye étoit fort riche1, elle avoit toujours eu pour abbesse une personne d’une grande naissance, l’abbesse actuelle s’appeloit madame de Sabran ; avant elle, c’étoit madame de Soubisej Quoique les religieuses ne fissent point de preuves de noblesse , elles étoient presque toutes des filles de condition et portoient leurs noms de famille. Les bâtimens de l’abbaye étoient fort beaux et immenses. Il y avoit plus de cent religieuses, sans compter les sœurs converses et deux classes de pensionnaires, l’une d’enfans, l’autre pour les jeunes personnes de douze à dix-huit ans.
[ Wi)lu ib lithium . )
172^^^/-" MÉMOIRES , -'ir ÏT S. L’éducation y étoit fort bonne pour former des' femmes vertueuses ,7 sédentaires et raisonna-* bles, destinées à vivre*en province.
' J’avois un joli appartement dans l’intérieur du couvent', j’y,étois avec?une femme de’ chambre,' j’avois^un domestique qui logeoit-avec les, gens de‘l’abbesse dans les logemens extérieurs; je mangeois à la tablé de l’abbesse qui faisoit fort bonne chère. Nous étions ser- “ vies par deux sœurs converses. On m’appor-toit mon déjeuner dans ma chambre. L’abbesse recevoit à diner et en visite des hommes dans son' appartement ; mais ces hommes ne pou-voifent aller plus avant, et d’ailleurs le couvent étoit cloîtré. L’abbesse avoit des domestiques J une voiture et des chevaux; elle avoit le droit de sortir' en voiture, accompagnée de sa cha-peline et des religieuses qu’elle'nommoit poui* l’accompagner. Elle alloit assez souvent se promener dans les champs, visiter quelques parties de ses possessions, ou des malades aiix- ' quels"elle portoit elle-même des secours ; je l’ai ' suivie deux fois dans ces courses bienfaisantes qui étoient plus fréquentes en été. Chaque religieuse avoit une jolie cellule, et un joli petit jardin à elle en'propre, dans l’intérieur du
DE MADAME DE GENLIS. 173 vaste enclos du jardin général. Une de ces re-ligicuses avoit dans le sien, un gros rocher d’où sortoit une fontaine d’une eau excellente à boire. La naïveté et la piété de toutes ces religieuses me. rappeloient souvent mes angéliques religieuses de la rue Cassette. Cependant elles ploient beaucoup (moiris parfaites. C’étoit larmême foi, la même candeur, le mcmegoùi du travail : mais, non la même union 4 entre ) elles. Madame l’abbesse avoit ses favorites, les grandes dignitaires, madame VÉconome , madame la Chape Une, ce qui formoit une espèce de parti, qui avoit un peu contre lui un autre parti, que l’on pouvoit appeler de, F opposition, mais sans haine, sans perfidie. La religion étoit ;là, entre deux., adoucissant et pacifiant tout. ' ¡I1
Ce .qui marquoit, surtout, les deux partis étoit la tendre tuniqn des membres de chaque parti, et les petites préférences données à ses amies. J’ai eu l’occasion de cońnoitre à cet égard le fond des choses, car je n’hésitai point malgré les pontés de l’abbesse à me mettre dans le parti de l'opposition, c’est-à-dire à y choisir toutes mes amies, parce qu’il y avoit dans ce parti. un petit air d'oppression qui me toucha. D’ail-
leurs, une parente de M. de Genlis s’y trouvoit.
? C’étoit madame de Rochefort, fille _ du mar¿ quis de Saint-Pouen, ' et sœur de madame de Balincourt.-Son père,'l’avoit forcée de se faire religieuse à dix-sept ans ; elle aimoit son; cousin 7 le comte de Rocliefort, et elle étoit aimée; elle fut'très-malheureuse pen-dañóles deux premières années de sa profession^- ensuite ; elle ‘s’accoutuma parfaite-' • ment à sonsort ; elle avoit trente ans quand j’arrivai à Origny^et elle étoit une excellente religieuse? Elle avoit un ^visage agréable, une physionomie intéressante, des mains charmantes /et une très-belle taille. Elle me parla beaucoup desasœur, madame de Balin-cour, qu’elle aimoit tendrement, et qui tous les ans lui envoyoit cespetits présens qui char-moient les religieuses, du sucre, du café ,t de la laine et de la soie pour broder. Madame de Rochefort, de son côté, lui envoyoit toutes sortes de petits ouvrages faits avec soin et cette perfection dont les religieuses sembloient seules avoir le secret. Madame de Rochefort me fît promettre que, lorsque j’irois à Paris, j’énga-gerois "madame de Balincour à demander pour elle a l’archevêque la permission d’aller passer
'^ DE MADAME DE GENLIS. ’ ^ n5 r' l»ł ! I z
pour sa santé trois ou quatre mois dans sa famille; ccsl-iwlire, chez cotte sœur chérie : per’ mission qu’on ne refusoit point à des personnes de l’âge et de la considération de madame de Balincour, et pour des religieuses qui avôient passé la première jeunesse .J’intéressai tellement ¿par la suite monsieur et madame dé Balincour en faveur de madame de Rochefort, qu’ils; la firent venir. Elle passa quatre mois à Balin-‘cour, les trois premiers, s’écoulèrent dans la paix et dans le bonheur ; mais M. de Balincour la mena chez une jeune paysanne nommée Nicole, qu’il avilit mariée quatre ans aupara-vaut. Le tableau champêtre d’une union et d’une félicité parfaite, Nicole au milieu de son heureuse famille, Nicole entourée de ses trois petits enfans , de son jeune mari, de son père et de sa mère, rappela à l’infortunée religieuse ses premières amours, et un bonheur perdu. pour elle sans retour.......; et tandis que tout le monde contemploit avec plaisir cette scène intéressante, elle se trouva mal...1... Blessée d’un ' trait mortel, elle tomba promptement ; dans une consomption mortelle ; elle ne retourna point dans son couvent ; son père ; qui sans doute pour sa punition vivoit encore, vint^
la prendre mourante et 1 emmena en Auvergne, ./dans une terre où peu de temps après elle 1 expira dans ses bras LJ../ C’est cette histoire rapportée ici avec la plus scrupuleuse fidélité , dont je fis peu d’années après lé premier roman "que j’aie jamais montré.* Je l’écrivis de mon . mieux avec pëU d’embellissemens. Je le lus à M. de Genlis 'et à M. de Sauvigny, ils en fu-rent charmés. C’est le premier encouragement que j’aie reçu; depuis j’ai placé dans ^/¿ZèZe et 'Théodore cette même histoire; c’est l’épisode de Ce'cile. ' ; ^.
Mais revenons a Ongny. Je m’y plaisois, on m’y aimoit ; je joiiois souvent de la harpe chez madame l’abbesse, je chantois des motets dans la tribune de l’église, et je faisois des espiègleries aux religieuses: je courois les corridors x la nuit, c’est-à-dire à minuit, avec des dégui-semens étranges', communément habillée en diable avec des cornes sur la tète, et le visage barbouillé ;j’allois ainsi réveiller les jeunes religieuses; chez les vieilles que je savois être bien sourdes, j’entrois doucement, je leur mettois du rouge et des mouches sans les réveiller. Êllés se relévoient toutes les nuits pour aller au chœur, et l’on peut juger de leur sur-
* in
i
.prise lorsque, réunies à l’église, s’étant habillées à la hâte sans miroir, elles se voyoient ainsi enluminées et mouchetées) J’entrois fort librement dans les cellules, parce qu’il est défendu aux religieuses de s’y enfermer, et qu’elles sont obligées de laisser leurs clefs à leurs portes . jour et nuit. Pendant tout le carnaval, je donnai chez moi, avec la permission de l’abbesse, des ' bals deux fois la semaine'. On me permit de faire entrer le ménétrier du village, qui étoit borgne, et qui avoit soixante ans. Il se pi-quoît de savoir toutes les figures et tous les pas, et je me souviens qu’il appeloit les chassés, des flanqués. Mes danseuses étoient l'es reli- ■ gieuscs et les pensionnaires; les premières figuroient les hommes, et les autres les dames. Je donnois pour rafraîchissemens du cidre , et d’excellentes pâtisseries faites dans le couvent. J’ai été depuis à de bien beaux bals , mais certainement je r n’ai dansé à aucun d’aussi bon cœur, et avec autant de gaieté.
^ II m’arriva une belle aventure qui donnart dans le couvent une grande idée de, mon cou-rage. Une jeune personne voulant se faire religieuse vint avec sa mère à Origny’,' ‘ on les logea dans un grand appartement à ' côté du , 10Mb I. * j >
mien et vide depuis plus de trois ans'. Tout le monde dans le couvent étoit couché avant .dix heures; pour moi j’écrivois, je llsois, je jouois de la harpe et communément jusqu’à deux heures du matin; le soir même du jour de l’arrivée de la jeune novice; j’entendis à minuit doucement frapper à’ma ’porte , c’étoient la novice et sa mère." Elles étoient toutes tremblantes ; et me contèrent quelles avoient été réveillées par un bruit étrange qu’elles avoient entendu dans un cabinet voisin de leur chambre , et dans lequel elles n’étoient point entrées. • Comme il faisoit beaucoup de vent ce soir-là; je "leur représentai que ce bruit n’a-voit rien d’étonnant. Elles me répondirent qu’il étoit, si prodigieux ; qu’il sembloit que l’on voulût 1 du dehors briser et enfoncer la fenêtre qui donnoit sur les basses-cours. La mère pensoit que c’étoient des .voleurs qui, ayant escaladé les murs, .youloient entrer dans cet appartement; la fille'disoit qu’elle croyoit que c1 étoit tout simplement un revenant? Mademoiselle Victoire, ma femme de chambre , qui étoit fort courageuse, offrit d’aller vérifier la chose/et; piquée d’émulation, je dis qu’il falloit y aller avec elle. On y consentit, je
_ - DE MADAME DE GENETS..,. '^lyg
distribuai lès armes,' un balai,' des pincettes",' des tenailles, une pelle; je marchai à la tête et’ nous allâmes très-gaîment dans l’appartement des deux étrangères ; arrivées à la porte du cabinet , nous' écoutâmes et1 nous entendîmes , en effet, un bruit extraordinaire. Cependant, par un de ces premiers mouvemens d’imprudence et d’audace que j’ai eu mille' Ibis dans ma vie’/j’ouvris brusquement là porte, et je fis passer Victoire qui tenoit une bougie........Vis-à-vis la porte étoit la fenêtre avec un grand rideau blanc tiré. .. A peine la valeureuse Victoire a-t-elle jeté les yeux sur ce ‘ rideau, qu’elle pâlit1, chancelle, et la lumière vacille dans sa main tremblante;’ elle voy oit*’ et je vis comme elle au même instant deux gros pieds d’homme qui passoient sous ce ri— -deau.... C’étoit voir un voleur ; mais, sans nulle ‘ réflexion, je m’élance vers le rideau en m’écriant : « Eh bien, nous lui parlerons, ne me laissez pas seule, et avançons-nous.....:'. » ; en disant ces mots,' je me jette sur le rideau brusquement...... Quelle fut notre agréable! surprise en découvrant' que ces prétendus pieds n’étoient que des souliers d’homme posés de manière à produire l’illusion - qui nous avoit
tant effrayées. Quant au bruit, il venoit d’on contre-vent dont un des pitons, étoit détaché, de • -sorte que, mis en• mouvement par le vent, il-ballottoit avec fracas contre la fenêtre, dont il avoit même cassé deux, ou trois vitres. Cet appartement avoit été habité quelques années auparavant par une vieille dame que son laquais yenoit servir, permission que l’abbesse donnoit aux dames, pensionnaires/ et que j’avois moi-même; ces gros souliers avoient apparemment appartenu à son laquais qui les avoit oubliés là; on n’entroit jamais dans ce logement, et enfin ces souliers y étpient restés..
Je passai quatre mois et demi à Origny, et , ce temps, s’écoula polir inoi très-agréablement ; j’appris, des. religieuses, plusieurs petits ouvrages., et d’une servante de basse-cour comment on élevoit des pigeons et des,poulets; j’appris aussi à faire- un peu de pâtisserie et quelques entremets.; ma guitare, ma harpe, mon écri-. toire m’occupoient, une grande partie de la ' journée, et je donnois au moins tous les matins deux heures à la lecture. J’étois bien ignorante, car on ne m’avoit jamais donné de livres, puisque, jusque-là, on avoit consacré tout mon temps à, la musique; cependant j.’étoi s fort eu-
rieuse, et je brûlois du désir, d’acquérir de l'instruction : on me prêta, dans le couvent, l’estimable Histoire ecclésiastique de Fleury, qui fit mes délices; et une dame de Saint-Quentin me prêta des poésies dé Pompignan, et un livre de romances dé Moncrif. J’aimois passionnément les vers, et j’eil fis beaucoup à Origny; entre autres une espèce d’épitre, sur le bonheur de la vie religieuse et la tranquillité du cloître ; et j’écrivois des extraits de tout ce que je lisois , habitude qué j’ai conservée tout le reste de ma vie. Enfin, j’écrivois de longues lettres à ma mère et àM. dé Genlis, et au mi-heu de toutes ces occupations très-suivies et tres-constantes, jetroüvois encore le moyen de faire une telle quantité de tours de pensionnaires, qu’il faudroit un volume pour les raconter.
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Ma mère me donna la preuve de tendresse et de bonté de venir me voir à Origny, et de passer avec moi six semaines dans ce couvent; elle y logea, dans l’intérieur, dans un apparie- ' ment qui étoit vacant tout à côté du mien. J’imaginai toutes sortes de choses pour l’amuser. Madame l’abbesse avoit une femme de chambre qui la servoit depuis dix ans , et qui s’appcloii mademoiselle Beaufort; c’étoit la meilleure fille
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du monde , et qui faisoit des flans à la crème délicieux, ce qui produisit, entre elle et moi,2 une liaison très-intime. Elle me parla d’une noce de village qui devoit se faire chez des fermiers de sa connoissance à une lieue d’Origny; elle avoit obtenu de,madame l’abbesse la permission d’y aller; je-voulus être de la partie / mais mystérieusement, et déguisée en paysanne, avec mademoiselle Victoire, et je déterminai ma mère à y venir avec nous, habillée aussi en paysanne, et le tout à l’insu de madame l’abbesse. Mademoiselle Beaufort, charmée de cette invention, nous fournit les habillemens, nous nous assurâmes d’une tourière, je fis direj à ? madame7 l’abbesse qué nous avions la migraine , que nous dînerions dans nos chambres, et nous partîmes furtivement à une heure après midi. Nous allâmes à la ferme en charrette, nous fûmes présentées aux mariés comme des paysannes, parentes de mademoiselle Beaufort, qui ajouta que j’étois sa filleule; je dansai 'beaucoup; j’eus les plus grands succès dans cette assemblée, que nous ne quittâmes qu’au déclin du jour. Mais un orage violent nous atten-doit à Origny/on nous avoit trahies ; madame l’abbesse savoit notre escapade, elle étoit fort
DE NADAM K DK GENLIS. 185 scandalisée de nos déguisemens, et surtout que je fusse sortie de la maison sans le lui dire ^ je lui représentai doucement qu’étant avec ma mère, cette sortie"/du moins, n’avoit rien de scandaleux. Madame l’abbesse jeta tout son venin sur mademoiselle Beaufort, Le lendemain matin , la pauvre fille entra dans ma chambre en pleurant et en me disant que ma-dame l’abbesse venoitde lui donner son compte. t( Eh bien, lui dis-je, consolez-vous, je vous / prends à mon service Z Mademoiselle Beaufort fut transportée de joie, et s’installa tout de suite dans mon appartement. Madame l’abbesse eut beau jeter feu et flamme, je! persistai avec beaucoup de sang-froid dans ma résolution , et je gardai mademoiselle Beaufort. Nous avions déjà joué dans nos chambres quelques petites scènes pour amuser ma mère les soirs, quand tout le couvent étoit couché. Mademoiselle Beau-fort , à mon grand étonnement,' nie demanda de lui donner un petit rôle de Bergère; elle avoit quarante-cinq ans, ses cheveux étoient gris, elle étoit fort couperosée, et les deux dents de devant lui manquoient. Nous jouâmes Y Oracle, et je lui fis jouer le rôle de l’amou-reu-x, queLucinde appelle Charmant, et quelle
conduit en lesse,,avec un ruban couleur de rosej n’ayant point de costume, nous Hia-*bijliimes galamment avec* une redingote de
Lemire, mon domestique/et nous l’assurâmes qu’il étoit indispensable qu’elle eût sur la tête un bonnet de coton, brodé en laine de couleur, ' que lui prêta le laquais de ma mère ; ce fut, dans cet agréable équipage, qu’ellejouade la manière la plus comique le rôle de Charmant. Comme elle me demandoit toujours un rôle de bergère, je fis une petite pastorale pour elle; nous donnâmes tant de louanges à son jeu et à sa grâce, elle fut si persuadée qu’elle étoit ravissante dans ce costume, que je lui proposai de le _ garder.toujours, et elle y consentit. De ce moment elle fut constamment habillée en bergère didylle, avec des'petits habits blancs bordés de rubans de diverses couleurs, et portant sur l’oreille un petit chapeau de paille orné de üeurs , ou coiffée en cheveux qu’elle poudroit à blanc pour cacher ses cheveux gris ; quand elle sor toit de chez moi pour aller dans le couvent, j’exigeois toujours quelle prit sa houlette y chose dont elle contracta parfaitement l’habitude. Toutes mes amies encourageoient scs illusions pastorales, et quand les, autres se
DE MADAME DE GENLIS. , l85 moquoicnt d’elle, mademoiselle Beaufort disoit que c’étoit pour faire leur coui' à madame l’abbesse. Je la gardai ainsi en bergère plus de deux mois , c’est-à-dire jusqu’au moment où M. de Genlis, arrivant deJson régiment, vint me reprendre : l’aspect de mademoiselle Beaufort ( que j’appelois toujours ma bergère ) l’étonna beaucoup ; mais', à force d’instances , je le décidai à l’emmener avec nous à Genlis, et en lui conservant son costume, et bientôt cette complaisance devint pour lui un véri
table amusement. Je conservai ma bergère à Genlis pendant deux ou trois mois, ensuite un héritage inattendu et très-considérable’pour* elle , l’appela à Noyon. Comme elle avoit fait nos délices, nos adieux furent tres-tendres. Pour achever son histoire, je dois dire qu’elle hérita de trente-deux mille francs, et que peu
de mois après elle eut la folie d’épouser un jeune homme de vingt-trois - ans, qui n’avoit
rien , et qui lui persuada qu’il étoit éperdu-ment amoureux d’elle. !
. Je vais maintenant reprendre le fil de ma narration, et retourner à Origny. •
Il est une louange que je puis me donner, parce que je suis sûre queje la mérite ; c’est
^que j’ai toujours eul’esprit parfaitement juste;
-y et par conséquent un grand fonds de raison; 3ajet cependant j’ai fait mille étourderies,' mille actions déraisonnables, et personne au monde n’a moins réiléchi que moi sur sa conduite, ses intérêts et sur l’avenir : en même temps, qui que ce soit aussi n’a autant réfléchi sur tout ce qui ne lui étoit pas personnel, sur ses
- lectures, sur les hommes en général, sur le - monde, et enfin sur des chimères. Dominée ’
■ par mon imagination et dès mon enfance, J ai toujours mieux aimé m’occuper de ce que je ^ créais que de ce qui étoit. Je n’ai jamais con-^ 7“ sidéré Parvenir que comme un rêve, où l’on t7? peut placer tout ce qu’on veut. 11 me parois-soit fort insipide de n’y mettre que le vraisemblable que tout le monde pouvoit y voir. Je n’avois pas la prétention de la prévoyance,’
'mais j’avois celle de l’invention. J’ai déjà dit " que, dans mon enfance, je faisois sans cesse
des châteaux en Espagne, qui n’avoient aucun . rapport avec la destinée que je devois naturellement attendre. J’aimois à me placer dans les situations les plus extraordinaires y et à me ■ faire triompher des obstacles et de l’adversité. . J’avois toujours conservé cette manie / qui me
iL / " i?y^ * r ^ ^
DE MADAME DE CENIAS.* 18? fit passer des heures délicieuses dans la soli-tude d’Oi'igny. Tous les soirs , avant de me coucher, je me livrois pendant une heure, et quelquefois davantage, àcegenrede méditation; souvent, je me supposois avec!une amie, et je lui contois mes étonnantes aventures ; je iparlois véritablement; mon amie m’inter-rompoit, me questionnoit; sa surprise , son admiration, scs éloges me ravissoient. J’avois toujours un peu parlé tout haut dans mes rêveries , mais ce fut à Origny, que j’achevai de perfectionner ces dialogues imaginaires, auxquels la parole donne une illusion de vérité qui, en général, vaut presque la réalité, et qui, à certains égards, vaut mieux. Car , quelle amie réelle pourroit entrer dans nos sentimens, nous aimer, et nous comprendre comme celle qu’on fait parler soi-même? Il . est certain, que ces rêveries fortifièrent mon caractère et mon âme; elles m’ont été fort utiles depuis la révolution; mais jusque-là et dans le cours ordinaire des choses , elles m’ont beaucoup nui, parce qu’elles m’ont absolument empêchée de réfléchir à ce que j’avois réellement à faire, de sorte que ‘j’ai vieilli avec tous mes défauts, et que l’expérience a
eu très-peu d’influence sur mes actions et sùr; mon caractère. ‘ ^yy e ^'%fi
” j Je restai quatre mois et demi à Origny ; au bout de ce temps M. de Genlis revint me cher-cher, au mois d’avril. Jem’étois tellement attachée à cès bonnes religieuses, que je fondis en larmes en les quittant, et je proposai sérieusement à M. de Genlis de m’y laisser encore un mois. Je fus très-étonnée de son refus sec et positif. Tout le couvent étoit désolé, cár j’y avois mis beaucoup de mouvement et de gaieté, et je n’ai vu dans cette abbaye qu’une innocence parfaite,' une piété sincère, et des exemples vertueux. Il y avoit dans ce couvent une religieuse , âgée^ alors de quarante-cinq ans, et qui avoit donné un éclatant exemple d’une véritable et grande vocation; elle s’ap-pcloit madame de 7 Reith J^ elle étoit d’une beauté remarquable, même’à l’âge où je l’ai vue; de famille irlandaise catholique, orpheline à dix ans j héritière d’une grande fortune, elle fut envoyée à Origny à onze ans pour y apprendre le François,et achever son éducation. Rappelée à Dublin dans sa dix-septième année, elle y déclara le dessein de se faire religieuse à Origny ; on employa * tout pour
DE MADAME DE GENLIS. 189 Ven détourner; on lui proposa différens parais; les jeunes gens les plus agréables s’empressèrent de lui plaire ; on la mena dans le plus grand monde; elle persista, dans son projet avec une inébranlable fermeté, et lorsqu’elle eut atteint sa majorité, elle distribua sa fortune à ses héritiers naturels, à l’excep-lion de cinquante mille francs qu’elle donna à un hôpital, et de quarante qii’clle donna à l’abbaye d’Origny, où elle prit le voile à vingt-et un ans et trois mois. Elle prononça ses vœux . un an après. i
' En quittant Origny, nous allâmes- sur-le-champ à Genlis; mon beau-frère étoit à Paris, d’où il ne devoit revenir qu’au mois de juillet. En attendant nous' fîmes des visites dans les châteaux voisins; presque tous nos voisins étoient vieux, mais tous d’une fort bonne société, entre autres M. le marquis de Flavigny et są femme,.M. de Bournonville qui avoit douze enfans, le président de Vauxmenil dont le fils dessinait supérieurement le pay-- sage, et M. de Saint-Cenis, le seul qui.eût une jeune femme. ’ |
M. de Genlis et moi, nous résolûmes de donner une fête au marquis de Genlis â son
*9° <^^' ' MÉMomts ' ’ '
arrivée, nous avions le temps de la préparer; il fut décidé que nous jouerions la comédie," et, en conséquence il nous falloit un petit théâtre; il s’agissoit d’avoir un peintre de décorations," nous en fîmes venir un de Saint-Quentin. Ce peintre "s’appeloit fM/ Tirmane', c’ëtoit un homme de cinquante ansÿ dont l’originalité etJ la crédulité ont fait mes délices pendant six mois; M. Tirmane avoit autant d’orgueil que de simplicité; ilpeignoit fort bien les lambris" d’une chambre /et une décoration d’appartement, et il étoit persuadé qu’il avoit le talent de Raphaël et de Rubens ; il nous en fit voir un échantillon dans la toile de notre théâtre ; il eut la prétention d’en faire un tableau, qui représentoit la plus ridicule' figure de femme jouant de la harpe a‘rebours, c’est-à-dire,' ayant la harpe posée sur l’épaule gauche? AI. de' Genlis’, en voyant ce chef-d’œuvre, s’écria que c’étoit mon" portrait7 et qu’il était frappant! M. Tirmane convint qu’il avoit eu en effet le projet de faire mon portrait d’idée, et charmé de ce premier succès, il me demanda la permission de me peindre régulièrement, mais en. cheveux épars, parce qu’il étoit très-frappé de la longueur de ines cheveux et de leur couleur
DE MADAME DE GENLIS/ IQT châtaigne. Je promis de lui donner une séance le lendemain , et m’y préparai de mon mieux ; je mis un pied de rouge très-foncé, je fis par-tager mes cheveux en plusieurs mèches lisses, sans poudre, j’en entortillai autour de mon cou, de mes bras, de ma taille j’établis sur ma tète une profusion de perles J de clinquant et de fleurs, et dans cet, attirail je m’offris aux pinceaux de M. Tirmane, qui fut ébloui et saisi de l’éclat de ma beauté, d’autant plus que je faisois une bouche imperceptible en la resserrant, et que j’ouvrois les yeux de toute ma force pour les faire plus grands. C’est ainsi qu’il fit mon portrait, c’est-à-dire, une figure de Gorgone, car ces longues mèches de cheveux bruns ressembloient parfaitement à des ser-pens. Peu de jours après, nous renouvelâmes en faveur de M. Tirmane, une partie, des aventures de Don Quichotte chez la duchesse. M. Blanchard, intendant du château, imagina de le faire voler en plein jour, à cinq cents pas du château, par le jardinier déguisé en voleur, '
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c’est-à-dire, ayant des moustaches et les cheveux noircis; M. Tirmane^revint en chemise au château, et en nous contantl sa‘ piteuse aventure; il nous assura que le brigand avoit
i$2 J^-'j' -mémoires-. ■
un pied et demi de plus que le jardinier. M.> de Genlis le consola, en lui apprenant qu’il avoit le droit, en l’absence de son frère, déjuger à mort tous les brigands du canton. On fit mon-tci* à cheval deux ou trois postillons, qui, une heure après, revinrent triomphans en ramenant le prétendu voleur chargé de chaînes, ce qui causa une joie scandaleuse à M. Tirmane. On retrouva tous les effets volés, et quelques louis de plus qu’on lui adjugea en forme de dédommagement. M. de Genlis, revêtu d’une robe noire, assisté du bailli du lieu et du barbier, s’enferma dans une chambre pour interroger et juger le criminel; pendant ce temps, je restai avec M. Tirmane et trois ou quatre personnes - Au bout d’une heure et demie, on vint nous annoncer que le criminel étoi( condamné à mort. « C’est bien fait ! » s’écria M. Tirmane en frappant dans ses mains ; je dis à M. Tirmane qu’il ne tenoit qu’à lui de se couvrir de gloire/en allant se jeter aux pieds de M.’ de Genlis pour demander la grâce du coupable; il y répugnoit un peu,< mais je lui fis entendre qu’il seroit récompensé de cette magnanimité; il y consentit sur l’assurance que nous lui donnâmes j que ce scélérat seroit
DK ar A DAME DE CHALIS. lÿ> enfermé pour sa vie dans la tour du château; alors M. Tirmane, rappelant tous ses sentlmens héroïques , alla se précipiter aux pieds du juge, et, avec l’emphase la plus comique, il implora la grâce du criminel ; M. de Genlis et ses ad-joints, pénétrés d’admiration, tirèrent leurs mouchoirs et fondirent en larmes; ensuite M. de Genlis lui dit qu’il étoit grand-maitre de ï ordre dit jugement, qu’il Fen recevroit sous vingt-quatre heures,' que cet ordre confé-roit la noblesse. M..Tirmane, à ces paroles, resta en extase; il a souvent répété depuis/ que ce moment fut le plus beau de sa Vie. A! l’égard du prisonnier, il fut condamné aux galères à perpétuité, ce qui fut approuvé par , M. Tirmane. La nuit suivante on fit laire à M. Tirmane lu veille des armes dans la cour du château, un fusil sur l’épaule, une'lanterne sourde à la .main , afin d’apprendre par cœur tout en se promenant| un catéchisme’-de chevalerie, composé par M. de Genlis, le plus plaisant et le plus ridicule qu’on puisse imaginer; il resta là jusqu’au grand jour , alors on le plongea dans un bain froid, après quoi on le revêtit do la robe blanche de candidat, c’étoit un grand peignoir’
1OMI I.
de M. de Genlis. Il y avoit à Chaumy, à deux lieues de Genlis; les régimens de Chartres et-de Conti, M. de Genlis avoit écrit à leurs colonels de venir avec des troupes pour honorer la réception du chevalier Tirmane; ils vinrent à midi avec une centaine d’hommes à cheval; tous les garçons du village / en vestes blanches ( ornées de rubans couleur de rose, étoient aussi dans la cour. Le candidat, pâle comme la mort et harassé de fatigue', fut amené dans une gande salle où j’étois assise2 sur un trône de feuillage et de fleurs, et entourée des officiers ’ des régimens de Chartres et de Conti, qui te-noientjeurs épées nues. M. de Genlis , conducteur du candidat, lui fit répéter son catéchisme, qu’il balbutia avec beaucoup d’émotion; lorsqu’il eut fini, M. de Genlis attacha à son peignoir avec un ruban vert,: une vieille médaille dorée du chancelier.de Sillery, que nous avions ; trouvée dans la bibliothèque; après ’ cela, le candidat mit un genou1 en terre de-• vant moi, et je l’armai chevalier en lui donnant une lance d’une longueur démesurée, et un casque qui étoit un seau à rafraîchir le vin, que j’avois recouvert de papier doré, et orné de plumes. On lui donna un autre pei-
DE MADAME DE GENLIS. ig$ gnoir pins magnifique, c’est-à-dire, tout surchargé de guirlandes d’œillets d’Inde ; dans ce galant équipage, le nouveau chevalier, ranimé par la gloire, descendit dans la cour pour y faire, au bruit des fifres et des tambours, la marche triomphale au milieu des troupes à cheval et des paysans quicrioient: Nivele noble chevalier Tirmane ! Tous ces honneurs le ren-doient si heureux, qu’il fondoit véritablement en larmes. Après cette cérémonie on dîna, on porta plusieurs fois sa santé j il mangea beau-eoup, et s’endormit au dessert, mais M. de Genlis le réveilla pour lui faire entendre des couplets qu’il avoit faits sür sa clémence. En sortant de table, on le conduisit à un bal champêtre qui dura jusqu’à onze heures. /Hors, comme il étoit de Yordre dit jugement, il fut obligé de juger plusieurs causes de paysans qui jouèrent parfaitement leurs rôles ; enfin , surchargé de gloire et mourant de lassitude et d’envie de dormir, il alla se coucher à une heure après minuit.
Ces scènes burlesques furent suivies d’une infinité d’autres queje me rappelerai toujours avec plaisir, mais qui tiendroient un volume entier si j’en donnois tous les détails : nous
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’ menâmes notre chevalier chez un de nos voisins, le marquis de Fiavigny. M. Tirmane trouva dans cc château la reine d'Aleada, qui lui donna avec beaucoup de cérémonies le titre, de Pon,"elle m’accorda en même temps* celui de Donna. Depuis.ce jour le chevalier don Tirmane ne m’a jamais appelé que la comtesse Donna. Après celte cérémonie, on lit retirer le chevalier dans une chambre, en lui disant d’y composer une harangue de remercî-ment pour la reine. Au bout d’une heure, admis au pied du trôue,‘ il dit; Princesse, je suis donc Don !........Il en resta là, et la reine lut très-satisfaite de cette exclamation, qui expri-• moit du moins une satisfaction très-sincère.
Ces folies durèrent trois mois, je n’ai jamais ' autant ri dans tout le reste de ma vie I Quand le’rire me gagnoit, je tirois de ma poche mon mouchoix’ que j’appliquois sur mon visage f et le chevalier don Tirmane croyoit que je pleu-rois d’attendrissement, ^et il étoit lui-même fort touché de l’extrême sensibilité de la comtesse Donna. Ce qu’il y eut de plus singulier dans cette longue mystification, c’est que les domestiques, les paysans, et tous nos voisins furent d’une égale discrétion, et qpe pas un
DE MAD IME DE GENLIS. *
*97 ne dit ii M. Tirmane un seul mot qui put le désabuser.'
Cependant, depuis que nous l’avions fait noble, il étoit devenu fort impertinent avec les domestiques, et en général avec tous les iotu-riers; mais chacun s’amusoit de sa crédulité, et on lui rendoit à l’envi tous les hommages qui pouvoient satisfaire et exalter sa vanité,-qui étoit extrême. M. de Genlis lui fit faire un habit très-ridicule qui mit le comble à son bonheur. Cet habit étoit brun, orné d’énormes brandebourgs d’argent, avec une veste garnie d’une longue frange brune et argent; on lui 1 donna un chapeau bordé d’un large point d’Espagne d’argent, et je lui fis présent d’une cravate de grosse dentelle, avec deux longs pans, surmontée d’un nœud couleur de feu. Il por-toit ce superbe vêtement les dimanches et les jours où nous avions du inonde, .sans oublier jamais de mettre à sa boutonnière sa grande médaille dorée, suspendue à un ruban vert. Un jour M. le comte de Barbançon, venant de Paris et ne connoissant point encore'le'chevalier don Tirmane, arriva à Genlis une demi-heure avant le diner ; M. de Barbançon étoit un homme fort grave, et nous ne pensâmes
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*9$ l" ~ ^^mémòiresj
point à le prévenir sur le personnage étonnant qu’il alloit voir, caí' M. Tirmane n’étoit point dans le salon; mais il apprit qu’un étranger -venoit d’arriver, et il s’empressa de mettre à la hâte son „bel habit, ensuite il vint dans le salon. A l’aspect de cette étrange figure, M. de Barbançon resta immobile; et M. Tirmane, se précipitant à l’oreille de M. de Genlis, lui demanda tout bas si cet étranger étoit un noble; sur la réponse de M. de Genlis, M. Tirmane, avec un ton dont rien ne peut donner l’idée, s’avança vers M. de Barbançon en lui disant gravement : Noble étranger} je vous demande
-l} accolade de la cuisse. La surpiise de M. de Barbançon fut extrême^ il regarda M. de Gen-‘ lis, qui avoit conseillé tout bas cette demande chevaleresque ; un signe mit au fait M. de Bar-bahçon, qui donna de fort bonne grâce Xac-
'colade de la cuisse. ^
■ ' Le chevalier' don Tirmane, voulant laisser à la postérité un monument immortel de tant " de faits merveilleux, employa ses talens à en tracer l’origine: il fit un tableau à l’huile en demi-nature qui le représentoit dans le bois de Genlis, auprès'du bel arbre nommé. Varbre des quatre frèresj dans'le moment terrible on
- DE MADAME DE GENLIS. 199, il fut volé et dépouillé, ainsi que l’intendant’ M. Blanchard. Au haut du tableau on voyoit un coin des cieux, et la Sainte Vierge dans une gloire qui lançoit sur M. Tirmane un faisceau de lumière ; il avoit placé un petit rayon sur la tête de M. Blanchard, ce qu’il appeloit un rayon de politesse, car il n’attribuoit qu’à ses seules prières lek miracle de sa délivrance.' Il vouloit que l’on plaçât ce tableau dans la chapelle de Genlis, en disant que toute la Picardie viendroit invoquer la Vierge du bois des Quatre-Frères, et que cela feroit tomber le pèlerinage de Notre-Dame-de-Liesse. Se lui représentai‘qu’il ne falloit lutter contre aucun pèlerinage, puisqu’on devoit les honorer tous. Je mis ce tableau dans ma chambre, je l’ai conservé très-long-temps, je Pavois encore au Palais-Royal, je ne sais ce qu’il devint depuis.
