a1 |
http://tadew.free.fr/GENERAL-RIGAUD.htm |
Paul
Chacornac |
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http://tadew.free.fr/Imperio_portugues.htm |
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a3 |
http://tadew.free.fr/louis-philippe.htm |
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a4 |
http://tadew.free.fr/protocoles-des-sages-de-sion.htm |
AtwvdWf' |
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a5 |
http://tadew.free.fr/Wanclik-Ancestry.htm |
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a6 |
http://tadew.free.fr/18544774.htm |
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a7 |
http://tadew.free.fr/Charles-Felix.htm |
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a8 |
http://tadew.free.fr/ComteStGermain.htm |
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a9 |
http://tadew,free,fr/who%20were%20napoleon.htm |
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a10 |
http://tadew,free,fr/archivo_1418.htm |
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a11 |
http://tadew,free,fr/archiva_polskich_sil_zbrojnych_na_zachodzie.htm |
LA VOCATION DE L’ARBRE D’OR |
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a12 |
http://tadew,free,fr/Clavijo-de-Beaumarchais,htm |
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a13 |
http://tadew,free,fr/comte-de-saint-germain-memoires,htm |
est de partager ses
intérêts avec les lecteurs, son admiration pour les grands textes
nourrissants du passé et celle aussi pour l’œuvre de contemporains majeurs
qui seront probablement davantage appréciés demain qu’aujourd’hui. La belle
littérature, les outils de développement personnel, d’identité et de progrès,
on les trouvera donc au catalogue de l’Arbre d’Or à des prix résolument bas
pour la qualité offerte. |
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a14 |
http://tadew,free,fr/Philippe-Egalite_Histoire-et-Secrets,htm |
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a15 |
http://tadew,free,fr/rtellechea,free,fr |
LES DROITS DES AUTEURS |
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Cet e-book est sous
la protection de la loi fédérale suisse sur le droit d’auteur et les droits
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Paul Chacornac |
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Le
Comte de Saint-Germain |
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© Arbre d’Or, Genève,
septembre 2004 http://www.arbredor.com Tous droits réservés pour tous pays |
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AVANT-PROPOS |
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On a beaucoup écrit
et beaucoup rêvé sur le comte de Saint-Germain, ce personnage mystérieux qui
étonna l’Europe durant la seconde moitié du XVIIIe siècle et prend place dans la galerie des énigmes historiques
entre le Masque de Fer et Louis XVII. |
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Certains seront
tentés de penser qu’une nouvelle étude sur un sujet ressassé par tant de
chroniqueurs et de romanciers ne s’imposait pas. Mais précisément il nous a
semblé qu’à force d’exercer la verve des uns et l’imagination des autres,
notre personnage avait perdu son vrai visage et, à tort ou à raison, nous
avons cru qu’il n’était pas sans intérêt de le lui restituer. |
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Après
nous être efforcé de dissiper certaines confusions dues à une similitude de
nom et de titre entre notre héros et un de ses contemporains — d’ailleurs
célèbre, lui aussi, mais d’une autre manière — le lieutenant-général
Claude-Louis de Saint-Germain, nous avons fait la critique des diverses
hypothèses qu’on a formées sur l’origine de notre personnage. Puis nous avons
rassemblé et confronté les documents qui concernent incontestablement
l’énigmatique gentilhomme et tenté de reconstituer sa vie, non pas depuis le
début — puisqu’aucun témoignage formel ne nous est parvenu sur sa naissance,
son enfance, sa jeunesse — mais depuis le moment où il apparaît au grand jour
de la vie publique jusqu’à sa mort, réelle ou supposée. |
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AVANT-PROPOS |
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Ayant établi ce
qu’on sait historiquement sur le comte de Saint-Germain, nous avons exposé
dans tous ses détails et ses développements la légende qui s’est formée
autour de sa personne. |
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Le lecteur étant à
ce moment en possession de tous les éléments de la question, nous nous sommes
alors efforcé — sans prétendre avoir atteint la vérité complète et définitive
— de résoudre le double problème que constituent l’histoire et la légende du
comte de Saint-Germain. Ce n’est pas à nous qu’il appartient de dire jusqu’à
quel point nous avons réussi. Le seul mérite que nous revendiquons est
d’offrir au public l’ouvrage français le plus complet qui ait été élaboré
jusqu’ici sur ce personnage1. |
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PREMIÈRE PARTIE |
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— |
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À LA RECHERCHE DU HÉROS |
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Je cherche un homme. |
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Diogène |
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Chapitre premier : |
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Heurs et malheurs d’un homme de guerre |
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Tout d’abord, il
nous a paru nécessaire de rechercher, parmi les faits et gestes attribués au
personnage énigmatique connu sous le nom de comte de Saint-Germain, ceux qui
ont été accomplis, en réalité, par un personnage qui n’a rien de mystérieux
et qui a joué un rôle, secondaire, mais non négligeable dans l’histoire du XVIIIe siècle, le comte Claude-Louis de Saint-Germain. Du vivant
même de ces personnages, leur homonymie a été cause de nombreuses confusions
que les historiens ont ultérieurement propagées et aggravées. |
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Pour essayer de
voir clair en cette affaire, le mieux est sans doute d’exposer tout d’abord
les grandes lignes de la vie de celui des deux personnages qu’on peut suivre
avec certitude de sa naissance à sa mort ; nous voulons parler du comte
Claude-Louis de Saint-Germain, ministre et secrétaire d’État à la Guerre,
lieutenant-général des armées de France, commandeur de Saint-Louis,
feld-maréchal au service du roi de Danemark, commandeur de l’Éléphant2, et nous signalerons
les faits et les circonstances de |
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nature à expliquer la confusion créée entre les deux
personnages. |
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Si Claude-Louis de
Saint-Germain se place parmi les hommes célèbres du XVIIIe siècle par ses
talents militaires3, il semble que son caractère difficile influa singulièrement
sur sa destinée, et que sa vie fut une succession continuelle de fortune et
de malheur4. |
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Il est né le 15
avril 1707, au château de Vertam-boz5, près de Lons-le-Saunier, en Franche-Comté6. Sa famille était
originaire de Bresse. Établis depuis 1650 dans la province où Claude-Louis
naquit, les Saint-Germain portaient depuis 1200 le même nom et les mêmes
armes, et pouvaient prouver dix quartiers de noblesse depuis Guillaume de
Saint-Germain, juge-mage de Bresse, vivant en 1320, jusqu’à Louis, baron de
Saint-Germain, vivant en 16507. |
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Claude-Louis fit
ses études chez les Jésuites de Lons-le-Saunier ; il prit même l’habit de cet
ordre, et régenta, dit-on, durant quelques mois la rhétorique. Des
inclinations peu monastiques l’engagèrent à quitter le couvent en 1726 : il
était alors âgé de dix-sept ans8. Il s’engagea dans un régiment de dragons, puis son père,
commandant du bataillon de la milice de la Franche-Comté, le fit entrer en
qualité de lieutenant dans son unité. La vie calme n’était pas faite pour
Claude-Louis ; deux sentiments dominaient en lui : le désir de se
perfectionner dans l’art de la guerre et surtout l’espoir d’un avancement
plus rapide. Et comme sa famille ne pouvait lui acheter ni un régiment ni
même une compagnie, il quitta la France en 1729 et passa en Allemagne au
service de l’électeur Palatin. |
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Au mois de mars
1734, le neveu du prince Eugène, Jean-François de Savoie cantonnait à Mayence
: il commandait un régiment de dragons dans l’armée impériale. Au même
moment, se trouvait dans cette ville, M. Blondel, notre agent diplomatique
auprès de l’électeur Palatin. |
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Ce fut grâce à
notre représentant que le futur ministre de la Guerre commença sa fortune.
Claude-Louis avait été fort recommandé à M. Blondel, par le |
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maréchal du Bourg,
gouverneur de l’Alsace. Notre envoyé, se trouvant un soir à dîner avec le
jeune prince de Savoie lui demanda la faveur de prendre M. de Saint-Germain
comme aide de camp. Le prince accepta et pourvut Claude-Louis d’une
lieutenance. Quelque temps après, Jean-François de Savoie mourait. Il avait
34 ans. M. Blondel retrouva à Mannheim son protégé et facilita son mariage
avec la fille du baron d’Ostein grand maître de la garde-robe de l’électeur. |
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À la mort de
Charles VI, en 1745, l’Europe se vit entraînée dans une guerre générale, dite
de la succession d’Autriche. Ne pouvant se résoudre à porter les armes contre
la France, M. de Saint-Germain exposa son embarras à l’impératrice-reine,
Marie-Thérèse, laquelle accepta sa démission, et sur la recommandation de M.
Blondel, il entra au service de l’électeur de Bavière. Celui-ci devenu
Charles VII, désigna Claude-Louis pour son chambellan, le nomma ensuite
général de cavalerie et vice-président du conseil de guerre. Si la mort de
cet empereur dont le règne fut éphémère, arrêta notre héros sur le chemin de
la fortune, un autre événement décida de sa vie. M. Blondel, qui était au
mieux avec le maréchal de Belle-Isle, intervint auprès de lui pour procurer à
Claude-Louis du service en France9. Étant tombé en disgrâce, après |
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|
sa belle retraite
de Prague, le maréchal exprima à M. Blondel ses regrets de ne pouvoir rien
faire personnellement pour son protégé. Toutefois sur le conseil de M. de
Belle-Isle, Claude-Louis s’adressa au maréchal de Saxe, le vainqueur de
Fontenoy, et celui-ci le fit rentrer en France10. |
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Redevenu maréchal
de camp, Claude-Louis s’efforça de justifier la bonne opinion qu’on avait de
lui. Il rejoignit, en avril 1746, l’armée du roi en Flandre, et durant deux
années reçut du maréchal de Saxe, son chef, les plus grandes marques d’estime
et de confiance, si bien qu’en mai 1748, il obtint le brevet de
lieutenant-général et la croix de Saint-Louis. Il fut fait commandeur en
1751. Ce fut le maréchal de Belle-Isle qui, lors de son retour à Paris, après
la campagne de Nice, en décembre 1748, présenta le lieutenant-général
Claude-Louis de Saint-Germain à la cour11 ; ce dernier sut s’attirer tout de suite la faveur de madame
de Pompadour qui le consultait souvent. Ainsi, lors du voyage d’études en
Italie, de son frère M. de Vandières, le futur marquis de Marigny, la
marquise écrivait : « Monsieur de Saint-Germain m’a dit |
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que Lefort12 arriverait à Turin
le 2 ou 3 juin [1750] ; ainsi vous devez être en marche. J’espère que vous
continuerez à faire aussi bien qu’à votre premier voyage dans cette cour13. » Les hostilités
ayant pris fin par le traité d’Aix-la-Chapelle, Claude-Louis fut désigné pour
le commandement de la Basse-Alsace ; puis, successivement, fut choisi pour
celui de la Flandre en 175114 et celui du Hainaut en 1754. |
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Le commencement de
l’année 1756 vit le début de la guerre de Sept ans. Claude-Louis reçut
l’ordre d’aller protéger Dunkerque démantelée et de former entre cette ville
et Calais un camp de manœuvres en vue de faire échouer tout projet de
débarquement de la part des Anglais. Cependant, ceux-ci commencèrent par
enlever nos chaloupes armées, ce qui décida M. de Saint-Germain à
s’intéresser à la marine. Justement dans Dunkerque M. Briansiaux de
Milleville15
armait personnellement des « corsaires » ; Claude-Louis dès |
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lors, s’associa aux
entreprises de l’armateur, aidé par les marquis de Vauban et du Barail et MM.
de Cau-martin et Bégon, ce dernier intendant de la marine à Dunkerque. C’est
ainsi que furent armées, entre 1756 et 1758, trois frégates de 100 tonneaux,
avec 12 canons, 6 pierriers et 100 hommes d’équipage, qui portèrent le nom de
Le Comte de Saint-Germain.