Le dénoument de l’histoire dc M. Tirmane est cc qu’il y a de plus joli dans ses aventures. 11 resta huit mois de suite à Genlis. Pendant „ce temps il écrivoit souvent à sa femme, qui "étoit à Saint-Quentin, pour lui faire part de son bonheur et de sa gloire. Sa femme, moins ciédulc que lui, l’assuroit dans ses réponses qu’on se moquoit de lui; il nous montroit ses
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lettres en riant avec nous de ce quil appeloit son incapacité fa comprendre des choses si relevées, et il ajoutoit rdl faudra bien qu’elle me croie quand-elle verra qu’en ma qualité de noble je ne paierai'plus les taxes de roturiers.-» « Assurément lui • répondoit M. de Genlis', et pour cela vous n’aurez qu’à montrer votre médaille et, vos diplômes de chevalier et de Don.» « Ce sera un beau moment pour moi, disoit M. Tirmane; comme les gros bonnets de Saint-Quentin seront capots ? quand ils me verront au-dessus d’eux tous! » et il en nommoit trois ou quatre qu’il se faisoit surtout un plaisir de confondre et de terrasser. Il partit enfin de Genlis et retourna à Saint-Quentin. Son premier soin en rentrant dans sa maison fut do faire mettre à genoux sa femme et ses deux filles, et de leur faire baiser sa médaille-. Le lendemain il alla à TRotel-de-VilIe décoré de son ordre ; il montra gravement ses diplômes et un brevet de la reine d’Alcala qui lui donnoit le titre de Don , et celui de son premier peintre honoraire. Ensuite il déclara qu’il ne paie-roit plu si a taille. On trouva sa folie si plaisante, qu?on voulut la lui laisser, et on l’exempta en effet de toute imposition; alors madame Tir-
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DE MADAME DE GENLIS. 20j mane et ses filles ne doutèrent plus de la réalité delous ses récits. Toute la ville de Saint-Quentin se fit un amusement de cette mystification ; le noble chevalier don Tirmane fut invité à dîner partout, et traité avec le plus grand respect, ce qui dura douze ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort. Quoique j’aie supprimé mille incidens, et tous les détails de cette folie, je sens qu’elle tient encore trop de place dans ces mémoires.. Mais je me rappelle avec complaisance ce temps d’une gaieté si vive et si*franche, ce temps où j’ai ri de si bon cœur, ce temps enfin où l’avenir, le terrible avenir, étoit couvert pour nous* d’un voile impénétrable. • , ■ ’
Mon beau-frère revint à Genlis; nous jouâmes la comédie, et nous donnâmes des fêtes pendant plus de quinze jours. Ł , - • rJ Durant ce temps je m’occupois toujours; je fai soi s de la musique quatre on cinq heures ( par jour; j’écrivois à ma mère et à madame de Montesson, qui me répondoit d’une manière fort aimable, et j’écrivois un journal de tout ce qui se passoit au château ; les aventures de M. .Tirmane m’avaient fourni plus d’un gros volume. J’avois grande envie de m’instruire;
aO2“*^T^_.. MÉMOIRES
la bibliothèque de Genlis étoit fort considérable.-Le feu marquis de Genlis/ homme très-grave et très-pieux, en avoit fait une moitié^ et mon beau-frère en a voit J'ai t l’autre, entièrement composée de romans. J’eus le bon esprit de préférer,les livres"amassés par mon beau-père/i c’est-à-dire , les livres de piété, d’histoire,^ de morale J et quelques théâtres. Mais pour l’histoire, j’étois si ignorante, que je ne savois par. où commencer. Un livre de géométrie me tomba sous la main ; je vis dans l’avertissement qu’il étoit d’une telle clarté, qu’un enfant de douze ans l’entendroit. Je me miś à le lire avec avidité, et comme je n’y compris rien du tout, j’en conclus que je n’a-vois pas le sens commun/ce qui me jeta dans un extréme découragement/ Je fis part de mon chagrin à M. de Genlis / le priant de m’expliquer ce livre; il rit dc~ma simplicité, et m’apprit que, pour comprendre cet ouvrage, il falloit avoir quelques notions de géométrie. Alors je renonçai aux livres de sciences, et. je lus VHistoire romaine de Laurent Échard; il auroit fallu commencer par l’histoire ancienne, mais, faute de guide/je ne mettois aucun ordre dans mes lectures/ce qui/ dans ces com—
DE MADAME DE CENEIS. 20Í» mencemens d’études suivies, m’a fait perdre beaucoup de temps.
M. de Genlis fit une course à Paris, et en ramena M. de Sauvigny (dont j’ai déjà parlé), auteur de Blanche Bazu, et de quelques ouvrages dramatiques, et Provaire, le fameux hautbois. Je jouois de la harpe d’une manière étonnante et unique alors, mais je dé— chilfroîs fort mal. Provaire étoit admirateur passionné de mon talent, et il fut irès-surpris de me trouver si- peu musicienne, d’autant mieux que je jouois fort bien de cinq ou six autres instrumens; il me conjura de déchiffrer tous les jours une’heure; je n’y manquai pas, et en moins de six mois je déchiffrai tout à livre ouvert, et les pièces de clavecin les plus difficiles, et j’ai poussé ce talent aussi loin qu’il peut aller \ ., ( d
* 1 Je dirai ici pour ceux qui jouent des instrumens, ce que je pense à cet égard et ce qui m’est particulier. Voici, lorsqu’on veut jouer supérieurement d’un instrument, cominenl il faut s’y prendre pour apprendre à déchiffrer je suppose, par exemple, qu’on veuille jouer de la harpe au plus haut degré de perfection. D’abord, il faut, comme je l’ai dit la première , dan r Adèle et Théodore (et vingt ans avant M. Adam) ’ ne faire jouer pendant six mois que des passages bien combines , cl des deux,
, Les conversations et les conseils de M. de Sauvigny me furent très-utiles dans un autre mains. En même temps faire connoître le clavier du piano et lire et étudier la musique sur cet instrument, où tout, se démontrant clairement à l'œil , se grave ineffaça-blcment dans la tète. Au bout de six mois j à trois quarts d'heure d’étude par jourf on commencera à déchiffrer des pièces aisées sur le piano , et tous les jours quelque chose de nouveau trois quarts d’heure ou seulement une demi-heure, et on apprendra sur la harpe une pièce ; on la répétera jusqu’à ce qu’on la sache parfaitement. On en apprendra ainsi une douzaine’ progressivement plus difficiles , répétant toujours les anciennes , et l’on se l-Fr V
tiendra à ce répertoire jusqu’à ce qu’il soit parfait, et en continuant toujours les passages séparés des deux mains. Cela durera dix-huit.mois , alors on commencera à déchiffrer sur la harpe tous les jours une heure , en gar-dant et entretenant son répertoire et laissant là le piano, c’est-à-dire n’en jouant plus qu’un quart d'heure par jour pour s'accompagner par la suite ? ou pour jouer de petits airs. Après avoir déchiffré ainsi pendant six mois , on déchiffrera supérieurement et sans avoir rien perdu du fini de son jeu , parce qu’on n’aura jamais été arrêté par un passage difficile T et qu’on aura d’avance connu parfaitement ce que c’est que de mettre ensemble. Parla manière ordinaire 5 déchiffrer fait perdre du temps pour la peifection du jeu , accoutume à barbouiller et arrête dans tous les passages difficiles, parce que les doigts, n’é-hnt pas assez exercés, s’y refusent. Ainsi, par les moyens
DE MADAME DE GENLIS. , 2o5 genre. Il avoit en littérature un goût très-pur; il a beaucoup contribué à former le mien, en r ł
que j’indique, en deux ans et demi on jouera de la harpe dans le dernier degré de perfection , on déchiffrera supérieurement et l’on aura sur le piano un joli talent de société, que l'on pourra perfectionner en peu de temps si l’on veut, d’autant mieux qu’il est certain que la harpe sert beaucoup pour le piano. J’avois à Berlin, il y a vingt-cinq ans, une amie charmante, âgée de vingt-huit ans et aveugle depuis quatorze ; elle étoit néanmoins Irès-honnc musicienne; elle chantoit d’une manière ra-vissante, et elle jouoit très-agréablement du piano ; elle me conjura de lui apprendre à s’accompagner de la harpe, et je m’occupai i chercher les moyens de lui abréger l’ennui des premières études, si pénibles surtout dans sou état. J’inventai et je Gs faire pour elle un petit instrument muet j un peu plus long que le doigt et seulement assez large pour contenir trois cordes à boyau de moyenne grosseur , bien tendues et placées à la distance observée sur la harpe. Une petite bande d’écarlate posée sur ces cordes , en ôte absolument toute espèce de son. Une des grandes difficultés de la haçpe est de bien faire les ca-dences , c’est-a-dire , non du huas, comme font certains professeurs , mais uniquement des doigts et en tenant le bras immobile; car ce n’est qu’ainst qu’on petit les faire liées et brillantes. ' ,
J’invitai mon amie à. commencer par faire des cadences de tous les doigts et des deux mains sur le petit instru-ment, ce qu’elle fit avec une ardeur incroyable. Elle
fortifiant par dc très-bons raisonneméns mon aversion naturelle pour l’emphase, l’alTecta-_ 4
lion et les faux brillans. Tous lesjours, en revenant deja promenade,^nous faisions tout haut une lecture d’une heure ‘ M. de Sauvi-gny, M. de Genlis ”et moi. Nous lûmes ainsi dans l’espace dé quatre mois^ les Lettres pro-portait toujours avec elle cet extrait de harpe, qui dans son sac teüoit moins de place qu’un éventail; elle en jouoit durant les visites et souvent sans qu’on s’en aperçut, en le cachant sous son schall. Au bout de quinze jours , ses doigts étaient parfaitement déliés et disposés comme je le désirois; alors je lui fis faire une autre harpe toujours en miniature et muette , mais plus grande et portant seize > cordes ?" sur laquelle je lui fis faire des gammes, des arpégemens et des mouvemens des cinq doigts de chaque main : les plus difficiles dont j’ai fait le calcul. Cet exercice, presque toujours fait en voiture ou durant les visites , fut infiniment plus profitable en deux mois que n auroient pu l’être en six les études ordinaires de petites pièces de commençans , jouées cinq heures par jour, et qui nauroient familiarisé avec aucun mouvement difficile, en supposant même qu’on eut adopté la méthode que j’ai proposée jadis, assurément préférable à fan^ienne , et qui consiste à ne faire d’abord sur la harpe que des passages des deux mains ; car s’entendre dans ce cas est d’un ennui presque insurmontable ! peu de per-sonnes ont assez de patience pour pouvoir répéter ainsi
- * DE MADAME DE GENLIS. 20/ Ai
ríndales, les Zettres de madame de Sévigné, cl tout le Théâtre de Pierre Corneille. En outre je continuois mes lectures dans ma chambre, et le temps s’écouloit pour moi avec autant d’agrément que de rapidité* Un chirurgien de la Père, nommé M. Milet, venoit toutes les semaines à Genlis j je repassai avec
le même passage une heure de suite, au lieu que sur le petit instrument muet on ne s’en aperçoit pas; et quand on a eu les doigts posés dans de bons principes , l’habi-tude, en très-peu de jours, les fait aller machinalement et parfaitement bien ; comme le son n’importune pas , on répétèrent ces passages des heures entières sans fatigue, et Ton peut les répéter tout en causant ou en se faisant lire tout haut. Il est de fait que cette élude avance le talent ou fentretient beaucoup mieux que celle des pièces, parce qu’on ne répète que des traits d’une extrême difïi-cuité, et que dans les pièces il s’en trouve toujours un grand nombre de tyès-faciles.«Après avoir joué pendant deux mois et demi, avec la même ardeur , sur le second petit instrument muet, mon amie, par mon conseil, prit mes leçons sur une véritable harpe : alors elle confondit lont le monde par l’étonnante rapidité de ses progrès ; en moins de six mois d’étude et de leçons sur les petites et h grande harpe, elle accompagnoit i ravir, et en jouant d'un.beau* mouvement les ritournelles les plus ornées, remplies de cadences , de roulades, etc. ^
(Noie île lautcm J rt
208^ JV:. ’ .MÉMOIRES .-;-¿ lui "mes anciennes leçons d’ostéologie f et de ‘ plus, j’appris à saigner, talent que j’ai depuis perfectionné tout-à-fait, grâce aux leçons du fameux Chamousset/. J’appris aussi à panser des plaiésT Enfin je ne perdois pas une occasion d’acquérir ; de* l’instruction, de quelque genre qu’elle fût.’ Avec ce désir naturel de m’instruire ,. les conversations de nos vieux voisins ne m’ennuyoient pas du tout; ils par-loient d’agriculture/je les écoutois avec attention ; je questionnois sur ce que je ne compre-nois pas, et chaque^entretien m’apprenoit
^ \ Chamousset s'éleva le premier , avec force , avec persévérance/contre l’usage cruel d’entasser les malades dans les hôpitaux, et d’en placer plusieurs dans le même lit. Il fit de sa maison un hospice de véritable charité où cent malades, de toutfsexe et de tout âge , étoient reçus et traités par scs soins et à ses frais* Il loua, à la barrière de Sèvres , une maison pour servir de modèle d’hôpital ; et le succès de sa méthode opéra la réforme de FHôlel-Dieu j où enfin chaque malade eut un lit séparé, Cha-, mousset a écrit sur les hôpitaux militaires et sur divers . objets d’utilité publique. Plusieurs de ses plans furent adoptés , un plus grand nombre resta dans l'oubli ; ils méritent den être tirés. Des milliers d’hommes inutiles
meurent pleins de jours, Chamousset ne vécut que quarante-six ans , il est mort en 1770.
* \Æ ^ " -i ( Note de Podileni.)
DE MADAME DE GENLIS. 209 quelque chose. Je me suis conduite ainsi toute ma vie,* et il est étonnant qu’avec cette conduite soutenue et une très-belle mémoire, je n’aie pas acquis par la suite une instruction beaucoup plus étendue et plus extraordinaire que celle que j’ai eue. C’est qu’un goût dominant ne permet pas que rien de ce qui lui est étranger • se grave profondément dans la tête; ce sont nos pensées habituelles, nos réflexions journalières qui forment notre genre d’instruction. Je n’ai été étrangère à rien, j’ai pu parler passablement de tout, mais je1 n’ai su parfaitement que ce qui se rapportoit aux beaux-arts, à la littérature, à l’étude du cœur humain, parce que telles étoient mes • passions, et que je n’ai véritablement réfléchi qu’à cela.’Aussi ai-je remarqué que les personnes d’un savoir prodigieux par l’étendue et la variété des connoissances, avoient toutes la tôle et l’imagination froides, et étoient incapables de se passionner pour un art ou une étude particulière. Dans ce temps j’appris à monter à cheval, et d’une singulière manière. Jeme baignois, et on alloit 'chercher, pour mes bains, de l’eau dans une rivière à une demi-lieue. Un seul cheval de charrue irai-
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2IO^V ' y MÉMOIRES ^/^¿i, ^ * \ -^ J - y.
noit le tonneau que l’on devoit remplir d’eau; Un jour que j’étois seule au château, je vis par ma fenêtre’le charretier Jean partir, conduisant à pied son équipage. Il me parut charmant de monter'sur ce gros cheval, et d’aller ainsi chercher mon eau moi-même. Je descendis précipitamment dans la cour, et je fis cette proposition à Jean/ qui la trouva apparemment assez simple, car sans aucune représentation ’il m’établit jambe de ci, jambe de là, sur le cou de son cheval, et nous partîmes. Je trouvai cette promenade si agréable, que pendantdix ou. douze jours je n’en fis pas d’autres. Je pris ainsi un grand goût d’équitation, et l’on me permit de monter un vieux petit cheval1 gris qui avoit encore de bonnes jambes; on me fit faire un habit d’a-mazonej et l’on me trouva si bien à cheval, qu’on me donna un grand beau cheval navar-rin, qui, quoique plus vieux que moi, avoit une grande vitesse et des jambes très-sûres. Bientôt on me reprocha d’aller beaucoup trop vite, et on eut beau me le défendre, je ne pou-vois obéir, parce que régulièrement dans mes courses mon cheval m’emportoit malgré moi, et mon ignorance me donna la réputation.
DE MADAME DE GENIUS. *2U d’une inconcevable hardiesse, et d’une mauvaise tête. Quelques mois après, M. Bourgeois, ollicier de fortune en garnison à Chauny, et un très-grand homme de cheval, me trouvant parfaitement posée, voulut me donner des leçons;. j’en pris tous les jours pendant huit mois, et je devins très-habile. Cet exercice, que j’aimois passionnément, fortifia beaucoup ma santé. Nous faisions souvent de très-longues chasses de sanglier. Un jour j’imaginai de me perdre exprès, dans l’espoir qu’il m’ar-riveroit quelque aventure extraordinaire; je m’échappai à toutes jambes. J’avois un très-bon cheval à moi qu’on m’avoit donné, et que m’avoit choisi M.Bourgeois. Jem’enfonçai dans des routes détournées,' ayant bien soin de tourner le dos à la chasse, et de fuir le bruit des chiens et des cors. Bientôt j’eus la satisfaction de ne plus rien entendre et de me trouver dans des lieux tout-à-fait inconnus. Je poussois toujours mon cheval au galop ; ce que je désirois étoit de rencontrer un château que je n’eusse jamais vu, d’y trouver des ha-bitans pleins d’esprit et de politesse me donnant l’hospitalité. Au bout de trois heures, courant toujours au hasard, cherchant vai-
nement un château, je-commençai à m’in-' quiéter ,. j’imaginai' que j’étois au moins’à ' douze lieues de Genlis; j’avois faim, je ne voyois point de gîte4, et je m’avisai tout à coup de penser que l’on étoit au château de Genlis dans dè vives alarmes ; enfin, après avoir erré encore long-temps*, je rencontrai un ¡Bûcheron qui m’apprit à mon grand étonnement queje n’étois qu’à trois lieues de Genlis. Je lui demandai de m’y conduire ; il fallut aller au pas , et je n’y arrivai qu’à la nuit fermée5On avoit envoyé de tous les côtés, dans1 les'bois immenses de Genlis, des hommes . à cheval sonnant du cor ; M. de Genlis étoit aussi à ma poursuite et ne revint qu’une heure après moi. Je fus horriblement grondée; et je le méritois; j’eus la bonne foi d’avouer que jem’étois perdue à dessein , et je donnai ma parole qu’à l’avenir je ne chercherois plus des terres inconnues.
Ma témérité à cheval pensa plus d’une fois' m’être funeste ; il est certain qu’il n’y a jamais eu de jeune homme étourdi plus hasardeux : que moi dans ce genre ; mais le courage et la ; présence d’esprit tirent de tout. - -- L-
Cette nouvelle passion ne me fit négliger ni ' la musique, ni l’étude ; M. de Sauvigny me
guidoit dans mes lectures j je - faisois des extraits ; j’avois trouvé , dans ’ les • offices , un grand livre in-folio destiné à écrire les comptes de la cuisine ; je m’en étois emparée, et j’écrivis dans'ce livre un journal très-détaillé de,mes occupations et de mes réflexions, avec l’intention de le donner à ma mère, quand il seroit rempli \ J’y écrivois tous les jours quel-’ ques lignes, et quelquefois des pages entières. Ne négligeant aucun genre d’instruction, je tàchois de me mettre au fait des travaux champêtres et de ceux du jardinage ; •j’allois voir faire le cidre, j’allois aussi visiter tous les ouvriers du village . lorsqu’ils travailloient, » le menuisier, le tisserand, le vannier, etc.J’ap-prenois à jouer au billard et quelques jeux de cartes, le piquet, le reversi, etc. M. de Genlis dessinoit parfaitement à la plume la figure et le paysage ; je commençai à dessiner et à peindre
t 1 En effet je remplis toutes les grandes pages de ce livre ; je le donnai à nia mère qui le lut avec plaisir * et qui dit qu’elle le conserveroit soigneusement. Il étoit écrit avec une naïveté qui n'étoit pas sans intérêt ; je le vis encore entre les main’s de ma mère ù Belle-Chasse : cependant après sa mort il m’a été impossible de le retrouver* Je l’ai regretté , c’étoient mes premières pensées raisonnables. ’ / - ‘ “ (Xot« de l'auteur,)
r
des fleurs, J’écrivois beaucoup de lettres : tous les jours à ma mère, trois fois par semaine à madame de Mon te s son/ quelquefois à madame de Bellevau, ? et assez' souvent à madame de Balincour. En outre, j’ayois un commerce de lettres très-suivi avec une dame que j’avais vue àOrigny, et qui demeuroit à Valenciennes. Je pris ainsi l’habitude d’écrire avec une grande facilité. Un poëte de la connoissance de mon beau-frère vint passer trois mois à Genlis; il s’appeloit M. Feutry \ Il étoit connu par un assez bon morceau de poésie intitulé les T’orna beaux, dans lequel on trouvede très-beaux vers. j.1 Feutry, néàlille eu 1720, mort à Douai en 1789; il avoit été reçu «avocat au parlement de cette ville. C’est dans cette pièce de vers que l’on trouve un voyageur qui s’arrête pour lire l’épitaphe, remplie de louanges, d’un grand seigneur vicieux ; le voyageur indigné s'interrompt en 5écriant:~ ~
«.............Taisez-vous , imposteurs !'
» Eh quoi! des os en poudre ont encordes flatteurs ?... »
On a aussi retenu de ce poete, ce vers sur le temple do la mort : - ',
< Le temps qui détruit tout en aflumit les murs, jj
^' Il setoit formé à Fécole de la littérature angloise dont il a traduit un grand nombre d’ouvrages. Le plus célèbre est T ingénieuse fiction de Robinson Crusoe. Lą traduction de 42e livre est aussi le seul ouvrage de Feu-try qui lui ait survécu. ^ (Note de repleut. }
*^ UE MADAME DE GENLIS, 315 - Le hasard qui, dans le cours de ma vie, a fait passer sous mes yeux tant de scènes diverses et singulières, me fit voir dans ce temps un spectacle extraordinaire et bien effrayant. J’ai déjà dit que le château de Genlis étoit tout entouré d’étangs immenses ; nous avions une vieille voisine, la comtesse de Sorel, dont l’habitation étoit aussi environnée d’étangs, et son château étoit situé sur un terrain élevé, de manière que ses étangs dominoient sur les nôtres. La comtesse de Sorel n’ayant pas voulu par avarice, et malgré les représentations du marquis de Genlis, faire faire à ses étangs des réparations indispensables, leurs eaux grossies par les pluies rompirent tout à coup leurs digues délabrées, et débordèrent dans nos étangs, qu’elles firent déborder aussi, MM. de Genlis'étaient à la chasse, j’étais dans ce moment seule au château ; j’entendis des cris perçans et un grand mouvement dans ( toute la maison, j’ouvris ma fenêtre qui donnoit sur la cour; quelle fut ma surprise en voyant’ cette immense cour totalement remplie d’eau, qui s’agitait et faisoit du bruit comme si elle eût été bouillante ; elle étoit déjà à la moitié ! des hautes fenêtres du rez-de-chaussée. Le
’ concierge, suivi de plusieurs domestiques, entra en courant dans ma chambre / en me disant ; qu’il falloit monter au grenier, ce que je fis précipitamment: On sonna le tocsin, tout le village se rassembla en un clin d’œil, afin de faire, dans la terre, des saignées pour laisser écouler les eaux," qui emportèrent toutes les maisons qui étoient sur une chaussée, au bord des étangs. L’eau monta dans notre cour jusqu’au premier étage; dans le jardin, elle monta dans les allées jusqu’à huit pieds de haut; on put le savoir le lendemain par les traces de boue qu’elles laissèrent sur les charmilles. Le jardinier avoit soixante ruches de mouches à miel, qu’il n’eut pas le temps de sauver, qui furent emportées et perdues ; je vis parfaitement du grenier cet imposant spectacle. Personne ne périt, mais le dégât fut affreux; madame de Sorel perdit tout son poisson qui, en grande partie, tomba et resta dans nos étangs ; l’autre partie se répandit sur la terre,“dans nos prés, etoù les paysans en ramassèrent peu-dant plusieurs jours. Madame de Sorel, outre cette perte, fut obligée de donner douze mille francs de dédommagement aux propriétaires des maisons emportées. Mon beau-frère ^malgré
l’héritage de scs poissons, auroit pu aussi demander desdédommagemens; et, s’il ne lui en eut pas fait grâce, elle eût été ruinée par cette aventure, uniquement causée par son avarice. J’ai encore vu depuis, à, Hambourg, une autre inondation. J’avois été témoin dans mon enfance , à Saint-Aubin , un an avant de le quitter, d’un grand incendie, causé par le feu du tonnerre qui tomba sur les granges et la métairie de Sept - Fonts, qui furent consumées en une demi - heure.* Je vis parfaitement cet incendie, placé en face de la première cour de notre château, et dont nous n’étions séparés que par la Loire. J’ai vu tomber le tonnerre de très—près dans les étangs de Genlis. AVillers—Gottcrets,, j’ai vu un soir; avec ccnt personnes, le fameux globe de feu qui, cette année, causa tant d’effroi. J’ai vu à Saint-Leu, pour la seconde fois'de ma vie, une grêle extraordinaire, et à l’Asenal une trombe de terre qui enleva un jeune homme de quinze ans, et le transporta à cinq cents pas sans Le tuer. J’ai essuyé une grande tempête,sûr mer; j’ai vu à Origny une véritable éclipse de soleil, et enfin, deux comètes.,C’est un,cours pratique d’histoire naturelle, -if ne m’a manqué qu’un
2l8X^ i~ MÉMOIRES ^¡>4 “^% - i tremblement de terre et une éruption dù Vésuve. * \ * :4s
^, Au commencement, de l’automne nous allâmes à dix lieues dé Genlis, chez madame la marquise de Sailly? cousine de M. de Genlis, et fille du marquis de Souvré/ frère de madame de Puisieux. Je fus reçue dans ce château avec toute la cordialité possible. Je rencontrai là M. .de Souvré que j’avois vu dans mon' enfance chez madame de Bellevau. Il me lit mille amitiés vct il a beaucoup contribué • à hâter le raccommodement dc M. de Puisieux -avec M. deGenlis. De Sailly, nous allâmes au •Frétoy chez madame la comtessed’Estourmelle, - autre'parente de M.'de Genlis; nous y fâ-- mes reçus avec la même amitié. Mais une heure après mon arrivée, j’éprouvai une étrange contrariété. Madame d’Estourmelle, âgée de •cinquante-sept ans 7 avoit un fils unique de cinq ans.^Cet Isaac^de. cette ‘ moderne Sara étoit l’enfant le plus gâté et le plus insou-■ tenable que j’aie jamais rencontré. On lui per-J mettoit tout, on ne lui refusoit rien, il étoit le maître absolu du salon et du château. M. Emmanuel de Boufllers à pu seul depuis rappeler cette singulière éducation? J’arrivai au
DE MADAME DE GENLIS, ' 2IQ Frétoy deux heures après le diner; il y avoit beaucoup de monde de Paris. J’avois un chapeau de villageoise, comme on disoit alors; il étoit neuf, tout couvert de fleurs charmantes et attaché sur l’oreille gauche avec beaucoup d’épingles. A peine étois-je assise que le terrible enfant du château vint m’arracher des mains un superbe éventail, et le mit en pièces. Madame d’Estourmelle fit une petite réprimande à son fils, non pas d’avoir brisé mon éventail, mais de ne pas me l’avoir demandé poliment. Un instant après l’enfant alla confier à sa mère qu’il avoit envie de mon chapeau ; « Eh bien, mon fils, répondit gravement madame d’Estourmelle, .Allez le demander bien honnêtement. » Il accourût aussitôt vers moi en disant : a Je veux votre chapeau. « On le reprit d’avoir ditye veux, c’est ce que sa mère appe-loit ne lui rien passer. Elle lui dicta sa formule, de demande: «Madame, voulez-vous bien avoir la bonté de me prêter votre chapeau. » " Tout ce qui étoit dans le salon se récria sur cette fantaisie, la mère et l’enfant y persistèrent ; M. de Genlis s’en moqua un peu aigrement, je vis que madame d’Estourmelle alloit se fà-cher ; alors je me levai et sacrifiant généreuse-
E
ment mon joli chapeau /j’allai prier madame d’Estourmelle de le détacher, ce qu’ellé fit avec empressement, car l’enfant s’impatientoit violemment. Madame d’Estourmelle m’emhrassa, loua beaucoup ma’ douceur, ma complaisance et mes beaux cheveux. Elle soutint que j’étois cent fois mieux sans chapeau, quoique je fusse tout ébouriffée, et que j’eusse une figure très-ridicule, avec une grande parure et cette coiffure en désordre. Mon chapeau fut livré à l’enfant sous la condition de ne pas le gâter. Mais en moins de dix minutes le chapeau fut déchiré, écrasé, et hors d’état d’être jamais porté. J’eus grand soin les jours suivans de me coiffer en cheveux sans chapeau et sans fleurs. Mais' par malheur cet enfant gâté étoit reconnoissant; il s’attacha à moi avec une passion démesurée, et ne voulut plus me quitter;„dès que j’étois dans le salon il s’établissoit sur mes genoux; il étoit fort gras et fort lourd, il m’assom- * moit, chiffonnoit mes robes, et même les dé-chiroit en posant sur moi des quantités de jou- -joux. Je ne pouvois ni parler à qui que ce fût/ ni entendre un mot de conversation, et il m’é-/ toit, impossible de m’en débarrasser même pour jouer aux cartes.. Dans tous mes petits .voyages’
UE MADAME DE GENLIS. ' J22I je portais toujours ma harpe, ou voulut m’entendre, il n’y eut pas moyen, tandis que je jouois,-d’empêcher l’enfant (qui se tenoit debout près de la harpe) de jouer aussi avec les cordes de la basse; ce qui formoit un accompagnement peu agréable. Lorsque j’eus fini on vint prendre ma harpe pour l’emporter, l’enfant s’y opposa en faisant des cris terribles. La harpe resta, il en joua à sa-manière, il égratigna les cordes, en cassa plusieurs, et dérangea totalement l’accord.' Quand on re-présentoit à madame d’Estourmelle que cct enfant devoit m’importuner beaucoup, elle me demandoit si cela étoit vrai, et ellcprenoit au . pied de la lettre la politesse de ma réponse, en ajoutant qu’à mon âge on étoit charmé d’avoir un prétexte de s’amuser d’une manière enfantine, et que je formois avec son fils un ta-~ blea.it délicieux. Au vrai cet enfant ne m’étoit pas aussi désagréable que tout le monde le croyoit, non'que j’aimasse ' ses jeux, mais sa personne m’intéressoit et me divertissoit. ‘ Il étoit joli, caressant, original, et il n’avoit rien de méchant. - Avec une éducation passable on en auroit facilement fait un enfant char-. mant. Sa pauvre mère a bien payé la folie de cette
mauvaise éducation ; l’année d’ensuite l’enfant, pour la première fois de sa vie, eut un peu de fièvre; il refusa toute boisson,"et demanda avec fureur les alimens les plus malsains ; une lé- ■ gère indisposition devint une maladie sérieuse, et bientôt mortelle, parce qu’il fut impossible de lui faire prendre une seule drogue, et que toutes les tentatives en ce genre lui causoient des accès de colère qui alloient jusqu’aux convulsions. Il mourut à six ans, et il étoit naturellement très-robuste et parfaitement bien constitué!.- - l'^Z: 1 J
En retournant à Genlis par Péronne mon beau-frère tomba dangereusement malade dans cette ville d’une fièvre putride. M. de Genlis fit appeler sur-le-champ le plus célèbre médecin de la ville, celui-ci demanda aussitôt à faire une consultation avec "un autre médecin de Péronne, et le résultat de la consultation fut que l’un déclara que si le malade n’étoit pas saigné sous vingt-quatreheures, sa mort étoit certaine, et l’autre soutint que la saignée seroit mortelle. Comme frère et comme le seul héritier de deux cent mille livres de rentes, (la terre de Genlis et la substitution de celle de Sillery), M. de'Genlis se trouva dans le
plus affreux embarras. Il prit son parti sans * balancer; mon beau-frère n’avoit confiance qu’en son médecin , un Allemand nommé Weiss 1 ; il étoit à Paris; mais nous calculâmes que l’on pouvoit avoir sa réponse sous vingt-quatre heures. M. de Genlis, sous la dictée des médecins, écrivit l’état du malade et la consultation; , il conjuroit ? Weiss de venir à Poronne, ou du moins d’envoyer son avis. Ensuite il fit partir à franc-étrier celui de nos gens qui couroit le mieux la poste, en lui ordonnant d’aller ventre à terre et de revenir de même. M. Weiss ne voulut pas faire le voyage , mais il envoya une excellente consultation qui défendoit expressément la saignée. Le courrier revint en dix-neuf heures; le marquis de Genlis fut sauvé, et dut la vie à son frère. Nous restâmes vingt-deux jours àPéronne, à l’auberge de la poste. J’y montois à cheval tous les jours ; les dames des châteaux d’alentour m’envoyoient des fruits, du poisson, des légumes et des fleurs ; ayant de partir j’allai
1 G’est ce même médecin qui a trouvé la composition d'un spécifique certain pour les laits répandus des fem-mes en couches. -
; ( Noir du raufpur ) r> *
les remercier. Je mangeai là des poires et des pêches excellentes. Peu de temps après notre retour à Genlis^ mon beau-frère, à peine'con^ valescent, partit pour Paris, et nous allâmes, ^ M. de Genlis et moi," à Arras,"où étoit le régiment des grenadiers de France. Le comte de Guines ( depuis duc - de Guines ) y avoit une
’ superbe maison qu’il me prêta. J’y restai trois semaines, je m’y amusai beaucoup; on m’y adonna de charmantes fêtes. Les officiers' des grenadiers de Fi ance jouèrent pour moi la comédie sur le théâtre de la ville; on me donna des bals parés et masqués. Un sous-lieutenant, M. de Saint-P***, que j’ai depuis rencontré dans le monde, étoit très-occupé de moi ; voulant profiter d’un bal masqué pour m’appro-’ cher librement / il imagina de se déguiser en muet; il ne me quitta pas durant tout le bal, en ne me disant jamais que ha, ha, ha,ten me montrant sa bouche pour me faire comprendre, qu’il étoit muet. Je partis d’Arras à deux heures après minuit,_ pour sauver un déserteur qui devoit être fusillé le même jour à dix heures du matin. Le chevalier de Mouchât, major des grenadiers de France,' s’inté-ressoit vivement à cet infortuné; il trouva le
moyen, de concert avec M. de Genlis , :sans ,^ ’ se compromettre, de le faire évader de prison',’ -à onze heures du soir, de l’amener dans notre maison , où on l’enferma dans le cabinet de M. de Genlis. M. le comte d’Audick me don—_ * noit un souper dansant; j’y fus d’une extrême distraction, ne pensant qu’à notre déserteur- -que j’avois peur qu’on ne nous reprît. Je quittai la fête à minuit et demi. Nous avions fait demander les portes au commandant pour deux.' ' heures : on ne pouvoit les ouvrir à une telle ~ heure dans une ville de guerre qu’avec une permission particulière. M. de Genlis fit prendre au déserteur un habit de sa livrée ; nous partîmes à une heure et demie; le déserteur monta derrière notre voiture. En. passant la porte de -laT ville, je n’avois pas une goutte de sang dans les, veines , tant je, craignois pour ce pauvre déserteur. A quatre lieues d’Arras, il’ trouva un cheval* sur la grande route ; nous nous arrêtâmes ; il vint à la portière pour nous f remercier; je pleurois de joie de le voir sauvé ! M. de Genlis me dit de l’embrasser, ce que je fis de tout mon cœur. Contribuer à sauver la vie d’un homme est un bonheur qui laisse un souvenir ineffaçable. *
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Z ¿ZZ- - 22$ - fe*^’K^ MEMOIRES ą .... .^^ ' .
æ": fe Eri arrivant à Genlis , des. lettres de Paris ^y'i' -'/nous apprirent que mon beau-frère étoit re-? HÍ Vj?tombé dangereusement malade. M. de Genlis 1 /*-J% partit sur-le-champ pour Paris. Il m’a voit pro-^ J" ;^ mis de m’écrire ,’deux postes arrivèrent sans *V- ^ m’apporter de nouvelles ; alors je dis à M. Blan-7- ;." - chard que j’étois fqrt inquiète, et que je vou-^ - ~ - |ois absoiument aller à Paris. On avoit emmené
y - - _- toutes les,voitures / il ne restoit qu’une petite
- ' voiture de chasse très - fragile, en mauvais
■ ’ r ., état, et. dont on avoit besoin au château. Je
J ^¿ . '* promis de ne la .prendre que pour aller jusqu’à ^r r " Noyon ( à quatre lieues de Genlis), je dis que - ‘ “ je me flattois de trouver dans cette ville une ' ^voiture'à louer. M/Blanchard me donna dix
.^‘T louis pour mon-voyage/"et je partis sur-le-~ ‘ champ avec mademoiselle Victoire, et un do
mestique à cheval." Au vrai/j’avois beaucoup moins d’inquiétude, que de désir de faire une
L course à Paris. Au fond de l’âme, je ne croyois pas trouver de voiture à Noyon ,.• mais j’étois ; décidée à partir de là à franc-étrier pour me
* T Tendre à Paris , et, en conséquence, je mis un ; habit de cheval, avec ma jupe d’amazone, que
, / je me promis de quitter en sortant de Noyon.
Arrivée à Noyon à quatre heures après midi,
DE MADAME DE GENLIS. 227 au mois de novembre, le maître de posté me dît qu’il n’avoit point de voitures; j’en fus 1 charmée intérieurement ; je demandai trois chevaux de poste, un pour moi, un1 pour . mon laquais, et le troisième pour ma femme de chambre. A ces mots, mademoiselle Victoire éclata de rire, croyant que c’étoit ? une plaisanterie; je l’assurai d’un ton si ferme’; que telle étoit ma volonté ,* du moins pour moi, quelle n’en douta point; elle resta stupéfaite. Je lui dis cependant qu’elle étoit maî-L tresse de ne pas me suivre, j mais que j’étois décidée à partir ainsi. Elle avoit monté à cheval eh partie de plaisir plusieurs fois, et continuellement à âne ; elle étoit forte et coura-geuse ; je n’eus pas beaucoup de peine à lui persuader qu’elle courroit la poste à merveille. Lémire , mon domestique, qui étoit.l’homme du monde le plus sérieux et le moins ' sage, nous proposa deux choses que j’acceptai, l’une de prêter à mademoiselle Victoire des culottes et une redingote pour courir ; dit-il, décerné ’ meni, l’autre de mettre des bottes fortes. Il me donna les siennes ; comme elles ■ étoient beaucoup trop larges, il m’empailla les jambes fort adroitement; alors,‘transportée de joie;
pendant que mademoiselle Victoire faisoit sa ; toilette, je demandai le maître de poste, et je lui signifiai mon dessein ; cet homme, qui étoit fort attaché à M. de Genlis , fut très-ef-' frayé de cette résolution ; pour la motiver, je l’assurai qu’une affaire de la plus grande importance m’appeloit à Paris, - et je le pressai de faire.seller nos chevaux; il me dit qu’il m’en alloit chercher > un excellent qui n’étoit pas dans la maison.;II - courut toute la ville pour avoir une voiture 7 et, à mon grand déplaisir, il en trouva une,' mais qui n’avoit ni glaces, ni rideaux par devant. Je regrettai mes bottes fortes et la,gloire de faire vingt-cinq lieues à franc étrier.; Mademoiselle Victoire resta habillée en homme ; j’ôtai ma jupe ; nous courûmes toute la nuit, et à toutes les postes je descendois,1 enchantée d’être prise pour un homme, demandant toujours du jambon pour faire.relever les servantes auxquelles je disois toutes sortes;de .folies. .Mademoiselle Victoire n’étoit pas de fort bonne humeur; il plcuvoit à verse, et elle n’avoit point de chapeau ; je lui mis "sur, le, visage un mouchoir de soie rouge. A la première poste elle descendit avec moi pour se chauffer; et, pour m'imiter, elle
DE MADAME-DE GENLIS.