Ces frégates firent nombre de prises intéressantes qui rapportèrent des
profits immenses16. |
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Cet intermède
maritime n’était qu’un incident dans la vie de Claude-Louis et le soldat
reprit le cours de sa carrière en allant se battre en Allemagne. En novembre
1757, sous les ordres du prince de Sou-bise, il couvrit la retraite après la
défaite de Rosbach. Sa conduite fut admirable : « Vers la fin de la journée,
commandant une réserve de 15.000 hommes, il se plaça sur une hauteur d’où il
couvrit les fuyards, et comme il paraissait résolu à une forte résistance,
Frédéric II rappela ses troupes et partit le lendemain pour la Silésie17. » L’année suivante,
sous le commandement du comte de Clermont, il dirigea l’aile gauche de
l’armée à la bataille de Crevelt. Cette bataille, au cours de laquelle fut
tué le fils du maréchal de Belle-Isle, le comte de Gisors, fut perdue par
l’incurie et |
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la jalousie des
autres généraux envers Claude-Louis. Abandonné de tous, il soutint seul le
choc de l’armée ennemie. Sa conduite ne méritait que des éloges18, mais ce fut le
contraire qui eut lieu : « Les généraux ennemis disent tout haut qu’on la
perdit exprès dans le dessein de me faire périr19. » Après la défaite de Minden, Claude-Louis excédé voulut
donner sa démission, désirant se soustraire, dit-il « à l’oppression des gens
qui ne jugent les hommes que sur des discours de misérables, sans leur tenir
aucun compte de leurs actions. On ne veut que des esclaves, et je ne puis pas
le devenir20.
» En effet, à son entrée au service de la France, on l’avait accablé de
promesses et de compliments. Ce fut tout le profit qu’il en retira et jamais
M. de Saint-Germain n’accéda aux honneurs bien qu’il fut supérieur à beaucoup
d’autres officiers généraux21. |
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Étant à Paris en
mars 1760, Claude-Louis eut une entrevue avec Louis XV qui prévenu contre
lui, l’accueillit très froidement, ainsi que Mme de Pompadour, à l’instigation de l’abbé de Broglie, frère du
maréchal, qui ne lui pardonnait pas d’avoir été jésuite. Il entretint, par la
suite, le maréchal de Belle-Isle de ses res- |
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sentiments, mais à
nouveau il fut dupe et envoyé22, sans qu’il s’en doutât, sous les ordres du maréchal de
Broglie. Ce dernier ne vit pas sans jalousie, Claude-Louis tenir un rang dans
son armée23.
De vives altercations eurent lieu entre les deux généraux : « Je sais mieux
que qui que ce soit, dira M. de Saint-Germain, que l’on doit respect et
obéissance au général de l’armée ; mais l’honneur de servir le roi ne doit
pas assujettir à des humiliations que l’on ne souffrirait pas comme
particulier24 » et, de nouveau, il demanda son rappel. Toutefois, il prit
part au combat de Corbach et eut la plus grande part du succès (10 juillet
1760), puis, brusquement le 20 juillet, il quitta l’armée25, et se retira à
Aix-la-Chapelle. |
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Ne pouvant obtenir
justice, il écrivit : « mon honneur jusqu’ici n’a pas souffert, heureusement
; il faut que je le sauve du naufrage : c’est tout ce qui me reste, je ne
dois plus l’exposer26, » et rien ne put le faire revenir sur sa décision. On fit
courir le bruit que M. de Saint-Germain avait été renvoyé de l’armée « parce
qu’il avait voulu livrer la réserve aux ennemis » et qu’ensuite on avait
ordonné de le mettre en prison, ce qui était faux27. Claude-Louis s’embarqua sur le Rhin pour la Hollande28 ; il resta quelque
temps |
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à Arnheim29, puis à Hambourg, et
de là passa au Danemark, après avoir obtenu de Louis XV la permission de
servir ce pays. Lorsqu’il arriva à Copenhague, la situation du Danemark était
embarrassante. Le duc de Holstein, neveu de l’impératrice Elisabeth de
Russie, devenu le Tsar Pierre III, nourrissait la plus grande haine pour les
Danois, qui s’étaient emparés de ses états dans un conflit précédent, et une
guerre devint inéluctable. M. de Saint-Germain nommé feld-maréchal général,
eut mission de contenir les Russes. Il s’acquitta admirablement de son rôle,
bien que l’armée dont il disposa ne fût pas en état. Après avoir pris Lubeck,
il comptait s’emparer de Warren30, lieu de ravitaillement des Russes. Cette ville prise, ces
derniers étaient obligés de revenir en Prusse, ce qui eut sans doute terminé
la campagne à l’avantage des Danois, et de leurs alliés, les Norvégiens.
Claude-Louis ne put mettre à exécution cet audacieux projet ; Pierre III fut
assassiné le 15 juillet 1762 et la paix survint avec la nouvelle impératrice,
Catherine II, la veuve de Pierre III. |
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À son retour à
Copenhague, M. de Saint-Germain voulut réorganiser l’armée danoise. Ses
réformes |
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amenèrent des
récriminations de la part d’officiers retraités, et le roi Frédéric II fit
des reproches à son maréchal, d’où froissement. À la mort du roi en 1766, son
fils Christian VII lui succéda. La considération et le pouvoir de
Claude-Louis diminuèrent à nouveau au point de lui rendre l’existence
insupportable. En 1769, il demanda sa retraite et proposa au gouvernement de
lui donner au lieu de sa solde, soixante mille écus, qu’il reçut et plaça
chez un banquier de Hambourg, et il alla s’établir près de Worms. |
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Cependant en 1770,
le médecin du roi de Danemark, le comte Struensée, devenu premier ministre,
fit revenir à Copenhague M. de Saint-Germain ; mais celui-ci n’y resta pas
longtemps et revint en France. C’est durant son voyage de retour qu’il
s’arrêta à Schwabach, près de Nuremberg, où il vécut très retiré sans aucun
domestique. Le margrave d’Anspach ayant appris la présence de Claude-Louis
sur son territoire, lui offrit de venir à Triesdorf, près d’Anspach,
résidence qu’il préférait à son palais. M. de Saint-Germain vint donc à
Triesdorf. Il prenait ses repas dans sa chambre qu’il quittait rarement et de
la façon la plus inaperçue. |
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Quelques jours après, le
margrave ayant appris par un courrier que le comte Alexis Orlof31, le favori de |
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Catherine II, de
retour d’Italie, passait à Nuremberg, proposa à Claude-Louis de
l’accompagner. Le comte Orlof accueillit le vieux soldat chaleureusement,
l’appelant à plusieurs reprises son « caro padre », et dit en le montrant au
margrave : « Voilà un homme qui a joué un grand rôle dans notre révolution. » |
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On se souvient en
effet qu’en 1762, M. de Saint-Germain, feld-maréchal des troupes danoises, en
attaquant les Russes, occupa l’esprit du Tsar Pierre III et permit à
Catherine II de préparer avec les frères Orlof, la conspiration qui la mit
sur le trône. Le comte Orlof, paraît-il, donna à Claude-Louis « 20.000
sequins de Venise32
; » celui-ci put ainsi continuer son voyage vers la France33. Après avoir
séjourné quelques semaines à Bordeaux, puis à Bourgoin, M. de Saint-Germain
se fixa à Luterbach, près de Munster. C’est |
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là, dans sa
retraite, en 1774, qu’il apprit la faillite totale de son banquier de
Hambourg, un sieur Bar-gum, directeur de la compagnie d’Afrique et sa fuite à
Vienne. Le 24 décembre de la même année, Claude-Louis écrivait à l’abbé
Dubois, aumônier du cardinal de Rohan : « J’ai essuyé une banqueroute de cent
mille écus. M. de Blosset, ministre du roi à Copenhague m’a jeté dans
l’abîme. J’ai pris confiance dans un homme qu’il m’avait singulièrement
recommandé et au frère duquel j’avais fait la fortune. » Ne possédant plus
rien, il se vit réduit à solliciter des subsides. Cependant quelques-uns de
ses amis lui vinrent en aide anonymement et la France le pensionna ; il put
vivre ainsi honorablement34. |
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En 1775, à la mort
du maréchal de Muy, ministre de la Guerre de Louis XVI, le célèbre économiste
Turgot, parla de M. de Saint-Germain au roi comme successeur de M. de Muy.
Nommé secrétaire d’État de la guerre35, Claude-Louis corrigeât quelques abus, réprima quelques
injustices, cela le perdit et lorsqu’il entra au Conseil en qualité de
ministre d’État (1776), on lui fit grief d’avoir été jésuite, et en vérité,
dira-t-il : « On me faisait plus d’honneur que je ne méritais, |
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de croire que
depuis cinquante ans que j’avais abjuré les dogmes de cette société, je pusse
y tenir encore par aucun sentiment d’attachement36. » Jamais aucun ministre ne reçut un plus grand nombre de
lettres, de pamphlets et d’injures anonymes37. Devant cette haine qui le poursuivait avec acharnement, M.
de Saint-Germain donna sa démission ; il se retira à l’Arsenal où il mourut
le 15 janvier 177838. |
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Telle fut la vie
aventureuse, mais sans mystère, de celui qui n’eut de commun que le nom et le
titre avec l’homme énigmatique dont la personnalité intrigue encore les curieux de la petite
histoire39. |
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Chapitre II : |
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L’histoire de l’enfant mort et vivant |
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La seconde
vérification qui s’imposa à nos recherches concerne les soi-disant origines
hongroises du comte de Saint-Germain. |
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La première mention
d’une ascendance Rákóczi se trouve indiquée dans la correspondance échangée
entre M. d’Alvensleben, ambassadeur de Prusse à Dresde, et Frédéric II. Le
ministre avait été chargé |
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d’une
personne que le lieutenant de police Lenoir reconduit en serviles courbettes.
Il s’agit ici du ministre d’État et non du « comte », attendu que le
lieutenant de police Jean-Ch. Pierre Lenoir n’occupait cette place qu’en
1776. On a prétendu aussi que l’académicien Charles Batteux, chanoine
honoraire de Reims, travailla avec le « comte » de Saint-Germain. C’est une
nouvelle erreur, puisque l’abbé Batteux n’eut de rapports qu’avec le ministre
de la guerre. En effet, c’est sur son ordre, que fut publié le Cours
élémentaire à l’usage de l’École militaire auquel collabora l’abbé Batteux.