329 fit quelques agaceries à une servante , qui lui répondit brusquement : Fous ‘ êtes trop laid. Mademoiselle Victoire avoit cependant une assez belle figure’, mais le mouchoir de soie s’étoit déteint sur son visage, et l’avoit rendu de couleur écarlate, ce qui lui donnoit un aspect effrayant. ...... \
< M. de Genlis fut étrangement surpris de me voir arriver ; son frère étoit hors de danger , mais avoit besoin de ses soins, et il fut décidé que nous resterions six semaines à Paris,. Je vis ma mère, madame de Montesson , madame de Boulainviliers, cousine- de ‘M. de - Genlis , madame la marquise de Saint-Chamañt, sœur de madame de Sailly.. J’allai‘ à. un -bal paré que donna l’ambassadeur d’Espagne. Mais madame de Puisieux et sa fille, madame la maréchale d’Étrée, toujours brouillées avec M. de Genlis, persistèrent à ne pas nous recevoir. Au bout de cinq semaines, mon beau-frère fut rétabli, il commença à négocier- son mariage avec mademoiselle de Vilmeur, riche orpheline et nièce du chevalier Courten, un Suisse dont elle étoit héritière. Nous allions de temps en temps souper chez ma tante de Sercey,' qui demeuroit toujours au cul-de-sac de Rohan.
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Un soir que „nous en revenions à minuit et demi, mon mari, son frère et moi avec des chevaux de remise / et que nous montions au pas la ruedesFossés-M.-le-Prince, un homme vint se jeter" devant la voiture fen criant que le cocher l’avoit renversé, ce qui étoit faux et impossible ; il arrêta le cocher en l’accablant ? d’injures, aussitôt: trois " hommes sortirent d’une allée et vinrent se joindre à lui. A; cet aspect, nos deux domestiques s’enfuirent, et * M. de Genlis/ mettant ’ l’épée à la main, s’élance de la voiture ' en disant à son frère de • rester avec moi; mais je conjurai le marquis de Genlis d’aller au secours de son frère/ et, comme il hésitoit / je me précipitai à bas de la voiture/"en criant à M. de Genlis; Ne tuez ' personne t'ne frappez pas* de la pointe. Ma plus grande frayeur étoit que cette rixe ne devînt un combat • sanglant/ Mon beau-frère mit l’épée à la main 7 et ces brigands se sau— vèrent.. Si j’eusse été seule dans la voiture, -'j’aurois été volée? Cette aventure, que M. de Genlis aimoit à conter, fit beaucoup d’honneur à mon courage ,' déjà célèbre par ma témérité à cheval. ^ t. Lÿ 's? — " —¿’ "íi-
- Nous retournâmes à Genlis passer le l’este
DE MADAME DE CENLIS. ’ 2$I de l’hiver ; j’en revins grosse de cinq mois , au commencement du printemps i et nous retournâmes à Paris pour le mariage de mon beau-frère. Il épousa mademoiselle de Vilmeur, âgée de quinze ans; M. le marquis de Puisieux consentit à lui servir de père, et mon beau-frère décida que je lui servirois de mère : ce qui fut assez singulier, non-seulement parce que je n’avois que trois ans et demi de plus que la mariée, mais parce que j’allois voir pour la première fois à cette cérémonie ce chef de la famille qui m’avoit jusque-là montré tant dé rigueur, et qui seroit obligé de me conduire dans l’église ; ce qu’il lit de fort bonne grâce. Il étoit très-paré ; il avoit son cordon bleu passé par-dessus son habit, il me parut éblouissant et terrible. Comme il me donnoit la main, il s’aperçut que je tremblois : « Vous avez froid, Madame, » me dit-il ; je répondis naïvement, Ce n’est pas cela. Il m’a dit depuis que le ton dont je prononçai ces paroles, le loucha jusqu’aux larmes. Le repas de noce se fit avec une grande magnificence à la campagne chez le chevalier Courten ( à la Planchette) ; presque toute la famille y vint. Madame de Puisieux, sa fille la'maréchale d’Étrée,
madame la princesse de Benting^ monsieur et 1 madame de Noailles, le duc d’Harcourt, et beau-- coup d’autres. Mes amis, monsieur, et madame
de Balincour et madame de Sailly, n’y étoient pasani M. de Souvré; je Jes regrettai bien.’ Je, fus ^ traitée , avec beaucoup de . politesse, mais froidement par toutes les dames ; je gardai im profond silence. On s’occupa à l’excès de ma belle-sœur : on vanta sa beauté, ma-. dame de Puisieux et la maréchale, la caressèrent excessivement.’ Je crus m’apercevoir qu’on y mettoit un peu d’affectation; cette idée m’ota. ma timidité-JToutes les fois qu’on a eu le dessein de me piquer f^je ne sais quelle fierté m’a . constamment mise au-dessus de l’offense qu’on vouloit me faire, en me donnant une indiffé-rence parfaite. Il arriva à cette noce un incident dont on a beaucoup parlé’ et sur lequel “ on a inventé une anecdote tout-à-fait fausse, que j’ai lue imprimée dans mille recueils. Le comte d’IIérouville étoit parent du chevalier Courten et sondami; il avoit reçu un billet d’invitation, mais pour lui seul. Il étoit marié' depuis dix ans à la fameuse ZoZo/te, “ qui se„ conduisoit,très-bien depuis son mariage, mais qu’aucune femme ne voyoit. EJlc avoit trente^
DE MADAME DE GEXLIS. ¿35 six ans, elle étoit encore très-belle et très-agréable ;. relle avoit beaucoup d’esprit et des-manières charmantes. Le comte d’Hérouville fit la fausse- démarche de l’amener; il auroit mieux fait de ne pas .venir, puisqu’elle n’étoit pas invitée. Elle fut très-grossièrement reçue/ excepté par le chevalier Courten et par MM. de Genlis, et pendant le dîner on dit en général plusieurs choses piquantes, dont elle ne pou-voit que trop se faire l’application. Rien ne m’a jamais fait plus de pitié; elle eut un très--bon maintien. , z . ,
- * Après le dîner , ma belle-sœur lui offrit, comme aux autres dames, un sac et un éventail et l’embrassa. A cette action, qui étoit indispensable,. deux femmes haussèrent les épaules , et les autres firent d’étranges mines. Tous les hommes alors se déclarèrent pour la belle opprimée, et .furent de ce moment très-aimables pour elle. Toutes les femmes prirent de l’humeur; cette scène fut très-singulière.. Le chevalier Courten étoit au supplice,. le pauvre M. d’Hérouville souflïoit cruellement, il s’en alla de bonne heure. Aussitôt qu’il fut sorti avec sa femme, M. de Genlis s’écria. « 'Mon Dieu, que madame d’Hérouville est
( 2^4 * ^^'^ MÉMOIRES- j?<7 ~
belle!.:. » Tous les hommes firent son éloge r chacun avoit envie de la venger. On conta le lendemain dans tout Paris qu’un moment après l’arrivée'de madame d’Hérouville, la petite chienne , appelée Lolotte; de madame de Puisieux, étant entrée dans le salon, madame de Puisieux lui 5 avoit dit à haute voix : Âliez-vous- en, Lolotte,“ vous n’êtes pas faite pour être en bonne compagnie. Cela est absolument faux ,1 madame de Puisieux 'n’avoit point amené sa chienne, ’ et rien de semblable n’a été dit. ~ ' V^-'
Toute la compagnie resta jusqu’à onze heures du soir. Mais les nouveaux mariés, M. de Genlis et moi nous passâmes six jours dans cette maison. Ce temps me suffit pour prendre une grande amitié pour ma belle-sœur. Elle étoit belle, et sa figure eût été charmante, sans un rire désagréable, qui ne montroit pas de belles dents, et qui laissoit voir deux doigts de gencives toujours gonflées ;■ mais quand elle ne rioit pas, son visage étoit beau et très-agréable ; aussi M. de Villepaton disoit d’elle ; Que sérieusement parlant elle étoit très-jolie. Elle avoit reçu une éducation fort négligée ^ cependant elle h’étoit jamais oisive, elle aimôit
DE MADAME DE GENLIS. 255
l’ouvrage, brodoil parfaitement, etétoit adroite comme une fée. Elle étoit très-violente, et fort contrariante , elle avoit des obstinations d’enfant, mais au fond elle étoit bonne, obligeante ; .naturelle , et très—gaie. Nous n’avons jamais eu ensemble la plus légère dispute, et je fus enchantée d’avoir une compagne si jeune et si aimable pour moi.
. * Le chevalier Courten, maître de la maison et oncle de ma belle-sœur, étoit un vieillard de soixante-dix-sept ans, aussi aimable que spirituel. Il avoit servi avec beaucoup de dis-linction à la guerre et dans diverses négociations ; il avoit vu beaucoup de choses et les contoit avec un charme particulier; je n’ai jamais vu à cet âge plus de gaieté, de douceur, de mémoire et d’agrément. Il joignoit à l’usage du monde et au toń de la cour de France/ un grand naturel, et une sorte de naïveté qui tenoit aux mœurs de la Suisse son pays f et qui donnoit à sa conversation et à son esprit quelque chose de jeune et d’original qui le rendoit le plus intéressant et le plus agréable de tous les vieillards? ’ ' r 4
En quittant, la Planchette nous allâmes tous à Genlis. Mon frère passa cette année à Genlis; 4
a?6 ‘ ; œrW— MÉMOIRES^^^ / ^J "¿G 3. iL venoit d’être reçu.dans le génie 7~ et avoit subi son examen du cours de Bezout avec la plus grande distinction ; en effet, il montrait un génie extraordinaire pour les mathématiques. J’eus une grande joie de le revoir ; il étoit fort joli, très-naïf et d’une gaieté d’enfant très-aimable et qui me convenoit parfaitement. Un soir qu’il y avoit du monde au château, et que ma belle-sœurjït MM. de Genlis jouoient après le souper au reversi ; mon frère me proposa une promenade dans la cour, qui étoit immense, sablée et remplie de fleurs ; j’y consentis. Quand nous fumes dans la cour , il eut envie d’aller faire un tour dans le village p je ne demandai pas mieux : il étoit dix heures, tous les cabarets étoient éclairés, et l’on voyoit, à.travers les vitres," les paysans buvant du cidre; je remarquai avec surprise qu’ils avoient tous l’air très-grave.' x. -Zt -.- -
^ Il prit à mon'frère une gaieté, il frappa contre les vitres en criant : Bonnes gens, vendez-vous du sacré chien ? et après cet exploit il m’entraîna en courant dans une petite ruelle obscure, à coté de ces cabarets, où nous nous cachâmes en mourant de rire. Notre joie s’augmenta encore en entendant le cabaretier sur
le pas de sa porte, menacer de coups de gourdin les polissons cjui avoient. frappé aux.-vitres. Mon frère m’expliqua cpie sacré chien vouloit dire de l’eau-de-vie. Je trouvai cela si charmant, que je voulus aller à un autre cabaret 'voisin ? faire cette jolie demande, qui eut le meme succès ; nous répétâmes plusieurs fois cette agréable plaisanterie, „nous disputant à qui diroit sacré chien, et finissant par le dire en duo, et toujours à chaque fois nous sauvant à toutes jambes dans la petite ruelle, où nous faisions des rires à tomber par terre. Heureux âge où l’on est transporté d’aise à si bon marché , quand rien encore n’a exalté l’imagination et troublé le cœur! Ir ~s
Mon frère resta’ six semaines avec nous. M. de Genlis, avec_beaucoup de grâce,'lui donna tout ce qui pouvoit lui être utile ou agréable dans une garnison où il devoit rester long-temps. Il alloit à Mézières; nous nous promîmes de nous écrire régulièrement, et nous tînmes parole. * 7 ■ : -
Nous retournâmes à Paris M. de Genlis et moi au mois d’août, dans une jolie maison avec un jardin dans le cul-de-sac Saint-Dominique, » dont mon beau-frère avoit loué le rez-de-chaus-
sée^et dont nous louâmes le premier. Là j’attendis le moment de mes couches. L’idée que j’allois devenir mère, me rendit beaucoup plus raisonnable ; j’avois commencé depuis quelques mois un?ouvragé^que j’intitulai : Réflexions d'une mère de vingt ans, quoique je n’en eusse que dix-neuf. Cet ouvrage, que j’ai perdu vingt-cinq ans après avec tant d’autres manuscrits 7 n’avoit rien de romanesque, et j’en ai pris par hrsuite' béaucoùp d’idées que j’ai mises dans Adèle et Théodore.^ lisois toujours Fliistoire avec une grande application ; et *, pour me délasser , -je lisois des théâtres et des poésies. J’entrepris, dans ce temps7-les volumineux voyages rédigés par l’abbé Prévost, et je les achevai sans en passer une ligne , lisant même les doubles relations.^Ç;?'.: - ~ c-" Q Le quatre septembre j’accouchai de ma chère Caroline, de cette créature angélique, qui a fait pendant vingt-deux ans mon bonheur et ir-^. Ł *L v -ta "^ ""^
ma? gloire ! et dont la perte irréparable a été la plus grande douleur et, le plus grand mal-heurjde- ma vie ! Elle vint au monde belle comme :un ange , ' et ce visage enchanteur a été depuis l’instant de sa naissance jusqu’au tombeau^ ce qu’on a jamais vu de plus parfail ;
Ji* ^de madame de cenus^ a5g je ne la nourris point, ce n’étoit point la mode encore ; d’ailleurs, dans notre situation je ne l’aurois pas pu, étant obligée d’étre toujours en courses et en voyages. Elle fut nourrie à deux petites lieues de Genlis , dans un village appelé Comanchon. Que de sentimens nouveaux me fit éprouver le bonheur d’être mère ! que j’ai mois cette enfant ! que la vie me devint chère, et avec quel vif intérêt je jetois.les yeux sur l’avenir, auquel je n’avois jamais pensé ! J’y découvrois une nouvelle existence mille fois préférable à la mienne propre. ’ »
' Neuf jours après mes couches, madame la maréchale d’Etrée vint me voir, elle m’apporta, en présent, de très-belles étoffes, des Indes, et iniannonça que-son père et sa mère me reccvroient avec plaisir, et que madame de Puisieux me présenteroit à la cour aussitôt que je serois relevée de couches. Au bout de cinq semaines j’allai chez madame de Puisieux, dont j’avois une peur extrême; comme de ma vie je n’ai fait des avances quand on1 a eu de la sécheresse pour moi, je fus très-froide et ti'ès-silencieuse. Je ne lui plus guère. Huit jours après, elle me mena à Versailles, ce qui fut un vrai supplice pour moi, parce'que ce
fut tète’ à tête dans sa voiture. Elle ne me / parla que de la manière dont je de vois me coiffer, m’exhortant d’un ton critique à ne pas me coiffer si haut qu’à mon ordinaire, m’as-surant que cela déplairoit beaucoup à Mesdames et à la vieille reine/Je répondis simplement : « Il suffit, Madame ; que cela vous déplaise, jj Cette réponse parut lui être agréable, mais aussitôt après je retombai dans mon profond silence , et je vis que je l’ennuyois beaucoup. A Versailles, nous logeâmes dans le bel appartement du .maréchal d’Étrée j le maréchal fut charmant pour moi ; je le regardois avec un vif intérêt ; je savois qu’il avoit eu les plus écla-tans-succès à la guerre, et qu’il étoit d’ailleurs l’une des meilleures têtes duconsei. Il joignoit . à sa gloire r la bonhomie ■ la plus aimable • et une bonté parfaite. Mesdames de Puisieux - et d’Étrée me persécutèrent véritablement le lendemain / jour de ma présentation ; elles me firent coiffer trois fois, et s’arrêtèrent à la manière qui me mcsséyoit le plus, et qui étoit la plus gothique. Elles me forcèrent de mettre beaucoup de poudre et beaucoup de rouge, deux choses que je détestois ; elles voulurent que j eusse mon grand corps pour dîner, .afin,
DE MADAME DE GENLIS. ^I disoient-ellcs, de m’y accoutumer ; ces grands corps laissoient les épaules découvertes, cou-poient les bras et gênoient horriblement ; d’ailleurs , pour montrer ma taille,' elles me firent serrer à outrance, iw *■ ’ *- Ą ^ t« ■
La mère et la fille eurent ensuite^une dispute très-aigre au sujet de ma collerette, sur la manière de l’attacher ; elles étoient assises, . et j’étois debout et excédée pendant ce débat. On m’attacha et l’on m’otaau moins quatre fois cette collerette; enfin, la maréchale l’emporta de vive force d’après la décision de ses trois femmes de chambre,, ce qui donna beaucoup d’humeur a madame de Puisieux. „ J’étois si lasse que je pouvois à peine me soutenir, lorsqu’il fallut aller dîner. On me. fit grâce du grand panier pour le dîner, quoiqu’il fut question un moment de me le faire prendre pour m’y accoutumer aussi. Lorsque le maréchal m’aperçut, il s’écria: «Elle a trop de poudre et trop de rouge ; elle étoit cent fois plus jolie hier. » Madame de Puisieux le fit juge de ma collerette, qu’il approuva , et tout le dîner se passa en discussions sur ma toilette.' Je no mangeai rien du tout, parce que j ctois si serrée, que je pouvois a peine respirer. En sortant umie i i o
?de table le maréchal passa dans son cabinet y je restai livrée à la maréchale et à madame de Puisicux , qui me firent achever ma toilette J ; c’est-à-dire mettre mon panier et mon bas de robe, ensuite répéter.mes révérences, pour lesquelles j’avois prison maître: c’étoil alors Gardeł/qui apprenoit à les-faire. Ces dames ■ furent très-contentcs de celte répétition ; mais madame de Puisicux me défendit de repous-sèr doucement en arrière' avec le pied mon bas de robe / lorsque je me retirois à reculons, en disant que cela étoit théâtral. Je lui représentai que, si je ne repoussois pas cette longue , queue, je m’entortillerois les pieds dedans , et ~ que je tomberois j elle répéta d’un ton impérieux et sec que cela étoit théâtral, je ne répliquai rien : ensuite ces dames s’habillèrent; pendant ce temps je m’ôtai adroitement un peu de rouge , mais ' malheureusement, *■ au moment de partir ’, madame de Puisicux s’en aperçut 7 et me dit: « Votre rouge est tombé , mais je vais vous en remettre; » et elle tira de
*^ Garde! étoit à l’Opéra depuis plusieurs années niaî-tie des ballets de la cour et maître de danse de la reine > alors dauphine. - - / '
■’ ^' ’ Í ^‘ \ £ ( Nülc de l’cdilcur, j ^ '" r
" DE MADAME DE GENLIS. 245 sa poche une boite à mouches, et me remit du rouge- beaucoup plus foncé que celui que j’avois auparavant. Ma présentation se passa fort bien, elle avoit fort bon air parce qu’il y avoit beaucoup de femmes. Le roi Louis XV parla beaucoup à madame de Puisieux, et lui dit plusieurs choses agréables sur moi. Quoiqu’il ne fût plus jeune, il me parut bien beau; ses yeux étoient. d’un- bleu très-foncé, des yeux bleu de roi, disoit M. le prince de Conti, et son regard étoit le plus imposant qu’on puisse imaginer. Il avoit, en parlant, un ton bref, et un laconisme particulier, mais qui n’avoit rien de dur et' de désobligeant : enfin/il y avoit dans toute sa personne .quelque chose de majestueux et de royal, qui le dislinguoit extrêmement de tous les autres hommes. Un bel extérieur dans un roi n’est nullement une chose indifférente ; le peuple, et la plus grande partie des nations ,, ne peuvent qu’apercevoir à la dérobée ces grandes puissances de la terre ; ils les regardent avec une avide curiosité, l’impression qu’ils reçoivent de cet examen est ineffaçable, et elle a la plus grande influence sur leurs sentimensl Un maintien noble, une physionomie ouverte, l’expression de la sc-
j^1 '"“.."7 « MÉMOIRES..'"/^ ^ rénité , ’ un sourire agréable , ’des'manières douces et polies sont, - pour les princes ', des dons précieux; et que l’éducation peut donner jusqu’à un certain point.'Des manières farou-ches ou dédaigneuses les font haïr; s’ils ont l’air sombre et soucieux, ils inspirent la* défiance et l’effroi ; s’ils ont une tournure ignoble et ridicule, on les méprise^ surtout en France où les derniers individus du peuple ont le tact le plus fin et le plus sûr pour saisir toutes les "nuances qui peuvent exprimer par le ton , les gestes et le regard, les divers mouvemens de l’àme. < - s. '¿£
M*. le dauphin, fils de Louis XV, venoit de mourir, on en portoit encore le grand deuil ;
• je fus présentée à la vieille reine, fille de Stanislas , roi de Pologne; cette princesse, déjà attaquée de la maladie de langueur dont elle mourut quinze ou dix^huit mois après, étoit couchée sur une chaise longue. Je fus très-, frappée de lui voir un bonnet de nuit de dentelle , avec de grandes girandoles de diamans ’. Elle m’intéressa beaucoup, parce qu’on disoit
"^i J^ Boucles d oreilles de ccs temps, qu on ne porloil que dans ia grande parure ^ ^^* T r i?
„ __" (Noie ile Fantem.)
DE MADAME DE GE5LT& 2^5 quee’éloit la mort de son fils qui la conduisoit au tombeau. C’étoit une charmante- petite vieille, elle avoit conservé une très-jolie physionomie et un sourire ravissant. Elle étoit obligeante, gracieuse, et le doux son de sa voix, un peu languissante, alloit au cœur. Sa conduite entière avoit toujours été d’une pureté irréprochable ; elle étoit pieuse, bonne, charitable ; elle aimoit les lettres, et les protégea avec discernement. Elle avoit beaucoup de Jl-nesse dans l’esprit, on citoit d’elle une grande quantité de mots charmans. Je fus ensuite présentée à Mesdames et aux Enfans de France ; le soir j’allai au jeu de ^Mesdames. On me mena chez madame la duchesse de Civrac, dame d’honneur de madame Victoire. Son mari avoit -de très-grandes obligations à M. de Puisieux , qui l’avoit fait nommer à l’ambassade devienne, où il étoit alors. Madame de Civrac étoit charmante par le. naturel et la bonté1. Malgré
f 1 Ce n’est pas celle dont j'ai parlé au connu encame ni de ces mémoires : le mari de celle-ci étoit Civrac de Dury fort , père du duc deLorgcs et de madame de Donnisan qui j ainsi que sa fille, a joué un si grand iule dans la V ondée pendant la révolution.
y . *- ( hûle de laulcuij
moif extrême timidité, je me trouvai tout de suite à mon aise’'avec elle; et j’ai cultivé sa bienveillance jusqu’à sa mort. Peu de jours après ma présentation/’ nous retournâmes " à Genlis.'J’y passai un été fort agréable; nous y jouâmes la comédie sur le théâtre fait par le chevalier, don Tirmane où nous avions déjà joué plusieurs pièces. Dans le cours de cet été nous iouàmesAW^, \es Précieuses ridicules, le Méchant / et • la Comtesse d’Esçarbagnas ; les meilleurs acteurs étoient M. de Genlis, et moi ; ma belle-sœur, malgré toutes mes leçons, ne jouoit pas bien, mais èlleh’y mettoit nulle prétention? Nous avions pour, spectateurs nos voisins et nos paysans / qui firent des éclats de l'ire immodérés dans la scène larmoyante de la reconnoissance de Naninc et de son père , parce qu’ils reconnurent un de nos voisins âgé. de trente-cinq ou trente-six ans, qui jouoit Philippe Humbert, et que la perruque blanche qu’il avoit mise pour se donner l’air d’un vieillard, leur parut la chose du monde la plus comique.'M. Le Pelletier de Morfontaine, intendant-de Soissons, vint à nos spectacles. Je venois d’apprendre l’antique institution de la.
DE MADAMEiDE GENLIS. ' 247
Rosière de Salency11 j’en'parlai avec enthousiasme à M. de Morfontaine, et il fut décidé
7 La manière dont j’ai appris l’existence des rosières de Salency lot assez plaisante, J’avois dix-huit ans 7 Sa-Joncy est A quatre lieues de la terre que j’habitais depuis * deux ans et j ¡¡¡norois jusqu’au nom de ce village devenu si fameux depuis.
Nous jouions la comédie. L'un de nos acteurs principaux , nommé M. Matigny , étoit en meme temps magistrat de Chminy et bailli de Salency. Un jour que nous voulions le retenir à coucher pour faire une répétition le lendemain , il nous dit qu’il étoit obligé d’aller dans un village voisin.— « Et pourquoi? lui demandai-je, —Oh ! répondit—il T pour cette bêtise qu’ils font tous les ans.— Quelle bêtise ?—Il faut que j’aille la en qualité de juge, pour entendre pendant quarante-huit heures tons les ver v Liages et tous les commérages imaginables.— Et sur quel sujet? — Une vraie bêtise comme je vous le disais : il s’agit d’adjuger ? non pas une maison , ou un pré ou un héritage , mais une rose,.,, » En disant ces paroles , le bailli se mit à rire de pitié , persuadé que je pariageois le mépris que lui inspirait une coutume si ridicule à ses . yeux : mais ce seul mot, une rose , me faisait présumer qu’il s’agissoit de quelque chose d'intéressant «Comment ? , repris-je, une rose ! vous devez donner une rose? — Eh1 mon Dieu, oniTc'est moi qui dois décider cette grave affaire. C'est une vieille coutume établie là, dans les temps barbares il est étonnant que dans un siècle aussi éclairé que le nôtre , on n’ait pas aboli une puérilité qui nie fait
^48 ; k^"'' mémoires’ t'-tr----
que nous irions à Salency couronner U rosière.' Je donnai à la rosière un habit et une vache J..
faire tous les étés dix ou dome lieues dans des chemins de traverse abominables7, car il faut que pour cette niai
serie je fasse deux voyages...— Le don d’une rose ne me paroît pas trop barbare : mais à qui donc offrez -vous cette rose ? — A une paysanne réputée la plus sage et la plus soumise à scs parens-- — Et l’on s’assemble pour * lui donner publiquement une rose ? -— JV est-ce pas là une belle récompense pour une pauvre créature qui man-que souvent de pain ? — Et quand la cérémonie aura-t-elle lieu ? — J’y vais demain pour entendre les dépositions , recueillir les suffrages et proclamer la rostre ; et j’y retournerai dans un mois pour ce qu'ils appellent le couronnement.— Oh ! certainement je m’y trouverai.—* On peut voir cela une fois pour se divertir » cela vous fera rire. Ce qu'il y a de plus drôle , c'est rimportance que ces bonnes gens mettent à cette cérémonie , et la morgue et la joie des pareas de la rosière ce jour-là. On 1 croiroit qu’ils ont gagné le gros lot Cela vous amusera 1 un moment ; mais quand il faut revoir cela tous les ans , c’est une chose fastidieuse pour un homme raisonnable. » Cette explication n étoit pas romanesque , cependant
elle ne m’en inspira pas moins le désir le plus ardent de" voir couronner la rosière de Salency. - Quelques jours , après , M. Lepelletier de Morfontaînc , intendant de la 1 province, vint nous voir. Il avoit l'âme noble et hienfai-santé , je lui parlai de la rosière et il fut décidé que nous • irions présider à son couronnement. * “^ - - -
7 “ *^ >;’^ ( Sauveurs de Fchcw )
DE MADAME DE GENLIS. ^O M. de Morfontaine lit une dotation à perpétuité. Il avoit fait venir des musiciens, il inc donna un très-joli bal dans une grange dé- ' coree d’une manière charmante avec des lanternes de couleur, des feuillages et des guirlandes de roses. MM. de Sauvigny, Feutry et de Genlis, firent de jolis couplets sur cette fête ; ceux de M. de Genlis furent envoyés à Paris ; on les trouva si agréables, qu’on les fit mettre dans le Mercure. Il y en avoit un qui m’étoit adressé, et j’avouerai que, lorsque je le vis imprimé,- j’en fus beaucoup plus flattée que je ne l’avois été en l’entendant chanter dans la grange de Sąlency. / - , *-
Comme M. de Genlis avoit voulu porter ma harpe à Salencÿ , j’en jouai dans la grange avant le bal, ce qui causa aux bons Salcncicns* et aux musiciens de Noyon un enthousiasme inexprimable; M. Feutry fit, à ce sujet, le couplet suivant, queje ne cite que parée qu’il fut bien véritablement un impromptu, il l’a fait imprimer dans ses œuvres : - _
Sun l’air : De tous les capucins du monde,
Genlis, votre harpe magique
’ Efface l'instrument antique
Dont on nous vante les succès.
i
, . *ParlmSaúl úr disparo?Ire 1' ^»
' - scs transports et ses accès
Et vous en faites ici naître,
En faveur du chant, de la fête ; de Fà-propos et de l’impromptu, je passai à M. Feutry cette éternelle réminiscence de' Saül et de David, qui me causoit ordinairement tant d’ennui. Il y a des momens où tout réussit, il faut savoir les saisir. Tout ce qui tient à cette journée , m’a .laissé un 'souvenir délicieux sur lequel i’aime à m’arrêter !... ~< jSx
’- M. de Sauvigny fit un poëme en prose, in-' titulé la Rosière de Salency , qu’il me dédia;
par la suite je fis ? sur le même sujet, une comédie qui se trouve dans mon Théâtre d’Éducation. Sept ou huit ans après,*les rosières de
. Salency eurent un procès avec leur seigneur , qui refusoit, sans nulle raison,' à la rosière , ; de lui donner la main pour la'conduire à l’église ,’ et de lui fournir la couronne de roses et le cordon bleu, en mémoire de celui que Lóüis XIII étant à Varennes , près de Salency, "envoya à la rosière par son capitaine des gardes.w Le vertueux prieur de Salency fit un voyage à4 Paris pour ce ridicule procès; il vînt me voir, me conta celte histoire, el je fis, pour les ro-
DE M ldame de genlis. a5i sières, un mémoire que je donnai au prieur ; ce mémoire fut porté au conseil, et les rosières gagnèrent leur procès. lue mémoire étoit fait au nom du prieur; il lé présenta à la reine, qui s’intéressa vivement à cette affaire. En rc-connoissancc de tout ce que M. de Morfoïitaine avoit fait pour les rosières, je lui promis d’aller le voir à Soissous ; j’y allai, en ' effet, avec M. de Genlis ; nous y passâmes quinze jours à l’intendance, dans des fêtes continuelles. Je vis là, pour la première fois, Dorât, que je trouvai très-aimable, non parce qu’il fit, pour moi, des vers charmans, mais parce qu’en effet il avoit un ton et des manières fort agréables, et qu’il causoit bien, la chose du monde la plus rare parmi Jes beaux-esprits. M. de Morfontainc faisoit beaucoup de bien dans son intendance; il avoit de l’esprit, des sentimens nobles,'de la galanterie, de la magnificence; il aimoit les arts, lestalens, mais il avoit la manie de composer des vers, et le malheur de les faire toujours ridicules. C’est lui qui inspira ce couplet au chevalier de Boufilers : '“J
Mon pauvre Morfontaiue, Dis à quelle fontaine Tu puises tes couplets, Pour n*y puiser jamais, ,
- De Soissons nous retournâmes à Genlis, où je repris nies occupa lions avec une nouvelle ardeur. Comme MM.’ de Genlis alloient presque tous les jours à la“ chasse à tirer, nous étions j souvent seules , ma belle-sœur et moi ; nous allions sans cesse a Comanchon voir nia chère t petite Caroline, ma belle-sœur y alloit en ca-! briolet et moi à cheval. Ma belle-sœur ne de venoi t1 point grosse, et loin d’être jalouse de me voir un charmant enfant, elle aimoit à la folie ma Caroline ; sentiment qu’elle a toujours conservé/ et qui, seul, eût suffi pour m’attacher à elle.' Quand nous étions seules au château, ce qui' arrivoit continuellement, nous brodions toutes les deux, et l’intendant, M. Blanchard, nous iaisoit la lecture tout'haut. Il noqs lut ainsi une partie de ïHistoire romame, de Laurent Échard, et le Spectacle^de la nature, de Pluchę , ce qui commença à me donner le goût de l’histoire naturelle. Je chargeai une petite lilie de ramasser tous les insectes qu’elle pourvoi t trouver dans leschamps, Elle nous apporta une. grande boite, que l’on ouvrit pour mon malheur dans ma chambre à coucherai en sortit d’énormes araignées/de gros vers de terre, des grenouilles , des crapauds , etc. ; à l’aspect de
■ ‘ DE MADAME DE GENLIS. 255 lousces monstresj, nous prîmes la fuite, extrêmement refroidies sur l’étudedc l’histoire naturelle. Pendant plus de quinze jours, quoiqu’on eût mis beaucoup de soin à enlever de ma chambre tous ces insectes, j’en retrouvois toujours quelques-uns ; cependant nous continuâmes la lecture- du Spectacle de la nature. M. Blanchard nous lut ensuite lo théâtre de Fagan, auteur ingénieux et spirituel, dont les comédies nous firent grand plaisir ; outre ces lectures, dans machambre à ma toilette, tandis qu’on peignoit mes longs cheveux, ce qui étoit fort long, et qu’on me coiffoit, je lus XHistoire ancienne de Rollin, et les jolies comédies de Dufrény, et ensuite celles de Marivaux pour la deuxième fois. J’avoue que j’aimois cet auteur à la folie ^ il a parfaitement connu un coin du cœur des femmes, et il Ta dévoilé avec une finesse et une grâce qu’on ne trouve dans aucun autre auteur masculin. Il est parfait lorsqu’il peint les caprices, les inconséquences, les boutades d’une femme agitée d’un violent dépit causé par un peu d’amDur et beaucoup d’amour-propre; il ne sa voit que cela, mais il le savoit bien. Cependant Molière, qui avoit tout observé, a peint quelque chose de semblable dans la Prin-
*254 ^ ^. ^- ^MÉMOIRES T ^-4 ^ •
cesse d'Elide t qui est aussi une surprise de Ta-mour. Le style de Marivaux est souvent maniéré ; mais, par un tour d’esprit qui lui étoit particu-lier, cen estpasuneprétention,c est une originalité, et souvent aussi dans son dialogue, toujours ingénieux et spirituel, il y a des traits charmans à la fois naturels , remplis de finesse , et même quelquefois d’une naïveté "piquante. Dix ans après le temps dont je parle, je nelois plus pas-’sionnée pour Marivaux; et je pensois qu’il avoit gâté beaucoup de littérateurs; mais je le trôu-vois/et je le trouve encore un auteur très-au-dessus du médiocre. Il a parfaitement saisi les ■ nuances les plus délicates de divers sentimens et de plusieurs ridicules; et, dans l’art d’observer -les plus petites choses et de les bien peindre, il a infiniment surpassé Sterne, * et beaucoup d’autres qu’on a admirés depuis/ soit en France, soit en Angleterre. Sans parler des comédies de Marivaux, on peut dire que dans ses r omans, dans sa Mariano et son Paysan parvenu, il y a des scènes très - supérieures à tout ce qu’on -peut trouver de meilleur dans leToycge sentimental. i . r [
J’avois toujours conservé le goût d’enseigner; r. je l’exerçois pour une petite fille nommée Rose, -
âgée de dix ans, fort jolie, et fille de la laitière du château ; je la pris à mon service, cl, comme elle avoit l’air d’aimer la musique, je lui enseignai à jouer de la harpe ; mais celle que j’avois étoit d’une grandeur énorme, et, au bout de six mois, je m’aperçus que mon écolière devenoit bossue , alors je renonçai à lui donner ce talent ; je commandai pour ^lle , et je fis' venir de Paris un corps baleiné, avec une petite plaque de plomb du côté de l’épaule menaçante; et au bout de trois mois sa taille fut parfaitement l'établie, elle a même eu par la suite une très-jolie taille. Je donnois aussi à ma belle-sœur: des leçons de musique et de chant, mais elle n’avoit point de voix; je fus plus heureuse dans mes. leçons d’orthographe , elle la savoit très-mal; je la lui appris fort bien en peu de mois. De son côté , elle m’apprit à broder ; elle ex-celloitdans cet art et dans tous les genres; c’é-toîi en elle un vrai talent J *et je n’ai jamais approché de sa perfection à cet égard ; elle fai-soit aussi bien de la tapisserie. Elle n’avoit pas ce qu’on appelle de l’esprit; elle ne disoit point de jolis mots; mais elle étoit bien loin d’être bornée,' elle étoit même née avec une très-bonne tête; par.exemple, elle calculoit' à cet
^56 '? ’ MÉMOIRES
'¿âge d’une manière surprenant^ avec une facilite à laquelle il m’eût été impossible d’at-/ teindre ; par la suite , jdle a montré une très-grande intelligence dans les affaires. Elle avoit. naturellement un fort bon caractère, n’ayant de défauts qu’un enfantillage qui lui donnoit de petites obstinations de contrariété.. En nieme temps elle, prenoit ^ et franchement, " part atout ce.qui plaisoit aux autres, à une chose sérieuse ainsi qu’à une folie de gaieté. Nos lectures l’in téressoient véritablement, et si je lui proposois un tour de pensionnaire j elle y consentoit de tout son cœur. Il y avoit à Genlis la plus grande baignoire que j’aie jamais vue , on auroit pu y tenir à l’aise quatre personnes. Un jour je proposai à nia belle-sœur de nous y baigner dans du lait pur, et d’aller acheter, dans les environs, tout hélait des fermes. Nous nous déguisâmes en paysannes, et montées sur des ânes , et conduites par le charretier Jean , mon premier maître. d’équitation, nous partîmes de Genlis à six heures du matin , et nous allâmes à deux lieues à la ronde de tous les cotés demander tout le lait des chaumières, en or-donnant de porter ce lait le lendemain de grand matin au château de Genlis/Dans 'les ; chan-
miéres où nous avions la crainte d’étre reconnues, nous attendions Jean à quelque distance ; nous entrions dans les autres. Nous prîmes un bain de lait, ce qui est la plus agréable chose du monde ; nous avions fait couvrir la surface L du bain de feuilles de roses, et nous restâmes plus de deux heures dans ce charmant bain.
Je composai, dans ce temps, un roman que j’intitulai, les Dangers de la célébrité; quatre ou cinq ans après, je perdis ce manuscrit : * l’idée en étoit morale, mais, autant queje puis m’en souvenir, il étoit ennuyeux.
J’ai été très-heureuse à Genlis, surtout de-' puis le mariage de mon beau-frère ; mais mon mari avoit voulu absolument lui payer une pe-1 tite pension, et je n’aurois pas été plus maîtresse dans mon propre château, grâce aux égards et â la délicatesse de mon beau-frère et de sa femme. Ma belle-sœur, dans un âge où naturellement on aime à faire la maîtresse ’ de maison , n’avoit nullement cette manie ; elle vouloit, avec toute la grâce d’un excellent caractère, que j’ordonnasse aussi librement qu’elle ; jamais elle ne souffrit que les domestiques, en parlant d’elle, l’appelassent Madame (ont court : ils la désignoient par son titre,
TOME J.
a58 " ^’î; ^mémoires- j^^ir ^ ” * comme moi par le mien. Ce sont là de petites choses, mais elles méritent d’être rapportées, elles peignent des scntimens nobles et délicats. Enfin, ma belle-sœur avoit des principes religieux , et le goût de l’occupation ; elle étoit incapable d’envie, de haine ; avec une figure três-brillanteY elle n’avoit point de coquetterie j elle aimoit sincèrement son mari : il ne lui a manqué, pour devenir une personne de mérite et d’une conduite toujours exemplaire, qu’un mari plus moral et fidèle. ¿^ ",
^ ' J’cxereois toujours la médecine àGenlis, mon ? Tissot à la main, et de concert avec M. Racine, le barbier du village, qui venoit toujours très-gravement me consulter quand il avoit des ma-“lades. Nous!allions les voir ensemble; toutes ^ mes ordonnances se bornoient à de simples tisanes, et du bouillon que j’envoyois commu-r nément du château. Je servois du moins à mo-. dérer la passion de M. Racine pour l’émétique qu’il prescrivoit pour presque tous les maux. Je m’étois perfectionnée dans l’art de saigner;
. des paysans venoient souvent me prier de les , saigner, ce queje faisois ; mais comme on sut que je leur donnois toujours vingt-quatre ou trente sous après une saignée ^ j’eus bientôt
DE MADAME DE GENLIS. a5g un grand nombre de pratiques, et je çie doutai que les trente sous me les attiroient ; alors je ne saignai plus que sur l’ordonnance deM. Millet, chirurgien de laFèreJ qui venoit à Genlis tous les huit ou dix jours. ' :’
Le seul bien que M. de Genlis eût alors étoit sa terre de Sissy, à cinq lieues de Genlis; elle valoit dix mille livres de rentes, et c’étoit dans ce temps comme vingt mille aujourd’hui;' nous n’en dépensions pas cinq, ainsi nous étions fort à notre aise, et M. de Genlis, qui étoit rempli de bonté et d’humanité, faisoit un bien infini dans le village ; 'mon beau-frère et sa femme étoient aussi fort généreux, aussi étoient-ils • tous adorés des paysans. . ■ •
. Un matin, que j’étois seule dans ma chambre, on vint me dire qu’une jolie petite fille de Sissy’ demandoit à me parler. Je la reçus, et je vis en effet une jeune paysanne de seize ans, belle?, comme un ange. Elle se jeta à mes pieds en pleurant , et sans vouloir m’expliquer ce qu’elle me vouloit. Je la relevai, je l’embrassai avec un attendrissement qui lui donna de la confiance', et elle m’avoua qu’elle avoit été séduite par notre garde-chasse , qui avoit quarante - cinq ans, qui lui avoit promis de l’épouser, qu’elle
‘'((i
9.6o 1 5 MÉMOIRES J- ^/ f^^ ' étoit grosse, et qu’il ne vouloit pas tenir sa parole, parce qu’elle n’avoit rien; elle ajouta
en sanglotant : Il faudra donc que je me jette dans la rivière ! Je la consolai de mon mieux, et je lui dis de rester au château.'J’allai conter cette histoire à ma belle-sœur ; nous parlâmes toutes les deux à mon mari, qui, dans sa colère contre son garde-chasse, vouloit le renv ' voyer. Nous lui fîmes comprendre que ce seroit perdre la pauvre petite abusée, et il fut con
venu qu’il,la doteroit/ qu^’ je lui donnerais
ses habits de noce et un petit trousseau, que ma belle-sœur lui donnerait une coiffure de dentelles et une croix d’or, et mon beau-frère trois paires de draps de ménage. M. de Genlis envoya sur -le - champ . chercher^ son garde-chasse ;'qui n’étoit prévenu de rien..... Nous étions curieuses, ma belle-sœur et moi, de voir ce séducteur. Il nous parut bien vieux, mais il étoit gfand, iravoit bonne mine; il portoit un habit vert galonné d’argent; il avoit une tournure militaire , c’en étoit assez pour obtenir la préférence^sur tous les jeunes villageois. M. de Genlis, en le voyant, sentit rallumer sa colère,’ et, sans préambule, il lui dit brusquement ; «Vous êtes un coquin, je vous
DE MADAME DÉ ÛEALIS. ¿61 donne trois cents francs et une vache.... » Ce singulier début nous donna une grande envie de rire ; le garde-chasse pâlit dé surprise, de frayeur et de joie, et quand on lui eut expliqué la chose, et tout ce qu’on faisoit pour la petite fille, il parut être au comble du bonheur. Je n’ai rien vu de plus touchant cpie la reconnois-sance et la joie de la pauvre petite fille. M. de Genlis les renvoya à Sissy pour y faire publier leurs bans , en fixant à trois semaines le jour de leur mariage, et promettant qu’il iroit avec moi à leur noce; ce que nous fîmes en effet. Au jour indiqué, nous partîmes à cheval à la pointe du jour; en arrivant à Siśsy, nous fiâmes l'eçus par une cavalcade qui vint au-devant de nous, et qui étoit composée des notables du village; ils pensèrent me tuer en me faisant tirer, pour me faire honneur, un coup de fusil beaucoup trop chargé ; le coup me jeta à la renverse. Heureusement que le fusil ne creva pas. Je ne me blessai point, et cet accident ne m’empêcha pas de danser1 beaucoup à la noce. Nous ne revînmes à Genlis qu’à la nuit tout-à-fait fermée. * > -
Le chevalier de Barbantane vint à Genlis , cette année ; frère du marquis de Barbantane,
attaché au Palais-Royal 7 il étoit aussi aimable que son frère l’étoit peu. 11 joignoit à beaucoup d’esprit une gaieté franche et spirituelle, une maniere charmante de conter, et le caractère le plus estimable, ^es saillies,'toujours vives et plaisantes, contrastoient singulièrement avec son maintien noble et grave, et avec sa figure qui avoit, quelque chose de sévère. 11 avoit alors trente-six ou trente-sept ans. Il aimoit beaucoup la musique; mvharpe l’enchanta^ ce qui commença entre’nous une liaison d’amitié qui a duré jusqu’à la révolution^ * 1
^ Vers le a ou le 3 d’août nous allâmes, M. de Genlis et moi / à Reims/'chez sa grand mère, madame la marquise de Droménil, qui / sa-cíiant que M. de Genlis étoit raccommodé avec monsieur et madame de Puisieux, consentoit enfin à nous recevoir. ' Madame de Puisieux étoit cette année" au Vaudreuil, chez le président Portail, ainsi nous n’allâmes point à Sil-lery. Madame de Droménil avoit prévenu son petit-fils'dans1 sã lettre qu’elle ne nous gar-: deroit que huit jours. Je vis cette respectable
■HÉft ^ =--■ >W^ ■* S r 'j-r* .o ^ V
' grand’mère de mon mari avec autant d’attendrissement que de respect : elle avoit quatre-vingt-sept ans/; dle^ étoit d’une petitesse ex-
DE MADAME DE GENLIS. 265 trème , et parfaitement proportionnée ; ses petits pieds et ses mains sembloient appartenir à un enfant de six ans; ses traits étoient de la même délicatesse, et sa bouche si petite, qu’elle avoit pour manger un couvert particulier; tous les meubles à son usage étoient faits exprès pour elle; elle avoit ses' petites pincettes, son petit fauteuil, sa grande chaise sur laquelle qn l’asseyoit à table ; le doux petit son de sa voix étoit assorti à cette touchante miniature : elle avoit été fort jolie, et elle avoit conservé la physionomie la plus douce et la plus gracieuse. Elle n’étoit point sourde; sa vue étoit fort bonne; elle marchoit bien, et n’avoit aucune espece d’infirmité; sa mémoire étoit excellente ; elle avoit de la gaieté, l’esprit le plus fin, le plus aimable, et une âme céleste. Elle me parut une bonne petite fée bienfaisante; en me voyant elle se leva, et me tendit les bras; je fus pénétrée du plus tendre sentiment; jej volai vers elle; et, pour recevoir ses embrassemens, je me mis à genoux; je me trouvois alors à sa hauteur; elle m’embrassa â plusieurs reprises; ensuite, se tournant du côté dc M. de Genlis : « Mon petit-fils, dit-elle, vous avez bienfait ; elle est
í64 - J U^X- MÉMOIRES J^* * A- '" charmante. » Je me sentis tout de suite à mon 'aise avec elle. Je m’assis auprès deile; je te-nois ses petites mains dans lesmiennes, et je la caressois*avec le’charme-qu’on éprouve à caresser ” un enfant, et avec '■ la vénération qu’inspire naturellement un tel âge. Après le dîner je fis déballer, ma harpe, et j’en jouai tant qu’elle voulut. Elle avoit reçu l’année précédente, sur la fin du printemps, ses deux petites-filles; mesdames de Belzunce et de Noailles, filles du marquis de Droménil, frère de la feue marquise de Genlis, ma belle-mère : .elle me dit que je lui plaisois beaucoup plus que ces dames; cependant madame de Belzunce f morte peu de temps après de la poitrine, étoit jolie comme un ange, et charmante par ses manières,, sa douceur et son caractère. Le soir madame de Droménil me fit
le présent qu’elle avoit fait à ses deux petites-filles; elle me donna dans une belle bourse cent louis, queje reçus avec plaisir pour les donner à M. de Genlis. Elle me prit dans une telle amitié, qu’au lieu de huit jours' elle me gardadeux mois; je passoisce temps fort agréablement. Madame de Droménil recevoit toute la bonne' compagnie de Reims, parmi
DE MADAME DE G EM LIS. 565 laquelle il se trouvoit plusieurs personnes très-aimables; elle voyoit aussi beaucoup de chanoines de la cathédrale; et, comme elle tiroit une grande vanité de mon talent de harpe,’ elle m’en faisoit jouer ce qu’elle appeloit un petit air, pour chaque visite. Ori me donna plusieurs bals dans la ville, madame de Dro-ménil en donna deux chez elle. Presque tous les matins elle me menoit à la promenade ait Cours; elle y étoit dans sa voiture, et moi'à cheval ; je me tenois à la portière de son carrosse; je lui disois mille folies', qui la fai-soient rire aux larmes ; tout l’enfantillage que j’avois naturellement dans l’esprit la char-moit. Souvent, chez elle, je la’prenois dans mes bras, et je la portois comme un enfant dans ma chambre et dans toute h maison,’ elle étoit légère comme une plume; tout ce que je faisois lui plaisoit et l’égayoit. Elle me fit voir tout ce que la Ville contenoit d’intéressant et de curieux, Ses belles églises, ' le pilier qui tremble, et ses belles manufactures ’.
1 On a détruit dans la l'évolution la charmante église de St.-Kicaise , et le trésor de la cathédrale, l'un des plus cuiieiix que j’aie vus 11 étoit formé des ni esc ns que nos
Au bout de deux mois je pris congé de madame de Droménil. Elle étoit si affligée de me quitter/ et je l’aimois tant, que je serois restée un mois de plus 7 si je n’avois pas promis à madame de Boulainviliers d’aller passer l’automne dans son château de Grisolles,’ en Normandie. "Je pleurai beaucoup en quittant la meilleure et ,1a plus aimable de toutes les grand’mères.} M. de Genlis donna sa parole de me ramener.^ le, printemps prochain. Je n’oublierai point que ; madame de Droménil fit remplir ma voiture de pain-d’épice et de poires de rousselet. Je partis pénétrée de re-connoissance et de tendresse pour elle. * * ^ * En allant à Grisolles notre essieu se cassa. La secousse/ fut,violente , ma femme-de-chambre, qui étoit sur le devant de la voiture, tomba fort lourdement sur M. de Genlis, et avec sa'tête, qui? cogna - rudement celle de M. de Genlis, elle lui pocha l’œil de la plus étrange manière7et elle ne se fit aucun mal.
- rois faisoient à leur sacre , de manière qu’on voyoït là les progrès et la décadence du goût dans les arts du dessin e1 de l’orfèvrerie , depuis une époque éloignée jusqu’à nos jours?*1 - _
^¿ ” ( Note de Taulcui n )
DE MADAME DE GENLIS. - .267 M. de Genlis fut1 au désespoir de son œil poché , parce qu’il étoit convenu que nous jouerions la comédie en arrivant à Grisolles, et il s’étoit chargé de deux rôles d’amoureux qu’il savoit parfaitement. Mz de Boulainvi-liers, fils du fameux millionnaire Samuel Bernard ', venoit d’être nommé prévôt de Paris: c’étoit une fort belle charge. Il avoit épousé une cousine de M. de Genlis. Madame de Bou-
T— a +
1 Samuel Bernard étoit fils d'un peintre ; il dut son immense fortune , évaluée à trente-trois millions, moins encore à son habileté qu’à l'incapacité du ministre Gha-millard , dont presque toutes les opérations furent ruineuses. Les temps de désordres sont favorables aux operations des financiers. Samuel Bernard prêta de l'argent à Louis XIV et à Louis XV , mais il s’en fil faire , de vive voix , la demande par ces deux princes» Il fut anobli , et sou petit-fils, prévôt de Paris, se faisoit appeler le marquis de Boulainviliers ; la fille dfe Samuel Bernard épousa le pré-sidentMolé, et sa petite-fille le duc de Cossé-Brissac. L'âme de Samuel Bernard étoit élevée ? généreuse ; il ne craignit point de rester rami d’un ministre disgracié , le garde-des-sceaux Chauveliu ; et sa bienfaisance fut telle qu’à sa mort on reconnut qu’il avoit prêté la somme enorme de dix millions dont il avoit négligé de se laire rembourser 7 et qui furent perdus pour scs héritiers. ,
I (Halcde Vcditm.)
¿68 _ ^ *’ ■'.MÉMOIRES? . ''7íl
lainviliers1 avoit alors trente-cinq ou trente-six ansj elle avoit été fort jolie, et sa figure étoit encore très-élégante et très-agréable; elle avoit une réputation intacte, beaucoup d’agrément dans l’esprit, l’âme la plus gêné-reuse et la plus sensible. Elle avoit trois filles : l’aînée/qui’a été depuis la baronne de Crus-
- ’ Je ne connois point de femme plus intéressante et plus estimable sous tous les rapports que madame de Boulainviliers ; elle est épouse irréprochable , bonne mère, bonne amie; toutes ses qualités sont solides, parce qu’elles ont pour base une piété sincère. Elle a de l’esprit , de la finesse , et un cœur excellent. Je rencontrai chez elle une jeune personne qui, sans être jolie , avoit une tournure agréable : elle parlait à madame de Bou-laiuviUers avec une expression de respect qui me fit connoître que madame de Boulainviliers étoit sa bienfai-trice. Quand cette jeune personne fut partie } comme je me trouvai seule avec madame de Boulainviliers , je la questionnai à cc sujet : elle me conta l’histoire suivante * Un soir, qu elle se promenoit près de sa maison de Passy , elle aperçut un petit garçon de dix ans, hien déguenillé, qui portoit sur son dos une petite fille de six à sept ans , qui paroissoit être fort malade * ces enfans demandoient Vaumôner Madame de Boulainviliers , touchée de cc spectacle , les interroge ; elle apprend qu’ils sont orphelins , n’ont point d'asile et que leur père venoit de mou-nr a l’Hotcl-Dieu. «lit que faisoit votre père, demandait'
DE MADAME DE GENLIS. 369 sol, étoit âgée de quatorze ou quinze ans; elle n’avbit ni’l’esprit ni Jes agrémens de sa mère : on la trouvoit belle dans sa famille; elle avoit une de ces figures qui paroissent devoir l’être quand on les dépeint, mais qui ne le sont que dans une description bienveillante lorsqu’on supprime tout ce qui les dépare. Elle
elle? — Oh ! rien , car il étoit gentilhomme. —Gentilhomme ! — Oh ! oui, il nous l’a dit trois jours avant de mourir. — Et qui prend soin de vous ?—Personne , depuis la mort de notre père. — Eh bien ! suivez-moi. » Les enfans ne demandèrent pas mieux : madame de Bon— lainviliers les emmène chez elle , les fait habiller et les garde trois semaines. Durant ce temps, d’après les ren-seignemens qu’elle reçoit d’eux , elle fait faire à l’Hotel-Dieu des informations sur leur père : elle apprend avec surprise qu’il avoit la croix de St.-Louis , et elle voit avec plus d'étonnement encore sur son extrait mortuaire qu’il s’appeloit Valois. Cependant elle met les deux enfans ou pension : elle fait des informations sur leur famille pendant deux ou trois ans sans succès. Au bout de ce temps elle acquiert quelques lumières, et finit par découvrir , avec certitude , me dit-elle , que ces deux enfaps sopt les dcscendans d’un bâtard de Charles IX. Elle avoit mis la petite fille en apprentissage , elle la retire à cette jépo-que et la place dans un couvent ( c’est celte meme jeune personne que j’avois vue chez elle]; elle donne des maîtres au petit garçon , qu'elle fait appeler le chevalier de
zyü'-^^r"^ .'- MÉMOIRES iZ\¿.; -^ -' ~ étoit grande et mince; elle étoit fort blanche;, elle avoit de grands yeux, une petite bouche; mais sa taille avoit deja roideur et sa tournure de la disgrâce; son teint étoit blanc et fade, ses yeux ronds'et sortans, sa figure entièrement dépourvue d’expression / de physionomie ef de grâce.5 Sa seconde * sœur, qui épousa M. de Faudoas 7- étoit laide. La der-
Valois. Madame de Boulainviliers, voulant le faire en trer dans la marine , me demande de faire quelques démarches en faveur de ce jeune homme , qui est un très-bon " sujet. Nous avons réussi, il vient d’ctre placé. Ce qui me frappe le plus dans cette étonnante histoire , c’est la discrétion de madame de Boulainviliers qui a conduit si mystérieusement toute cette bonne action pendant sept ou huit ans, sans en dire un seul mot à ses amis les plus in-‘ times : et elle ne m’en a jamais parlé que parce qu’elle a rcvu queje pouvois, dans cette occasion, concourir A compléter cette bonne œuvre. Voilà comme les vraies dévotes font le bien : et madame de Boulainviliers, femme d’un homme très-riche , mais qui ne prodigue pas du tout l’argent , n’a qu une pension de quatre mille francs pour sou entretien. Elle vit dans le grand inonde , elle est mise convenablement , et avec une pension si modi-que elle trouve le moyen de faire dételles actions Í Que Féconomie de la charité est ingénieuse ! combien elle donne de ressources ! " ’L^^ -5
- ^ *^ - ,^ ^ ~ ^ ^ '“' ( Souvenus de Fehcie. )
DE MADAME DE GENLIS. $ 27Í nière, qui épousaM. de Tonnerre, et qui n’a-voit que six ans, étoit charmante, et l’a toujours été par la suite, de figure, d’esprit et de caractère. Quant à M. de Boulainviliers, on ne Faimoit pas dans le monde; mais il m’a toujours paru un bon homme, et il fai-soit fort bien les honneurs de chez lui. On disoit qu’il étoit un avare fastueux, ce qui signifie communément que l’on sait allier l’ordre et l’économie à la magnificence.'- v
' M. deGenlis, qui, comme je Fai dit, avoit reçu un coup à la tête dans la voitui*e lorsque Fessieu rompit, se sentit le lendemain la tête si brûlante et si lourde, qu’il envoya .chercher le chirurgien du lieu, et se fit saigner. On lui avoit donné une chambre à côté de la mienne; le lendemain il m’appela de bonne heure pour me faire tâter sa tête qui étoit tout aussi brûlante; et il me proposa de le saigner une seconde fois, parce que le chirurgien Favoit piqué deux fois la veille avant de lui tirer du sang : je lui répondis que j’aurois une peur extrême en le saignant, et que j’é-tois sûre que l’émotion feroit trembler ma main. Très-inquiète, je tâtai encore le haut de sa tête, où toute la chaleur se portoit ; dans
^J2-^^^ MÉMOIRES _ ■ - ' -cej mouvement je touchai le mur sur lequel leeheyet étoit appuyé, et je me brûlai, ou du moins je sentis une, chaleur extraordinaire. C’étoit un tuyau dę chaleur qui passoit là, qu’on " allumoit de très - grand ; matin, - parce qu’il faisoit très-froid, quoique nous ne fussions: qu’au commencemept d’octobre; et c’é-: toit: l’unique cause de cette douleur de tète pour laquelle M; de Genlis alloit se faire saigner une seconde fois.
¿ Nous jouâmes la comédie. Je jouai Lisette, dans les Jeux de Vamour ei du hasard; ma-daipę de Boulai nviliers joua Silvia très-agréablement. Les rôles de Dorante et de Bourguignon : furent très - bien remplis par MM. ■ de Genlis : mon beau-frère et sa femme arrivèrent à Grisolles peu de jours après nous. Toute la noblesse des environs/ beaucoup d’habitanS des villes voisines ,, et,une grande quantité * ‘ d’officiers en garnison, nous composèrent un nombreux auditoire; notre salle contenoit cinq cents personnes/et fut remplie. Nous jouâmes popr petite pièce Zénéide; ma belle-sœur ' joua ce rôle, et moi celui d’Olinde, qu’une femme peut jouer, parce qu’jl est habillé avec un long domino fermé. Nous donnâmes trois
-i DE MADAME DE GENLIS.' 2^5
' représentations qui furent toutes suivies d’un _ bal. Je fis connoissance dans ce château avec
' le marquis de Chambray, qui avoit une terre à cinq lieues de là. M. de Chambray étoit un sage très-savant, bon physicien, et grand naturaliste, retiré dans sa terre, où il étoit uniquement occupé des sciences et de l’éducation d’une fille charmante, âgée de seize ans, et d’un fils dans sa quinziéme année. Je pris une vive amitié pour mademoiselle de Chambray, dont ^instruction étoit étonnante pour son âge. Elle me donna, à cet égard, une grande émulation , car elle me surpassoit infiniment. Elle m’affermit dans mon goût , naissant pour l’histoire naturelle. Je fis, à cheval, plusieurs courses à Chambray. Le quinze novembre monsieur et madame de Boulainviliers, mon beau-frère et sa femme, retournèrent à Paris; M. de Genlis et moi nous allâmes à Chambray, où nous passâmes cinq semaines dans la plus agréable solitude. J’y arrivai grosse de plus de trois snois, mais, par une singularité de constitution j je ne pou-vois pas m’en douter; et,- par une autre sin-, gularité, je n’éprouvai aucun accident ■ en montant à cheval tous les jours, dans un
TOMEI. , 18
2 74 'í^^ j ^ ^M 01R E s * < ^ J ^
magnifique bois de sapins. Je jouois beaucoup? .ideóla harpe; je passois.des heures entières-avec mademoiselle de Chambra y dans son ca-J biiict d’histoire naturelle 7 formé par son père depuis dix ans : elle me l’expliquoit parfaitement. .Elle avoit fait aussi une étude parti-culière ? de la géographie ;. elle • avoit là une prodigieuse quantité de voyages : sa conversation , exempte de toute pédanterie, étoit pour moi aussi instructive qu’agréable. r>.
Nous passâmes l’hiver à Paris : j’avois vingt ans. J’allois, une fois la semaine, diner chez nia tante , madame. de Montesson, ou avec elle chez madame la marquise de La Haye , ma grand’mère." Ces. derniers diners-là ne m’étoient nullement agréables, nia grand’mère étoit d’une sécheresse extrême pour moi , ei comme elle avoit sur son .visage une énorme quantité de rouge et de blanc, qu’elle se pei-* gnoitjes sourcils et les cheveux pour réparer des ans l’irréparable outrage} elle ne me pa-roissoit guère respectable. Elle avoit avec elle - sa sœur, qui ne s’étoit jamais mariée/ made~ \moisellc Dessaleux, qui étoit aussi douce et aussi bonne que ma grand’mère étoit impé-rieuse et hautaine. Cependant, ces deux sœurs
avoient toujours été le modèle d’une parfaite amitié. Madame de Mon tesson me Irai toit à merveille, me caressoit à l’excès, mais ne chcrelioit nullement à me faire valoir, surtout auprès de ma grand’mère, qui jamais n’a demandé à m’entendre chanter et jouer de la harpe. En outre de ces dîners, j’allois, de temps en temps, le matin-chez ma^rand’-mère, pendant qu’elle étoit à sa toilette; c’é-> toit l’heure quelle m’avoit donnée, je la trou-vois toujours seule devant son grand miroir,' et entourée de ses femmes : elle me faisoit
« Il
les plus insipides sermons que j’aie jamais -entendus ; comme il n’y avoit rien à dire pour le présent, elle me prêchoit pour l’avenir*, je ne répondois pas un mot, et quand elle avoit épuisé tous les liepx communs qu’elle répétait constamment, et que la dernière épingle' de sa coiffure étoit attachée , elle se Icvoit et me congédioit. Je vis chez ma grand’mèrc un hoùime de lettres célèbre, qui étoit déjà malade de la poitrine, mal dont il est mort peu d’années après : c1 étoit Colardeau 1 qui, selon
1 Colardeau cnlendoit bien le mécanisme des vers / son style est harmonieux, élégant , mais sans verve et sans originalité On a ditdr lui qrTil a\oit phi Loi le talent de la
2hg ^ ^ . „MÈMOIHES ^“7/ jnoi* a laissé une réputation fort au-dessus de celle qu’il méritoit. Une tragédie médiocre,’ et une jolie traduction d’une belle épître angloise n’auroient pas dû-lui obtenir le rang si distingué où tout le monde, comme de concert, l’a placé. Mais il eut beaucoup d’amis parmi les gens du grand monde : il avoit un caractère doux et facile, ses talens ne furent pas assez éclatans pour exciter l’envie : il en eut assez pour plaire, voilà comme on obtient des succès universels. Sa traduction de l’épitre d’Héloïse à Abailard est fort inférieure à celle de Pope, elle contient même plusieurs vers ridicules, tels que ceux-ci ;
« Quoi ! faudra-t-il toujours aimer, se repentir / » Désirer, espérer, désespérer, sentir r, etc, »
versification que le talent des vers. Ses ouvrages n'ont eu qu’une vogue passagère et de mode Le premier, la lettre «l’Héloïse à Abailard, imitée de Pope , est le meilleur et celui dont on se souvient le plus - ,j
Né d’une complexión foible , Colardeau avoit un air ti-
mide et triste. Il mourut dans sa quarante-troisième année, en 1776 , la veille du jour où il devoit être reçu à T Académie françoise, , - rr 1
■^ v f Note de Veditcur, ) 1
, _ DE MADAME DE GENLIS. 27^
II y a, en général, dans cette traduction une versification agréable, mais on a fait depuis mille pièces de vers dont on ne parle pas, et qui valent beaucoup mieux. Colardeaù avoit dans la société de la douceur, cependant sa conversation étoit fort commune; il étoit triste* et peu aimable. Le jour de la semaine où je dinois chez ma tante ou chez ma grand’mère, madame de Montesson me ’ menóit faire des visites dans la soirée, c’étoit chez mesdames les princesses de Chimay; celle qui a été dépuis dame d’honneur de la reine étoit fort belle encore, et un ange par la conduite ; nous allions aussi chez madame la duchesse de Mazarin, chez madame de Gourgue , mada- ‘ me la marquise de Livri, madame la duchesse de Chaulnes, et rfiadame la comtesse de la3 Massais, une femme très-aimable et très-spiri-tuelle; notre journée se terminoit toujours par ' aller souper chez l’une des trois dernières personnes queje viens de nommer, ou chez madame de La Reynière, femme du fermier général \
faudroit : se. desespérer ^ et cjue signifie : Jaądra-t-il sert-Zi7‘? sentir quoi ? ‘ _ (Note de l'auteur )
" 1 Qui vit encore dans cette année ( 1813 ). • ;
^"^ (Note de fautem,J
¿78 \ . -—MÉMOIRES''/^ _ f*
C’étoit une personne de trente-cinq ans, très-vaporeuse, très-fâchée de'n’être pas mariée à la cour,; mais belle, obligeante, polie' se plaignantitoujours de sa santé, mais aussi ne, seïplaignant jamais de personne , et faisant . les « honneurs d’une grande maison avec beaucoup de noblesse;et de grâce. Ma tante, quoiqu’elle en fut toujours parfaitement bien reçue,' ne l’aimoit pas; et je m’aperçus que presque'toutes les dames de la cour de l’âge de madame de La Reynière, qui alloient chez elle, tâch oient de'lui donner des ridicules; j’en cherchai la raison, et, quoique j’eusse peu d’expérience /je la trouvai. Toutes ces dames étoienti au fond de Paine i jalouses de la beauté de madame de La Reynière, de Pextrème ma-gnificence de sa maison J *ct de la riche élé-' gancc de sa toilette. Cette découverte me serra - le cœur t et me fit faire de tristes réflexions " sur le monde. Madame de La Reynière voyoit - la meilleure compagnie; elle avoit pour amie : intime madame la comtesse dc.McIfort, une . très-belle personne, dont elle "étoit sincère--ment aimée. Elle étoit aussi intimement liée
avec la marquise de Tessé: cette dernière, qui vit encore/-a de l’espril , mais le sait trop,
' cl met irop d’empressement à le montrer, et .afin d’en donner meilleure opinion, clic parle un langage particulier, qui aurait souvent besoin d’interprète; elle et madame d’Egmont la jeune sont les dernières femmes minaudières que j’aie vues dans le grand monde; les mines et les mouches étoient déjà passées de mode pour les femmes de l’âge que j’avois alors.' M. de Tcssé éloit l’homme du monde le plus froid et le plus taciturne. Il fit bâtir un beau château à Chaville, entre Paris et Versailles : quelques années après le temps dont je parle,'
- on lui vit, tout à coup, une Iabatiere ornée’ ■ d’une miniature qui représentoit ce château de Chaville, f et au bas duquel étoit écrit ce vers de la tragédie de «Phèdre :
j i ~ Í
«Je lui bâtis un temple et pris Soin de Tornen »
Ce qui signifioit qu’il avoit bâti Chaville pour'’ madame de Tessé, de sorte qu’il se comparai I. à Phèdre agitée des'fureurs de l’amour/et il comparait madame de-Tessé qui avoit quarante ans, et qui n’étoit rien moins que belle, à Vénus, toute entière à sa^roie attachée. On rit beaucoup de cette inscription, qui étoit en effet fort singulière, surtout prise par M. de
2ÔÛ ^-í - -MÉMOIRES ~.^-
Tessé, âgé dc cinquante ans,, et qui certainement n’avoit jamais été amoureux. Quant à M. de LaReynière, c’étoit un excellent homme ^ qui aimoit les talens et les arts, qui avoit une très-bonne maison et le meilleur souper de Paris. Mais il avoit quelques singularités, qu’on a fort exagérées. De toutes les personnes chez lesquelles me menoit ma tante, celles dont les maisons ' me plurent davantage furent madame de LaReynière et madame de La Massais: je conservai avec’elles" des liaisons qui durèrent jusqu’à mon entrée à Bellechasse. Je vis chez madame de LaReynière des hommes très-aimables ? l’abbé Arnauld, dont l’accent pro-vençal, l’air ouvert, -la vivacité, la gaieté,’ rendoient la conversation très-amusante, et don-noientun air naturel à tout ce qu’il disoit, quoiqu’il eut beaucoup d’affectation dans son lan
gage ainsi que dans ses écrits ; il avoit d’ailleurs de très-bonnes qualités, une grande égalité d’humeur et une sûreté parfaite dans la société; mais il étoit véhément dans scs inimitiés, il a fait de sanglantes épigrammes contre ses ennemis; la meilleure est celle-ci ; -
« Ce Marmoutel, si long, si lent , si lourd , ‘ • » Qui. ne parle pas, mais qui beugle^ ■ ? :
» Juge la peinture en aveugle, ’ ii
, - I * Et la musique comme un sourd. ^ ¿*
* Ce pédant à ai sotte mine ^ ^^
Le comte d’Albaret étoit aussi de la société intime de madame de La Reyniére. Madame Necker dans ses Souvenirs s’est moquée de lui fort injustement, d’abord parce qu’il n’avoit aucun ridicule1: il étoit bon, aimable, spiri-Ttuel; il avoit une foule de talens agréables, il aimoit passionnément les arts et s’y connois-soit; il étoit d’une extrême gaieté; c’étoit un7 . homme décidé à s’amuser et à plaire toujours à ses amis, il y parvenoit, pai’ ses talens, sa , bonne humeur, et son extrême complaisance dans la société / mais c’étoit toujours d’une manière innocente. Il avoit le plus heureux caractère pour lui et pour les autres i il ne -cultivoit que les gens qui lui paroissoient aima-.bles, la gaieté ne lui a jamais'fait dire une -méchanceté, iPn’a jamais fait une bassesse.' Il ; avoit de la fortune , il < donnoit chez -lui de petits concerts délicieux, il n’y recevoit que la meilleure compagnie, il avoit les mœurs les plus pures; on trouvoit cette existence frivole.
202 *A¿ ¿^MÉMOIRES ;
pour moi je l’aimcrois beaucoup mieux que celle qui se consacre au triste calcul d’amasser de l’argent, ou aux intrigues de l’ambition/.
Je vis cette année (1766) l’abbé de Lille, qui venoit de donner, sa belle traduction des Géorgiques de Virgile/Il avoit alors vingt-six ou vingt-sept ans. Il vint chez moi plusieurs fois J il travailloit dès lors à Y Enéide. Je le trouvai naturel et fort aimable, il avoit une laideur spirituelle, amusante à considérer ; dès ce temps, il disoit des vers d’une manière charmante, et qui n’appartenoit qu’à lui. J’étois fort liée avec, madame de Lôùvois, qui me lit faire connoissance avec la comtesse de Custines sa sœur/rv \ ï ”, • ^¡L - 7 " ^ r < ” ’
► Madame de-Logny, l’une des plus lâches veuves delà finance, eut une conduite plus que légère, dont le scandale meme devint appa— f remment une leçon morale pour scs deux Clics, qui furent7-l’une et l’autre, ^ deux personnes si vertueuses et si parfaitement irréprochables;' , l’aînée, qui épousa M; deLouvois \ étoit la plus
J L J M. de Louvois avoit toujours eu l’esprit un peu léger * étant à Brest à dix-huit ans av ec beaucoup de dettes et sans argent, il écrivit àson père; et, ne recevant poinl de réponse / il vendit tous scs habits pour fournir aux fi ais
DE MADAME DE GENLIS. 583 petite femme que j’aie jamais vue p mais la taille la mieux proportionnée , de petites mains ravissantes, un beau teint, un joli visage, un air enfantin, rendoient cette petite figure charmante.
de son voyage, ne gardant, pour toute garde-robe tpi’un mauvais frac usé ; et il partit pour se rendre au château de Louvois , où le marquis de Souvré, son père , passoit tout l’été. M. de Souvré le reçut très-mal, et dans les premiers jours M. de Louvois n’osa pas lui renouveler sa demande. Un soir M. de Souvré lui dit que les dames les plus considérables du voisinage dévoient venir dîner chez luile surlendemain, k J'espère, ajouta-t-il, que vous voudrez bien quitter ce vilain habit de voyage et vous babil-1er convenablement. » M. de Louvois se garda bien de dire qu'il ne lui restait plus que le vêtement qu’il avoit sur lui : mais il déclara qu’il n’avait apporte que de vieux habits et qu’il désiroit en faire faire un neuf j et il saisit cette occasion de demander de l’argent. M. de Souvré refusa dun ton qui ne laissoit nulle espérance. M, de Louvois n’insista point, il se contenta de répondre qu'il mettroil un autre habit ; il y avoit dans la chambre où il couchoit une vieille tapisserie à grands personnages : il eu détache un pan qui représentait Armide et Renaud j d il envoie chercher le tailleur du village, et lorsqu’il fui arrivé il lui ordonna de lui faire un habillement complet , habit, veste et culotte avec cc pan dc tapisserie ; dépasser la nuil et de le lui rendre le surlendemain de
284 ^ - - -
^Monsieur et madame de Louvois logeoient j chez madame de Logny/c’étoit meme une des
conditions du\mariage, madame de Logny n’ayant paś voulu se séparer de cette fille ché-*
bonne heure Le tailleur 7 pour mettre un peu de régula
rité dans ce singulier ouvrage , fit les manches avec les deux bras d’Armide ; et sur le dos de cet habit il mit la tête de Renaud ornée d’un beau casque ; deux petits visages d’Amours et des fragmens de boucliersformoientie reste de l’habillement dont M. de Louvois se revêtit avec
une joie parfaite. Équipé delà sorte, au mois de juillet, il attendit dans sa chambre (et non sans impatience), l’ar
rivée delà compagnie: aussitôt qu’il entenditles voitures entrer dans la cour,* il descendit lestement, malgré l’étonnante lourdeur de^a parure , et il s'élança sur le per-- von , afin de donner la main aux dames , ce qu’il fit sérieusement et de l’air du monde le plus simple et le plus naturel. Comme on s’émerveilloit et que l’on question-, noit en vain M. de Louvois 7 qui , avec un maintien _ triomphal , conduisoit les dames dans le salon , M. de
Souvré survint : à l’aspect de son fils paré des dépouilles
„ de Sa chambre , il recula deux pas en arrière , en demandant dun ton foudroyant, raison de cette extravagance:
' a Mon père , répondit AL de Louvois , vous m’aviez ordonné de mettre un autre habit, et} comme je n’avois à
’ - R- +■ ^LVÏi t-
ma disposition que cette étoffe , j'ai été forcé de l’employer pour vous obéir." » ¿77 “ -»<.. 7 .