Cf. A. Caillet. Manuel des Sciences Psychiques, t. I, p. 119. Signalons enfin
plusieurs personnages connus du XVIIIe siècle qui portèrent le même nom que notre héros. En 1720,
un peintre d’origine anglaise, M. de Saint-Germain, surnommé « Le
Mississipien » à la suite d’une grosse fortune acquise dans la société par
actions fondée par Law et qui la réalisa en partie par l’achat de plusieurs
diamants admirables. En 1748, M. de Saint-Germain, qui fut pendant un temps
très court directeur de l’Opéra, avec M. Tréfon-taine. En 1784, J. J. de
Saint-Germain, naturaliste, auteur d’un Manuel des végétaux, qui possédait, à
Paris, dans le faubourg Saint-Antoine, une serre et un verger artificiels,
comportant fleurs, arbres et fruits, moulés et peints d’après nature. |
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par son souverain
d’enquêter sur le comte de Saint-Germain. Or voici ce qu’il écrit à la date
du 25 juin 1777 : « Il [le comte] se nomme Prince Rákóczi ; il me dit encore
qu’il avait deux frères dont les pensées seraient si triviales qu’ils se
soumettent à leur misérable sort. Lui par contre a pris à un certain moment
le nom de Saint-Germain, ce qui signifie « le saint frère40. » |
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Si ce premier
document est assez bref, le second contient des détails plus circonstanciés.
Il se trouve dans les Mémoires de mon temps, du landgrave Charles, prince de
Hesse, qui fut le dernier ami du comte de Saint-Germain. Celui-ci avant de
mourir aurait fait au landgrave quelques confidences sur ses origines,
auxquelles ce dernier en les publiant aurait ajouté les « explications
nécessaires », selon sa propre expression : « Il me disait être le fils du
prince Rágózki de la Transylvanie et de sa première épouse, une Tékély…
Lorsqu’il apprit que ses deux frères, fils de la princesse de Hesse-Rheinfels
ou Rothenbourg, si je ne me trompe, s’étaient soumis à l’empereur Charles VI
et avaient reçu les noms de Saint-Charles et de Saint-Elisabeth, d’après l’empereur
et l’impératrice, il se dit : « Eh bien, je me nommerai Sanctus Germanus, le
saint frère ! » Je ne puis garantir, à la vérité, sa naissance…41 |
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Examinons donc ce qu’étaient les Rákóczi. |
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La famille des
Rákóczi est connue pour sa part active à la vie nationale de la Transylvanie.
Sans remonter aux origines de cette famille, disons que François Rákóczi Ier épousa le 1er mars 1666, au
château de Macovicza, Hélène Zrinyi, fille du comte Pierre et de la comtesse
Catherine Frangepán. Pierre Zrinyi ayant conspiré contre l’Autriche fut
exécuté à Wiener-Neustadt, en même temps que le comte Frangepán. |
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François Rákóczi Ier se réfugia avec sa
femme et sa mère, Sophie Báthory, dans la forteresse de Munkàcs. Sophie
obtint la grâce de son fils moyennant 400.000 thalers. Hélène Zrinyi en fut
humiliée ; cependant elle resta avec son mari. Au mois d’octobre 1667, naquit
Georges qui ne vécut que quelques mois. Cinq années s’écoulèrent et Julianna
vit le jour. Enfin le 27 mars 1676 vint au monde François-Léopold Rákóczi II.
Son père mourut le 1er juillet 1676. |
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Hélène Zrinyi,
veuve avec ses deux enfants, se remaria le 15 juin 1682 avec le comte Emeric
Thököly. Ce dernier, allié des Turcs contre l’Autriche, fut arrêté et envoyé
à Belgrade, et sa femme emmenée à Vienne, prisonnière sur parole42. L’empereur Charles
VI devint tuteur des enfants de Rákóczi Ier. Le 24 juin 1691, Julianna Rákóczi épousa Ferdinand |
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Gobert
d’Aspremont-Linden, comte de Reckheim, général dans l’armée autrichienne. Un
an après, Hélène Zrinyi rejoignit Eméric Thököly et ne revit plus ni sa
patrie ni ses enfants. |
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François-Léopold
Rákóczi II devint le 25 septembre 1694, à l’âge de 18 ans, l’époux de
Charlotte-Amélie de Hesse-Reinfels43. De ce mariage sont issus : 1o Léopold-Georges, né à Kis-Tapolcsány, le 28 mai 1696 ; 2o la princesse
Charlotte ; 3o Joseph, né à Vienne, le 18 août 1700 ; 4o Georges, né à Vienne,
le 8 août 170144. |
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Rien de tout cela
ne concorde avec le texte du landgrave de Hesse : ce n’est pas un Rákóczi qui
épouse une Tékély, mais au contraire la veuve de François Rákóczi Ier qui épouse un
Thököly, de sorte qu’aucun enfant ne peut être issu à la fois des Rákóczi et
des Thököly, ce qui serait le cas du comte de Saint-Germain d’après le propos
rapporté par le landgrave de Hesse. D’autre part, il y a bien un Rákóczi,
François II, qui épousa une princesse de Hesse-Reinfels, mais celui-là ne se
maria qu’une seule fois, de sorte que ses enfants ne pouvaient avoir de
demi-frères, légitimes du moins. |
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C’est le fils aîné de Rákóczi II, Léopold-Georges, |
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qui est considéré
comme étant le comte de Saint-Ger-main45, mais cet enfant mourut à l’âge de quatre ans46. Si nous ne pouvons
fournir la copie de son acte de décès, toutefois nous pouvons donner comme
preuve les lignes suivantes extraites de l’ouvrage de E. Horn, le respectueux
biographe de Rákóczi II, prince de Transylvanie : « L’année 1700 fut marquée,
pour le prince Rákóczi, par la mort de son premier enfant, Léopold47, qui avait alors
près de quatre ans ; aupa- |
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ravant il avait
perdu un enfant, encore au berceau, la princesse Charlotte, la douleur des
parents eût été bien grande, s’ils n’eussent attendu la naissance d’un enfant48. » |
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Cependant, certains
écrivains qui se disent bien informés prétendent que le fils aîné de Rákóczi
II ne serait pas mort à la date indiquée par E. Horn. On aurait fait courir
ce bruit afin, dit-on, de soustraire l’enfant aux persécuteurs de son père49. |
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Il est bien
difficile, sinon impossible, de réfuter une telle assertion, puisqu’elle
implique, par hypothèse, que l’événement a été entouré de mystère et de
tromperies, et une mort supposée n’est pas événement unique dans l’histoire.
Mais on peut bien dire que c’est à ceux qui avancent une affirmation allant à
l’encontre de la vérité admise, qu’il appartient d’en faire la preuve ou du
moins d’en établir la probabilité. Rien de tel n’a été fait jusqu’ici et nous
serions en droit de ne tenir aucun compte d’une affirmation aussi gratuite.
Cependant nous avons remarqué dans la vie de Rákóczi II, deux événements qui,
rapportés à son fils aîné, ont pu donner une ombre de fondement à la légende
de la mort supposée. |
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En effet, le comte Emeric Thököly ne s’était marié |
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avec Hélène Zrinyi,
mère de Rákóczi II, que pour s’emparer de grandes richesses qui devaient, un
jour, revenir à son beau-fils. Pour arriver à ce but, Thököly emmena Rákóczi
II, alors âgé de sept ans, pour combattre, contre l’Autriche. Il pensa qu’à
la faveur des rigueurs de la vie des camps, l’enfant périrait. Il n’en fut
rien. Au contraire, Rákóczi profita du séjour au grand air. Alors on osa user
du poison. Là encore, Thököly ne réussit pas50. Peu après, Hélène Zrinyi lui retira son fils pour le faire
élever par des mains plus bienveillantes. |
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À l’âge de douze
ans, Rákóczi II tomba malade, et tout aussitôt la nouvelle de sa mort se
répandit à Vienne. Ce n’était pourtant qu’un faux bruit et Rákóczi se
rétablit rapidement. On a certainement utilisé ce fait pour étayer la thèse
de la prétendue mort de Léopold-Georges51. |
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Pour en terminer
avec le document du landgrave de Hesse, nous ferons remarquer que les deux
derniers fils de Rákóczi II52, Joseph et Georges, s’ils furent éle- |
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vés par les
souverains d’Autriche, persécuteurs de leurs parents, ne se soumirent pas :
ils durent subir le joug de ceux qui les opprimaient, et pour leur enlever le
souvenir de leur nom, on donna à Joseph le titre de marquis
de Saint-Marc, et à Georges, celui de marquis della Santa-Elisabetta53. |
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Il semblerait donc,
si l’on s’en tenait au texte du landgrave de Hesse, que le comte de
Saint-Germain était bien mal informé de sa propre origine et de l’histoire de
sa famille, mais le plus curieux est que le landgrave, de son côté, n’est pas
mieux renseigné sur la maison de Hesse, puisqu’il écrit : « …Lorsqu’il
[c’est-à-dire le comte de Saint-Germain] apprit que ses deux frères, fils de
la princesse de Hesse-Rhein-fels ou Rothenbourg, si je ne me trompe… ». Ainsi
le landgrave de Hesse ne
savait pas exactement à qui était mariée une princesse de Hesse et quels enfants elle
avait eus ! |
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Tout ceci, il faut
en convenir, est bien invraisemblable. Ce qui est le plus curieux dans les
deux textes de M. d’Alvensleben et du landgrave de Hesse, c’est l’explication
du nom de « Saint-Germain » nous y reviendrons dans la dernière partie de
notre étude. |
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Chapitre III : |
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« De parents inconnus » |
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Après le soi-disant
« Rákóczi », nous devons nous arrêter au présumé « San Germano ». Un texte
existe, que nous n’avons vu cité par aucun biographe du comte de
Saint-Germain et qui explique d’une façon très simple le nom sous lequel il
est le plus connu. |
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Il ne nous semble
guère possible que l’auteur de ce texte, Alfred de Caston54, ait imaginé l’histoire qu’il nous raconte. Nous croyons
plutôt que ce fut à la suite de certaines investigations qu’il exposa la
thèse que voici : « En 1704, l’année néfaste pour la France où l’amiral Rock
devait donner à l’Angleterre l’insolente position de Gibraltar, qui commande
l’entrée de la Méditerranée, pendant qu’à la suite de la désastreuse journée
d’Hochstaedt, nous perdions plus de cent lieues de pays et que nos soldats
refoulés des rives du Danube aux bords du Rhin, cet éternel passage des
Thermopyles, en deçà duquel nous sommes toujours fatalement ramenés ; notre
armée, sous les ordres des ducs de la Feuillade et de Vendôme, se couvrait de
gloire et poursuivait sa marche triomphale en |
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battant les meilleures
troupes du duc de Savoie, et en s’emparant des places fortes. |
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« Le 20 juin, notre
armée faisait capituler la ville importante de Vercelli, la première
résidence des princes de Savoie, la clef de la route de Turin à Paris. Tandis
que les Français prenaient possession de l’ancienne capitale des Libici, dont ils devaient faire
raser les fortifications et que l’on arborait le drapeau français aux flèches
de la cathédrale ; un enfant recevait le baptême, à la chapelle de la Vierge,
et était inscrit sur les registres de la métropole sous le simple nom de Pietro. |
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« Cet enfant
devait, dans la suite, occuper l’attention publique des capitales de
l’Europe, et y jouer un rôle étrange et mystérieux. |
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« Son père était un
gentilhomme, presque un grand seigneur ; aussi quoique bâtard, Pietro
reçut-il une bonne éducation. |
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« … N’ayant pas de
carrière ouverte devant lui, il s’était contenté de voyager pour son
instruction et son agrément. |
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« Son père, lui
faisait tenir une pension qui lui permettait, sinon de faire une grande
figure dans le monde, tout au moins de vivre honorablement ; aussi ne fit-il
guère parler de sa personne jusqu’à la mort de son père (1749), mais dès
qu’il fut abandonné à lui-même, nous le voyons commencer son existence
aventureuse. |
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« … Il vint à Paris où il
se fait présenter sous le nom de comte de Saint-Germain. |
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« Ce nom, qu’il
devait garder jusqu’à sa mort, était celui auquel il avait le plus de droit,
car s’il ne lui appartenait pas légitimement, du moins était-ce le nom de son
père qui était mort sans laisser de descendance mâle55. » |
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Cette histoire est en
somme assez vraisemblable ; cependant, examinons-la de plus près. |
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La guerre de
succession, causée par la mort du roi d’Espagne, Charles II, en 1701,
enveloppa l’Italie dans la tourmente qui mit une partie de l’Europe à feu et
à sang. Louis-Joseph, duc de Vendôme, généralissime des armées de France, se
rendit en 1702, dans le Piémont, combattre le duc de Savoie, Victor-Amédée
II, qui avait rompu son alliance avec la France. |
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Le 5 juin 1704, la
ville de Vercelli fut investie par le duc de Vendôme. Le siège dura jusqu’au
20 juillet. Au matin de ce jour, le gouverneur de la ville, le commandeur des
Hayes fit battre la chamade et demanda à capituler. La requête était signée
du gouverneur, du comte de Préla Doria, lieutenant-maréchal, et du commandant
de la place, le comte Sanctus Berne. Cette requête, demandant la cessation
des hostilités et les honneurs de la guerre, ne fut pas acceptée sur le
champ. Ce n’est que le lendemain, le 21, à quatre heures du matin que les
parlementaires de la ville, le chevalier Fucheto, Sandamien et le comte
Gabriel |
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d’Este obtinrent de
Louis de Vendôme l’acceptation de cette capitulation. Le 22 juillet, la
garnison sortit : « tambour battant, mèche allumée, balle en bouche,
enseignes déployées et quelques pièces d’artillerie ». Arrivée hors de la
ville, la garnison mit bas les armes, fut faite prisonnière, et Vercelli fut
livrée56. |
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Ce n’est donc pas le 20
juin, mais le 21 juillet 1704 que « la porte du Turin » capitula. Nous
continuons. |
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Lorsque les troupes
françaises furent entrées dans la ville, on s’empressa de détruire les
fortifications, mais on ne toucha pas à la cathédrale Saint-Eusèbe, qui était
en ruines, et aucun baptême ne pouvait avoir lieu dans la chapelle de la
Vierge, qui se trouvait dans les absides57. Toutefois, les baptêmes avaient lieu dans l’église de
Santa-Maria-Maggiore et on l’appelait cathédrale. |
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Dans le liber baptizatorum de
Santa-Maria-Mag-giore, on relève la note suivante : « 1704. Août. Pie-tro Maria, ex incognitis parentibus, nato li 6 juglio,
batezzato li 4 agosto. Padrino Pietro, Francisco Vittorio Bertorne et Maria
Novella ». Est-ce une coïncidence ou bien Alfred de Caston a-t-il eu
connaissance de |
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cette note ? La
deuxième hypothèse est assurément la plus probable. Toutefois, les dates ne
correspondent pas, et si les apparences sont en faveur de la thèse de A. de
Caston, les explications que nous allons donner réduisent sa trouvaille à
néant. |
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Une seule famille
en Piémont pouvait porter légitimement le titre du fief de Saint-Germain ;
c’était la lignée des comtes de Saint-Martin et d’Aglié, famille très noble
et très ancienne puisqu’elle remonte à Obert, seigneur d’Aglié en 1141, qui,
lui-même, tire ses origines de la famille de Guidon, marquis et comte du
Canavese, mort en 107058. Un des titres appartenant à cette famille était celui de
marquis de Saint-Germain, et le premier en date fut Jules-César, des comtes
de Saint-Martin, marquis d’Aglié e San Ger-mano, décédé en 162459. |
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Nous trouvons dans
cette famille des titres de marquis et de comtes, mais le seul titre auquel
soit accolé le nom de Saint-Germain était celui de marquis. Aucun membre de
cette maison ne pouvait donc se faire appeler comte de Saint Germain. |
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Cependant, à
l’époque dont parle Alfred de Caston, vivait un personnage qui s’apparente
étrangement avec le soi-disant père du comte de Saint-Germain. Charles-Marie,
marquis de Saint-Germain, mort en |
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1742, eut un frère,
Charles-Amédée, qui porta le nom de marquis de Rivarolo, et comme cadet fit sa carrière dans l’année. Il fut général
des galères de Savoie en 1722, gouverneur de Nice en 1733, vice-roi de
Sardaigne en 1735, et mourut en 1749, à Turin, âgé de 80 ans. Il était donc
né en 1669. En 1703-1704, à 34 ans, pendant la guerre, il aurait pu, étant de
garnison à Vercelli, avoir un enfant dans cette ville. D’autre part,
quoiqu’étant d’une grande famille, on ne pouvait pas le dire un grand
seigneur, parce qu’il était cadet, mais il deviendra plus tard un grand
personnage par ses mérites personnels et militaires. |
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En somme, A. de
Caston nous raconte une histoire qui n’a rien d’invraisemblable en elle-même,
mais qui ne peut en aucune façon concerner notre personnage. Il est certes
possible, encore que A. de Caston n’apporte pas la moindre présomption, que
Charles-Amédée, marquis de Rivarolo, dans la famille de qui existait le nom
de Saint-Germain, eût un bâtard né à Vercelli en 1704 au moment du siège de
la ville, mais ce bâtard ne put porter le nom de Saint-Germain, qui n’a pu
lui être transmis ni par son père supposé qui ne l’a jamais eu, ni par son
oncle Charles-Marie, marquis de Saint-Germain. Celui-ci en effet a transmis
son titre à son propre fils, Joseph-François, qui fut reçu à Paris le 11 juin
1749, par Louis XV comme ambassadeur du roi de Sardaigne, et mourut en 1764.
Donc le bâtard de Charles-Amédée, s’il a réellement existé, n’a pas porté le
nom de Saint-Germain. D’ailleurs même s’il l’eut porté, ce nom eut été
accompagné du |
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titre de marquis et non
de celui de comte sous lequel notre personnage a été connu dans toute
l’Europe. |
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En dépit de
certaines apparences, tout à fait superficielles, nous voyons que l’anecdote
rapportée par A. de Caston n’apporte aucune lumière dans la question qui nous
occupe60. |
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Chapitre IV : |
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Où tout s’embrouille |
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Si on ne doit pas
confondre le comte de Saint-Germain avec Claude-Louis de Saint-Germain, ni
voir en lui un descendant de la famille des Rákóczi, non plus qu’un fils
naturel du marquis de Rivarolo : quel est donc ce personnage ? |
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Voltaire écrivant à
Frédéric II dira : « C’est un homme qui ne meurt jamais et qui sait tout61, » et Frédéric de
répondre : « C’est un conte pour rire62. » Ce qui ne nous apprend pas grand’chose. De même si nous
nous en rapportons à ce qu’écrit le célèbre écrivain anglais, Horace Walpole,
l’ami de Mme
du Deffand ; d’après lui, on dit que le comte de Saint-Germain est : «
Italien, Espagnol, Polonais ; quelqu’un qui a épousé une grande fortune au
Mexique et s’est enfui à Constantinople en emportant les bijoux de sa femme63. » |
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Enfin, M. de
Lamberg, diplomate autrichien, joue au bel esprit en lui prêtant quelques
propos empreints d’une certaine impertinence : « À Venise, on me nomme de la
main vers le menton ; à Hambourg, Mein herr ; à Rome, Monsignor ; à Vienne, Psitt ; on siffle pour m’avoir à Naples, on me lorgne à Paris, et
j’accoste volontiers à ce signe ceux qui me contemplent : que mon nom ne vous
embarrasse pas, MM. les Mandarins tant que je demeurerai avec vous, je me
conduirais comme si j’en avais un très illustre ; que je m’appelle pois ou
fèves, Pison ou Cicéron, mon nom doit vous être
indifférent. » Et le comte de Lamberg conclut : « Il [le comte] ne savait
même pas comment il s’appelait64. » Ne nous arrêtons pas à ces appréciations que nous ne
citons qu’à titre de curiosité. |
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Parmi toutes les
opinions émises sur les différentes origines du comte de Saint-Germain, nous
avons remarqué que la plupart des historiens insistent sur une prétendue
origine israélite. |
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En effet, pour E.
Marquiset, est-ce : « Un juif ? Maints indices le font soupçonner. Son
outrecuidance, son astuce, son goût pour l’or et les bijoux, ses filouteries
pécuniaires, son manque de tact, son éternel soin de cacher son origine, sa
persévérance à fermer (sic)
les portes les plus fermées, tout indique l’israélite sorti de quelque ghetto
d’outre-Rhin. Qu’il s’appelle Schœning, Welldone, Varner ou Daniel Wolf, |
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son masque de gentilhomme ne dissimule pas le nez crochu65. » |
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La source de ces
informations n’est malheureusement pas très « reluisante » ; elles viennent
simplement de Maurice Cousen, comte de Courchamps, le véritable auteur des
faux Souvenirs de la marquise de Créquy, dont le caractère ultra-fantaisiste n’est plus à démontrer.
M. de Courchamps a imaginé que : « le comte de Saint-Germain était le fils
d’un médecin juif de Strasbourg et que son nom véritable était Daniel Wolf66, » mais faute
d’autre élément de probabilité on nous permettra de ne pas échafauder
d’hypothèse sur la simple affirmation d’un auteur aussi suspect. |
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Si le comte de
Saint-Germain n’est pas Daniel Wolf, est-il Samuel Samer, né à Francfort, le
12 (ou 13) octobre 1715, « d’un juif pauvre et d’une grande dame67, » rien ne le
prouve, comme cet autre problème bien difficile à résoudre sans indication de |
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nom, est-il le «
fils d’un israélite de Bordeaux68. » Il en est de même des suppositions qui le font : « fils
d’un israélite portugais, au service d’une grande puissance, qui avait
parcouru les deux Indes, le Mogol69 » ou le fils d’un même israélite « et d’une princesse connue
de Louis XV70 » ? À dire vrai, cette origine israélite ne repose sur aucun
document sérieux. |
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Examinons maintenant
l’hypothèse de ceux qui le veulent originaire de Bohème. |
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Eliphas Lévi,
influencé peut-être par l’abbé Lecanu71, écrit du comte de Saint-Germain : « Il était né à
Lentmeritz, en Bohème, à la fin du XVIIIe siècle, il était fils
naturel ou adoptif d’un rose-croix qui se faisait appeler Comes Cabalicus, le compagnon
caba-liste72.