^^ (Souvenirs deFehcie,)
DE MADAME DE*GENLIS. 2^5 rie, qu’elle aimoit beaucoup plus que celle qui par la suite épousa M.‘ de Custin. M. de Louvois eut avec sa belle-mère des manières légères et des procédés ridicules; madame de Logny prit de l’humeur, et sut mauvais gré à sa fille de ne pas la partager. Madame de Louvois adoroit son mari ; cette tendresse étoit a tous égards si peu fondée, que l’on pouvoit presque la regarder comme une faiblesse; mais une mère surtout devoit la respecter, c’est ce que ne fit pas madame de Logny. Dans son dépit contre son gendre, elle eut assez peu de principes et de raison pour instruire sa fille des infidélités et des déréglemens de son mari. Par cette indigne conduite, elle perdit entièrement la confiance de madame de Louvois, et elle fît son malheur sans la guérir. L’aigreur réciproque devint extrême, les tracasseries et les explications de mauvaise foi se multiplièrent. Enfin, un jour que madame de Logny étoit allée dîner à la campagne, M. de Louvois / qui avoit secrètement loué une maison, quitta brusquement celle de sa belle-mère sans l’avoir prévenue ; il déménagea en quelques heures, et emmena sa femme/ Ce procédé bizarre et malhonnête mit le comble au
ressentiment et à la colère de madaniede Logny. En vain madame de Louvois écrivit les lettres les plus soumises, et vint se présenter chez sa mère; on lui renvoya ses lettres toutes cachetées, la porte lui fut toujours fermée. Madame de Logny lui fit dire qu’elle ne la recevroit et ne lui pardonneroit jamais ; et malheureusement'elle tint parole. Elle résista, avec une fermeté extravagante et barbare, aux représentations de ses amis, aux pleurs et aux supplications de mademoiselle de Logny, qui intercéda avec ardeur et persévérance pour sa malheureuse sœur. Mais madame de Logny, victime de sa propre rigueur,' éprouva un dérangement de santé qui: devint une maladie chronique très-dangereuse. Plus ses forces s’affoiblissoient/ plus son ressentiment sem-bloit s’accroître, ou pour mieux dire sa haine dénaturée achevoit de détruire en elle les principes de la vie. Une mère implacable peut-elle vivre?.;.* Lorsqu’on vit sa fin approcher, on lui reparla de madame de Louvois, elle imposa silence. On tâcha,.mais avec aussi peu de succès / de ranimer en elle quelques sentimens religieux. Le curé de sa paroisse vint sans être-appelé ; il lui parla de sacremens, elle ne ré-
‘ pondit rien. Il prononça le nom de madame deLouvois; et madame de Logny lui dit, d’un ' Ion terrible : Sortez f monsieur! Il s’éloigna, et resta dans un cabinet voisin. Cependant mademoiselle de Logny avoit fait entrer furtivement sa sœur, et la tenoit cachée ^ Dans un moment qu’elle crut favorable, elle se jeta à genoux au chevet du lit de sa mère/ et, baignée de larmes, elle implora pour sa sœur un pardon maternel. Taisez-vous ! fut la seule réponse qu’elle obtint. Madame de Louvois passa quatre jours et quatre nuits sur une chaise de paille, dans l’antichambre de sa cruelle mère. Madame de Logny n’admit dans sa chambre que Périgny et sa fille cadette. Cette dernière recueillit plusieurs discours qui lui firent penser que sa mère méditoit une vengeance qui pût lui survivre. Le cinquième jour madame de Logny, étant à la dernière extrémité, mais avec toute sa connoissancc, demanda son notaire, et fut enfermée avec lui plus de deux heures; durant’ ce temps mademoiselle de Logny voulut entretenir Périgny sans témoins, cl elle lui tint ce discours : « Vous êtes, monsieur, l’homme du monde que j’estime le plus, et j’ai besoin de vous ouvrir mon cœur. Je n’ai
1 f
nulle connoissance des affaires, mais je saisi qu’il est des moyens d’éluder les lois, et qu’en les employant ma mère pourroit déshériter ma sœur, et je crois que tel est son projet. Toutes mes intentions sont droites : cependant je n’ai que dix-sept ans; à cet âge on peut se démentir, ' ou suivre de mauvais conseils : je veux me lier par un engagement irrévocable. Vous, monsieur, que je regarde comme un père, recevez donc la parole d’honneur que je vous-donne solennellement, de rendre à ma sœur, si elle est déshéritée, non pas une partie du bien,,mais la moitié toute entière qui lui reviendroit naturellement. Maintenant, continua-t-elle, je suis tranquille sur ce point ; me voilà dans l’impossibilité de manquer à ce devoir. » Périgny fut profondément attendri de cette démarche.- ce qui le frappa le plus dans cette jeune personne, qui toute sa vie avoit montré le caractère le plus ferme,'fut cette modeste et vertueuse défiance d’elle-même, et la précaution qu’elle prenoit de se lier de manière à ne pouvoir changer de résolution. En effet, ce trait est admirable; il peint une •âme angélique et une vertu véritablement chrétienne. Le soir de ce même jour mademoiselle de Logny et
DE MADAME DE GE1VLIS. 289 le président, firent une dernière tentative en faveur de madame de Louvois ; ils osèrent déclarer qu’elle veilloit dans l’antichambre depuis cinq jours ; alors madame de Logny , élevant la voix, prononça avec fureur ces horribles paroles : Je la maudis. Sa malheureuse fille, placée con trela porte entr’ ou Verte, les entendit, et s’évanouit. Après ce dernier effort d’une haine monstrueuse, madame de Logny tomba dans une effrayante et longue agonie ; elle mourut au point du jour. Si elle eût eu de la religion , si elle eût consenti à recevoir ses sacremens, elle auroit reçu sa fille dans ses bras; et, malgré fin-concevable dureté de son cœur, elle auroit pardonné!... Mademoiselle de Logny voulut aller dans un couvent, on la conduisitàPantcmont. $ Par son testament, madame de Logny don-noit au président de Périgny toute sa fortune (environ cent mille livres de rente), ses terres, ses revenus, son mobilier, ses'diamans, enfin sans exception tout ce qu’elle avoit pos-sédé. Périgny accepta ce fide<commis^ et, suivant l’intention de la testatrice, il remit toute cette fortune à mademoiselle de Logny, qui par: (ageaavecsasœur, et si scrupuleusement, que, dans de compte.de l’argenterie, elle fit rompre ' '9
10ME 1.
ago X' " mémoires \
en deux une cuillère de vermeilqui fwinoit un nombre impair, afin d’en envoyer une moitié à madame de Louvois..Cette dernière mourut sans enfans peu d’années après, et toute sa fortune retourna dans1 les mains pures et généreuses qui la lui avoient cédée. Mademoiselle de Logny, un an après la mort de sa mère, épousa le comte de Custines. * Nulle jeune personne n’est entrée dans le monde avec une réputation plus désirable, et n’y fut accueillie d’une ma-nière plus distinguée et plus flatteuse. Sacón-duite avec sa sœur, dont Périgny avoit publié tous les détails , excitoit pour elle Fadmira-tion la mieux fondée, et m’inspiroit le plus grand désir de la connoître/Je vis une très-belle personne d’une figure imposante et un peu sévère, mais parfaitement régulière. Elle étoit grande, tous ses traits étoient beaux et surtout ses yeux, dont la grandeur, la coupe et F ex-; pression étoient admirables. Je me jetai a son cou avec une naïveté qui la toucha vivement. De ce moment nous prîmes Fune pour l’autre une amitié qui a duré jusqu’à la mort de cettej femme parfaite à tous égards; Je vis chez elle line jeune personne de notre âge qui devint aussi mon amie , et que j’ai eu le bonheur de
DE MADAME DE GEPfLIS.1 - agi conserver. C’étoit la comtesse d’flarville :'elle "avoit une jolie figure j de l’esprit, de la dou-ceur, de la gaieté; je n’ai connu personne d’une société plus sûre et plus agréable. Je voyois ~ aussi souvent chez moi la marquise de Bréhanl, - une beauté parfaite en miniature, elle étoit d’une petitesse extrêmef J’allois quelquefois chez la marquise de Roncé, ancienne dame de feue madame la princesse de Condé ; elle rece-‘ voit du monde tous les samedis i’on y causoit^ on y faisoit de la musique f j’y jouai plusieurs fois de la harpe. Je vis chez elle M. de Champ-fort % qui avoi t déjà donné la Jeune Indienne; il avoit une jolie figure et' beaucoup de fatuité. Je fis connoissance chez madame de Boulain-viliers avec un autre poète, Lemierre, c’étoit un excellent homme,’qui lisoit. scs tragédies avec une véhémence ridicule, et qui néanmoins
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1 La Jeune Indienne et le Marchand de Smarne ont paru dans un temps où la littérature légère étoit de mode.
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Champfoitne s’est guère élevé au-dessus de ce genre qui n’exige ni la connoissance des hommes ni la connoissance des livres. Il est fort douteux qu’il ait eû'âuUntde part qu’on lui en attribue aux éloquentes pliilippiques de Mirabeau. Champfort} né en ij4i , est mort en 1794. des suites d’une tentative de suicide^ - •
( Note de l’cJiteur, )
J
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avoit beaucoup de talent^ et d’ailleurs de très-_ bons sentimens.; Il étoit d’une laideur éton- 1 nante, mais qui n’avoit rien de repoussant; l’idée qu’il avoit de son mérite étoit fort exagérée , il la mqntrqit franchement et sans arrogance, c’étoit plutôt une opinion qu’une prétention,^ il-avoit l’air de n’en tirer aucune vanité^ elle n’offensoit personne.'Enfin j’allois souper de temps en temps chez la marquise de Créné, chez la jeune duchesse de Liancourt, et chez la marquise de Beuvron ; nous dînions ou , nous soupions une fois par semaine chez mada
me de Puisieux, une ou deux fois par mois chez la marquise d’Étrée; mais toutes mes préféren-
* ces de cœur étoient pour madame deBalincour, madame de Custines et madame d’Harville.
Je devins grosse de madame de Valence, à laquelle je donnai.' le'jour (ainsi qu’à mon dernier enfant) dans le cul-de-sac Saint-Domi-. nique. Après cet accouchement j’éprouvai une véritable frayeur : aussitôt qu’on eut examiné - l’eiifant, je remarquai sur le visage de M. de ' Genlis et sur ceux de toutes les personnes qui . étoient dans la chambre des airs consternés - qui me firent penser que j’avois mis au monde un enfant difforme; il y eut au même instant
un chuchotage mystérieux qui me confirma ^dans cette cruelle idée. Je questionnai si vivement, qu’il fallut me répondre. M. de Genlis avec un maintien de préparation qui me fit frissonner, me déclara qu’en effet cette pauvre petite fille avoit une difformité; il m’exhorta à metranquilliser, en m’assurant que le lendemain oh me diroit tout. Je n’étois nullement disposée à È tranquilliser, je fonds en larmes, je m’écrie que je veux voir mon enfant, pour la bénir et l’aimer toute seule fut-elle une carpe. M. de Genlis me gronde de ce qu’il appelle mon imagination sansjrein, enfin on m’apporte ce ' monstre qui a été depuis une si charmante personne, et l’on me fait voir qu’elle a au bas du cou une grosse fraise en demi-relief, bien rouge, picotée comme ce fruit,.de la même forme, et parfaitement ressemblante à une belle fraise de jardin. En voyant que ce h’étoit que cela, ma joie fut immodérée; je dis même, et joie pensois, que cette singularité me paroissoit fort jolie, et que je désirois qu’elle la conservât; mais M. de Genlis, animé contre cette pauvre fraise, a fait avec persévérance tous les remèdes imaginables pour l’aplatir et la faire disparoître, et l’on parvint enfin à l’effacer entièrement.
294.V ' mémoires '" \ ’í'
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X. Aussitôt que je fus relevée de cette couche,
j’allai au printemps à File-Adam, chez M.Ue prince de Conti. "J’étois déjà dans le monde/ mais je'n’avois jamais été à File-Adam; et, pour une "jeune personne' c’étoit un débuté Madame la comtesse de Boufllers et la maréchale de Luxembourg ’, toutes deux célèbres par leur esprit et par le bon goût de leur ton et de leurs manières/amies intimes <ÜrM.‘ le prince de Conti, passoient à File-Adam toute la belle saison, et là, ainsi qu’à Paris, elles
étoient les juges suprêmes de tout ce qui dé-
u
-" 1 La maréchale de Luxembourg étoit alors veuve pourla seconde fois- Elle avoit épousé en premières noces le duc de Boufflers , mort-à Gênes, de la petite vérole, en rj4y. De 1 esprit ? un goût sûr , une longue expérience de la cour et du monde en avoient fait l’arbitre de la politesse et du Łon ton. Madame de Luxembourg aima les arts , les talens et l’esprit ; elle protégea Rousseau. %Madame de Genlis parle avec assez de détails de leur rupture ; elle voyoit aussi très-souvent de La Harpe qui la conduisent dans les rues et dans ses promenades à pied, ordonnées par le docteur Tronchin. On dit qu’une de ses amies lui demandant un jour pourquoi elle faisoit de La Harpe son chevalier, madame de Luxembourg lui répondit ’ « Que voulez-vous , ma chère ? il donne si bien le bras ! » Singulier éloge pour un académicien ! Elle cultiva long temps laso-
' ' DE MADAME DE GENLIS. 2g5 butoit dans le monde. Je n’avois point été chez elles, je n’avois fait que les rencontrer, et je ü’cn élois connue que de vue.'Jusque-là j’a-vois gardé dans le*monde un profond silence; je ne parfois que dans l’intimité; on ne louoit en moi que ma harpe et ma ligure : ma réserve et ma timidité faisoient mal augurer de mon esprit. Quand on questionnoit ma tante . à cet égard, elle répondoit seulement que j’é-tois une bonne enfant, et naïve1 comme ma
dame dc D*******, une femme.de trente-six ans,'d’une simplicité fameuse, parce qu’elle conscrvoit dans un âge mûr toute celle qu’elle avoit eue a quinze ans, ce qu on aUrwuoit avec
ciété de madame Du DefFant. Ęllc fit sur un groupe repré
sentant Voltaire et le chien de cette dame , le couplet
5 <JUC V01CÏ : \ 1 r -^ fi
Vous les trouvez tons deux charro ¿ms, ^
Vous les trouvez tous deux mordans ; ^ ^" ^
L\u ne mord que vus ennemis - q I
Et l’autre mord tous vos amñ , * t •|
Voilà la différence. ~ t *' ; x
Petite-fille du maréchal de VUleroy , née en 1707 , madame la maréchale de Luxembourg mourut au mois de janvier 1787. 1 Y
* ‘^‘i*’ 1 (JiuleAc lï^tuni,)
- raison à la bêtise la plus rare qu’on ait jamais
eue dans le grand monde. C’étoit ma tante qui me mcnoit à File-Adam. Dès le premier jour/ mesdames dé ' Luxembourg Aet de Boufflers la questionnèrent sur mon esprit. Ma tante fit sa réponse ordinaire. La maréchale dit ; « Cela est singulier, car elle fait mentir le proverbe, qui . dit que les visages ronds n’ont pas de physionomie : il y a bien de la finesse dans la sienne. »
. La^ maréchale de Luxembourg avoit réparé les K torts de sa jeunesse par une dévotion sincère et par l’éducation de sa petite-fille, la duchesse de Lauzùn, une personne véritablement angélique f âgée alors de dix-huit ans. La maréchale avoit peu d’instruction J beaucoup d’esprit naturel, et cet esprit étoit rempli de finesse, de délicatesse et de grâce. Elle attachoit trop d’importance à l’élégance du langage, des manières, et à la connoissance des usages du monde. Elle jugeoit sans retour sur une expres-
’ sion de mauvais goût, et, ce qu’il y a de sin-gulier, c’est que ce jugement frivole étoit presque toujours parfaitement juste. Mais elle ne jugeoit ainsi que les gens du monde7 et non les étrangers et les provinciaux. « Celui, disoit-elle / qui a pu observer ce qui est conve-
nable et ce qui ne l’est pas, et qui adopte un mauvais ton^ manque certainement de tact, de goût et de délicatesse. » D’ailleurs elle pré-tendoit avoir découvert dans tous les usages du inonde établis alors uneinesse et un bon sens admirables; et en effet, quand on la questionnoit à cet égard, elle avoit réponse à-tout, et ces réponses étoient toujours ingénieuses et spirituelles. Sa désapprobation/ qu’elle n’exprinioit jamais que par une moquerie laconique et piquante, étoit une sentence sans appel. Celui qui la recevoit perdoit communément cette espèce de considération personnelle qui faisoit que l’on étoit recherché dans la société , et toujours invité aux petits soupers où l’on ne vouloit rassembler que des personnes aimables et de bon air- Ce genre de considération étoit alors très—désirable et très-envié.
] Les censures de la maréchale ne portoient pas toujours sur des choses frivoles; elle con-damnoit avec plus de rigueur encore le ton. avantageux et tranchant, la confiance présomptueuse ,\ et tout ce qui dans la conversation annonçoit la fatuité ou de mauvaÛLsentimens. La maréchale étoit véritablement Tïhstitu trice Je toute la jeunesse de la cour, qui mettoit
!
une grande importance à lui plaire. Je m’attachai particulièrement à l’écouter ; elle me prit en amitié et me permit de la questionner sur les choses que j’ignorois, et surtout sur les usages du’monde// dont elle avoit étudié Fes-prit,: ce qui m’a aidé à faire un ouvrage que-j’ai dans- mon portefeuille, et qui a pour titre ': 'Esprit des , usages et des étiquettes du dix-huitième siècle. Je compte y donner une autre forme, et le mettre en dictionnaire,*.^
) La comtesse de Bouffiers 3, ancienne amie intime de M. le prince de Conti, et qui avoit ’■ conservé sur lui le plus grand ascendant, étoit
^ * Ce que j’ai fait depuis que j’ai écrit ceci. ' -
■^^ ^ ” \2aj t¿;l< (Noie de l’auteur.) ^ J
3 Qu'il ne faut pas confondre avec la marquise de Bouffiers ', mère du célèbre chevalier de Bouffiers et de madame de Cussé , depuis comtesse de Boisgelin. On a fait de cette dernière le portrait suivant • « Elle parloit peu , écrivoit peu , lisoit beaucoup , non pour s'instruire* non pour former de plus en plus son goût , mais elle lisoit comme elle jouoit } pour sexempter de parler/Ses lectures étoient bornées à peu delivres
quelle relisoit souvent, elle ne rete noit pas tout, mais il ne résultoit pas moins pour elle , à la longue , une source de croissances d’au tard plus intéressantes , qu’elles prenoient les formes de ses idées, » ^
Lu marquise de Bouffiers fit les délices de la cour du
i * DE MADAME DE GEVLLS. 29g l’une des plus aimables personnes que j’aie connues ; elle avoit dans l’esprit je ne sais quelle contrariété qui lui'faisoit soutenir,dûs opinions extraordinaires et quelquefois! extravagantes :¡ elle étoit trop ennemie des lièux/communs. Cette aversion,’jointe à beaucoup d’esprit,'4a \ rendoit très-piquante, mais lui donnoit à tort la réputation d’avoir l’esprit faux; au reste, sa conversation étoit amusante et remplie d’a-grémens. Elle aimoit à faire valoir les autres;1 et c’étoit avec un naturel {et une grâce queje _ n’ai vus qu’à elle. La comtesse Amélie / sa belle-fille, qu’elle aimoitpassionnément, âgée alorsdc dix-scpt ans, n’avoit rien de remarquable. Sa belle-mère contoit d’elle des mots, charmans qu’elle seule¡avoit entendus; mais, depuis la
' mort de la comtesse de Boufflcrs, on n’en a plus cités. ^' 1 ; u ,J
1 II y avoit toujours à demeure à File-Adam un vieillard fort aimable, M. de Pont-de-Veslc? Tous les soirs, à la "fin du souper, M.. le prince dc Conti lui demandoit de chanter des impromptus sur toutes les jeunes dames qui
roi Stanislas , à Lunéville. Elle étoit mère du marquis cl du chevalier de Bonfflevs Elle est morte en 1787.
- (Tiule de l'editenr. )
étoient à table. Il faisoit ces couplets en vers blancs. Il y avoit de la galanterie sans fadeur,, et de la grâce ; mais cela étoit embarrassant pour les jeunes dames; il paroissoit bien difficile alors d’avoir un bon maintien pendant ces espèces d’éloges publics, quoiqu’ils eussent
' une petite tournure épigrammatique \?M? le. prince de Conti étoit le seul des princes ’ du sang qui eût le goût des sciences et de la littérature,et qui sût parler en public. Il avoit une beauté 7 une taille et des manières impo-
1 Les femmes se sont aguerries depuis avec les louanges données publiquement , on les y avoit accoutumées dans les pensions dès leur enfance.-^'
L’usage établi dans les colleges de donner publiquement des prix aux écoliers ~ est utile et bon , puisque les hommes, destinés à jouer de grands rôles dans la société ; sont faits pour aimer la gloire. Mais ce même usage est très-déplacé dans les éducations de jeunes filles, dont les vertus caractéristiques doivent etre la réserve et U modestie ; tout ce qui peut étendre , exalter leurs prétentions , est en opposition avec leur destination naturelle , et par conséquent pernicieux : aussi ne le^ couronne-t-on publiquement que dans les pensions formées depuis , la révolution , c^st-à-dire , depuis que toutes les idées morales ont été bouleversées , et depuis Vabolissement de toutes les règles du bon goût et des convenances.
7- “ (Note de fauteur.}
DE MADAME DE GENLIS. ÒOI
santés ; personne ne sut dire des choses obligeantes avec plus de finesse et de grâce; et, malgré ses succès auprès des femmes, il étoit, impossible de découvrir en lui la plus légère nuance de fatuité. Il fut aussi le plus magnifique de nos princes ; on étoit chez lui comme chez soi. Dans les grands voyages de file-Adam , chaque dame avoit des chevaux et une
•T- ^ -A-
voiture à ses ordres; et, n’étant obligée de des-cendre dans le salon qu’une heure avant le souper, elle étoit maîtresse de donner à dîner tous les jours dans sa chambre à sa société particulière. Comme le prince nedînoit point, il vouloit épargner aux femmes la peine de descendre dans une salle à manger et l’ennui de s’y trouver avec cent personnes. La représentation étoitréservée pour le soir; mais on jouis-soit durant toutelajournéed’une liberté parfaite et du charme d’une société intime. Quel dommage que ce prince aimable ait eu l’étrange manie d’affecter quelquefois un despotisme et une dureté qui n’étoient nullement dans son caractère! -Voici un trait dont j’ai été témoin un jour que nous passions d’un salon dans une ^ièce • voisine pour aller entendre la messe. M. de Chabriant arrêta M. le prince de Conti
5o2yv'f> I- MÉMOIRES
pour lui demander ses ordres sur un braconnier qu’on venoit de prendre. A cette question, M. le prince dc Conti, élevant extrêmement la \voix Í ; répondit:, froidement, Cent coups de bâton et trois > mois de'cachot, et il poursuivit son chemin avec l’air du monde le plus tranquille."*Ce sang-froid, uni à cette cruauté ,J me fit frémir. L’après-midi, me trou-vant auprès, de M. de. Chabriant, il me fut impossible de ne pas ' lui parlei* du pauvre braconnier et de l’arrêt barbare prononcé par le prince. «Boni dit en riant M. de Cha-briant, il ne parloit que pour la galerie. Je connois cela : jamais un seul de ces ordres tyranniques, donnés^en public, n’a été exécuté; et, quant au braconnier qui vous intéresse, il sera seulement banni de File-Adam pour deux mois,-et, pendant ce temps, monseigneur prendra secrètement soin de sa famille, qui est très-nombreuse. Voilà l’ordre qu’il m’a donné tout, bas'en sortant de la messe.» — «Quoi! repris-je, ce n’est point un premier mouvement de colère qui- lui fait prononcer ces odieuses sentences? » — « Non; c’est seulement une 'prétention : il veut de ' temps en temps paroître redoutable et terrible. » ^ '
On a trop loué M. le prince de Conti sur ce qu’onappeloit alors dû caractère. Cette louange étoit enivrante pour un prince de la' maison de Bourbon; c’est la seule ^depuis M. le régent) que la flatterie n’ait pu prodiguer, et, pour la mériter, M. le prince de Conti jouoit le tÿran, tandis qu’au fond de l’âme il étoit rempli d’humanité ~•
• Je trouvois au prince de Conti une très-belle représentation, une majestueuse et belle figure, et beaucoup d’esprit; mais je n aija-
* L'a vieille comtesse de Rochambeau m’a conté de lui un joli trait de galanterie et de magnificence. Madame de Blot, dans sa jeunesse, dit un jour, en présence de ce prince, qu'elle vouloit avoirleportrait en miniature de sou serin dans une bague. M. le prince de Conti offrit de faire fąjre le portrait et la bague , ce que madame de Blot accepta , à condition que la bague seroit montée de la manière la plus simple, et qu’elle n’auroit aucun entourage. En effet, la bague n'eut qu’un petit cercle d’or , mais au lieu de cristal pour recouvrir la peinture , on employa un gros diamant que l’on rendit aussi rmince qu’une glace. Madame de Blot s’aperçut de cette magnificence, elle fit démonter la bague et renvoya le diamant ; alors M. le prince de Conti fit broyer et réduire en poudre ce diamant et s’en servit pour sécher l’encre du billet qu’il écrivit à ce sujet à madame de Blot.
( Note de lautcut. )
óo4 C MÉMOIRES’ ^-¿
mais pu m’accoutumer à lui, ni vaincre l’embarras qu’il m’inspiroit: il y avoit dans sa ma-’ niére de regarder quelque chose de scrutateur qui me déconcertoit. Malgré les préventions de mesdames de Luxembourg et de Boufflers en ma faveur,! il. me trouva bien médiocre. Aussi’quand M/de Donézan lui .dit que je "jouois les proverbes d’une manière extraordinaire, il ne vouloit pas le croire. Il fut décidé que nous en jouerions. On fit faire un petit théâtre portatif que l’on mit dans la salle à .manger, et nous répétâmes le Sc.veiier et le Financier; il n’y avoit que trois personnages, le financier, le savetier et sa femme. Je faisois ce dernier rôle, et M. Donézan celui de savetier avec une perfection qui ne laissoit rien à désirer. Ma tante ne m’avoit jamais vu jouei’ de proverbes, car je n’en avois joué qu’une seule fois avec M. Donézan chez madame de La Rey-niore, et seulement devant quatre ou cinq personnes. Nous eûmes un succès prodigieux; la timidité silencieuse que j’avois habituellement donna quelque chose de merveilleux à ce succès : dans une dernière scène je fis pleurer et rire; J’enthousiasme de M. le prince de Conti fut extrême. Il fit promettre à M. de Genlis
— 4 DE MADAME de genlis. ' 5o5 de me faire peindre dans ce costume de save-tière tenant un panier plein d’ognons; on m’a peinte en effet avec cet habit, Je ne sais ce que ce portrait est devenu." On nous fit jouer quatre jours de suite ce proverbe. La maréchale et madame de Boufflcrs furent - char-+ mantes pour moi dans cette occasion ; f elles avoient l’air de triompher de mes succès f-et Tépétoicnt que pour jouer ainsi de tète; il fal-loït avoir beaucoup d’esprit; ce qu’il faut surtout, c’est du naturel. M. le prince de Conti essaya encore de causer avec moi ? ^ mais en vain : mon malaise avec lui étoit invincible.’ Toutes les femmes, et, particulièrement ma . tante, voulurent aussi jouer des proverbes, et demandèrent des. leçons à M. Donézan, qui assura qu’il ne m’en avoit donné aucune, et que, dès la première fois, j’avois joué ainsi, r,. *‘On arrangea plusieurs proverbes. Madame de Mon tesson et madame deSabran (dame de madame la princesse de Conti) 1 prirent des rôles, et jouèrent,-non pas d’une manière’ passable, mais ridiculement. Elles le, sentî-
5 rent; et leur humeur fut extrême. Madame db 'Sabrant montra la sienne comme une enfant;1 "après’les proverbes "ellc pleura de dépit. Cette 'scène fut étonnante fjvmé confondit. Madame de Sabran, qui ni’avoit montré jusque-là une ^grande bienveillance / devint mon ennemie ; j’ehai eû beaucoup par la suite pour des cau-’scs aussi frivoles? On cessa de jouer des proverbes, au’grand regret ^ de M; le prince de Conti? de la maréchale, de'madame de Bouf-fiers et.de M/de Donézan. Mais on joua la comédie? je” n’avois 'que deux‘rôles insigni-flans; celui d’amoureuse dans Vimpromptu de ' campagne^, et * celui d’Isabelle dans les Plal-■deuts. Mais pour m’entendre chanter et, jouer de- la harpe? M. dé Pont-de-Vesle fit un divertissement , Les noces dIsabelle ; fans lequel je jouai une sonatede harpe / et je chantai de fort jolis couplets.tv £ . .' ’"> '-î rd Madame de Montesson jouoit, à mon gré ; fort mal la comédie, parce qu’en cela; comme
' en toute chose', elle manquoit de naturel. Mais . elle avoit beaucoup d’habitude, 'et l’espèce de ' talent d’une comédienne de province, parvenue par son âge aux premiers emplois, et n’ayant que de la'routine/Le comte, depuis duc de
Guignes, étoit de ce voyage : il passoit pour être l’un des hommes de la côur les plus bril-Jans et les plus aimàbles; sa1 figure et sa taille n’avoientde remarquable qu’une "extrême recherche de coiffure et d’habillement^ Toute sa réputation d’esprit tenoit à une sorte d’espiori-nage de toutes les petites choses ridicules et de mauvais ton , qu’il coñtoit en pelade motó d’une manière plaisante , qu’il dénonçoit à la maréchale de Luxembourg,, et dont il se mo-^ Tuoit fort agréablement avec elle et madamé ■de Bouillers. Mais ce genre de moquerie n’atta-'quoit jamais la réputation, Une tomboit què sur‘des niaiseries.'Le* duc de Guihes avoit 'des talons agréables; il étoit bon musicien et jouoit fort bien de la flûte. Un autre homme k "de ce temps, qui avoit aussi de grands sucées' ■auprès des femmes, étoit le comte de Chabot: » il n’étoit ni beau, ni de la première jeunesse • " ‘ il ne parloit jamais tout haut, il hégayoit / cè qu’on trouvoit en lui une grâce; il avoit une • galanterie mystérieuse qui ne s’exprimoit que ^ par des petits mots assez fins, toujours dits à demi-voix ; elle étoit un peu banale , car elle s’adressoit à presque toutes les jeunes 'personnes, mais elle ne paroissoit pas l’êhc,
parce qu’elle étoit toujours confiée tout bas à l’oreille, et avec un air de sentiment et de : vérité qui avoit quelque chose de séduisant.
Son frère, le vicomte de, Jarnac, étoit l’homme le plus poli de la cour ; il avoit la manie des arts, et une grande magnificence ; ses manières étoient nobles et sa figure assez belle / mais il man-quoit de^râce. Je revis, avec un grand plaisir, à File-Adam7.1ajeune comtesse de Coigny, auparavant mademoiselle de Roissy, avec laquelle j’avois été fort liée au couvent du Précieux-Sang? Elle avoit'de la singularité, mais de l’esprit et de bons sentimens : nous renou-velâmes connoissàhce ;, elle me conta qu’elle avoit la t passion de l’anatomie ; goût fort extraordinaire dans une jeune femme de dix-huit ans. Comme je m’étois un peu occupée de chirurgie et de médecine, et queje savois saigner, madame de Coigny aimoit beaucoup à causer avec - moi1. Je lui promis de faire un cours £? 1 C'est elle qui fut mère de madame de Fleury " et qui a divorcé. La comtesse de Coigny mourut très-jeune. On prétend que sa passion pour* l'anatomie contribua a sa mort , en lui faisant respirer un mauvais air. On as-siiroit dans" le temps quelle ne ^ oyageoit jamais sans, avoir dans la vache de sa voiture un cada^ rc
"^..^T' (Note île TaulcurJ
d’anatomie, mais non pas, comme elle, sur des -cadavres ; la fameuse mademoiselle Biron ’, qui logeoit à l’Estrapade, pré» du cul-de-sac Saint-Dominique, est la première qui ait fait, avec - de la cire et des chiffons, des sujets entiers anatomiques, ce qu’elle exécutoit|avec une véritable perfection; c’est chez elle que je fis à plusieurs reprises un cours d’anatomie. Elle modeloit ses tristes imitations sur des cadavres qu’elle avoit dans* un cabinet vitré au milieu de son jardin; je n’ai jamais voulu entrer ' ' ' 4 .. j ‘ ) 7^
_ * Cette demoiselle, qui s’appeloit Biberon, étoit fille d'uu chirurgien ; elle avoit alors cinquante ans Elle avoit eu toute sa vie une véritable passion pour l’anatomie , elle suivit pendant long-temps des cours de dissection dans différons amphithéâtres , et prit une connoissance parfaite des diverses parties du corps humain elle composa des pièces artificielles qui represento lent si bien la tête, les poumons, le cœur, etc. , qu’on avoit peine à les distinguer des objets naturels. Lcchevalier Pringle/ en considérant ces imitations do la nature , dit à mademoiselle Bi héron : « Il ri y manque que la puanteur. « Cette demoiselle, modeste et dévote, vivoit d’une petite rente de douze à quinze cents livres, Elle avoit , dit Grimm , beaucoup de netteté dans les idées, et faisoil ses dénions-limitons avec autant de clarté que de précision.
'dans ce cabinet fi qui faisoil ses délices 7' et, qu’elle appèloit son petit boudoir. ;, ^‘
Madame, la comtesse d’Egmont la jeune ^ • fille du maréchal de Richelieu, chez laquelle j’avois, soupe plusieurs fois avec madame de Montesson , vint cette” année à File-Adam ; elle étoit encore d’une figure charmante, malgré sa mauvaise santé pelle n’avoit alors que •vingt-huit ou vingt-neuf ans, et le plus joli visage que" j’aie vu.’ Elle faisait beaucoup trop de mines, mais toutes ses mines étoient jolies. Son esprit ressembloit à sa figure; il étoit maniéré et néanmoins rempli de grâce.. Je crois que madame d’Egmont n’étoit que singulière
• et non affectée; elle étoit née ainsi. Elle a fait beaucoup do grandes passions, on pouvoit lui reprocher un sentiment romanesque qu’elle a . conservé long-temps ; mais - ses mœurs ont 'toujours été pures. Les femmes ne Faimoient . pas : elles envioient le charme séduisant de sa .figure', elles ne rendoient nulle justice à sa ‘ bonté i à sa douceur; et, comme on pouvoit la îcritiquer en 'mille choses’-on ne l’épargnoit
pas dans'ce qu’on pouvoit blâmer.” Je n’aija- / mais entendu faire autant de petites moqueries qu’on en faisoit sur elle, ce qui ne m’cmpèchoit
^ DE MADAME DE GENLIS. ^ —5xi
ni de la rechercher, ,ni de l’accueillir, ni de la trouver charmante.. La cornière fois que ma tante et moi nous soupàines chez elle, avant d’aller à l’Ue-Adam, M. de Lusignan, qu’on appeloit la grosse tête, étçit à ce souper. M. de Lusignan n’étoit pas dépourvu d’esprit, mais il manquoit absolument de réflexion, et il avoit pris l’habitude de dire naïvement tout ce qui se présentoit à son imagination. Comme il n’avoit point de méchanceté , on lui passoit ce caractère, qui lui donnoit une sorte d’origi¿ nalité. Au souder, dont je parle, étant à table dans la salle à manger, ses yeux se’portèrent sur un grand tableau placé vis-à-vis de lui, et qui représentoit une très-belle femme assise et paroissant rêver, tristement. Il questionna M. d’Egmont.sur cette bęlle personne; M. d’Eg-mont répondit que cette figure mélancolique étoit une de ses aïeules, femme d’un «comte. d’Egmont, qui, ayant acquis les preuves de’ son infidélité, lai coupa la tète, «Eh monPieu! madame; s’écria M. de,Lusignan', en s’adres-^ sant à .madame d’Egmont;, ce tableau-là ne> vous fait-il pas .peur ?.. .'.Mais, poursuivit - il, grâce au ciel, les d’Egmont p1 ont plus cette férocité. » Pendant ces belles remarques, font».
L le monde se regardoit, madame d’Egmont rit ^d’une^manière un peu forcée, on se hâta de changer d’entretien. Ma tante conta cette scène à plusieurs personnes, et enfin on en parla à madame d’Egmont, en lui disant que c étoit moi qui Pavois contée. Lorsque madame d’Egmont vint à l’Ile-Adam, je fus très-étonnée de la trouver d’une extrême sécheresse avec moi; j’appris qu’elle disoit que, malgré mon air doux et timide, j’étois fort malicieuse ; je priai ma tante de lui demander pourquoi elle me jugeoit ainsi, après m’avoir montré tant de bienveillance.’Ma tante alla chez elle un matin1,1 et madame d’Egmont lui dit ce qu’on lui avoit rapporté ; ' alors, ' ma tante fit une chose parfaitement honnête , elle me justifia - 'jfl * ^
en "s’accusant. Je n’ai pu -douter de ce bon - procédé, car dès le même jour madame d’Eg-.mont me fit mille "amitiés,-et je remarquai qu’elle étoit très-froide' pour madame de Mon-r tessonÍ rancune qu’elle a toujours conservée. ^^ Nous restâmes six semaines à l’Ile-Adam, .ensuite je passai quelques jours à Paris, au bout desquels je?partis avec^ma tante pour Villers-Cotterets7 où j’allois pour la première fois.’ Nous avions encore appris des rôles pour
y jouer la comédie, et même l’opéra. Nous *
F TÍ i. ■ H ir
jouâmes Periumne et Pomoneï Je jouois Ver-
tumne, qui est déguisé en femme, ma' tante jouoit Pomone; elle avoit imaginé de se faire
T*1 ^
faire un habit garni de pommes d’api, et au-tres fruits. Madame d’Egmônt dit qu’elle res-sembloit à une serre chaude.' Cet ' habit étoit
lourd, ma tante étoit petite, et n’avoit pas une jolie taille, sa voix étoit trop foible pour un rôle d’opéra: elle échoua tout-à-lait dans celui-ci. Le marquis de Clermont, depuis ambassadeur de Naples, joua très-bien le dieu Pan. J’eus un succès inouï dans mon rôle de Ver-tumne. Nous avions dans les ballets tous les danseurs de l’Opéra; on devoit donner trois représentations de ce spectacle, on ne le joua qu’une fois, ainsi que l’7Ze sonnante , opéra-comique, . paroles de Collé et musique de Monsigny. J’y jouois une sultane, et j’ouvrois la scène par une grande ariette que je chantois en m’accompagnant de la harpe. Monsigny avoit fait l’ariette et le rôle pour moi. J’avois un habit superbe, chargé d’or et de pierreries ; et quand on leva la toile je fus applaudie à trois reprises,’ et on me redemanda- deux fois mon ariette. 11 me fut impossible de ne pas remar-
- quer que ma tante, après le spectacle , avoit. 7 beaucoup d’humeur. Nous jouâmes Rose et. Co-^ ' las ; ma tante, qui avoit trente ans, fit levóle de Rose, et moi celui de la mère Robi. Nous jouâmes encore le Déserteur. Madame de Mon-tesson y'joua'le beau rôle, je jouai celui de la petite fille; madame la comtesse de Blot / qui avoit été dame de la feueduchesse d’Orléans, et qui avoit alors trente7quatre ans, joua les
K beaux rôles dans le Misanthrope et le Legs t et - avec le plus grand succès? Elle avoit en effet beaucoup de grâce, et un jeu très-spirituel, fie comte de Pont jouoit le rôle du misanthrope avec une perfection rare; il n’imitoit aucun J acteur de ~la Comédie-Françoise; il avoit un véritable talent, et une noblesse dans le main-_ tien et les manières que nul acteur de progression ne peut avoir. M. de Vaudreuil étoit ' aussi un des bons acteurs de notre troupe; sa figure étoit agréable, il contrefaisoit parfaitement Mole dans les rôles d’amoureux. M. de Vaudreuil étoit fort à la mode; son esprit n’é-toitipas. étendu, mais il'avoit un, excellent ton. Madame d’Hénin disoit que les deux hommes qui savoient le mieux parler aux femmes, étoient Le Kain siïr'le théâtre/et M.’de Vau-
DE MADAME DE GENLIS. Si 5 dreuil dans le monde. Ce derniei’ ¿voit une quantité de petits talens très-médiocres 7 mais agréables dans la société. Il chantoit un peu 7 il dansoit assez bien, il paroissoit aimer tous les arts; quand ce ne seroit qû’une prétention,’ elle est toujours utile et noble. Il avoit de la douceur et de la politesse; personne ne le crai-;gnoit, il étoit généralement aimé. *
b* Le fameux comédien Grandval nous faisoit répéter nos rôles^ -il joua'même avec nous.’ M. le duc d’Orléans jouoit fort rondement les rôles de paysans. Je vis' làç à nos l'épétitions, Collé et Sédaine/ qui n’étoient aimables ni l’un ni l’autre. Carmontel*, lecteur de M. le “ t fl ‘ -^r - \
j 1 Carmontel étoit extrêmement aime du prince et de tout ce qui vcnoit à Villcrs-CoUcrets j il avoit l’esprit naturellement observateur et n’en a jamais abusé pour faire aucunes tracasseries dans la société : cet esprit lui a servi à peindre avec une grande vérité , et par consé-. quent beaucoup mieux que lesf gens de lettres les plus célèbres , les travers du monde et le ton de la bonne -compagnie/Il faisoit à la gouache les portraits en pied de toutes les personnes qui venoient à Villers-Cottcrets.