» Précisons cependant que l’indication de la ville de Lentmeritz n’est pas
tout à fait arbitraire, car |
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Eliphas Lévi a soin
de nous apprendre que le comte de Saint-Germain est le fondateur de la
Société de Saint-Jakin, dont on a fait, dit-il : « Saint-Joachim ». Si nous
consultons l’ouvrage du marquis de Luchet, nous y relevons que l’ordre de
Saint-Joachim a été établi en 1756 à Lentmeritz73. Rien ne s’oppose donc à ce que son fondateur soit né dans la
ville où fut créé l’ordre, mais aucune indication nous permet de penser que
ce fondateur fut le comte de Saint-Germain. |
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Mme Una Birch nous
apprend que le comte de Saint-Germain pouvait être « le fils d’un marchand de
drap de Moscou74 ». L’absence de toute précision nous dispense de discuter
cette hypothèse et, après l’étude faite sur le présumé San Germano, nous ne
nous arrêterons pas davantage à celle Frédéric Bulau qui donne comme père au
comte de Saint-Germain un certain « Rotondo, receveur des contributions de
San Germano75 » ni à celle de T. P. Barnum, lequel brodant sur cette
dernière indication lui donne comme mère « une princesse italienne », tout en
fixant la naissance à San Germano76. |
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Si le grand
Frédéric n’a vu dans le comte de Saint-Germain qu’un « conte pour rire », par
contre mesdames du Hausset et de Genlis s’accordent à le considérer sous un
aspect différent. |
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Mme du Hausset rapporte
dans ses Mémoires que
Louis XV avec qui le comte s’est entretenu à plusieurs reprises chez Mme de Pompadour, à
Versailles ne souffrait pas qu’on en parlât avec mépris ou raillerie et elle
ajoute : « Le roi en parlait comme d’une naissance illustre77. » Si Louis XV a
tenu ce propos, ce dont nous ne doutons pas, c’est donc que le roi
connaissait le « mystère » de la naissance du comte de Saint-Germain. |
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De même que Mme du Hausset, la
mémorialiste Mme de Genlis connut le comte de Saint-Germain. Pour elle : « le
comte est le fils d’un souverain détrôné78. » C’est à peu de chose près l’opinion du comte de Cobenzl,
ambassadeur d’Autriche à Bruxelles, quand il écrit à M. de Kaunitz, ministre
d’État à la Cour de Vienne, que le comte est : « le fils d’une union
clandestine d’une maison puissante et illustre79, » et
celle du Dr
Challice qui le fait : « bâtard d’une maison royale du centre de l’Europe80 ». |
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Malgré ces
indications, nous sommes toujours dans le vague, et ce n’est pas l’auteur de
l’ouvrage : Le comte de Saint-Germain et la marquise de
Pompadour81, un certain Lamothe-Langon qui va nous tirer d’embarras.
L’intrigue du roman de ce folliculaire est la suivante : l’action se passe en
1745, le fils (?) du comte de Saint-Germain est amoureux de la fille de Mme de Pompadour82. Ils ont un enfant.
Le mariage va se faire, mais la marquise refuse son consentement. C’est alors
que le comte de Saint-Germain prononce ces paroles : « Je peux arriver à
prouver que mon petit-fils descend du chef de la troisième dynastie des
Capétiens. » Or, que nous sachions, le comte n’a jamais eu d’enfant, excepté
celui que lui octroya le comte de Lamberg83, mais Lamothe-Langon qui, sans doute, a adopté cette thèse et
l’a développée, ne s’embarrasse pas de cette erreur, puisque sans cette
anomalie l’intrigue de son roman disparaîtrait84. |
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Un autre auteur, Ferdinand Denis a repris l’idée |
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« ingénieuse » de
Lamothe-Langon en disant : « quelques personnes le croyaient petit-fils de
Henri IV85. » |
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Certains ont voulu
que le comte soit « le fils d’un infant ou d’un grand de Portugal86, » ou « le bâtard
d’un roi de Portugal87 ». Toutes ces indications sont trop peu précises pour avoir
un fondement sérieux. |
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Une dernière
hypothèse nous reste à examiner : celle de l’origine espagnole qui nous
paraît, plus que tout autre, mériter de retenir l’attention. Toutefois, avant
d’expliquer pour quelles raisons cette origine nous paraît plus vraisemblable
que celles examinées précédemment, nous croyons préférable et plus logique
aussi, de tenter de reconstituer, à l’aide des documents imprimés et
manuscrits dont nous disposons, la partie de la vie du comte de Saint-Germain
sur laquelle on possède des renseignements précis et qui s’étend de 1745 à
1784. Une fois que nous aurons ainsi situé notre personnage dans la clarté de
l’histoire positive, il nous sera plus aisé de remonter par une série de
déductions et de rapprochements jusqu’à cette mystérieuse origine qui, jusqu’à
présent, était plutôt du domaine de la légende. |
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Chapitre V : |
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Un « état civil » compliqué |
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Toutefois avant
d’entreprendre la véritable histoire du comte de Saint-Germain, il nous reste
à élucider l’importante question qui a trait aux différentes appellations
sous lesquelles il a été connu. |
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Tout d’abord, nous
laisserons de côté le titre et le nom sous lesquels il est devenu célèbre
pour ne parler que des dénominations qu’il endossa volontairement. Si le
comte a porté le nom de Surmont à Bruxelles, c’est parce que ce vocable était la traduction
en français du nom de la ville d’Ubbergen, où se trouvaient les terres dont il était propriétaire. Pour
celui de Well-done
qu’il prit à Leipzig, la raison en est tout autre : à ce moment on pouvait le
considérer comme un « bienfaiteur » de l’humanité. Quant à celui de Rákóczi, il n’en fit usage que lorsqu’il sut que tous les possesseurs
du nom avaient disparu. |
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On lui a attribué en outre les noms et titres suivants : |
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Marquis de Montferrat,
Marquis d’Aymar ou Belmar, Chevalier Schœning, Comte Soltikof, |
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Comte Tzarogy ou Zaraski. |
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Prenons
le premier de ces noms, celui de Marquis de Montferrat, et voyons ce que dit à son propos, le baron |
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de Gleichen, qui
l’a mentionné le premier : « J’ai ouï, dit-il, qu’entre plusieurs noms
allemands, italiens et russes, il [le comte] avait porté anciennement celui
de marquis de Montferrat. Je me rappelle que le vieux baron de Stosch m’a dit
à Florence avoir connu sous le règne du Régent un marquis de Montferrat qui
passait pour un fils naturel de la veuve de Charles II, retirée à Bayonne et
d’un banquier de Madrid88. » Or, le baron de Stosch ne vint à Paris qu’en 1713 ; il y
resta à peine une année et partit ensuite pour l’Ita-lie89. Ainsi, au moment du
début de la Régence (sept. 1715), le baron de Stosch n’étant plus à Paris,
n’a pu connaître le personnage en question, à l’époque et au lieu qu’il
indique. |
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Toutefois, en
Italie, le fief de Montferrat eut ses marquis particuliers jusqu’au début du XVIe siècle. En 1533, à la mort du dernier marquis, Jean-Georges,
décédé sans progéniture, le marquisat, en séquestre entre les mains de
Charles Quint, échut par héritage, à Frédéric II de Gonzague, premier duc de
Mantoue. Sous l’un de ses descendants, Guillaume, troisième duc de Mantoue,
le Montferrat fut érigé en duché |
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(1574), par
l’empereur Maximilien II. Enfin, en 1713, l’investiture du duché fut donnée
au duc de Savoie, Victor-Amédée II, par l’empereur Joseph Ier. Par conséquent, en
1715, le titre italien de « marquis » de Montferrat était tombé en désuétude. |
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D’autre part, le
marquisat de Montferrat n’a existé en France qu’à partir de 1750. En effet,
le Montferrat, terre et seigneurie du Dauphiné (Isère), fut érigée en cette
qualité au profit de Ch.-Gab.-Justin de Barral. À sa mort, la dignité passe à
son fils, Joseph-Marie, qui devint président à mortier au parlement du
Dauphiné et premier président de la Cour impériale de Grenoble. |
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Comme aucun autre
document n’attribue au comte de Saint-Germain ce nom et ce titre, nous
croyons inutile de nous appesantir davantage sur ce point. |
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Examinons
maintenant le nom : Marquis de Belmar, celui-ci dû à la plume du comte de Lamberg : « Un personnage
rare à voir [à Venise], c’est le marquis d’Aymar ou Belmar, connu sous le nom
de Saint-Ger-main90. » Cette fois ce n’est plus une fausse attribution mais une
confusion de nom par changement de lettre ; ce n’est pas Belmar que l’on doit
lire mais Bed-mar. Ce patronyme appartient à une ancienne famille de la
Castille, en Espagne, dont est issu le marquis de Bedmar, cadet de la maison
d’Albuquerque lequel passa toute sa vie en dehors de son pays comme capitaine
général et gouverneur des armées aux Pays- |
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Bas Espagnols.
Devenu vice-roi de Sicile, le marquis termina sa carrière à Madrid comme
ministre d’État (1715). Il maria sa fille au marquis de Moya, second fils du
marquis de Villena, qui devint par la suite marquis de Bedmar et capitaine
des gardes de la Cour, à Madrid91. |
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Quant aux autres
dérivés, ils ont été employés par R.-Maria Rilke – Belmare – 92, F. Bulau93 et T. P. Bar-num94 – Bellamare – et le
grand Larousse – Bellamye95. |
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Le nom de chevalier Schœning a été propagé
par F. Bulau96 et T. P. Barnum97. À ce sujet disons qu’il a existé en Norvège, un grand
historien, Gehrard Schœning, auteur de nombreux travaux (1722-1780). |
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On doit aussi à ces
deux derniers écrivains l’appellation comte Soltikof. Cette famille, l’une des plus anciennes de la Russie, est
apparentée à la famille impériale. Parmi les membres, citons Serge Solti-kof,
le premier des favoris de Catherine II, lorsque cette princesse n’était
encore que grande duchesse, les feld-maréchaux, Pierre-Simon Soltikof, mort
en 1772, gouverneur de Moscou, et son cousin Nicolas, |
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qui commanda les
troupes russes durant la révolution de 1762, et enfin le comte Michel
Soltikof, sénateur et membre du conseil privé, lequel s’occupa beaucoup de
théosophie et de Maçonnerie98. |
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Quant aux deux
variantes du nom de Rákóczi,
la première : Zaraski,
se trouve chez Touchard-Lafosse, le fabricant des Chroniques
de l’Œil-de-Boeuf, chroniques aussi suspectes que
les « mémoires » de Lamothe-Lan-gon99. La seconde variante Tzarogy, anagramme de Ragotsky, suivant l’orthographe française, est
sortie de l’imagination de F. Bulau100. |
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Le seul
mémorialiste qui ne suit pas la règle, qui est de décerner au comte de
Saint-Germain des titres de noblesse, est le cynique Casanova qui après mûres
réflexions s’en tint à cette dénomination : « Il n’était que le joueur de
violon Catalani101
! » |
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DEUXIÈME PARTIE |
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UN EUROPÉEN MYSTÉRIEUX |
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Je vois mon chemin comme l’oiseau Sa route sans traces |
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R. Browning |
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Chapitre premier : Le rideau se lève |
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Au cours des temps,
on a parlé, de par le monde, de certaines individualités mystérieuses dont
l’identité véritable est demeurée une énigme, tel le Signor Géraldi, qui vint
à Vienne en 1687, où il excita la curiosité. Il disparut au bout de trois ans
sans laisser de trace102. |
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En ce qui concerne
le comte de Saint-Germain, aucun doute n’est possible, et nous pouvons
assurer que son existence n’est pas un mythe, attestée qu’elle est par des
documents très nombreux et d’une incontestable authenticité. |
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C’est en 1745, et
de la ville de Londres que nous apprenons les premiers événements extérieurs
de la vie du comte de Saint-Germain. |
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À cette époque,
l’Angleterre avait pour roi Georges II, prince électoral de Hanovre et le
pays était divisé en deux partis : les uns, partisans de la monarchie
nouvelle, appelés les Whigs ; et les autres, les Torys ou Jacobites,
partisans de la dynastie des |
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Stuarts,
c’est-à-dire de celle de Jacques III, ou le chevalier de Saint-Georges, dit
le Prétendant, dans les veines duquel coulait non seulement le sang des
Stuarts mais aussi celui d’Henri IV et de Sobieski. |
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Vers la fin de
décembre 1743, la France reconnaissant Jacques III pour roi d’Angleterre, se
déclara prête à aider le Prétendant par les armes contre Georges II, roi
régnant. |
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Cette alliance
avait eu un commencement d’exécution au début de 1744. Le bruit courut à
Londres que le détroit serait franchi. L’alarme fut grande dans les ports de
l’Angleterre mais dans la nuit du 6 au 7 mars 1744, une forte tempête
d’équinoxe dispersa la flotte française réunie à Dunkerque, et l’expédition
fut contremandée103.