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On se plaisoit à causer avec lui, ses séances etoient tou-jours dans Je salon où étoient les princes et toute leur société. 11 étoit du petit nombre de ceux qui , n’ayant pas le droit de manger avec les princes 7 cl oient appelés
5l6 ^í ™ MÉMOIRES . ^
duc d’Orléans, venoit dans le salon à l’issue " du dîner, pour peindre dans un grand livre „ toutes les personnes qui arrivoient à Villers-
Cotterets; tous ces portraits étoient en profils J et en charge, mais ressemblans, et formoient une collection, curieuse. On ne lui, donnoit qu’une séance, il me peignit jouant de la harpe, mais fort en laid : j’avois un petit front, qu’il fit beaucoup trop grand / ce * qui otoit de la ressemblance. M. le duc d’Orléans voulut me voir jouer des proverbes avec Carmontel / qui jouoit avec perfection les maris bourrus et de mauvaise humeur; c’étoit sans nulle chargei et avec un naturel et un comique parfaits, mais il • n’avoit que ce seul genre.* M. de Donézan et M. d’Albaret jouèrent avec nous ; ma tante ne voulut pas jouer, mais nous excitâmes lia tel enthousiasme, que nous consentîmes à jouer
pour prendre des glaces dans lo salón. Ses proverbes, qui ont obtenu un très-grand succès , seront toujours placés dans toutes les bibliothèques comme un monument qui _ retrace parfaitement les mœurs et les usages de cette . Íépoque. Une des singularités de la vie de Carmontel ~ a été de mettre ses proverbes en transparens et scs
transparens en proverbes. Il est mort en 1808 , il étoit né en 1717.” »
t' 1 , ^"’i V' ¿J . (Note del’éditoni )
V’- ' DE MADAME DE GENLIS.*-'' £ 3l7 tous les soirs. Ma tante, à la fin du voyage,* eut un succès très-singulier et très-éclatant. Cette histoire est assez extraordinaire pour la conter avec détail/ r ' ’ ; « ’ 4
^.Depuis mon mariage, ma tante me témoi-gnoit beaucoup d’amitié, et j’en avois pris une si - vive pour elle, que ce sentiment avoit triomphé de mes souvenirs et de mes rancunes. J’attribuois la dureté de ses procédés avec ma mère, à sa légèreté, et à une avarice que je ne pou vois me dissimuler, qui étoit son défaut dominant; d’ailleurs je ne lui en voyois pas d’autres,< elle avoit une grande égalité d’humeur, de la gaieté; je la croyois franche et sensible, elle me caressóit excessivement, j’étois persuadée qu’elle avoit en moi la plus grande confiance, et je Faimois à la folie : elle m’avoit confié que M. le duc d’Orléans étoit, amoureux d’elle, et qu’il étoit jaloux du comte de Guines. Madame de Montesson n’avoit pu nier cet attachement mutuel, elle protesta qu’il avoit toujours été platonique, elle assura que le sentiment qu’elle avoit pour lui ne finiroit que par le changement du comte do Guines. Elle me disoit toutes t ces cho-scs, ainsi qu’à' M. le duc‘d’Orléans, ' et je
¡.les croyois comme lui. J’ai oublié de dire qu’a-" -yant notre départ de l’Ile-Adam, JM. le due
d’Orléans y. vint passer sept ou huit jours/ durant ce temps"le comte de' Guines;parut tout à coup uniquement" occupé de la comtesse : Amélie de Bouffiers; ma tante me le fit remarquer, en ajoutant qu’elle en mouroit de douleur. Je lui représentois bonnement qu’elle de voit tout faire pour triompher d’une passion toujours,si condamnable malgré la pureté de ses mœurs; puisqu’elle étoit mariée et que le comte l’étoit j aussi/ M.' ■ de ; Montesson : avoi t quatre-vingt-huit ; ans, - mais ' lą comtesse de Guines étoit jeune. Ma tante parloit fort bien de la vertu', je lui voyois même des sentiment religieux; elle' gémissoit de,sa faiblesse, et je la plaignois sincèrement; Ja croyant dans la situation du monde la .plus violente. Quant a M. le; duc d’Orléans/elle me disoit qu’elle avoit, pour lui;une;tendre amitié, et quelle faisoit .tous śses efforts pour le guérir d’une passion malheureuse. J’avoue que je ne croyois pas cela, car le contraire/sautoit aux yeux; ■ mais je n’attribuois sa conduite avec lui qu’à -sa;coquetterie naturelle, et je ne lui supposois
pas le;moindre dessein d’ambition. Monsigny,
DE madame DE GENLIS. ; 510 l’un des plus honnêtes hommes que j’aie cou-1 nus, et qui avoit beaucoup d’esprit naturel, se passionna pour ma voix et pour ma harpe, et venoit tous les jours faire de lamùsique avec moi dans ma chambre.' Je pris de l’amitié pour lui; nous causions tout en faisant de la musique; il me contoit beaucoup de petites choses curieuses, et il'm’én dit une quinine parut surprenante. C’est que ma tantéHiii avoit recommandé en secret, ainsi qu’à Sédame, de ne lui donner que des louanges aux ' répétitions ( où se trouvoit toujours M. le duc d’Orléans), et do ne lui donner des avis qu’en particulier; elle disoit que cela l’encôurageoil. Monsieur et Sédaine pensoient bien qu’il s’agis-soit de la faire valoir auprès de M. le duc d’Orléans, et à cet égard ils la secondoiont à merveille, car ils lui prodiguoient les éloges. Ce manège lui réussit parfaitement; M. le duć d’Orléans étoit persuadé qu’elle avoit des tà-lens miraculeux. Ce'prince, très-foiblè, □ et - qui n*étoit pas doué du caractère et de l’es-' prit de Henri-Ie-Grand, ne savoit rien ' juger par lui-même, il ne voyoit que par 'les yeux des autres. Toutes les anciennes amies de M. le duc d’Orléans," sans aimer madame
•de'Montcsson,' entroient parfaitement dans ses vues, mais par un intérêt particulier. La constance de M. le duc d’Orléans, depuis plusieurs années, pour une courtisane ( Marquise f appelée depuis madame de Villemonble), avoit absolument retiré ce prince de la bonne compagnie des femmes / mesdames de Ségur, mère, et belle-fille, mesdames de Beauvau, de Grammont, de Luxembourg, y perdoient tous les agrémens et l’utilité que l’on trouve toujours • dans la'société intime des, princes. Depuis ? long-temps Mes voyages de Villers-Cotterets étoient perdus pour ces dames, là, Marquise régnoit; M. le duc d’Orléans n’y in-vitoit que des hommes. On devoit le voyage, brillant dont nous étions, à madame de Mon-tesson : ainsi ces dames désiroient passionnément que ma tante achevât de tourner la tète à ce prince ; il leur étoit beaucoup plus agréable qu’il eût pour maîtresse une femme de la société qu’une courtisane ^-’ parce qu’alors l’intimité du prince leur seroit rendue. Je ne ¿ais si elles prévoyoienl qu’au lieu de consentir à être sa maîtresse, ma tante avoit le projet de devenir sa femme. Au reste ce dernier événement ne pou voit < leur déplaire : toutes
DE MADAME DE GENLIS. 52ï les femmes de qualité dévoient naturellement en être flattées. ।
. Ma tante, qui, comme je l’ai dit, vouloit terminer ce voyage par quelque chose dJéclatant, eut l’idée la plus singulière. Elle voyoit que M. le duc d’Orléans étoit dans l’admiration de ses talens, mais il ne pouvoit avoir la même opinion de son esprit; il s’agissoit d’en acquérir une tout à coup qui effaçât celle de mesdames de Boufllers, de Beauvau, et.de Grammont. Mais comment faire? ma tante étoit d’une ignorance extrême, elle n’avoit pas la moindre instruction, elle n’avoit lu dans toute sa vie que quelques romans. Elle savoit fort mal l’orthographe, et elle écrivoit très-mal une lettre. Cependant .elle eut la pensée de devenir auteur: ne pouvant rien inventer elle imagina de faire une comédie du roman do Mariane de Marivaux; les conversations si multipliées de cet ouvrage lui donnoient une quantité de scènes toutes faites, d’ailleurs le sujet lui plaisoit, c’étoit V^mour triomphant des préjugés de la naissance et rapprochant toutes les distances. Mais ma tante ne se dissimula’ pas qu’en donnant cet ouvrage sous son nom, elle auroit à combattre des prétentions que nul intérêt ne
TOME I. i¿ - 2 1
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fait abandonner, et que les femmes qui député long-temps passoient d’un aveu unanime pouf les plus spirituelles de la société ne lui céderaient pas cette gloire. Ma tante se tira de cette difficulté avec l’adresse la plus spirituelle qu’elle ait eue de sa vie. Elle fit la pièce en prose et * en cinq actes, c’étoit un ouvrage au-dessous du 'médiocre, niais un drame qui n’avoitrien de ridicule, et dans lequel se trouvoient quelques jolies phrases, et quelques entretiens agréables -littéralement copiés du roman de Marivaux. Elle ne fit part de cette entreprise qu’à M. le duc d’Orléans, elle me la cacha ainsi qu’à tout le monde. Quand la pièce fut achevée elle la lut tête-à-tête à M. le duc d’Orléans, qui, quoiqu’il n’en fût pas bien sûr, dit qu’il la trouvoit char-- mante. Eh bien, reprit ma tante, je vous la . donne, je jouirai mieux de votre succès que du mien, d’ailleurs je ne veux point que l’on sache que je suis auteur. Lisez cette pièce comme si elle étoit de vous, et si on en est content, gar-x dez-vous de me trahir, que l’on croie à jamais que vous en êtes l’auteur, et nous la jouerons pour j dernier, spectacle. M. le duc d’Orléans fut touché aux larmes de cette générosité f il ne vouloit pas en profiter/'elle insista fortement,
il y consentit. J’ai su par la suite tout ce détail de lui-même. Mi le duc d’Orléans déclara donc qu’il avoit fait une comédie, ce qui ne causa pas un médiocre étonnement, que madame de Montesson eût l’air de partager, en persuadant à tout le monde qu’elle ne la connoissoit pas, et montrant naïvement beaucoup de crainte sur Fouvragc. On se demandoit en secret comment M. le duc d’Orléans avoit pu faire une comédie, et l’on pensa généralement que Collé en avoit apparemment fait le plan, et corrigé le langage. Personne n’eut l’apparence du soupçon sur le véritable auteur; M. le duc d’Orléans annonça qu’il en feroit lecture. On indiqua lè jour,; et l’on y invita tous les hommes et toutes les femmes de la société qui passoient pour avoir * le plus d’esprit,'la curiosité étoit extrême. Enfin ce grand jour arriva. Je fus admise à la lecture mais non sans quelque peine, ma tante ne se soucioit pas que j’y fusse. Nous voilà donc rassemblés, bien décidés d’avance à trouver l’ouvrage excellent, s’il n’est pas détestable et ridicule. Le succès fut complet; jamais lecture de Molière n’en eut un pareil, on étoit en extase; on prodiguoit à chaque scène les éloges Jes plus outrés, on n’entendoil que des excla-
5^4 ^ ’ i - M ÉM OIR ES ! mations. M. le duc d’Orléans en étoit si ému) qu’il eut continuellement les larmes aux yeux. Au milieu de cette ivresse je gardois un-modeste silence, mais j’observois, et rien assuré^ ment n’étoit plus curieux. Quand la lecture fut finie) tout le monde se leva pour entourer M* le duc-d’Orléans, plusieurs femmes hors d’elles-mêmes lui demandèrent la permission de l’embrasser, toutes parvient à la fois,’ on ne s’en-tendoit plus pon ne distinguoit que ces mots répétés mille fois, en refrain ravissant, sublime, parfait.' Ma tante pâlissant, rougissant, pleurant, ne s’exprimoitque par son trouble et des larmes.^ Tout à coup,, M. le due d’Orléans demande'un moment de silence, (et du ton le plus solennel) ;. on’ se tait, alors d’une voix émue, mais très-forte, if dit ces paroles: « Malgré r ma promesse je 1 ne puis usurper . plus long-temps une telle "gloire L... Ce bel ouvrage n’est point de moi, l’auteur est madame de Montesson L.. » A ces mots nia tante s’écria d’une voix languissante : « Ah ! monseigneur!..» Elle n’en put dire davantage, la modestie la suffoquoitelle, tomba .presque évanouie dans un fauteuils Toute la compagnie resta pétrifiée; il est impossible de donner une idée de l’effet
' de ce coup de théâtre, et du changement subit de presque toutes les physionomies; le dépit de plusieurs femmes fut très-visible; mais le mal étoit sans remède, on ne pouvoit rétracter toutes ces louanges données avec tant d’exagération, et pour ne pas avouer la flatterie la plus outrée ¿ il falloit soutenir que la comédie de Mariane étoit un chef-d’œuvre *. Ce triomphe acheva d’enthousiasmer M. leduc d’Orléans pour ma tante, à laquelle il crut de ce moment un esprit prodigieux. Je fus profondément blessée que ma tante m’eût caché ce secret, et avec une telle fausseté; cette défiance me fit con-noître combien je devois peu compter sur son amitié. Je ne lui montrai pas tout mon chagrin à cet égard, cependant je me plaignis, elle me donna de très-mauvaises raisons, j’eus l’air de m’en contenter. On joua Mariane, ma tante fit le rôle de l’héroïnè,. cette représentation n’eut pas à beaucoup près’le succès de la lecture, on n’en donna qu’une seule représentation. ' . ' ' ' « J . '
* Pour la première fois je suivis à cheval la châsse du cerf dans ce voyage. Je n’avois chassé
1 J'ai placé cette scène originale dans fa Parvenus.
J (Nelo de raKlRm.)
' à Genlis que le sanglier , la chasse du cerf me ‘ parut charmante, et surtout, je crois, parce qu’on y admiroit beaucoup la manière dont je-montois à cheval. M. de Genlis et moi nous allâmes de Villers-Cotterets à Sillery, où j’allois pour la première fois. Madame de Puisieux, toujours froide pour moi; me reçut honnêtement , mais avec une sorte de sécheresse qui redoubla ma timidité naturelle. Elle me parla des succès que j’avois eus à Villers-Cotterets, et me demanda enfin à m’en tendre jouer de la harpe, ce fut six jours après mon arrivée. Je jouai, je chantai, elle parut charmée ainsi que M. de Puisieux." « Il faut convenir, dit-elle, que cela est 'séduisant. » Je ne sais pourquoi cette pirrase me déplut J" et de premier mouvement, je répondis avec vivacité: « Cependant, madame, je n’ai séduit^uï ne veux séduire qui que ce soit. » Elle fut très-ëtonnée, parce que
- jusque-là Je n’avois disque ouiounou. Elle .me regarda fixement, et ne répliqua rien. Le 'soir M. de Genlis me gronda de ma réponse,' et le lendemain j’eus une peur affreuse de madame de Puisieux en me trouvant tête à tête avec elle dans le salon. Madame de Puisieux, couchée sur są chaise longue, comme de cou-
tqmc, travailloit au métier, je brodois au tambour; nous gardâmes le silence pendant un,, demi-quart d’heure. Enfin, madame de Pub suieux, ôtant ses lunettes, se tourna de mon côté, « Madame, me dit-elle, avez-vous donc fait le vœu d’être toujours ainsi avec moi ?, Çommcnt, madame?, répondis-je d’une voix tremblante. Oui, reprit-elle, on assure que vous êtes gaie, aimable, et depuis huit jours, vous gardez le silence le plus obstiné ; peut-on> vous en demander la raison ? a A cette question, pressante, je me décidai sur-le-champ à ré-pondre franchement, parce que le .ton avoit quelque chose de gai et d’obligeant. «Madamé, lui dis-je, c’est que je crains de vous déplaire, que vous avez un ąir sévère qui m’intimide, et qui me fait dę la peine,... — Vous avez tort de me craindre, reprit-elle, je suis très-disposée à vous aimer; que faut-il faire pour vous met-" treà votre aise avec moi?....— Ce que vous daignez faire en ce moment, » m’écriai-je, en me jetant à son cou; des pleurs d’attendrisseraent me coupèrent la parole, elle fut elle-même vi- -vement émue ; elle me reçut dans scs bras, m’y retint; cl m’embrassa à plusieurs reprises avec la plus touchante sensibilité. De cct instant jq
r
lui vouai au fond de l’âme le plus tendre âtta-chement, elle le méritoit par l'excellence de[ son cœur, de ses principes y et de son caractère, et par le charme de son esprit. Nous causâmes avec une entière liberté, elle me dit les] choses les plus aimables7 et je lui promis que' je serois dorénavant avec elle comme si j’avois eu le bonheur de la connoître depuis mon en-fance^ Une heure après M/de Puisieux rentra ' de la promenade "avec M. de Genlis et six ou sept personnes. Je priai madame de Puisieux de ne rien dire de ce qui venoit de se passer entre nous', parce que jeméditais une jolie ma-
1 nière de l’annoncer. On's’assit, et au bout de quelques minutes; je dis d’un ton dégagé, que, n’ayant point été à la promenade, je voulois me dégourdir les jambes,,et je lis deux ou trois sauts dans la chambre , ensuite j’allai me jeter sur la chaise longue de madame de Puisieux, en disant mille folies; elle rioit aux éclats, et tout le monde étoit pétrifié d’étonnement.M. de , Puisieux fut enchanté, il dit à madame de Pui» , sieux qu’il lui avoit prédit qu’elle' m’aimeroit à la folie. Toute cette soirée fut charmante pour moi. Les jours qui lui succédèrent furent les plus heureux de ma vie. Madame de P ni-
sieux prit pour moi une véritable passion. Elle me fit changer d’appartement afin de me loger à côté d’elle. Je me promenois le matin à cheval avec M. de Puisieux/je'mont oi S tous ses beaux chevaux anglois: Le soir je n’allois point à la promenade, je restois tête à tête avec‘madame de Puisieux, qui se promenoit avec moi une petite demi-heure dans la cour ou dans le potager, nous passions le reste du temps à causer dans le salon; sâ conversation étoit animée; spirituelle, et charmante; elle avoit vu un moment de la régence, son mari avoit depuis été ministre des affaires étrangères; et, petite-fille du grand Louvois,' elle a\oit la tête remplie d’une infinité d’anecdotes intéressantes et curieuses qu’elle contoit à merveille.'Avant de souper, on apportait tous les soirs ma harpe dans le salon, et j’en jouois une heure ; après le souper je jouois de la guitare ou du'clavecin à peu près une demi-heure, ehsuile je jouois au piquet avec madame de Puisieux contre M. de Puisieux, qui nous faisôit la chouette,4 et puis'j’allois me coucher; Je ne restois communément dans ma chambre qu’après la promenade du matin avec M. de Puisieux, depuis dix heures et demie jusqu’à deux heures; i
35o\^Ł' --MÉMOIRES ¿' I
Pendant qu’on mc coiffoit je H sois, habitude, que j’ai toujours conservée partout. Dans ce. temps, il étoit d’usage de recevoir à Paris et à la campagne des hommes^ à sa toilette , ce' queje n’ai jamais fait afin de réserver ce temps, pour la lecture ■ dèjorte que depuis mon ma¿ riage je n’ai jamais passé un seul jour sans faire une bonne lecture. Après ma toilette je jouois de la harpe une heure, et j’écrivois trois quarts d’heure. Je refaisois alors ma première comédie , les Fausses Délicatesses, et je l’achevai dans ce voyage. J’écrivois en outre les extraits de mes lectures. Madame de Puisieux dans nos tête-à-tête du soir me faisoit souvent lire tout haut, pendant qu’elle travailloit à la tapisserie : il y avoit à Sillery une très-boiine bibliothèque. Je lus aussi dans ce voyage/le Traité de West-phalie du père Bougeant, de la Manière de juger des ouvrages d’esprit; du père Bouhours,' les Entretiens d’A riste ei'd’Eugène du même auteur, qui me donna le goût des devises que j’ai toujours conservé depuis ; je lus aussi les poésies de Pavillon,'Je lus seule l’Histoire de Malte de l’abbé de^Vertot, et les Œuvres de Saint-Évremond. Les jours de pluie, tout ta inonde restoit dans le salon; j’allois dans ma
chambre, ce qui me donnoit trois ou quatre heures d’étude de plus.
4 Madame de Puisieux, sachant que j’écrivois sans cesse, me demanda un jour de-faire son portrait, et j'en fis deux le jour même, en couplets de chanson, l’un en contre-vérité, l’autre sérieux. Le soir, en m’accompagnant de la harpe, je lui chantai d’abord le premier, ensuite je chantai le second. Ces couplets eurent le succès dont sa bonté récompensoit tout ce que je faisois pour elle. Les voici ; ’
ł PORTRAIT DE PLAISANTERIE,'
, s ■ DE MmE. DE PUISIEUX,,
Sun l?Ain i Si Lan ardeur est mutuelle, ■
I Point d’esprit, point de caractère ,
p Point d’agrément,
Ni gaîté, ni désir de plaire ; * *
P Un ton pédant, h
Des préjugés, une humeur noire ;
Ne sachant rien 7
' ' Pas même un simple trait d’histoire ,
> La voilà bien.
■ ^ TORTRAIT VÉRITABLE DE LA MEME. - ^
Du piquant dans le caractère ^
Un désir obligeant de plaire ^ 4 2*.
J^~ . 7^ ^ Qui réussit; / ‘7 - ,. - .
’^P Du savoir» mais sans y prétendre ;
^ ~- * ’ ^ j , N’affichant rien ,^
* Pas même un cœur sensible et tendre , , * y ^ j
La voilà bien*
Nous allâmes quatre ou cinq fois à Reims,’
uniquement pour y voir madame deDromënil. Nous allâmes aussi dîner deux où trois fois à Louvois chezLM. le marquis de Souvré, frère de madame de Puisièüx. Un jour, une personne de Reims amena un jeune musicien qui jouoit du tympanon d’une manière surprenante ; madame de Puisieux regretta que je n’en susse pas jouer. Je recueillis cette parole; et le soir meme je convins, en secret, avec le musicien, qu’il viendroit tous les jours à six heures et demie du-ma tiñóme donner une leçon ; je pris régulièrement ces leçons dans le garde-meuble, au haut de la maison, pendant qdinze jours p et en outre en revenant de la promenade du matin, j’allois toute seule
DE MADAME DE CENLIS. 555 jouer du tympanon au- moins trois heures ,/et au bout de trois sêmaines'je jouois aussi bien que mon maître deux-airs, le menuet d’Exaudet, et la.Furstemberg, avec plusieurs variations. M. de Genlis, dans ma confidence ,, jû’avoit fait faire un joli petit habit à l’Alsacienne," en écarlate et juste à la taille/Je lé mis un mâtin, en faisant tresser- mes longs, cheveux, sans poudre autour de ma .tête comme les Strasbourgeoises, je mis par-dessus cette coiffure, pour la cacher,-ce qu’on appeloit alors une - bai-'* gneuse, et par-dessus mon habit une robe négligée et un manteau de taffetas noir, ^et, sous le prétexte-d’une migraine, j’allai diner avec ce double habillement. Après-le dîner J un valet de chambre vint-dire qu’une jeune Alsacienne, jouant du tympanon, demandoit à être entendue, madame-de Puisieux donna l’ordre de la faire-entrer; je me levai en disant,que j’allois la chercher. Je courus dans la chambre voisine ; je jetai* vite sur une table ma baigneuse et ma robe; je pris mon -tympanon, et presqu’au même instant je rentrai dans le salon ; la surprise fut inexprimable., et *e)le augmenta encore lorsqu’on m’entendit jouer du- tympanon. Monsieur et madame de Puisieux
*534x5*:'* -^- mémoires’ - ^\- \ 1 c.
^vinrent m’embrasser avec une tendrësse et , un ' attendrissement, qui - me récompensèrent • z bien de la peine que j’avois prise. On me fit¡ porter pendant plus de douze ou quinze jours mon habit alsacien, afin de donner à tout ce qui venoit à Sillery une représentation de cette petite scène. Ce n’est ’pas sans dessein que 'j’entre-dans ces petits détails, ils ne seront pas sans utilité pour les jeunes personnes qui liront cet ouvrage. Je voudrois leur persuader ’ que la jeunesse n’est heureuse que „lorsqu'elle est aimable, c’est-à-dire docile, modeste, at-tentive , et que le véritable rôle d’une jeune personne est de plaire dans sa famille, et d’y
-porter la gaieté, l’amusement et la joie. Lorsque dans l’âgè le plus brillant de la vie, on y porte l’ennui / on "a toujours tort. Examinez
* bien.toutes les jeunes personnes insipides et ennuyeuses, vous les trouverez indolentes, oisives , et surtout égoïstes, ńe pensant qu’à elles, et ne s’occupant jamais des autres. Ces personnes, dépourvues de toutes les grâces
"de-la jeunesse, n’en ont par conséquent ni la douceur, ni la modestie ; elles ont une vanité puérile et passive qui leur rend insupportables les salutaires conseils de l’expérience qu’elles
DE MADAME DE GENLIS. 355 .prennent toujours pour des réprimandes; elles ■ sont nuiles dans la société, parce qu’on ne peut ni leur être utile, ni attendre d’elles la moindre attention agréable. Ma belle-sœur n’avoit point de talens, son esprit n’avoit rien de brillant; et cependant, comme je l’ai déjà dit, elle n’étoit nullement insipide > elle aimoit le travail, on ne la voyait jamais oisive, elle étoit obligeante, et prenoit toujours part à la gaieté et aux plaisirs des autres, et voilà ce que toute jeune personne pourroit être, même avec l’éducation la plus négligée.
Madame de Puisieux m’aimbit véritablement à la folie, et par cette raison même elle nfe me gâtoit pas. J’étois la seule personne qu’elle reprit, et cela arrivoit continuellement; ma vivacité dégénérant souvent en étourderie, me faisoit manquer sans cesse ' à mille petites choses, et sur-le-champ madame de Puisieux m’en reprenoit, et tout haut et devant tout le monde. Je n’ai jamais eu d’effort à faire sur moi-même pour bien recevoir ces petites leçons, j’en sentois l’utilité, j’en étois recOn-noissante; elles donnoient, à mes yeux, à madame de Puisieux un air véritablement maternel qui me la rendoit plus chère: aussi je
1,
356 h T - iMÉMoiR#
lui disois qué je la priois de nie Lisser quel-, ques petits défauts, parce que si elle parvenoit à me rendre parfaite, et qu’elle n’eût plus rien à me dire, -je croyois .que je sentirois moins combien ¿je l’aimois^et combien je devois l’aimer: A - ".¡.^ , . ni Ættox- • m. «¿1 j ;La fête deM. de. Puisieux approchoit, et je résolus 1 de • la célébrer. Je lis . une espèce de pièce,-dans laquelle je. lis jouer tous les¡va-lets.de-chambre .de^M^de.Puisieux. J’y repré-sentois M..de Puisieux..lui-même, et je pre-nois le moment de .sa, toilette. Il étoit d’une petite taille, j’avois une de ses robes de chambré^ et uit .de^es, bonnets de nuit; -j’imitois toutes ses manières; je me faisois faire la barbe avec ¡un rasoir de .carton x argente,. pendant ^ - .^t L
ce¡ temps on me lisoit tout haut un petit conte de ma composition, parce.que M. de Puisieux se faisoit lire Les Afilie et une Nuits, ou d’autres contes. Ensuite je .me levois de temps en temps pour .passer dans mon cabinet; je .sor-tois-par une porte, je jetois dans la coulisse •mon bonnet et.ma robe,de chambre; j’étois là-dessous en peignoir;’, j’arrivois jsous t mon nom-presqu’au même moment,.les. cheveux épars, comme venant d’interrompre ma toi-
DE MADAME de ge.nlü. 55? Jette; je demandois M. de . Puisieux ; après une petite scène je m’en allais.’ Je reprenois la robe de chambre et le bonnet de nuit, et je reparoissois sous lenom de M. de Puisieux: beaucoup d’autres scènes à tiroir, amenoieiit un dénoùment où l’on oflroit des fleurs en chantant des couplets. Je parvins à faire jouer les quatre valets de chambre avec un naturel parfait; j’avois donné un rôle à M. de Genlis, et nous faisions les répétitions deux fois par jour. Le marquis et la marquise de Genlis arrivèrent dix jours avant la fête, et j’ajoutai un petit i’ólc pour ma belle-sœur. Afin de faire briller sa belle figure, je la fis paroîtrer d’abord en amazone, ensuite en'bergère f ’et enfin en dame excessivement parée ,' avec tous ses diamans et ceux de madame de Puisieux. Cette dernière avoit toujours un sac à ouvrage brodé à Besançon, en crins peints de toutes couleurs, et brodé en relief; cela éloit fort joli ; madame de Puisieux n’en avoit’qu’un qui n’étoit plus frais, et elle vouloit en faire venir Un antre. Je conseillai à ma belle-sœur d’inii-ter le vieux sac. On teignit fort bien du- crin à Reims; et elle fit cet Ouvrage tout nouveau pour elle, et très-difficile, avec une per-
538 V . t MÉMOIRES ¿ '
Jection étonnante. Elle y travailla avec ardeur -pendant huit jours; et, pour y parvenir/ après plusieurs essais, elle passa deux ou trois nuits. Nous finies faire un joli petit théâtre dans le grand logement qu’on appeloit l’appartement du roi/ et dans lequel, en effet, du temps du, chancelier de Sillery, Henri IV avoit couché. La veille de la fête, il m’arriva uiie bonne fortune, dont’je-tirai un grand parti pour ma pièce? M. de Puisieux avoit pour ami intime le duc de Civrac Durfort, auquel il avoit fait avoir l’ambassade de Vienne. Le duc, après avoir passé huit ans à Vienne, re-venoit en France; M. de Puisieux savoit seu-
-lement’ par.sa dernière lettre qu’il étoit en roule, et qu’avant de se rendre à Paris il passerait par Sillery^mais il ne l’attendoit que sous cinq ou six jours. Il arriva donc, comme ie l’ai dit? la veille de la fête, à neuf heures du matin ; M.'de Puisieux étoit allé à deux à trois lieues; chez un de ses voisins; madame
■ de Puisieux n’étoit pas encore éveillée; je ve-nois de me lever. Aussitôt je cours avec M. do Gêxilis au-devant du duc de Civrac, qui des-cendoit dé voiture; nous nous emparons de lui quoique*nous ne l’eussions jamais vu, mais
V-,— DE MADAME DE'GEiXLIS. ^UûSgL , ikms eûmes bientôt fait connoissance : nous lui expliquons à la hâte notre projet; il fut' ' convenu qu’il resteroit caché dans la chambre de M. de Genlis, qui étoit au-dessus de‘la * mienne, et qu’il ne paroitroit que le lendc-' „ main sur le théâtre pour offrir un bouquet à son ami. Nous donnâmes le-mot à toute la . ïhaisonj tous les domestiques furent d’uné ' discrétion parfaite ; madame de Puisieux ne fut point mise dans la confidence, et jamais se-cret n’a été mieux gardé. * Le duc -de Civrac, âgé d’environ quarante-sept ans/ avoit une”** belle figure,’des manières nobles et douces, JL ét une bonhomie1 qui gagnoit tous les cœurs. > Il nous déclara qu’il ' mouvoit de faim ; ; ma ^ belle-sœur et moi'noué nous chargeâmes de le nourrir ; et nous n’imaginâmes rien de mieux “ ^ que de lui porter des prunes de reine-claude,'.- -des confitures et du sirop d’orgeat. Il mit un * ' genou en terre pour recevoir de nos mains ce , déjeuner ; ensuite il nous avoua qu’il avoit la grossièreté de désirer encontre de la viande et du vin, il fallut bien le servir suivant sonT goût. Il me prévint^qu’il manquoit absolument 2 -de mémoire, et il me conjura de lui donner un rôle bien court.1 Je lui promis qu’il ne di-
T?
4.
54o >4- '*' MÉMOIRES
roit qu’une seule phrase,' et voici comment je (|écidai de le faire paraître T
^ Ma femme de chambre, mademoiselle Victoire, avoit une jolie voix; elle avoit tout au plus trente ans, elle étoit fort grasse et très-fraîche ; je la faisois arriver dans ma pièce sous le nom fie.madame Milot, concierge de l’hôtel de Sillefy^ à Paris. M. de Puisieux, avoit eu dès sa jepnesse la passion des beaux chevaux, je savois, par madame de Puisieux, qu’il les ménageoit tellement, qu’il avoit jadis quitté une maîtresse", uniquement parce qu’elle demeurait dans un*quartier fort éloigné( du sien,* et que cęs' courses fatiguoient ses chevaux. Sur cette anecdote je fis • un couplet qui eut un grand succès malgré l’irrégularité d’une rime. Dans ma pièce madame Milot arrivoit de Paris, avec un habit de femme, mais avec des bottes fortes, un fouet de .poste d’une main, et de l’autre un bouquet. Elle s’avançoit sur le bord du théâtre; et s’adressant*à M. de Puisieux elle lui chantoit ce ^couplet. sur Pair r^
Ą “%/ "' banjksgardcs fiançaises, j’atois un amouieux, dc. " i -J J accoprs, mais,tout en nage , T\ . ^; >'
, 1 ” Vous offrir ce bouquet,
* Voila de mon voyage^* ■ Le seul fâ ch eux effet : ;^r ^
DE MADAME DE GENLIS. $4r Pour vous prouver mou zèle f
J’ai pris le mords aux dents, Jamais pour une belle ł ^ { Vous n’en fîtes autant/ ^"4 ?
Tajoiitai à cette scène M.. de Civrac donnant le bras amadame Milot; il n’admit que quatre ou cinq mots à dire, dont il ne se souvint jamais aux répétitions,' mais il me promit de les bien répéter avant de s’endormir. Le lendemain matin jour de la fête, ma belle-sœur posa sur le métier de madame de Puisieux le joli sac qu’elle avoit j brodé, et je mis dans le sac une chanson que j’avois faite^ et qui contenoit surtout l’éloge du sac,'et l’adresse ingénieuse de ma belle-sœur. Madame de Puisieux étoit la personne du monde qui savoit le mieux recevoir une attention et la faire valoir; elle fut charmante pour ma belle-sœur et pour moi. Il y avoit beaucoup de monde à diner, on ne parla que du sachet de ma chanson?
Les fenêtres du salon de Sillery, qui est au rez-de-chaussée, donnent sur de larges fossés remplis d’eau. En sortant de table, nous allâmes la marquise de Genlis et moi nous habiller en bergères, ensuite nous entrâmes dans nu bateau agréablement décoré de guirlandes
154?.