La France ne désirant pas tenter une seconde expédition, le fils du
Prétendant, Charles-Edouard, en conçut une lui-même et l’exécuta en 1745,
afin de recouvrer l’héritage dont on avait dépouillé sa famille104. Le fils du
Prétendant, à peine débarqué en Écosse, remportait quelques victoires sur les
troupes anglaises, marchait sur Londres, et le 15 septembre 1745,
Charles-Edouard était proclamé à Édimbourg, régent d’Angleterre et de |
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France105. La terreur à Londres fut extrême et le roi Georges II prêt à
partir pour la Hollande106. |
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On entreprit alors
d’arrêter dans Londres certaines personnes suspectes ; toutefois, « ce n’est
pas qu’on en ait trouvé en faute, mais sur les soupçons ordinaires de
Jacobisme107, »
et comme le roi envisageait la suspension de la loi de l’Habeas corpus108, on commença à préparer les appartements de la Tour, pour
recevoir ces suspects. La suspension de la loi fut votée le 29 octobre 1745 ;
tous les étrangers furent traités comme des ennemis de l’État et l’on
continua « à visiter les suspects pour savoir s’ils ont des armes et surtout
ceux que l’on considère comme catholiques109 ». « C’est ainsi que l’autre jour [on était en décembre 1745]
on a arrêté un homme étrange qui est connu sous le nom de comte de
Saint-Germain110. » On a prétendu que son arrestation fut le résultat d’une |
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cabale de gens
jaloux, que, pour des motifs d’ordre privé, une lettre fut glissée à son insu
dans sa poche. Cette lettre émanait soi-disant du fils du Prétendant,
Charles-Edouard. « Le prince le remerciait chaleureusement de ses services et
le priait de les lui conti-nuer111. » D’après notre chargé d’affaires à Londres, M. Chiquet,
l’arrestation du comte eut lieu pour un tout autre motif : on le prit pour un
espion à cause de son imprudence et de ses allures trop libres : « Les
soupçons que l’on a sur son compte viennent de ce qu’il fait très bonne
figure, qu’il reçoit de très grosses remises, paie bien un chacun et ne fait
point crier après lui112.» |
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Le comte de
Saint-Germain ne fut pas « écroué à la prison de la maréchaussée sous
l’inculpation de haute trahison113, » mais simplement « laissé dans son appartement à la garde
d’un messager d’État, on ne lui a pas trouvé de papiers qui donnent le
moindre indice contre lui114 ». M. André Lang prétend « avoir vainement exploré toutes les
collections publiques et privées de papiers d’État, en quête d’une trace de
l’arrestation ou de l’interrogatoire de Saint-Germain115, » et pourtant M.
Chiquet, notre envoyé à Londres en parle longuement dans sa lettre du 21
décembre 1745 : « Il |
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[le comte] fut
interrogé par le secrétaire d’État [le duc de Newcastle] à qui il ne rendit
pas de raisons aussi satisfaisantes qu’on l’aurait désiré, persistant à ne
vouloir décliner son nom, ses qualités, etc., qu’au roi même, et ajoutant à
cela dès qu’on a point de plainte fondée contre lui et qu’il ne se comporte
point en ce pays contre les dispositions des lois, c’est agir ouvertement
contre le droit des gens que d’ôter à un honnête homme étranger sans aucun
prétexte la liberté116. » Comme on n’avait rien de répréhensible contre lui, on le
relaxa, ce qui fit dire à Sir Horace Walpole que le comte « n’était pas un
gentilhomme, parce qu’il reste et raconte qu’on l’a pris pour un espion117 ». |
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Quel était donc le
comte de Saint-Germain et que faisait-il à Londres ? « Il est là depuis deux
ans et se refuse à dire qui il est, d’où il vient, mais admet qu’il ne porte
pas son nom118. »
Ainsi le titre que le comte porte n’est en réalité qu’un titre d’emprunt.
Cette indication a pour nous une importance très grande. En effet, si on se
rappelle la phrase que prête le landgrave de Hesse au comte de Saint-Germain
: « Je me nommerai Sanctus Germanus, le saint frère », il y a là une
coïncidence troublante. Il est donc avéré |
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que le nom du comte
est un pseudonyme comme en portaient à l’époque certains grands personnages
lorsqu’ils voyageaient incognito. |
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Le comte de
Saint-Germain habitait Londres depuis deux ans, et cependant on ignorait tout
de lui, bien que quelques-uns eussent cherché à percer le mystère qui
l’enveloppait. Cependant, on le disait un riche gentilhomme « sicilien » et
en cette qualité avait été admis auprès de la haute noblesse anglaise. « Il
avait vu ce qu’il y avait de grands jusqu’au Prince de Galles119. » Cette indication
est en tout cas une présomption en faveur des origines aristocratiques du
comte. |
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Parmi les personnes
de haute naissance chez qui le comte avait été reçu, citons le duc de
Newcastle, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères qui l’avait interrogé
lors de son arrestation et qui « savait, dit-on, qui était le comte120 » ; lord
Holdernesse, ancien ambassadeur d’Angleterre à Venise, et sa femme, nièce de
la princesse Palatine, duchesse d’Orléans ; Don Antoinio de Bazan y Melo,
marquis de Saint-Gilles, ambassadeur espagnol à la Haye, venu à Londres en
1745, en mission spéciale ; le comte Danneskeold-Laurwig,
chevalier-chambellan et amiral danois121 ; le major général Yorke et sa famille122 ; |
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Andrew Mitchell, ambassadeur anglais à la cour de Prusse123, etc. |
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Lorsque le comte de
Saint-Germain vint en Angleterre, il trouva les Anglais très passionnés de
musique. Le goût de l’opéra et particulièrement de l’opéra italien s’était
développé à Londres124, grâce à l’appui du Prince de Galles, qui était un fervent de
la musique. Il avait une salle privée, Albermarle Street, chez le comte de
Grantham, son chambellan, chez qui il demeurait et où le soir après souper,
il donnait des concerts avec des chanteurs italiens. Ce fut sans doute à une
de ces soirées que le comte fit valoir ses talents pour le violon « dont il
jouait merveilleusement bien125 ». Les auteurs contemporains affirment que, dans ses
exercices les plus ordinaires, « un connaisseur pouvait distinguer les tons
séparés d’un quartette complet quand le comte se livrait à ses improvisations
sur le violon126 ». Il composait avec une égale facilité et le même succès, et
sa conversation était toujours relative à cet art, « au langage duquel il
empruntait mille termes figurés127 ». |
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Le comte se rendait
souvent, dans Grosvenor Street, chez lady Townshend, elle aussi fervente |
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admiratrice des
chanteurs italiens. « Cette dame joignait à tant d’autres bonnes qualités un
goût délicat pour la musique, si bien qu’on la prenait pour juge en la
matière. Un jour de réception, le comte de Saint-Germain devait faire partie
de la réunion, et dans la soirée, il arriva avec sa manière courtoise et à
l’aise, mais avec plus de hâte qu’il n’est d’usage, et avec ses doigts sur
ses oreilles, puis il se laissa tomber sur une chaise. Chacun sembla étonné
de cette attitude, mais lorsqu’on lui demanda ce qu’il avait, il montra la
rue, et dit : je suis étourdi par un plein chargement de dis-sonances128 ». En effet, au
moment où le comte pénétrait chez lady Townshend, on venait de décharger,
devant la porte de l’hôtel, un tombereau de pierres. |
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Le comte de
Saint-Germain était fort apprécié dans le monde musical de la capitale
anglaise, et lorsque le compositeur allemand Gluck, alors au début de sa
carrière, vint à Londres, accompagné de son bienfaiteur, le prince de
Lobkovitz129, ce
dernier, lui-même, |
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grand amateur de
musique, devint en peu de temps l’ami chaleureux du comte. Pour le remercier,
celui-ci lui dédia sa seule œuvre didactique : Musique
raisonnée, selon le bon sens, aux Dames Anglaises qui aiment le vrai goût en
cet art. L’ouvrage n’a pas été édité130. |
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Ce manuscrit n’est
pas l’unique œuvre du comte en musique ; le célèbre éditeur musical anglais,
M. Walsh, qui demeurait dans le Strand, Catherine Street, publia, entre 1745
et 1765 une dizaine de partitions et de mélodies qui témoignent du génie
musical de son auteur, et « de la merveilleuse excentricité comme de la
beauté de ses conceptions131 ». |
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Sur les trois
premières compositions musicales publiées en 1745, deux sont des mélodies ;
la première est écrite sur une poésie de l’Écossais William Hamilton : 0 wouldst thou know what sacred charms (Oh, si vous connaissiez les charmes de la félicité), et la
seconde sur des vers du poète anglais Aaron Hill :
Gentle love this hour befriend me (Que cette
heure près de vous est douce). Quant à la troisième composition : The favorite songs … in l’Incostanza Deluza (la perfide
inconstance), la partition en a été faite sur le poème italien de G. Brivio ;
elle comprend 20 pages132. |
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Nous donnons la reproduction des deux premières mélodies133. |
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Les mélodies
suivantes dont la musique et la poésie sont du comte de Saint-Germain
parurent, soit en 1747 : The maid that’s made for dove (La servante changée en colombe) ; O
wouldst thou know what kind of charm (Oh, si vous
connaissiez son pouvoir charmeur), soit en 1748 : Jove,
when he saw my Fanny’s face (Quelle joie quand il
vit le visage ma Fanny). |
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En 1755, le comte
fit éditer la pièce de musique suivante Six Sonatas for
two violins with a bass for harpsicord or violoncello, et une nouvelle mélodie sur une poésie de E. Waller134 : The self Banish’s (L’exilé volontaire). De même en
1760, on publia de lui : Seven solo for a violon et sa dernière mélodie : Chloé,
or the musical magazine. Enfin, l’année 1765 vit
paraître sa dernière partition, une comédie musicale faite en collaboration
avec le musicien Abel135 : The summer’s tale (Un conte d’été136). |
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Durant le séjour du comte de Saint-Germain à |
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Londres, deux
hommes d’un caractère bien différent s’y trouvèrent également. L’un était le
Français, maréchal de Belle-Isle ; l’autre, le mystique suédois Swedenborg.