'■ MÉMOIRES/
.de fleurs, M. de Genlis habillé en berger nous conduisoit; j’avois ma musette, dont on ne m’avoitpas encore entendu jouer, on Fentendit de loin, on se mit aux fenêtres, on nous aperçut / et ce’ fut au bruit des acclamations uni-verselles que nous arrivâmes en face des fenêtres. La nous nous arrêtâmes.* La marquise de Genlis tenoit un filetuje cessai de jouer, cl M/de Genlis invita sa belle-sœur à jeter son filet,: elle tourna le dos un moment, jeta le filet dans Peau, l’y laissa/ et très-adroitement en montra un autre qu’elle eut Pair de retirer de l’eau et qui étoit plein de fleurs et de bouquets. Ce petit "escamotage qu’elle fit à merveille fut très-applaudi; sur ce prodige, je chantai, en m’accompagnant de la musette, cinq couplets charmans faits par M. de Genlis. Ensuite nous tirâmes nos bouquets du filet, nous les arrangeâmes dans une corbeille, cl nous annonçâmes que nous allions les porter dans le salon/- on vint nous recevoir à notre débarquement ^ et une demi-heure après on invita toute la compagnie'à monter dans la salle de spectacle. Ma pièce, comme toutes les pièces de société" eut un succès parfait; le seul rôle que la marquise de Genlis ait joué très-
DE MADAME DE GENLIS. ' f ,5^ agréablement fut celui que j’avois fait pour elle; dans cette pièce elle étoit belle comme un ange; quand elle parut dans le costume paré, elle fut applaudie pendant plusieurs minutes pour sa charmante ' figure (: en- général elle se mettoit mal, j’avois présidé ce jour-là à sa toilette, je ne l’ai jamais vue si jolie. Le dé-noûment fut dulplus grand effet : à l’appa
rition de M. de Civrac, monsieur et madame de Puisieux poussèrent un cri de surprise et de joie; M. de Civrac fut lui-même si ému, qu’il resta un moment sans pouvoir parler;
enfin, tenant toujours madame Milot par la main il s’avança sur le bord du théâtre, et au-lieu de dire, comme le portait son rôle,* qu’il étoit venu en croupe derrière madame Milot,
il-s’écria avec uñe voix de tonnerre, je suis venu sur la croupe de madame Milot..... Les éclats de rire de toute la salle ne lui permirent pas d’achever sa phrase. Il se retourna vers moi, en me disant que la langue lui avoit tourne'. J’étois en colère, et lorsque le calme
fut un peu rétabli dans la salle, je le forçai de répéter la phrase telle que je la lui avois donnée. La fête fut terminée par une ronde que nous chantâmes tous en dansant/ et dont les
i
1
J
544 j ¿Uv, mémoires ^ paroles très-agréables , et d’une grande gaieté, étoient encore de M. de Genlis. - v
Le lendemain matin à^ notre promenade à cheval, M. de Puisieux me dit d’annoncer à M. de Genlis, qu’il lui donnoit son gouvernement d’Épernay, qui valoit sept mille francs par-an? C’étoit un honorable et beau présent auquel nous ne nous attendions point, et qui nous'fit un grand plaisir. Il y eut, beaucoup de monde de Paris à ce voyage., entre autres le comte .de Rochefort / parent de M. de Puisieux et de MM. de Genlis; il aimoit beaucoup la littérature, et étoit en commerce de lettres avec Voltaire, qui mettoit ’ beaucoup de soin à se faire des partisans parmi les gens de la cour. M. de Rochefort, trës-flattéMe recevoir des lettres de M/de Voltaire, ne manquoit pas, quand nous étions en famille, de nous en faire la lecture. Je trouvois dans ces lettres une fla tterie ridicule, et une impiété révoltante; moiir sieur et madame de Puisieux en étoient aussi très—scandalisés. Ce qui surtout nous confon-doit,' c’étoient les eomplimens sans fin que M. de Voltaire faisoit à M. de Rochefort sur sa philosophie et sur son esprit philosophique, ce qui vouloit jlire"sur son irréligion, et M. de
* de mídame de genlis. 5¿5 Rochefort avoit ■ au contraire des sentimens très-religieux; il nous protestoit (et il étoit la sincérité même) qu’il s’étoit fait la loi de ne jamais dire un mot sur la religion dans cette correspondance. Mais on a vu depuis dans les lettres imprimées de M. de Voltaire, que c’é-toit une de ses manières d’entraîner dans la secte les gens du monde. A ce même voyage, j’eus un genre de succès qui fit un grand honneur à ma mémoire. M. de Rochefort étoit
ami d’un poete fort agréable nommé M. Desbordes, qui lui envoya une fable manuscrite de lui et intitulée Chloe' et le Papillon. Elle a cent trente vers de huit syllabes, M. de Ro
chefort, après le dîner, nous la lut tout haut; je la trouvai charmante, et je demandai à la lire une seule fois, ensuite je la rendis en disant queje la savois parfaitement par cœur, ce qui étoit vrai '.Je ne l’ai jamais oubliée depuis; elle est imprimée dans plusieurs recueils, et commence ainsi :
f Sous un ciel serein et tranquille , ' ‘ ' •' i Au sein d’un champêtre séjour
. ' Ce fait est aussi l’éloge du naturel et de la clarté qui donnent tant de charme à la versification de cette fable. Nulle mémoire ne retiendroit ainsi cent trente vers ro-nidlih^UCV. - * ( Note do Pautem.)
' ^, Loin des vains plaisirs de la ville , ’ ; j
- " - Et loin des pièges de l’amour,.J
’ Chloé naïve, jeune et belle f .>
Voyoit couler ses jours heureux y*^
Aussi beaux, aussi simples qu’elle, etc.
JeHus beaucoup à Sillery. ; M. de Puisicux. avoit une excellente bibliothèque, et j’en profitai: Je lisois bien tout haut; j’avois un son de voix qui plaisoit, et l’après-midi, lorsqu’on étoit à la promenade, je faisois, comme je l’ai dit, des lectures à madame de Puisieux, et c’étoient presque toujours des livres d’histoire ou-de théâtre. Les réflexions de madame de Puisieux ajoutaient ' beaucoup pour moi à l’intérêt et à l’utilité de ces lectures. ;Je remportai d^ Sillery une bonne quan- , tité d’extraits. J’aimois à grossir cette collection ; rien ne * m’attachoit,- davantage à mes lectures que cet amas de Jnotes, d’extraits, de réflexions, qui formoit déjà à celte époque un nombre énorme de cahiers. Avant de quitter Sillery je fis à madame de Puisieux un petit présent qui la charma.' Elle m’avoit demandé de lui donner par écrit une petite table indicative de tousles airs et de toutes les chansons que je savois sur la harpe, le clavecin ; la guitare, etc., et le nombre?en étoit prodigieux.
( DE MADAME DE GENLIS. “ O47 Un écrivain de Reims écrivit ce répertoire dans un joli petit livre de maroquin, et j’y ajoutai toutes mes sonates, variations, rondeaux, etc. que je jouois sur ces mêmes instrumens, donnant un nom dej fantaisie à chacun de ces morceaux de musique : ' ràa sonate favorite étoit d’Alberti, je la nommai la Puisieux; je donnai à celle que préféroit M. de Puisieux, et qu’il me demandoit toujours, le nom du cheval de -selle qu’il aimoit le mieux ; et je joignis à tout cela une épître dédicatoire de ce petit livre,, adressée à madame de Puisieux, la voici :
1 Quand on veut réussir et plaire ,
*•• Qu on n’est sophiste ni méchant ,
^ " Qu’on vent instruire en amusant , Qu’un livre est difficile à faire ! j
° Vous, en qui l’on voit tant d’esprit,
f Du mien daignez être l’arbitre,
Vous le trouverez bien écrit ?^ /
J Si vous en exceptez l’épître ; .;
■I Qu’il ne soit connu que de vous ,I
J* A vous seule j’en fais hommage ;.
S’il mérite votre suffrage 4 ’*
j Combien il fera de jaloux !
^ L’auteur saura braver les coups
De l’envie et de la satire 7 f-
Si, malgré tout leur vain courroux, 4 ^ A son livre il vous voit sourire ! -
Je présentai ce petit ouvrage à madame de
-Puisieux, la veille de notre départ de Sillery; -elle reçut cette attention avec sa grâce accou-tumée, c’est-à-dire avec de véritables trans-ports de joie.^ ¿ ÿ' ^fv - ^^- 1
Madame de Puisieux 7 en partant de Sillery après Noël, me ramena à Paris; nous nous - arrètâmcsquinze jours à Brame, chez la vieille comtesse d’Egmont, belle-mère de la jeune et jolie, et que nous y trouvâmes aussi. La com-tesse d’Egmont avoit jadis été ïamie intime de M. le Duc, premier ministre dans la première jeunesse de Louis XV; je recueillis là, de ses conversations avec madame de Puisieux, • beaucoup d’anecdotes de ce temps , et surtout sur la belle'mademoiselle de Clermont, sœur de M. le Duc, A et dont madame de Puisieux avoit été l’amie. Je vis, dans cette maison , le vieux marquis deCroi, qui; à l’âge de cinquante ans, avoit l’air d’en avoir quatre-vingts; il avoit eu les plus grands succès auprès des femmes , et ne se consoloit pas de n’ètre plus un homme à bonnes fortune^ Il avoit conservé tous les tics de la fatuité, et l’habitude d’une toilette ridiculement recherchée."^ C’étoit lui que la vieille reine appcloit Vinvalide de Cy-thère; c’est une "triste chose qu’un invalide
^4 DE MADAME DE GENLIS. । 5^9
sans gloire, et que des infirmités qui ne rap-y pollen t que des désordres honteux. Ce vieillard prématuré, étoit plein d’humeur et de fantaisies ; ne pouvant plus plaire aux jeunes personnes, il les haïssoit. Il fut désobligeant pour moi, et je m’en vengeai d’une manière qui charma madame d’Egmont la jeune. J’affectai pour lui le profond respect qu’on aurôit pour un centenaire; il en fut outré; et son dépit produisit les scènes les plus comiques. Enfin, il demanda à madame d’Egmont' quel âge je lui croyois ; elle répondit qu’elle s’amusoit dé ma simplicité, et qu’elle me laissoit croire qu’il avoit quatre-vingt-dix-huit ans. Cette opinion ne le raccommoda pas avec moi ; il déclara que j’étois plus que simple , et il fit entendre qu’il n’avoit jamais rencontré dans le monde une jeune personne aussi bornée. Sur la fi» de ce voyage, je vis à Braine un vrai vieillard, mais très-aimable, le maréchal de Richelieu , père de madame ¡d’Egmont la jeune. Je le regardois avec une extrême curiosité, en songeant qu’il avoit vu Louis XIV, et qu’il avoit vécu dans l’intimité de madame de Maintenon. Le maréchal étoit1 gracieux , rempli 'de douceur et. de bonté," il avoit’ eu à la guerre des sucres
35o ^L¡ MÉMOIRES
qui honorent la vieillesse J et il n’étoit pas humilié de n’en plus avoir d’un genre frivole.' Ce fut là que je lui entendis conter qu’il avoit en vain dit îlVoltaire, que le Testament du cardinal de Richelieu étoit parfaitement authen-lique, que l’original existoit dans sa maison, que Voltaire n’avoit voulu rétracter aucun des-mensonges qu’il avoit débités à ce sujet. J’avois déjà entendu dire la même chose a madame d’Egmont. Je trouvai dès lors que le maréchal auroit dû démentir par un écrit public cette fausseté historique* Mais il ne vouloit pas se brouiller avec Voltaire, qui l’appeloit mon héros ^, et d’ailleurs, comme tous les gens du monde, il craignoit les scènes publiques, les éclats, et surtout il redoutoit la plume de Voltaire ; et c’est ainsi que de petites considérations 7 et la crainte qu’inspiroitJą coalition des encyclopédistes, ont mille fois 7 dans ce siècle, retenu captives d’utiles vérités. ' Cependant
7; 1 Dans les lettres qu’il lui adressoit, tandis que dans des lettres de même date qu’il écrivoit à d’autres person
nages, il ne le désignoit jamais que sous les titres de tri-potier et de maître de tripot' Voyez sa correspondance. Le maréchal, en qualité de premier gentilhomme de la cham-lire, avoit une inspection’particulière sur les comédiens ¡hincáis. * ÆVX^ ''^^ —4 ( Note île Paul eut.)
J DE MADAME DE ÓENLIS. 05 I lb maréchal de Richelieu avoit le bon esprit de1 sentir tout le danger des maximes et des doctrines prétendùes'philosophiques, il s’en expliquoit hautement dans la société , et on le voit dans plusieurs lettres qui nous restent de lui. ■
Je "passai cet hiver dans une assez grande dissipation. J’allois très-peu aux spectacles, et je n’allai que deux fois au bal de l’Opéra ; mais les bals particuliers, les dîners chez madame de Puisieux, chez ma tante, les soupers priés, les visites, me prenoient beaucoup de temps. J’avois tous les samedis un souper chez la comtesse de Custines, où nous passions des soirées charmantes : c’étoient des soupers de femmes ; tous nos maris alloient régulièrement ce jour-là coucher à Versailles ’ pour chasser le lendemain avec le roi. Nous nous rassemblions à huit heures, et nous causions jusqu’à une heure du matin avec une gaieté qui se soutint toujours. Nous étions six .- mesdames de Custines et de Louvois, toutes deux charmantes dans des genres différens ; madame d’Harville, également agréable par sa figure, son esprit et son caractère; madame la comtesse de Vaubecourt, jolie comme un ange et très-amusante par des saillies qui res-
55a ^Çî .; ¿-.mémoires 1 .
sembloient à la naïveté/quoiqu’elle ne fût rien moins qu’ingénue : elle étoit cousine de madame de Custines..On ne parloit point encore de sa conduite ; la gravité de son mari conservoit encore sa réputation; mais, Tannée d’ensuite, une aventure d’éclat obligea M. de Vaubecourt à demander une lettre de cachet, qu’il obtint,' et il la mena dans un couvent, où elle passa le reste de ses jours \ Notre cinquième femme étoit madame la comtesse de
1 Lorsque M. de Vaubecourt alla chez le ministre pour solliciter cette lettre de cachet, tout le monde sa-voit qu’il devoit la demander , excepté M. d’Auteroche qui ne savoit que le dernier la nouvelle du jour ; il alla chez le ministre un jour de grandes promotions : il arriva dans le salon où il trouva beaucoup de monde rassemblé. M. de Vaubecourt étoit renfermé dans le cabinet du mi-, nistre dont il' avoit obtenu la lettre de cachet t M. d’Auteroche le vit sortir s’inclinant et remerciant le ministre qui le reconduisoit. M. d’Auteroche, imaginant qu’on ve-noit de lui donner un grade , s’avança vers lui en lui dh sant à haute voix : « Qu il lui Jàisoit son compliment, qu'il le meritoit bien? que la chose ne pouvait manquer de lut arriver? quil Vavoil p^dit , etc. La confusion du pauvre VM. de Vaubecourt et les rires étouffés des spectateurs ne lui firent connoître sa bévue qu après quil eut épuise tous les lieux communs de félicitations. ' V^jg^ ^
' 1 * ^^ ^b^ - ^^ (WoLcdeFedilcun)^^ -
Crenay, la seule de ces soupers qui ne fut pas jolie. Elle avoit vingt ans, avec l’air d en avoir quarante, elle a toujours eu la meilleure conduite et un très-bon caractère; mais elle nous amusoit par le récit de toutes les déclarations d’amour qu’elle recevoit, surtout'à souper chez sa mère ( madame de la Tour du Pin)? Madame de Custines vouloit absolument savoir les noms de ces amans malheureux, et c’étoient ' toujours ou des noms qui nous cloient inconnus , ou des hommes de quarante ou cinquante ans, qui avoient du être mortellement ennuyeux à trente. Comme madame de Crenay nous disoit qu’elle trouvoit sans cesse des billets d’amour dans soii sac lorsqu’elle le laissoit dans le salon pendant le souper, nous imaginâmes, madame deCustineset moi, décomposer la lettre la plus1 passionnée, que nous glissâmes un soir dans son sac. Cette lettre étoit si extravagante et si plaisante que je suis fâchée de ne l’avoir pas conservée. Au reste madame de Crenay avoit une maison ' très-élégante; quoiqu’elle fut trop grasse et même trop grande pour danser, elle aimoit la danse avec fureur, elle’ donna cet hiver de fort jolis bals, je fus invitée à tous, et j’y dansai plu-
TOME r.
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554 ë^f ;- w ^M¿MO 1RES
sieurâ quadrilles. J’en imaginai un qui ne lit /que trop de bruit. La mode de jouer des proverbes continuoit toujours,' j’appelai ce quadrille les proverbes, chaque couple formoit un proverbe dans la marche deux à deux, qui pré-cédoit toujours la danse/ Chacun avoit choisi son proverbe. Nous avions tous donné à madame de Lauzun celui-ci ‘"Bonne renommée vaut mieux que ceinture dore'e. Elle étoit vêtue avec la plus grande simplicité, et elle avoit une ceinture grise tout unie.Elle dansoit avec M._j de Belzunce. La "duchesse de Liancour dansoit avec le comte de Boulainviliers, qui avoit le costume d’un vieillard; leur proverbe .étoiti'^ vieux chat, jeune souris. Madame de
Marigni dansoit avec M? de Saint-Julien,sous le costume d’un nègre ;^elle lui passoit de temps en temps un mouchoir sur le visage, ce qui signifioit : A laver la tête d’un Maure ^ on perd sa lessive. Je ne me souviens plus du proverbe^et "du danseur de la , marquise . de Genlis, ma belle-sœur; mon danseur étoit le, vicomte de Laval, magnifiquement vêtu, tout couvert de pierreries ; j’étois habillée en paysanne ; notre proverbe étoit : Contentement passe richesse ; j’avois l’air vif et gai; le yi-
DE MADAME DE GENLIS. 555 T comte, sans rien jouer, avoit Pair triste et ennuyé. Ainsi nous étions dix. J’avois fait l’air du quadrille, cet air étoit dansant et fort joli. Ce fut Gardeł qui composa la figure de la danse, qui,-suivant mon idéej devoit repré-senter aussi un proverbe : Reculer pour mieux sauter; Gardeł fit de cette idée la figure de contre-danse la plus jolie et la plus t gaie que j’aie jamais vue. Nous fîmes - beaucoup de répétitions, et notre quadrille eut tant de succès, que nous résolûmes de le danser au bal de l’Opéra; mais malheureusement ce quadrille avoit excité beaucoup de jalousie parmi quelques hommes du Palais-Royal, qui a voient vainement voulu en être. Ils surent trois ou quatre jours d’avance que nous devions danser ce quadrille au bal de l’Opéra, dont la salle alors te-noit au Palais-Royal ;.'... etonfitune conjuration pour nous empêcher de danser. Nous arrivâmes au bal à une heure après minuit, nous étions tous les dix sans masques. Nous finies notre marche autour de la salle, qui retentit d’ap-plaudissemens redoublés jusqu’au moment où nous nous disposâmes à danser ; on s’empressa de nous faire place, et, comme nous allions commencer, voilà qu’un chat gigantesque vient
556^ — , - - mémoires
tout à coup, en ronflant, rouler sous nos pas. C’étoit un proverbe ennemi, il ne fautpas réveiller le chat, qui dort. Un petit savoyard, enveloppé dans une fourrure imitant celle d’un chat, jouoit ce rôle; nos danseurs ne se fâchèrent pas d’abord, et le repoussèrent assez doucement, ce qui enhardit le chat, qui parut décidé à ne pas nous laisser danser ; alors, malgré nos prières,' nos danseurs lui donnèrent beaucoup de coupsde pieds; les spectateurs, qui vouloient voir le quadrille, prirent notre parti, on saisit le malheureux chat, et on l’emporta hors de la salle.. Cette mauvaise plaisanterie gâta pqurjnoi tout l’amusement de cette soirée, je craignois^mortellement qu’elle n’eût des suites fàclieuses. Notre quadrille eut le plus grand succès, il fut applaudi à tout rompre ; j’en fus charmée, parce que cela remit nos danseurs de bonne humeur. Trois, d’entre eux surtout, MM..de BoulainviliersJ de Bclzuncei et de Saint-Julien, nos meilleurs danseurs, étoient outrés contre le chat; j’avois beau leur dire qu il avoit ete assez mal traite pour n y pas revenir, parce que chat échaudé craint jusqu’à l’eau froide,, ils vouloient l’interroger pour connoître les auteurs de ce méchant tour. Nous t t
DE MADAME DE GENLIS. * OD^ les dissuadâmes de cette recherche. On sut quelques jours après que les inventeurs de cette malice étoient un‘jeune prince et ses amis ; et, comme tout le triomphe étoit de notre côté, nos danseurs se calmèrent facilement, et les danseuses en furent quittes pour La peur. M. de Saint-Julien, le plus irrité contre le malencontreux chat/étoit un charmant jeune homme; on disoit qu’il sembloit que la nature, en lui donnant la plus jolie figure , se fût moquée de lui ; ses belles couleurs ressembloient parfaitement à du rouge, et il avoit sur le menton deux signes noirs placés comme les mouches que portoient alors beaucoup de femmes! Dé sorte que Ce joli visage d’homme étoit une véritable espièglerie de la nature. 11 s’étoit battu une fois pour ces agré-mens déplacés, ¡il étoit brave,' spirituel, et n’avoit pas la moindre fatuité. ' ' ' " ;
Je m’amusai aussi beaucoup chez moi cet hiver; mon salon étoit'fort grand, nous y jouâmes non-seulement des proverbes J mais un opéra-comique,1 dont nion amie, mademoiselle Bâillon ( depuis1 madame Louis / femme du fameux architecte) lit lit musique; M. de Sauvi-gny avoit fait les paroles^ et un rôle pour moi,
dans lequel je jouois de la harpe, de la guitare et de la musette. Nous jouâmes aussi une ' jolie ' comédie, intitulée ' Vivare amoureux.
Mademoiselle Bâillon étoit une charmante jeune personne, jolie, douce ^modeste, sage, spirituelle,'jouant du piano de la première force, composant à merveille 7 et avec une étonnante facilité relie a fait un opéra-comique, Fleurât Épine, qui fut joué avec succès; il en auroit eu davantage si les paroles eussent été meilleures , mais le poëte avoit absolument gâté ce charmant conté. d’Hamilton. Nos petites représentations ,“ exécutées entre des paravents, fmissoient > toujours par une musique - déli-' cieuse,.dont le fameux Cramer, qui passa cet hiver à Paris, étoit;le premier violon, et le plus parfait que j’aie'entendu, et Jarnovitz, le second; Duport y jouoit du violoncelle, ma-demoiselle Bâillon du piano / moi j’y chantois etj’yj°uo*s de la harpe;'Friseri, qui, quoi-’ que aveugle, jouoit de la mandoline d’une ma-jnière suprenante, y v’enoit aussi, ainsi qu’Al-banèze,' le chanteur italien. Nos acteurs de proverbes et de comédies étoient le comte d’AI-baret, Coqueley, le président de Périgny ( ce qu’il y avoit de plus célèbre en hommes pour
; " DE MADAME DE GENLIS. $ 55g
les proverbes ) ; en femmes , madame la marquise de Roncé, mademoiselle1 Bâillon et moi; Nous avions pour spectateurs une quinzaine de personnes, M. deSauvigny, l’abbé Arnaud, l’auteur; le chevalier de Talleyrand, frère du baron, ami de M. de Genlis; le chevalier de •Barbantane; M. de Vérac, depuis ambassadeur à Copenhague; sa femme/ dans laquelle j’admirois deux choses bien rarement réunies, l’extrême vivacité et l’extrême douceur; "sa conduite a toujours été parfaite; elle suivit son mari en Danemarck, et y mourut. Nos autres spectateurs étoient tour à tour le comte et la comtesse de Brancas ; madame de Custines, son
mari et son beau-frère, etc. Ma tante ne vint jamais à ces petites soirées; je l’y invitai, sachant bien qu’elle n’y viendroit pas ; mes amies n’étoient pas les siennes; d’ailleurs elle n’avoit envie ni de me venir voir jouer des proverbes, ni de m’entendre jouer de la harpe. Dans ce même hiver M. d’Albaret me proposa un divertissement qui me charma. Il alloit quelquefois chez madame du Bocage, il nous lit le récit de ce1 qui se passoit à ses petits soupers de beaux-esprits. M. d’Albaret ♦ avoit plusieurs fois été à Ferney/ il contrefaisoit
M. de Voltaire d’une manière parfaite. Il fut convenu que nous jouerions Les Soupers de madame du Bocage; que nous supposerions que M. de Voltaire étoit à Paris. M. d’Albaret se chargea'de ce rôle; M. de Genlis, le chevalier de Barban tañe, et quatre ou cinq autres, firent "d’autres beaux- esprits. Je pris le costume d’une femme de soixante ans ; et, diaprés les leçons de M. d’Albaret, je jouai avec un grand succès madame du Bocage : je parlois de mon Voyage dItalie; on meparloitde ma Colombiade et de.mon ancienne beauté; ensuite toute l’attention'se portoit sur M. de Voltaire, qui étoit ce que j’ai jamais vu de plus plaisant, et sans aucune charge. Il con-toit des anecdotes et récitoit des vers, parmi lesquels se trouvoient beaucoup d’impromptus faits à ma louange j c’est-à-dire,’ à celle de madame du Bocage. Nous eûmes:ainsi cinq Sou* pers de madame du Bocage,' sans jamais nous blaser sur cette “ plaisanterie. " M.”.d’Albaret étoit inimitable en Voltaire. Nous nous étions promis le secret, et il fut si fidèlement gardé.'" qu’on n’en a jamais parlé dans le monde. Au milieu de’ toute cette dissipation je cultivons naturellement’tous mes talons de-musique.
de madame de genlis. 56i‘ puisque j’en fai sois sans cesse; mais en outre je lisois tous’ les jours régulièrement une heure pendant ma toilette, et je trouvois le moyen d’écrire autant de temps des extraits. Il y avoit toujours dans la semaine au moins deux jours où nous ne sortions pas ; alors je lisois cinq ou six heures, et j’écrivois deux ou trois, et de plus je copiois des mémoires que M. de Genlis faisoit. continuellement pour les ministres , sur la guerre, * la marine, - et il falloit remettre tout cela au net sur des brouillons épouvantables ; je n’ai jamais fait d’ouvrage plus fatigant. Je frémissois quand je le voyois entrer dans ma chambre avec ses grands papiers à la main; cependant cette complair sanee ne m’a pas été inutile sous les rap-ports littéraires. M. de Gen H s avoit beaucoup d’esprit, il faisoit des chansons charmantes ; mais, lorsqu’il écrivoit en prose, il étoit fort diffus. En lisant ses mémoires / remplis de bonnes idées, et très-bien faits, je vis qu’on, pourroit les abréger, et qu’ils y gagneroient.’ ' C’étoit une jolie découverte pour moi; Je lui proposai des réductions ; il se récria d’abord, et même se moqua de moi; j’insistai.- Je pris M. de Sauvigny pour arbitre / il me donna
toute raison : il falloit changer quelques phra--ses, ce qui est presque toujours nécessaire en supprimant ; j’offris un petit travail, qui fut accepté; Alors je taillai en plein drap; j’abrégeai avec soin tous les mémoires, je les récri-vois quelquefois d’un bout à l’autre. Je ne ga-. gùois point de temps à ce~nouveau travail, je n’épargnois que le papier; mais j’y mettois du mien, et beaucoup d’amour-propre, cela cessa de m’ennuyer ; ■ et j’appris ainsi à établir de l’ordre dans mes idées / et à écrire avec précision; Ce fut cette année que je fis mon premier roman historique, que je fondai sur un trait que j’avois lu dans la vie de Tamerlan. Ce roman{avoit pour titre7 Parisatis^ ou la Nouvelle Médée; il étoit horriblement; tragique, et en un volume de deux cents pages de mon écriture? M/de Morfontaine et M. de La Reynière me prêtoicnt des livres avec la plus grande obligeance, car je pouvois les garder tant que je voulois. Je lus dans cet hiver, ■ *avec*ùn plaisir inexprimable/les Pensées de Pascal} les Oraisons funèbres de Bossuet, le Carême de Massillon. J’avois déjà lu ces immortels ouvrages ; mais apparemment que mon . esprit.s’étoit formé, il me sembloit, par Fé-
1\
;t' PE MADAME DE GENLIS. j‘ 565 tonnement et l’admiration qu’ils me causoient, queje les lisois pour la première fois. Je lisois ainsi ces trois sublimes écrivains : d’abord le profond Pascal pendant une demi-heure, il fortifioit ma foi par ses admirables raisonne-mens; ensuite je lisois avec saisissement une trentaine de pages de Bossuet; il m’élevoit au-dessus de moi-même et de la terre ,• après cela je me i’eposois dans le ciel avec Massillon. Le calme majestueux de son éloquence, la douceur et l’harmonie de son langage ont quelque chose de véritablement divin. Que je plains ceux qui n’aiment ni la lecture, ni l’étude, ni les beaux-arts!... J’ai passé ma jeunesse dans ’ les fêtes et dans la plus brillante société, et je puis dire, avec une parfaite sincérité, que je n’y ai jamais goûté des plaisirs aussi vrais que ceux que j’ai constamment trouvés dans un cabinet avec des livres, une écritoire et une harpe. Les lendemains des plus belles fêtes sont toujours tristes, les lendemains des jours consacrés à l’étude sont délicieux ; on a gagné quelque chose, । et - l’on se rappelle la veille ,' non-seulement sans dégoût ou sans regrets," mais avec la plus douce satisfaction.
.' Vers la moitié de l’hiver, je lus, et ce fut
avecenthousiasme, l’Histoire Naturelle de M.de Buffon ; ce style parfait m’enchanta, je l’étudiai sérieusement?'Je vis d’abord qu’il étoit impossible de rien ajouter aux phrases et aux paragraphes de ce bel ouvrage, et d’en rien retrancher; j’en conclus qu’il étoit écrit avec toute la clarté, et toute la précision désirables. Massilloñ, quim’avoit à peu près initié dans les secrets de■ l’harmonie î (ainsi que Fauteur de Télémaque), ' me mettoit en état de sentir la mélodie de cette admirable prose. J’essayai aussi de déplacer quelques mots, ou d’en changer plusieurs, en y substituant des synonymes, et je vis que le moindre changement ôtoit l’harmo-aie, ou gâtoit le sens; ce qui me prouva que nul auteur n’a *mieux connu la propriété des mots et des expressions.”'Je sentis' donc dès lors que la perfection du style consiste dans le naturel, la clarté, la précision, l’harmonie, la correction, la propriété d’expressions. Après un examen très-suivi et très-réfléchi, je relus sur la fin de l’hiver mes compositions, et mon rom an historique; et, à l’exception de mes Réflexions d'une Mère de vingt ans et de ma co-médie des Fausses Délicatesses que je”me promis de retoucher ,~ je brûlai le tout, et j’eus
DE MADAME DE CE.M.IS.
365 grande raison, car cela étoit bien mauvais. M. d’Albaret me persuada d’apprendre l’italien, et me donna un vieux maître nommé M. For-tunati, avec lequel je iis beaucoup de progrès en peu de temps. ^ 7 ' r
Il prit à ma tante cette année des fantaisies qui me causèrent beaucoup d’ennui pelle vou-lut jouer de la harpe, et essayer de faire des vers. Je lui donnai des leçons de harpe tous les jours où j’allois dîner chez elle, et c’est une écolière qui ne m’a jamais fait honneur. Quant aux vers l’essai ne fut pas heureux. Elle étoit en tout d’une ignorance absolue. Je ne crois pas qu’elle eut jamais lu deux pages d’un bon livre, elle ne lisoit même pas de romans. C’est elle, qui plusieurs années après, en parlant de M. de Saint-Priest, ambassadeur en Turque, dit qu’il avoit auprès de Constantinople une charmante ^maison de campagne sur les bords de la mer Baltique, Enfin, avec ce fonds d’érudition elle se mit à versifier. Sa première pièce de vers fut son portrait, il n’étoit ni fade ni flatté, et fait très - gaiement et même spirituellement quant aux idées, mais il n’y avoit „ pas un seul vers en mesure, et l’on y trouvoit des hiatus à chaque ligne ; je corrigeai cette
566 2 5t? */.r MÉMOIRES
singulière production T J’étois loin de penser - que ma tante, qui avoit trente ans, feroit sept ' ou huit ans après des tragédies ; il1 est vrai qu’ elle ne les auroit pas faites, toutes mauvaises qu’elles furent' sans le secours de M. Lefebvre. M. le duc d’Orléans étoit toujours aussi amou-reux d’elle,-M. de Montesson avoit quatre-vingt-sept ans / et ma tante songeoit sérieusement à la fortune qu elle a faite depuis. Il y avoit à cela un seul obstacle, c’étoit la passion platonique, connue de tout lé monde, qu’elle avoit pour le duc de Guines. Mais l’ambition donnoit à ma tante des inventions merveilleuses, et je conterai bientôt ce détail, qui est très-curieux. Je. vais parler auparavant de sa so-ciété. Son amie intime étoit madame la présidente de Gourgues; sœur de M. de Lamoignon. C’étoit une personne toujours malade, et presque toujours couchée sur une chaise longue, avec une passion platonique et malheureuse pour le chevalier depuis marquis de Jaucour, celui qu’on appeloit le clair de lune. Madame de Gourgues étoit d’une pâleur remarquable, elle ne mettoit point de rouge, et cette pâleur alloit à sa physionomie ; „ sa personne offroit plusieurs contrastes singuliers ; elle avoit une
* DE MADAME DE GENLIS. Oby
( figure sentimentale, et de la sécheresse dans le ton et les manières ; de la3 bonhomie dans le caractère, et de la pédanterie dans l’esprit ; de la dévotion, et une grande admiration pour les encyclopédistes J Elle n’étoit point aimable, mais elle avoit beaucoup dé vertus ; on .lui trouvoit de l’esprit et de l’instruction, parce qu’elle savoit l’anglais, chose fort rare alors. Nous allions assez souvent souper chez elle, il n’y avoit jamais à ces soupers que le chevalier de Jaucour; et, outre ma tante et moi, tout au plus deux personnes; nous n’y avons jamais été plus de six. Madame de Gourgues ne me plaisoit pas, elle me regardoit et me traitoit comme une enfant, et je gardois chez elle un profond silence. Ma tante y étoit aimable et gaie, elle faisoit tout l’agrément de cos petits soupers; et il n’y avoit à cela ni motif intéressé, ni coquetterie : quand l’ambition ou son intérêt né s’y opposoient pas, elle avoit un charmant caractère. 4
’ Le chevalier de Jaucour avoit une figure très-agréable, un visage rond, plein et pâle, des yeux noirs, ( de jolis traits, des cheveux bruns/négligés et dépoudrés, il ressembloit en effet à un clair de lune. Sa taille étoit no-
368 ^ MÉMOIRES ,
¿ble/ il avoit bonne grâce. Son caractère étoit excellent, plein de droiture et de loyauté. Il avoit fait plusieurs campagnes de guerre étant entré au service à douze ans, il avoit montré autant d’intelligence militaire que de bravoure. Son esprit étoit comme son caractère, sage et raisonnable.'A l’un de ces soupers, ma tante dit que j’avois peur'des revenans. Alors madame de Gourgues proposa au chevalier de Jaucour, de me conter sa belle histoire de la tapisserie. J’en avois ' entendu parler comme d’une chose parfaitement vraie, car le chevalier de Jaucour donnoit sa parole d’honneur qu’il n’y ajoutoit rien, et il étoit incapable de faire un mensonge, qui d’ailleurs n’auroit eu alors aucun sel. Cette histoire est devenue prophétique à l’époque de la'révolution. Je puis la rapporter avec une scrupuleuse exactitude, parce qu’ayant beaucoup vu le chevalier de Jaucour/ je la lui ai fait conter cinq ou six fois en ma présence ; la voici : “ ‘ ;
? Le chevalier, né en Bourgogne, fut élevé dans un collège «à Autun. Il avoit douze ans,' lorsque son père qui vouloit l’envoyer à l’armée sous la conduite d’un de ses oncles, le fit venir dans son château? Le soir même après
DE MADAME DE'GENLIS. 3bg ïe souper on le conduisit dans une grande chambre où il devoit coucher, on établit sur une espèce de trépied au milieu de la chambre une lampe allumée, et on le laissa seul. Il se déshabilla et se mit au lit sur-le-champ, en laissant brûler la lampe. Il n’avoit nulle envie de dormir fet, comme il avoit à peine regardé sa chambre en y entrant, il se mit à la- considérer. Ses'1 yeux ' se portèrent sur la’vieille tenture de tapisserie à personnages qui se trou voit vis-à-vis de lui ; le sujet en étoit bizarre; elle représentoit un temple dont les portes étoient fermées. Sur le haut de l’escalier de cet édifice étoit debout une espèce de pontife ou de grand-prêtre, vêtu d’une longue robe blanche ; il tenoit d’une main une poignée de verges, et de l’autre une clef. Tout à coup le chevalier, qui regardoit fixement cette figure, se frotta les yeux, croyant avoir un éblouissement, ensuite il regarde de nouveau, et la surprise et le saisissement le glacent et le rendent immobile!...... Il voyoit cette'figure se mouvoir, et descendre gravement les marches de l’escalier !...... Enfin, la voilà
hors der la tapisserie et1 dans la‘ chambre,' qu’elle traverse ; elle arrive tout près du lit ;
TOME I. ' . s 2^
et s’adressant à ce pauvre enfant, pétrifié par la terreur, elle lui dit bien distinctement ces paroles : Ces, verges fustigeront un grand nombre ; quand tu les verras s’agiter, n’hésite pas à prendre la clef des champs que voilà.,.1.... A'ces mots Ja figure tourne le dos, s’éloigne, se rapproche de la tapisserie,-remonte l’escalier et se remet à sa place. Le chevalier, baigné d’une sueur froide, fut pendant plus d’un quart d’heure tellement privé de force, qu’il étoit hors d’état d’appeler; enfin on vint; n’osant confier cette aventure à un domestique, il dit seulement qu’il se trouvoit mal ; et l’on resta auprès de lui tout le reste de la nuit. Le lendemain le comte de Jaucour son père, l’interrogeant sur ce qu’il avoit eu la nuit", il conta sa vision. Au lieu de se'moquer de lui, comme le chevalier s’y ; attendoit, le comte l’écouta fort sérieusement 7*f ensuite il dit ; <( Rien n’est plus extraordinaire,' car mon père dans sa première jeunesse eut aussi dans cette même chambre, avec le même personnage représenté dans cette antique ".tapisserieune scène fort étrange......» Le’ chevalier, auroit bien désiré savoir le détail de cette vision, de son grand-père, mais le comte n’en voulut
DE NADAME DE GENLIS. ।Oyi pas dire davantage, il ordonna meme à son fils de ne lui en plus parler ; et le jour meme le comte fit détendre toute cette tapisserie, qu’il fit brûler en sa présence dans la cour du château. Voilà cette fameuse histoire dans toute sa naïveté. Madame Radcliff eût été bien Jieurcuse de la savoir, et je crois que le chevalier de Jaucour à l’époque de la révolution se la rappela ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il prit la clef des champs, lorsqu’il, vit les verges s'agiter. Il n’hésita pas à quitter la France. Revenons à la société de ma tante; sa meilleure amie, après’madame de Gourgues, étoit la’duchesse de Chaulnes,. fille du duc de Clievreuse. Elle étoit jolie, mais elle manquoit absolument d’esprit et de naturel, et elle avoit mille prétentions ridicules. C’est la seule femme que j’aie connue dont on ait pu dire justement, comme de certains hommes , qu’elle avoit de la fatuité. Il yen avoit dans son maintien, dans scs manières, dans son ton et dans tous ses discours. Au reste, elle avoit une très-bonne conduite ; on l’avoit mariée fort jeune à ime espèce de fou, qui, le lendemain de ' son mariage, disparut subitement pour aller en Égypte. Il y resta plusieurs années, et à
son retour il ne voulut jamais revoir sa femmes Une autre amie de ma tante étoit la princesse de Chimay douairière, personne fort insignifiante , qui n’avoit ni le mérite , ni l’élégante figure de l’autre princesse de Chimay, si inté-v ressantepar sa conduite, sa piété, ses vertus, et que nous avons vue depuis dame d’honneur de la reine. Les autres amies de ma tante étoient madame de la Massais , ' dont j’ai déjà parlé, et la marquise de Livri. Cette dernière étoit jeune, bonne, et originale; elle étoit si vive et si naturelle, quelle oublioit continuellement tous les usages du monde;-elle avoit trente-quatre ou trente-cinq ans. Les femmes de cet âge portoient alors pon des souliers, mais ce qu’on appeloit des mules, c’est-à-dire des chaussures sans quartiers, qui ne renfer-moient que le petit bout du pied, le tout porté sur de hauts talons, comme nous en avions toutes dans ce temps.* Je n’ai jamais compris comment on pouvoit marcher avec ces petites pantoufles. .Un soir, chez madame de Livri, où je soupois avec ma tante, pour la première fois, et avec beaucoup de monde, madame de Livri eut jUne dispute avec le marquis d’Hau-tefeuille, qui étoit à l’autre bout de la cham-
DE MADAME DÉ GENLIS. ’ 5^3 brcj elle s’anima pai' degrés, et enfin à tel point, que, tout à coup, elle tira de son pied une de scs petites mules, et la lui jeta à la tète. C’étoit véritablement une pantoufle de Cendrillon, car elle avoit le plus joli pied du monde. Rien ne m’a jamais causé plus de surprise j cependant cette folie me la fit prendre en amitié ; je lui en ai vu faire mille de ce genre, qui m’ont toujours paru charmantes, parce qu’elles étoient parfaitement naturelles," et que cette femme, si peu mesurée dans ses discours et dans un cercle, ne ressembloit à aucune autre ; et étoit aussi raisonnable et aussi sage dans toutes les choses essentielles, qu’elle l’étoit peu dans la société. Elle’âvoit une fort bonne maison, donnoit d’excellens soupers, mais elle sortoit rarement, et alloit fort peu dans le monde , quoiqu’elle en reçût beaucoup chez elle. ’ <'■ ■ •
Ma tante voyoit habituellement en hommes le comte de Chabot, dont j’ai déjà parlé ; le chevalier de Coigny, qu’on appeloit Mimt, je n’ai jamais su pourquoi ; il étoit fort à la mode, d’une assez jolie'figure : on lui trouvoit de l’esprit; je l’ai beaucoup vu, et je ne l’ai jamais entendu causer ; mais dans chaque visite
il laissoit un mot bon ou mauvais, que Ton citoit toujours^ ce mot dit, il ne parloit plus ; _ il avoit l’air distrait, insouciant, et en même temps étourdi, ce qui lui étoit particulier. Je lui trouvois beaucoup*de fatuité 7 une gaieté fausse, c’est-à-diré affectée, ■ et un air moqueur qu’il ne quiltoit jamais, alors même qu’il avoit envie de plaire. Le duc de Coigny, son frère . aîné, avoit de la douceur, une politesse aimable, et un caractère qui le faisoit généralement estimer et aimer. Le marquis de Lusignan, qu’on appeloit la grosse tete, autre ami dé ma tante, étoit confident de toutes les femmes ; il ne falloit pour cela que de la douceur, de la discrétion^et avoir l’air de croire que toutes . les intrigues étoient , des passions platoniqùes.