M. de Belle-Isle et son frère avaient été arrêtés en décembre 1744, sur un
territoire relevant du Hanovre et par suite de la couronne d’Angleterre, et
conduits à Londres. Tous deux « demeuraient dans une maison à quelque
distance de Windsor137, » mais « resserrés de très près dans leur appartement ; on
ne leur permet de parler à personne ; on lit toutes leurs lettres avant de
leur donner cours138 ». Ils demeurèrent là jusqu’au 13 août 1745. Nous avions cru
un moment à une rencontre possible entre M. de Belle-Isle et le comte de
Saint-Germain ; nous n’avons découvert aucun document à ce sujet. |
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Quant à Swedenborg,
si nous le mentionnons, c’est afin de relever une certaine phrase de M.
Beaumont-Vassy, à propos de notre personnage : « Le comte de Saint-Germain
chercha à copier Swedenborg139. » Que nous sachions, le comte n’a jamais prétendu avoir des
visions140. |
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Nous n’avons pu savoir à quel moment le comte de |
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Saint-Germain
quitta l’Angleterre ; nous croyons pouvoir supposer que ce fut au début de
1746, et qu’il prit le parti de retourner en Allemagne où il avait habité
avant de venir à Londres, et ce, d’après son propre dire. |
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Chapitre II : À la cour du Bien-aimé |
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Quittant
l’Angleterre en 1746, le comte de Saint-Germain se rendit, comme nous le
verrons par la suite, en Allemagne, dans ses terres, où il séjourna jusqu’au
début de 1758, et arriva à Paris, en février de la même année. |
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À cette époque, la
fortune de Mme de
Pompadour, alors favorite de Louis XV depuis plus de treize ans, était à son
apogée. Il ne convient pas, dans ce livre écrit en marge de la grande
histoire de rappeler combien fut considérable l’influence de cette femme
supérieure sur la marche des affaires de l’État. Cette influence explique
tout naturellement la présence à la direction des Bâtiments du roi,
c’est-à-dire à la surintendance des beaux-arts, du jeune frère de la
favorite, le marquis de Marigny, lequel « ayant voyagé avec d’habiles artistes
en Italie, et ayant acquis du goût et beaucoup plus d’instruction que n’en
avait eu aucun de ses prédécesseurs141 » sut se faire apprécier de Louis XV. Toutefois malgré de
grandes qualités de savoir et de discernement, le marquis de Marigny ne
perdit jamais tout à fait une certaine rudesse de manières et une brusquerie
native qui lui nuisirent auprès de ses contemporains. |
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Le marquis
dirigeait encore les manufactures du roi, et c’est à ce titre qu’il fut
sollicité par le comte de Saint-Germain. En effet, ce dernier en avril 1758
envoya une lettre à M. de Marigny, et cette lettre, des plus curieuses, nous
montre un nouvel aspect de notre personnage142. |
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Après avoir assuré le
marquis de toute sa confiance, le comte s’exprime ainsi : |
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« J’ai fait dans
mes terres la plus riche et la plus rare découverte qu’on ait encore faite…
J’y fais travailler avec une assiduité, une constance, une patience qui n’ont
peut-être pas d’exemple, pendant près de vingt ans. Je ne dis rien des
dépenses excessives que j’ai faites pour rendre ma trouvaille digne d’un roi
; rien non plus des peines, voiages, études, veilles et ce qu’elle m’a coûté.
L’objet de tant de soins obtenu, je viens volontairement en offrir le profit
au roi, mes seuls frais déduits, sans lui demander autre chose que la
disposition libre d’une des maisons roiales, propre à y établir les gens que
j’ai amenés d’Allemagne pour son service. Ma présence sera assez souvent
nécessaire là où le travail se fera. De là la nécessité d’y trouver un
logement tout prêt pour moi. Je me charge de tous les frais, tant de ceux
qu’exigent les transports des matières toutes préparées, que de ceux du
travail des couleurs qu’on tirera de ces matières préparées à |
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|
deux cents lieues
de Paris, en un mot, il n’en coûtera au roi qu’un logement meublé convenable
à l’établissement prompt et solide que je viens lui proposer, et quelques
arbres par an, moiennant quoi j’aurai la gloire et la satisfaction de
remettre à S. M., mes droits indisputables sur la plus riche manufacture qui
fût jamais, et en laisser tout le profit à son royaume. |
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« Est-il nécessaire
d’ajouter que j’aime sincèrement le roi et la France ? peut-on se méprendre
sur le désintéressement et la louabilité de mes motifs ? La nouveauté ne
paraît-elle pas exiger un procédé tout particulier à mon égard ? Que S. M.,
que Mme de
Pom-padour daignent considérer l’offre dans toutes ses circonstances, et
l’homme qui la fait. Je n’ai plus qu’à me taire. Il y a un an que je parle de
cela. Il y a trois mois que je suis à Paris. Je m’ouvre, Monsieur, à un homme
droit et franc ; pourrais-je avoir tort143 ?… » |
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Cette lettre [qui
n’est qu’une copie qu’on nous dit authentique] est signée : DENIS DE S.
M., Comte de Saint-Germain. C’est la première et
la seule fois que nous voyons paraître ce nom. Les initiales sont-elles
celles du patronyme du comte ou cachent-elles un autre pseudonyme ? nous
l’ignorons ; constatons simplement le fait. |
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Ce qui est plus
certain c’est l’indication donnée par notre personnage de la possession en
Allemagne d’un domaine dans lequel travaillent depuis une vingtaine d’années,
des gens à ses gages en vue d’un procédé |
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concernant les
teintures. Ainsi le comte de Saint-Germain serait un savant chimiste
possédant des biens en Allemagne. Ajoutons que cette indication sera
corroborée par d’autres faits que nous indiquons plus loin. |
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Le marquis de
Marigny accepta la proposition à lui faite par le comte de Saint-Germain. Il
lui fit donc connaître qu’il mettait à sa disposition une partie du château
de Chambord, alors inoccupé depuis la mort du neveu du maréchal de Saxe. |
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Le 8 mai 1758, M.
Collet, architecte et contrôleur des Bâtiments du roi, fit savoir au frère de
la favorite que : « Le comte de Saint-Germain est arrivé ici samedi pour son
second voyage qu’il fait à Chambord. J’ai fait préparer deux logements pour
partie de son monde, ainsi que trois pièces de cuisines et offices, au
rez-de-chaussée, pour ses opérations. Je n’ai rien eu à changer pour cela
dans cette partie du château, sauf quelques réparations urgentes144. » |
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Cette missive nous
fournit la preuve que ce n’est pas Louis XV qui donna au comte de
Saint-Germain le château de Chambord, comme on l’a prétendu145 ; c’est le marquis
de Marigny qui prit sur lui de permettre au comte de se servir d’une partie
des com- |
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muns du château pour ses manipulations de matières colorantes. |
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Le surlendemain, le
comte revint à Paris, accompagné de M. Collet146, parce qu’il avait quelques arrangements à effectuer, et ne
retourna à Chambord que dans le courant d’août 1758147. |
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Le comte de
Saint-Germain, s’il avait obtenu en partie satisfaction, désirait vivement
être reçu par le marquis de Marigny, aussi lui écrivit-il à nouveau le 24 mai
1758. Dans cette lettre, le comte se plaint douloureusement de « ce qu’on lui
refuse la porte » et demande au marquis un moment d’audience « au nom de la
justice et de l’humanité148 ». |
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Cette seconde
lettre n’eut pas, sans doute, le même sort que la première, et il est fort
probable que le frère de la favorite, bien qu’étant d’une sécheresse
admirablement persistante avec les personnes de grande qualité, se décida à
recevoir le comte de Saint-Ger-main149, et à la suite de cette entrevue, le marquis, conquis par la
singularité du savoir du comte, le présenta à sa sœur. |
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Lorsque le comte de
Saint-Germain fut présenté à Mme de Pompadour, celle-ci fut frappée par son air aristocratique
« le comte paraissait avoir cin- |
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quante ans ; il
avait l’air fin, spirituel, était mis très simplement, mais avec goût. Il
portait aux doigts de très beaux diamants, ainsi qu’à sa tabatière et à sa
montre150 ». Le
comte sut certainement plaire à la favorite du roi et celle-ci intéressée
comme l’avait été son frère le garda près d’elle un certain jour. Il y avait
là M. de Gontaut, Mme de Brancas, et l’abbé de Ber-nis, ministre des affaires
étrangères. À un moment donné, le roi entra, venant de ses appartements
situés au premier étage, par l’escalier dérobé. |
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La marquise de Pompadour
présenta le comte de Saint-Germain au roi avec sa grâce accoutumée. |
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Il est hors de
doute que Louis XV questionna le comte de Saint-Germain sur ses origines. Les
réponses de celui-ci durent être nettes et précises puisqu’on affirme que «
le roi ne souffrait pas qu’on en parlât [du comte] avec mépris et raillerie151 ». |
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Comme Louis XV
avait naturellement quelque goût pour les sciences positives : l’astronomie,
l’anatomie et la chimie, et que le comte, comme nous l’avons vu, pratiquait
cette dernière science, on a prétendu que celui-ci avait monté au hameau de
Trianon près de Versailles, un laboratoire où le roi « se distrayait à des
expériences152 ». |
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Le comte de
Saint-Germain avait ses entrées familières à Versailles chez la marquise de
Pompadour. Auprès d’elle se tenait sa femme de chambre, Mme du Haussay des Demaines153 qui nous a laissé sur sa maîtresse des Mémoires, dont l’authenticité ne
fait aucun doute154. |
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La marquise de
Pompadour aimait la façon particulière avec laquelle le comte de
Saint-Germain racontait l’histoire et l’interrogeait malicieusement : |
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— Comment était fait François Ier ? C’est un roi que j’aurais aimé. |
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— Aussi était-il très aimable, dit le comte ; et il |
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dépeignit ensuite
sa figure et toute sa personne, comme l’on fait d’un homme qu’on a bien
considéré. « C’est dommage qu’il fut ardent. Je lui aurais donné un bon
conseil qui l’aurait garanti de ses malheurs… ; mais il ne l’aurait pas
suivi, car il semble qu’il y ait une fatalité pour les princes qui ferment
leurs oreilles, c’est-à-dire celles de leur esprit aux meilleurs avis,
surtout dans les moments critiques. |
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— Et le connétable, dit Madame, qu’en dites-vous ? |
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— Je ne puis en dire trop de bien et trop de mal, répondit-il. |
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— La cour de François Ier était-elle fort belle ? |
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— Très belle, mais
celle de ses petits-fils la surpassait infiniment ; et du temps de