Beaucoup d-hommes alors / qui n’avoient pas assez d agrémens pour réussir auprès des femmes, prenoient ce modeste rôle de confident, qui leur donnoit dans la^ société une sorte de considération qui n’a pas été inutile à la fortune de plusieurs d’entre eux. Le marquis d’Estréhan, déjà vieux, étoit dès lors le suprême confident des femmes de ce temps. Il s’étoit fait un droit de cette espèce de confiance : y manquer eût été à ses yeux un mauvais procédé? Ses conseils.
DE MADAME DE GENLIS^ J 3?5 en ce genre, étoient, dit-on, excelleus; c’étoii le directeur des femmes galantes. M. Donézan (frère du marquis d’Husson), homme parfaitement aimable, et le seul conteur toujours amusant que j’aie connu ; ’ M, de Pont, intendant de Moulins, très-aimable aussi, qui, peu d’années après, épousa une charmante personne, mère de madame de Fontanges d’aujourd’hui ; le marquis de Clermont, depuis ambassadeur en Espagne et à Naples, célèbre par son esprit , son aimable caractère et des talens char-mans ; le comte d’Albaret : tels étoient - les hommes de la société intime. Elle en recevoit beaucoup d’autres , mais qui n’étoient que de simples liaisons. J’ai vu ; plusieurs fois chez, elle et chez madame de Boulainviliers, M. le comte de La Marche K depuis prince de Conti, mort en Espagne ; il étoit sauvage et obligeant; il avoit de la singularité et de l’insipidité, ce que je n’ai vu qu’à1 lui. J’allois, de temps en temps, comme je l’ai déjà dit, dîner ou souper chez ma grand’mère, qui * étoit toujours aussi sèche pour moi? Un jour que nous arrivâmes de bonne heure pour dîner, nous ne trouvâmes dans le salon que sa sœur mademoiselle Des-sallcux, ma grand’tante; qui étoit une cxcel-
§7Ô' ~ - "MÉMOIRES' ■ J Jr lente personne. Ma grand’mère étoit sortie, et * ne devoit rentrer qu’à l’heure juste du diner.
Mademoiselle Dessalleux me proposa de me faire voir le cabinet particulier de ma grand’-mére’ qui étoit tout rempli de jolis tableaux et d’estampes : je regardai d’abord un énorme - tableau, qui étoit un portrait de ma grand’mère ' dans sa jeunesse, et de son fils, enfant alors ( le même qui fut tué à Minden); la beauté de ma-ł dame de La Haie avoiteu beaucoup de célébrité, ■ mais je ne fus frappée que de la fadeur du tableau; ma grand’mère étoit représentée en Vénus, et son fils en Cupidon^ comme disoit mademoiselle Dessalleux. Je m’arrêtai plus long-t temps devant un charmant petit tableau peint à . ravir,' qui représentait l’enlèvement d’Europe ; 'j’y remarquai une jolie idée ; le taureau dé-tournoitde côté sa grosse tête pour baiser un joli petit pied nu d’Europe. Je dis que je trouvois Europe très-belle, mais trop. grasse : mademoiselle Dessalleux sourit, et répondit que . c’étoit non une figure de fantaisie ^ mais un portrait / et celui de la duchesse de Berry ;
,, fille de monsieur le régent ; alors elleme conta1 que cette princesse 7 durant ses amours avec le feu marquis de La Haie, mari de ma grand’-
DE MADAME DE GENLIS. ' ' $77
mère, .s’éloit fait .peindre ainsi «pour lui, et lui avoit donné ce tableau. Je pensai en moi-meme que si M.' de La Haie n’avoit eu pour maîtresse qu’une simple particulière, mon austère grand’mère auroit trouvé ce tableau très-scandaleux, et qu’elle ne l’auroit certainement pas gardé précieusement dans son cabinet; quelle fausse couleur la vanité sait donner aux choses !... Madame de Montesson,' après la mort de ma grand’mère,'hérita de ce tableau et le donna à M. le duc d’Orléans/ qui le mit dans ses petits appartemens, où - on, l’a vu jusqu’à la révolution ; j’ignore ce qu’ilest devenu depuis. » ' * ’
1 Je n’allai point cette . année 1 à Sillery/ parce que j’étois grosse; mais j’allai avec ma tante à l’Ile-Adam, où je jouai encore la comédie malgré ma grossesse. Ma 'tante joua dans un opéra, dont la musique étoit de Monsigny, cet opéra n’a été ni joué ni gravé; dans la suite Monsigny par dévotion le‘brûla. Il avoit pour titre Baucis ei Philémon, la musique en étoit charmante. Ma tante jouoit Baucis , elle étoit en vieille pendant les deux pre^
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_ miers actes ; le rôle étoit fait pour sa voix, elle l’avoit fort étudié; le costume de vieille la rajeunissoit ; et lui donnoit l’air d’avoir vingt ans ; elle eut beaucoup de succès dans ce rôle, elle le méritoit. ’
. Je vais à ce sujet rapporter un petit inci-• dent qui me paroit curieux, parce qu’il fait connoitre jusqu’à quel point l’amour-propre , même dans les choses les plus positives, peut nous faire illusion. A la première représentation de cet opéra; ma tante, après les deux premiers actes , alla s’habiller en jeune bergère ; je la suivis dans la chambre à côté du théâtre où elle fit sa toilette/Elle n’étoit pas contrefaite,’ mais elle avoit une épaule infini-1 ment plus grosse que l’autre/ce qui rendoh son dos très-défectueux quand rien ne cachoit ou ne déguisoit ce défaut; et son petit corset de bergère la laissoit voir entièrement. Je l’en avertis, mais sa femme de chambre par flatterie soutint que l’habit alloit en perfection. Comme ma tante paroissoit le croire, je pris un miroir que je plaçai derrière elle, et je lui fis voir parfaitement dans sa glace son dos, qui étoit véritablement ridicule; elle le regarda, et, à ma grande surprise, elle fut tout-à-fait
fi DE MADAME DE GENLIS. 5 79 de l’avis de mademoiselle Legrand, sa femme de chambre. Elle joua ainsi, ce qui fut trouvé fort étrange. Après la représentation, madame de Boufllers, qui avoit beaucoup de bonté pour moi,.me tira à part, pour me gronder de n’avoir pas averti ma tante de la défectuosité de son dos; je me justifiai, en disant que l’avis de sa femme de chambre l’avoit emporté sur le mien ; mais je passai sous silence la . circonstance du miroir, parce qu’elle auroit donné un vrai ridicule à ma tante. On joua trois fois cet opéra. Nous jouâmes des proverbes, je fis beaucoup de musique, je fis danser plusieurs fois avec ma harpe .: ce voyage fut très-brillant. Madame la princesse de Beau-vau , et madame de Poix, y passèrent plusieurs jours. La première, sœur de MM. de Chabot et de Jarnac , avoit, je crois, alors trente-cinq ou trente-six ans', et elle étoit, à mon avis, la femme la plus distinguée de la société , par l’esprit, le ton, les manières, et Pair franc i et ouvert qui lui étoit particulier. Sa politesse étoit à la fois obligeante et noble; on voyoit I promptement sa supériorité, on ne la sentoit I jamais d’une manière embarrassante. Elle avoit
dans toute sa
personne uïic aisance communi-
38o,; . , MÉMOIRES». -' 1 * cative. J’ai éprouvé souvent qu’après avoir* passé une demi-heure avec elle, je n’avois plus la moitié de ma timidité naturelle. Elle avoit épousé par amour M. de Beauvau '; et jamais dans le monde un mari et une femme
1 M. de Beauvau avoit alors environ quarante - huit ans : il s’étoit fait remarquer à l’armée par son courage et ses connoissances militaires : dans le monde , par une galanterie noble et chevaleresque. Frère de la maréchale de Mirepoix , amie de madame de Pompadour, M. de Beauvau fut traité par la favorite avec une distinction particulière ; mais cette liaison n’eut jamais le degré d’intimité que quelques personnes ont supposé. Homme de cour sans être courtisan , juste et humain autant que fidèle et dévoué , il se plaça souvent entre le pouvoir et le malheur." Sa longue carrière a été semée d’un grand nombre d’actions généreuses ; toutes n'ont pas été révélées parce qu’il savoit supporter l’ingratitude et que la modestie étoit aussi une de ses vertus- Madame de Genlis
dit dans ses Souvenirs de Felicie : «Un soir (àl’He-Adam), la conversation tomba sur la langue françoise ; je me tai-sois , mais j’écoutois avec le plus vif intérêt tout ce que disoit M. de Beauvau. Je n’ai jamais entendu faire des remarques aussi fines et aussi judicieuses. » Il fut recua l'Académie françoise en 1748. On a de lui une lettre à l’abbé Desfontaines sur une phrase de cent quatre-vingts mots. Né en 1720 , mort en 1793. *
^¿ . i"y (Note de lcd item, )
DE MADAME DE GENLIS. 38t ji’ont eu un maintien d’amour conjugal, de meilleur goût et plus parfait. Madame la princesse de Poix n’étoit fille que de M. de Bcauvau, mais sa belle-mère étoit pour elle, par son affection, une véritable mère. En tout je n’ai point vu de méchantes belles-mères à la cour; elles étoient alors reléguées dans la bourgeoisie, et surtout dans la classe du peuple. La révolution a bien pu en introduire quelques-unes dans le grand monde, mais le sentiment qui les produit est si ignoble qu’il ne s’y perpétuera pas. , ! . . '
Madame de Poix étoit charmante ; sa taille n’avoit rien de défectueux,- mais elle n’étoit pas belle ; et elle boitoit. Elle avoit une brillante fraîcheur, et le plus joli visage. Elle étoit gaie, naturelle, spirituelle et piquante. Tous ces avantages, qui sont eii général de dangereux écueils pour les femmes, n’ont servi qu’à l’agrément de la vie de madame de Poix, sa réputation est toujours restée intacte. Je vis aussi à ITle-Adam madame la princesse d’Hé-nin, que j’avois déjà rencontrée dans le monde; elle étoit fort jeune et d’une figure charmante, mais elle n’a duré qu’un moment; l’hiver d’ensuite , son teint étoit gâté, et elle n’étoit plus
U
Jolie.' Elle avoit dans ses manières quelque chose de trop formé pour une jeune personne de dix-huit ans ; ‘ôn disoit quelle avoit de l’esprit, elle a aujourd’hui cette réputation très-bien établie. Je n’en ai jamais pu juger, quoique je l’aie beaucoup vue pendant douze ans de suite; elle étoit du nombre, assez grand alors, de ces personnes qui dans le monde ne t causent que tout bas /- seulement avec leurs amis, à table, où elles les font placer près d’elles, et hors de table dans l’embrasure des fenêtres, sc persuadant qu’elles ne peuvent être véritablement appréciées que dans le petit cercle de leur intimité.’’Ainsi leur esprit reste enfoui dans le sein de Vamitié, et. n’est pour le reste du monde qu’une tradition ’. K
Nous trouvâmes encore à File-Adam, la maréchale de Luxembourg et madame de Lau-zun 2. Je ne pouvois me lasser de contempler
1 On a cite un assez grand nombre de mots remarquables de la princesse d’Hénin. Madame de Genlis rapporte dans les Sowencrs de Felicie , celui sur Le Kain et M. de Vaudreuil ■ Je ne comtois, disoit la princesse , que ces deux hommes qui sachent parler aux femmes. r /
i '^^ ' ( Noie de VedHPUi ) ‘ ]
* Amélie de Bouffi ers , petite-fille et héritière de la
L DE MADAME DE GENLIS. 585 cette dernière, qui avoit la plus intéressante figure, et le plus noble et le plus doux maintien que j’aie jamais vu ; elle étoit d’une extrême timidité, sans être insipide; d’une obligeance, d’une bonté toujours soutenues, sans aucune fadeur ; il y avoit en elle un mélange original et piquant de finesse et de naïveté. La'maréchale, comine je l’ai déjà dit, étoit l’oracle du bon ton. Ses décisions sur la manière d’être dans le grand monde étoient sans appel. Elle avoit fait à cet égard des réflexions très-fines et très-spirituelles, mais que souvent elle généralisoit fort mal à.propos. En voici un trait comique : Un matin ( c’étoit un dimanche ), nous attendions pour la messe M. le
r 1
maréchale de Luxembourg , avoit épousé , le 4 février 1766 , Armand-Louis de Gontaut , qui s’est rendu célèbre à la cour sous le nom de duc de Lauzun , et dans les armées sous celui de Biron. Ce mariage ne fut point heureux. Ou sait que l’imagination chevaleresque t de M. de Lauzun l’engagea plus d’une fois à s’éloigner pour long-temps d’une' femme aussi vertueuse que charmante , afin de poursuivre jusqu’aux extrémités de l’É-cosse et au fond de la Pologne des étrangères célèbres par leur beautés 1 —
+ J T , (Note dePcditciu. ) f
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584^“ , MÉMOIRES !
prince de Conti ; nous étions dans le salon assises autour d’une table ronde sur laquelle nous avions posé ¿tous nos livres d'heures*, que la maréchale s’amusoit à feuilleter. Tout à coup elle s’arrêta sur deux ou trois prières particulières qui lui parurent du plus mauvais goût, et dont en effet les expressions étoient i bizarres. Comme elle critiquoit avec amertume ces prières, je lui objectai doucement qu’il suffi soit qu’elles fussent dites avec piété, parce que certainement Dieu ne faisoit nulle attention à ce que nous ' appelons un bon ou un mauvais ton. «Eh bien, madame, s’écria la maréchale très-sérieusement, ne croyez pas cela... » Un’éclat de rire général l’interrompit. Elle ne s’en fâcha point: mais au fond elle resta persuadée que le juge suprême de tout ce qui est essentiellement bon, ne dédaigne pas de l’être aussi de notre ton et de nos manières; et que, même dans des œuvres également méritoires, il tient toujours quelque compte de la grâce et de rèlé^ance. »\X r '
■^À ce voyage, le comte de Guines afficha de la plus étrange manière son sentiment (comme on disoit alors) pour la comtesse Amélie/et ma tante eut de fréquentes attaques de coli-
DE MADAME DE GENLIS. 585 ques, mais toujours en'se retirant chez elle pour se coucher," ce qui ne la privoit d’aucun des plaisirs de la société. Comme, avant de quitter le salon, elle se plaignoit tout bas à ses" amis',’ et surtout à M. le duc d’Orléans, nous la suivions dans sa chambre. Là elle se couchoit sur un canapé, et gémissoit pendant trois quarts d’heure , »ni plus ni moins. Durant ce temps,1 madame de Choisi, une de ses amies et moi, nous lui faisions chauffer des serviettes dans un cabinet voisin ,• M. le duc d’Orléans, les larmes aux yeux, restoit auprès d’elle. Le comte de Guines étoit congédié au bout de dix minutes. Enfin je devinai le plan de’cette comédie ¿ ma tante étoit malade de l’infidélité du comte de Guines. Elle montroit avec franchise toute sa sensibilité à M. le duc d’Orléans, et en I meme temps elle lui don-nbit l’espérance que l’étrange conduite du comte de Guines la guérirôit d’une passion aussi malheureuse qu’elle étoit pure. Tout réussit au gré de ses désirs. M. le duc d’Orléans, malgré l’intérêt de son amour, fut si touché de ses souffrances et de1 ses seniimens, qu’il en prit de l’aversion pour le comte de Guiñes. C’étoit une chose plaisante que les regards d’indigna-
TOME 1. 2Î .
L
lion qu’il lui lançoit, lorsqu’avec nous il re-"conduisoit ma tante dans sa chambre, et lorsque dans le salon il suivoit tous les pas de la comtesse Amélie 7ct paroissoit être éperdu d’amour pour elle.'■J’ai vu alors ^ plusieurs fois, M. le duc d’Orléans hausser les épaules et au mo~ ' ment d’éclater.'Je n’ai jamais hien su si les spectateurs étoient dupes de ce manège, qui me sembloit grossier f je remarquai bien que plusieurs hommcsjoürioient quelquefois, mais toutes les femmes avoiént l’air de plaindre la, victime de l'inconstance. Le maintien de ma tante au milieu de tout cela; étoit à mes yeux : la chose la plus comique 7 surtout le lendemain de ses coliques. La mine attendrie et mystérieuse des femmes qui ^ lui demandoient de scs nouvelles , les soupirs étouffés de ma tante , ses airs languissans J sont des choses qui ne peuvent se décrire/Je dirai bientôt quel étoit l’intérêt particulier.qui engageoit le comiede Guines à seconder si bien les vues Je ma tante. On verra qu’il en avoit un trés-,réel.‘ Madame de Montesson ne me fit point de confidences positives, mais plusieurs fois elle me fit entendre.vaguement qu’elle, avoit de grandes peines de cœur; je ne la questionnois -
>./' " be madame DE GENLIS. ... 387 jamais, et pendant tontee voyage nous en restâmes là. 1 . r " d
~ - De File-Adam, j’allai à Balincour, où je - passai trois mois de la manière la plus douce ■' et la plus agréable, presque toujours en fa-" mille; carón y'recevoit fort peu de monde.’ ~ Monsieur et madame de Balincour tenoient un 1 fort grand état à Paris, mais ils ne recevoient , dans leur terre que leurs amis intimes/ La comtesse de Balincour avoit de l’esprit, un caractère parfait, et la plus belle âme. Elle a été constamment pour moi l’amie la plus charmante. Quoiqu’elle fut naturellement sérieuse et qu’elle eût alors plus de quarante ans, elle me paroissoit jeune, parce qu’elle n’étoit ni pédante, ni sermonneuse. M. de Balincour, à quarante-deux ans, étoit d’une gaieté si folle, -qu’on ne pouvoit démêler à travers ses extravagances, ses niches, ses espiègleries, s’il avoit ou non de l’esprit. Mais il y avoit dans toute sa personne un tour original, et un naturel qui le rendoient amusant; Il n’étoit raisonnable qu’avec le maréchal de Balincour \ son oncle
1 Je n’ai point connu de vieillard plus intéressant que le maréchal de Balincour, mort à quatre-vingt-onze ans
U son bienfaiteur. Jamais vieillard n’a été plus-heureux dans son intérieur,' et n’a mieux mé- 1 rite de l’être, par sa piété,“sa bonté, sa dou-ceur. J’en ai parlé avec détail dans mes Sauve- -nirs. Il avoit toute sa mémoire, n’étoit point sourd, lisoit"souvent sans lunettes,,et avoit
Dans cette longue carrière } sa vie ne fut souillée d’aucune tache ; il fut toujours pieux , toujours heureux et calme , on contemploit en lui un siècle de bonheur i de gloire militaire et de vertu. Dans ce grand âge, il avoit conservé une santé robuste , une vue excellente et la
mémoire la plus sure. Je ne me hssois point de Lécou-ter, surtout lorsqu’il causoit avec son ancien compagnon ¿ d’armes , le vieux marquis de Canillac. Ces deux respectables guerriers se rappeloicnt des anecdotes, des sièges des batailles dont les détails fai s oient tressaillir : on cmyoït entendre parler Thistoire., Leurs conversations resseiu-bloient aussi à ces dialogues des morts entre des personnages d’un autre siècle. Enfin Ij’adniirois Légalité d'hg-meur J la douce gaieté de ce vieillard ; tous ses préparatifs étoient faits 7 rien ne rinquiétoit, et l’on voyoit a sa sérénité parfaite 7 qu’il avoit terminé toutes ses affai-J res ; il jouissoit des loisirs et du repos d’une vieillesse ~ vertueuse.
J’ai vu mourir le maréchal deBalincour d’une mort af freuse et singulière : son gosier s'ossifia tellement, qu’il mourut uniquement faute de pouvoir prendre de la nourriture : il souffrit pendant plus de quinze jours , et sa pa-
DE MADAME DE GENLIS.
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conservé ses dents à quatre-vingt-huit ans ~ qu’il avoit alors. Je ne me lassois pas de Entendre conter des anecdotes de la' cour de Louis XIV. Le vieux curé de Balincour venoit souvent dîner au château, c’étoit un saintí mais d’une simplicité qu’on étoit toujours
tience et sa douceur ne se démentirent jamais un seul • instant. Dans cet état inouï de foible'sse et d’inanition, il conserva toujours toutes ses facultés intellectuelles ; et soutenu , consolé , exalté par une piété angélique / ses discours n’étoient que des paroles de paix et de bonté , . des prières touchantes ou des exhortations religieuses à
ses petits-neveux et à ses domestiques. On vit toujours sur son visage l’expression de la bienveillance et du calme -le plus parfait. Trois jours avant sa mort, ne parlant déjà plus qu’avec une extrême difficulté , il aperçut au Bout de sa chambre la comtesse de Balincour qui pleuroit / il lui fit signe d’approcher et lui dit : a Ma chère nièce , si
- je pouvois vous faire voir mon âme , vous seriez consolée .’ » Le soir du même jour, tandis qu’il paroissoit assoupi , sa garde se mit à manger auprès de son lit, un valet de chambre survint, qui la gronda d’avoir assez peu de délicatesse pour’ manger auprès d’un malade qui ne pouvoit rien avaler et qui mouroit de faim. Le mare-chai, qui ne dormoit pas , ouvrit les yeux et. dit en sou riant : « Laisse-la donc souper, sois sûr que je n’envie pas ceux qui peuvent manger. » ■■
<. j- \ 1 -/^ t ( Souvenirs de Fcliae )
' 5ûÔ^ $\ï ^'^-MÉMO IR ES T' .
^étonné -de trouver à'neuf lieues de Paris.’ Dès j les .premiers jours il s’attacha à moi d’une ma-7 nière qui me surprit, il me poursuivoit partout, dans le salon, à la promenade, dans ma chambre, et toujours pour me parler de la vérité „ delà religion apostolique et romaine, dont il £ me récapituloit toutes les preuves.’ Il finit par ' m’excéder, et cela dura plus de quinze jours.
/ C’ étoit * un tour J de M.“de Balincour ,: qui [lui avoit■ fait croire que j’étois luthérienne ( mais que je m’en cachois ) et qui l’avoit chargé de ma conversion. M. de Genlis étoit à son ré-, giment^en arrivant à Paris,'je trouvai un ; billet de ma tante, qui m’apprénoit qu’elle [^ étoit^malade et dans son lit; jé Favois laissée - à File7 Adam, 'devant retourner deux jours après à Paris j où elle alla en effet passer huit jours; ensuite elle par tit pour Villers-Cotterets, . elle y resta : cinq semaines et elle revint avec M.' le duc d’Orléans à File-Adam. Elle y re-/ trouva le comte de Guines,' et les scènes que j’ai contées recommencèrent7 J’imaginai que la maladie de madame de Montcsson étoit sentimentale, je ne m’en inquiétai pas beaucoup^ Le ^lendemain matin j’allai chez elle, je la trouvai seule et dans son lit; elle me dit sur-
4 DE MADAME DE GENLIS. ’ 3gi * le^hamp, en mettant la main sur son cœur, qué son malétoit là, et qu’elle en mourrait; je lui dis quelques lieux communs de consolation. Alors elle me montra une lettre dn comte de Guiñes qui, en faisant un • grand éloge de sa vertu, et de grandes protestations d’estime, d’admiration et d’attachement, lui déclarait qu’il n’avoit plus de passion pour elle, et qu’enfin il en aimoit une autre. Ma tante ajouta qu’elle n’avoit caché à M. le duc d’Orléans, ni sa douleur, ni cette lettre (je m’en doutois); que M. le duc d’Orléans étoit charmant pour elle, et que, par sa conduite dans cette occasion/il avoit acquis les plus grands droits sur son cœur. Je répondis toujours les mêmes niai-serics, que j’espérois qu’enfin elle guérirait, etc. . Elle dit que, sans les procédés inouïs du comte •de Guines, elle auroit porté cette fatale pas-sion au tombeau; mais qu’elle avoit cncoi’e besoin d’une longue absence, qu’elle l’avoit avoué, à M. le duc d’Orléans, en le conjurant d’ob-' tenir pour le comte de Guines l’ambassade de Prusse. Je compris alors pourquoi le comte de\ Guines s’étoit prêté à tous ces artifices, il avoit fort peu d’amour jet beaucoup d’ambition, et depuis long-temps il désirait avec ardeur une
t ambassade, il fauroit attendue long-temps sans cette comédie ; mais il étoit bien certain que M. le duc d’Orléans mettroit tant de chaleur, dans cette affaire qu’il ne le feroit pas languir. Je soutins mon rôle de niaise/ en disant à ma tante, qûeje"craignois que la nouvelle passion du comte de Guines ne l’empêchât d’accepter
’ cette ambassade. Elle me répondit qu’en effet il s’éloignoit à regret, mais que M. le duc ^Orléans lui avoit'parlé avec tant de force, qu’il l’avoit décidé. Il eût l’ambassade, et partit deux mois après’. >;--^^^/'
^' Pour rendre compte ici de tout ce qui le re-" garde, je rapporterai une anecdote qui peint parfaitement la finesse de son esprit. ; -arrivé à
* 1 II est souvent question du comte de Guines ? dans les Afezjzûzm du duc de Lau^un , et, à la manière dont il en parle, il est aise de s’apercevoir que, sans être amou-: veux de la comtesse Amélie , M. de Lauzun n avoit pas vu avec plaisir le sentiment que M. de Guines allée toit pour elle. Il craignit encore sa rivalité auprès de la princesse Chatolinska , et, sous prétexte d’une ancienne et tendre amitié , il Pacense presque d’ingratitude.' Pour prononcer de quel côté sont les torts , il faudroit avoir les mémoires du comte de Guines j mais, s'il en a laissé, ces mémoires n’ont point été imprimés, '^^'v^'-
Y x ( Note del’ediUur )
- DE MADAME DE GENLIS. 5g5
Berlin, il fut-mal reçu du roi de Prusse.'Ce prince jouoit de la-flûte, et aimoit passionnément la musique; le talent supérieur du comte de Guines sur la flûte, lui persuada que la cour de France ne le lui envoyoit pour ambassadeur que par cette raison. Cette idée choqua le roi, et dans le grand Frédéric,' c’étoit une petitesse. Le comte, voyant que le roi s’obsti-noit à le traiter avec une sécheresse qui alloit ; jusqu’à la désobligeance, en découvrit le motif : et feignit de l’ignorer. Il rencontroit quelquefois un homme qui passoit pour l’un des espions du roi dans la société, et un jour en présence de cet homme, il dit d’un ton insouciant , et léger, qu’il avoit deviné pourquoi le roi ne l’admettoit jamais dans son intérieur, et sur-le-champ il ajouta : « Le roi a des correspondances à Paris J on lui aura mandé quería , tournure de mon esprit est épigrammatique et
moqueuse, a Quelqu’un se récriant sur le mau- x vais caractère de celui qui auroit mandé une telle chose : « Non, reprit froidement le Comtek il aura dit cela sans malice; à Paris, ce genre d’esprit n’est qu’un jeu de société, on ne le craint pas. ¿ i '^ ' ^ '
Cet entretien, comme le comte l’avoit es-,
pérérfut rapporté au roi, quinde premier mouvement, s’écria qu’il ne craignoit nulle— . ment les épigrammes et'iss moqueries. Il
traita mieux le comte de Guines, l’attira, causa avec lui j fut charinéde son esprit et de sa grâce/ l’admit dans son intimité, fit souvent de la' musique avec lui,íet lui prodigua constamment depuis toutes les marques de la plus grande faveur/k4-- ^ ~ ' 1 ’t-*¡.
. / Trois semaines après la" confidence de ma - tante; j’accouchai de mon fils, j’avois vingt-, deux' ans; M. de Genlis revint de son régiment la surveille de mes couches, ie relevaif c’est-à-dirc j’allai à l’église au bout de quatorze jours. Jamais ma santé n’a été meilleure. ^J’avois beaucoup lu à Balincour, et écrit ^prodigieusement de notes et d’extraits; comme - j’avois d’ailleurs un cdmmerciTde lettres assez étendu, je ne composai rien. L’hiver qui suivit ressembla parfaitement pour moi à l’hiver pré-. cèdent. Je fis, à l’imitation de Fontenelle, des * dialogues des morts, mais ils étoient plus mo-- raux z le premier étoit entre Constantin le __Grand et Charlemagne, le second entre Élisabeth d’Angleterre et Christine, reine de Suède, x le troisième entre LouisXI et HenriIV. L’abbé
de Lille, cet hiver,,vint plusieurs fois chez moi; il nous récita de beaux vers, et personne au monde ne disoit|des vers comme lui. Cette année M. de Saint-Lambert1 donną son poëme
* Malgré le zèle des amis de M. de Saint-Lambert et le crédit de ses protecteurs j le poëme des Saisons futfroi-“ dement accueilli par le public. Quelques épisodes tou-cbans , quelques descriptions brillantes , rompent trop , rarement la monotonie du sujet et la langueur* du style , pour ne pas justifier l’espèce de défaveur’ où ce poëme est tombé. Saint-Lambert □ publié un recueil de fables orientales plus cstipaées que les Saiions ; et il a fait sur le comte et la comtesse d’H*** , une épigramme qui vaut la meilleure de ses fables, -à , J ... i
^ r* Après l’avoir fait en terrer, "* । 1,
K;v Sa veuve, n’ayant rien à faire,-, .
, Se mit un jour à le pleurer.r
11 11 fut nommé de l'Académie Françoise en 1770; on lui reprocha d’avoir loué tout le monde dans son dis-
cours de réception. L’auteur de la Correspondance Utle^ mire le trouve fort excusable sur ce point. « On a , dit-il, donné à M. de Saint-Lambert , lorsqu’il est entré à l'A- ; endémie , un encensoir , à condition, qu’il en dirigeroil les coups non-seulement en arrière sur les fondateurs , mais encore en avant sur les principaux nez académiques. Le nouvel élu a fait son devoir d’encenseur à merveille , cl il ny <1 point d habitué de paroisse qui sache mieux
^^.r - - MÉMOIRES “i.
des Saisons. M. et M™. de Beauvau aimoient,
l’auteur et protégèrent le poëme avec la plus grande chaleur, ils furent secondés par toute leur société, et cet ouvrage eut dans le monde beaucoup de succès; mais les vrais littérateurs, en convenant qu’il est en général bien écrit, trouvèrent que c’est un mauvais poëme, sans intérêt, sans imagination et très-ennuyeux. Il y a d’un bout à l’autre j dans cet ouvrage, une
lancer le sien. Indépendamment de l'illustre président de Montesquieu et du grand patriarche de Ferney , l'ab-hé de Condillac, M. Thomas, M. d’AIembertont eu leur
■ portion d’éloge à part. Je ne sais par quelle fatalité M. de - Saint-Lambert a oublié M. de Buffon , qui ne laisse pas
d'être aussi un des quarante : et je suis tenté de faire comme cet officier gascon qui, en revenant du Palais, où - il avoit monté la garde pour une séance de Louis XIV „.. au parlement, s’arrêta sur le Pont-Neuf devant la statue - d’Henri IV , et dit à sa troupe : « Mes amis, saluons ce
lui-ci ; il en vaut bien un autre. » v.^^r".? JL.'.'" 1
i . Le poëme des Saisons fit éclore plus d'une épigramme.'
Voici celle de Clément:
-ST
J Saint-Lambert s’enroue à nous dire :
^j« Mon poeme doit être bon /^Î’^iX' ^ '
» Car j’ai mis trente ans à l’écrire ; ^
» Trente ans, vous dis-je. » Et pourquoi non ? -
'V: H en faut autant pour le lire. - 1
. 4 ^ :-¥" :^. ^ (Noie d« l’éditaui )
DE MADAME DE GENLIS, ^ 3g?
• teinte sombre et monotone qui en rend la lecture fatigante, car on sent que l’auteur a pris à dessein cette triste couleur, il a voulu être penseur, et il a pris la pesanteur pour la profondeur. C’est ce poëme qui a le premier introduit en France les prétentions philosophiques , romantiques et germaniques à la mélancolie, et en outre le genre descriptif, dans lequel les personnages, les passions, les vertus, lesr sen timons, ne sont que des accessoires, tandis que les forêts, les plantes, les rochers, les cavernes, les eaux, les précipices , les ruines, forment le fond du sujet. C’étoit tout le contraire autrefois, mais noits avons changé ¿oui cela. Ce bouleversement est le fruit naturel du matérialisme : en desséchant les âmes, il a desséché l’imagination et la littérature. Malgré tous ses défauts le poëme des Saisons conservera toujours une place honorable dans les bibliothèques françaises, parce que le langage en est beau, et ce mérite suffit pour assurer la durée d’un ouvrage. Comme tout le monde, je lus ce poëme, et j’enjpensois dès lors à peu près tout ce que j’en dis aujourd’hui. Un autre auteur, dans ce temps, cxcitoit, dans un autre genre, un grand enthousiasme; c’étoit Tho-
5g8 «MÉMOIRES^' ' ’
mas^et je partageai'cette admiration/ dont, j’ai bien rabattu depuis. Il y a dans* ses discours de l’emphase y de l’enflure/ des pensées fausses, mais’il y a souvent aussi de l’élévation d’âme, et une véritable noblesse, et je n’y vis que cela. M. de Sauvigny, à force de contrarier mon goût pour cet auteur, m’en fit sentir tous les défauts. Il est singulier qu’ayant toujours eu beaucoup de naturel dans l’esprit, j’aie aimé passionnément Marivaux,1 malgré son entortillage, et Thomas, malgré son emphase, mais c’est que je suis persuadée qu’ils n’affectoient rien, et qu’ils étoient nés avec cette tournure d’esprit. Leurs défauts sont des qualités outrées. Thomas avoit une trop grande manière de voir les choses ; Marivaux a poussé trop loin la finesse et la délicatesse. Il faut n’abuscr de rien , voilà le ' goût, et sans ' le goût par conséquent il n’y ’ a point de perfection en littérature et dans les arts. Ce sont ces deux auteurs, Saint-Lambert et, avant eux 7 Fontenelle, qui ont gâté la littérature; en faveur de leurs talens on peut excuser leurs défauts, mais comment leur pardonner d’avoir formé tant de mauvais imitateurs? Le ton doctoral, l’emphase / les faux brillans déparent
T - ' DE MADAME DE GENLIS. ¿ 3$$ presque tous les ouvrages de cette époque jusqu’à nos jours. Rousseau même ne fut pas exempt de ces défauts, mais du moins ils ne sont en lui que des écarts; ils ne forment pas sa manière habituelle d’écrire qui, en général, est .belle, parce qu’elle est franche, harmonieuse et naturelle. Mais, Comme écrivain, il est bien inférieur à M. de Buffon et à nos autres grands prosateurs ; car, outre ses passages emphatiques, on trouve dans ses ouvrages des locutions très-vicieuses et beaucoup de fautes de langage.
- FIN DU TOME PREMIER. I