Marie-Stuart, et de Marguerite de Valois, c’était un pays d’enchantement, le
temple des plaisirs ; ceux de l’esprit s’y mêlaient. Les deux reines étaient
savantes, faisaient des vers, et c’était un plaisir de les entendre. » |
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Madame lui dit en riant : |
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— « Il semble que vous ayez vu tout cela. |
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— J’ai beaucoup de
mémoire, dit-il, et j’ai beaucoup lu l’histoire de France. Quelquefois je
m’amuse non pas à faire croire, mais à laisser croire, que j’ai vécu dans les
plus anciens temps155. » |
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En effet, le comte de
Saint-Germain « savait doser le merveilleux de ses récits, suivant la
réceptivité de |
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son auditeur156, » ce qui à notre avis est le propre d’un esprit supérieur157. |
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Une certaine fable
ayant trait à l’aspect physique du comte intriguait au plus haut point la
société parisienne. Le bruit s’était répandu que celui-ci bien qu’ayant
l’apparence d’un homme dans la force de l’âge était en réalité un vieillard
âgé de plusieurs siècles, et la rumeur étant venue aux oreilles de Mme de Pompadour,
celle-ci en fit la remarque au comte : |
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— « Mais enfin vous
ne dites pas votre âge, et vous vous donnez pour fort vieux. La comtesse de
Gergy qui était, il y a cinquante ans, je crois ambassadrice à Venise, dit
vous y avoir connu tel que vous êtes aujourd’hui. |
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— Il est vrai, Madame, que j’ai connu, il y a longtemps, Mme de Gergy. |
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— Mais, suivant ce qu’elle dit, vous auriez plus de cent ans à
présent ? |
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— Cela n’est pas impossible, dit-il en
riant ; mais je |
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conviens qu’il est encore
plus possible que cette dame que je respecte, radote. |
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— Vous lui avez
donné, dit-elle, un élixir surprenant par ses effets ; elle prétend qu’elle a
longtemps paru n’ avoir que vingt-quatre ans. Pourquoi n’en donneriez-vous
pas au roi ? |
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— Ah ! Madame,
dit-il avec une sorte d’effroi, que je m’avise de donner au roi une drogue
inconnue, il faudrait que je fusse fou158. » |
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En réalité, si Mme de Gergy a pu connaître le |
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comte de
Saint-Germain à Venise, ce n’est qu’entre les années 1723 à 1731, lorsque son
mari, Jacques-Vincent Languet, comte de Gergy, était ambassadeur de France
dans cette ville159. |
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De même, on prétend
« d’après des personnes dignes de foi » que Rameau aurait connu le comte à
Venise, en 1710, « ayant l’air d’un homme de cinquante ans160 ». Or, s’il est exact que Rameau fit un voyage en Italie, ce
fut en 1701 et non en 1710, et même notre musicien, parti avec l’intention de
visiter la péninsule italienne, « n’alla point au-delà de Milan161 ». |
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La fable, dont il
est question plus haut, était l’ œuvre d’un « pantomime grimacier » lequel
faisait partie d’une troupe d’amuseurs publics dirigés par un certain « comte
» d’Albaret, Piémontais d’origine, que les chroniques du temps disent « avoir
(eu) beaucoup d’esprit ». Ce pantomime « être amphibie, moitié Français,
moitié Anglais, quelquefois fripon, mystificateur, joueur, espion, parasite,
et quoiqu’en dise tout Paris, ordinairement ennuyeux162, » était un |
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Français, nommé
Gauve, commis dans les fourrages, que l’on avait surnommé milord Gor (ou
Gower ou Qoys), parce qu’il imitait les Anglais supérieurement. « Or, ce fut
ce milord Gor que des mauvais plaisants menèrent dans les salons et ruelles
du Marais sous le nom de M. de Saint-Germain, pour satisfaire la curiosité
des dames et des badauds de ce canton de Paris, plus aisé à tromper que le
quartier du Palais-Royal ; ce fut sur ce théâtre que notre faux adepte se
permit de jouer son rôle, d’abord avec un peu de charge, mais, voyant qu’on
recevait tout avec admiration, il remonta de siècle en siècle jusqu’à
Jésus-Christ163,
dont il parlait avec une grande familiarité, comme s’il avait été sort ami. «
Je l’ai connu intimement, disait-il, c’était le meilleur homme du monde, mais
romanesque et inconsidéré ; je lui ai souvent prédit qu’il finirait mal. »
Ensuite, notre acteur s’étendait sur les services qu’il avait cherché à lui
rendre par l’intercession de Mme Pilate, dont il fréquentait la maison journellement. Il
disait avoir connu particulièrement la sainte Vierge, sainte Elisabeth, et
même sainte Anne sa vieille mère. « Pour celle-ci, ajoutait-il, je lui ai
rendu un grand service après sa mort. Sans moi, elle n’aurait jamais été
canonisée. Pour son bonheur, je me suis trouvé au concile de Nicée, et comme
je connaissais beaucoup plusieurs des évêques qui le |
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composaient, je les
ai tant priés, leur ai tant répété que c’était une si bonne femme, que cela
leur coûterait si peu d’en faire une sainte, que son brevet lui fut expédié.
» Cette facétie, répétée à Paris assez sérieusement, contribua à valoir à M.
de Saint-Germain le renom de posséder une médecine qui rajeunissait et
rendait peut-être immortel ; elle est aussi à l’origine du conte bouffon de
la vieille femme de chambre d’une dame qui avait caché une fiole pleine de
cette liqueur divine164 : « la vieille soubrette la déterra et en avala tant, qu’à
force de boire et de rajeunir elle redevint petit enfant165 ». À moins qu’il ne
faille chercher à cette histoire une autre explication que nous envisagerons
dans la dernière partie de ce travail. |
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Tandis qu’à Paris,
on « mystifiait » notre personnage, par contre à Versailles, le roi Louis XV
et Mme de
Pompadour le traitaient avec considération, et l’on assure que le comte de
Saint-Germain passa quelques soirées presque en tête-à-tête avec le roi. |
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C’est ainsi que Mme du Haussay rapporte une de leurs conversations : |
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« M. de Saint-Germain dit un jour au roi : |
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— Pour estimer les
hommes, il ne faut être ni confesseur, ni ministre, ni lieutenant de police. |
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Le roi lui dit : |
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— Et roi ? |
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— Ah ! dit-il,
Sire, vous avez vu le brouillard qu’il faisait il y a quelques jours, on ne
voyait pas à quatre pas. Les rois, je parle en général, sont environnés de
brouillards encore plus épais que font naître autour d’eux les intrigants,
les ministres infidèles ; et tous s’accordent dans toutes les classes pour
lui faire voir les objets sous un aspect différent du véritable166. » |
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Le comte de
Saint-Germain vint, « un jour où la cour était en magnificence, chez Madame
[de Pom-padour], avec des boucles de souliers et de jarretières de diamants
fins, si belles, que Madame dit qu’elle ne croyait pas que le roi en eût
d’aussi belles. Il passa dans l’antichambre pour les défaire, et les apporter
pour les voir de plus près ; et en comparant les pierres à d’autres, M. de
Gontaut qui était là, dit qu’elles valaient au moins deux cent mille francs.
Il avait ce jour même une tabatière d’un prix infini, et des boutons de
manche de rubis qui étaient étincelants167. » |
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« Quelques jours après, il fut question entre le roi, |
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Madame, quelques
seigneurs, et le comte de Saint-Germain, du secret qu’il avait de faire
disparaître les taches des diamants. Le roi se fit apporter un diamant
médiocre en grosseur, qui avait une tache. On le fit peser, et le roi dit au
comte : « Il est estimé six mille livres, mais il en vaudrait dix sans la
tache. Voulez-vous vous charger de me faire gagner quatre mille francs ? » Il
l’examina bien, et dit : « Cela est possible, et dans un mois je le
rapporterai à votre Majesté. — Le comte, un mois après, rapporta au roi le
diamant sans tache il était enveloppé dans une toile d’amiante qu’il ôta. Le
roi le fit peser, et à quelque petite chose près, il était aussi pesant. Le
roi l’envoya à son joaillier, sans lui rien dire, par M. de Gontant, qui rapporta
neuf mille six cents livres ; mais le roi le fit redemander, pour le garder
par curiosité. Il ne revenait pas de sa surprise, et il disait que M. de
Saint-Germain devait être riche à millions, surtout s’il avait le secret de
faire avec de petits diamants de gros diamants. Il ne dit ni oui ni non ;
mais il assura très positivement qu’il savait faire grossir les perles, et
leur donner la plus belle eau168. » |
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« Le comte de
Saint-Germain étant venu chez Madame qui était incommodée, et qui restait sur
sa chaise longue, lui fit voir une petite boîte qui contenait des topazes,
des rubis, des émeraudes. Il paraît qu’il |
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y en avait pour des
trésors. Madame m’avait appelée [c’est Mme du Haussay qui parle] pour voir toutes ces belles choses. je
les regardai avec ébahissement, mais je faisais signe derrière à Madame que
je croyais tout cela faux. Le comte ayant cherché quelque chose dans un
porte-feuille, grand deux fois comme un étui à lunettes, il en tira deux ou
trois petits papiers qu’il déplia, fit voir un superbe rubis, et jeta de côté
sur la table avec dédain une petite croix de pierres blanches et vertes. Je
la regardai, et dis : “Cela n’est pas tant à dédaigner”. Je l’essayai, et
j’eus l’air de la trouver fort jolie. Le comte me pria aussitôt de l’accepter
; je refusai, il insista. Madame refusait aussi pour moi. Enfin, il pressa
tant et tant que Madame, qui voyait que cela ne pouvait guère valoir plus de
quarante louis, me fit signe d’accepter. Je pris la croix, fort contente des |
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belles manières du
comte ; et Madame, quelques jours après lui fit présent d’une boîte émaillée
sur laquelle était un portrait de je ne sais plus quel sage de la Grèce pour
faire comparaison avec lui. Je fis, au reste, voir la croix, qui valait
quinze cents francs. Il proposa à Madame de lui faire voir quelques portraits
en émail de Petitot, et Madame lui dit de revenir après dîner pendant la
chasse. Il montra ses portraits, et Madame lui dit : “On parle d’une histoire
charmante que vous avez racontée il y a deux jours chez M. le Premier169 et dont vous avez
été témoin il y a cinquante ou soixante ans”. Il sourit. M. de Gontaut et les
dames arrivèrent, et on fit fermer la porte170. » |
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À tout prendre,
l’histoire en soi est banale. Elle se déroule en Hollande, à la Haye. Un
jeune gentilhomme se fait passer auprès de l’ambassadeur d’Espagne, le
marquis de Saint-Gilles171, pour le fils d’un grand d’Espagne, le comte de Moncade, et
lui extorque une certaine somme d’argent pour les beaux |
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yeux d’une jeune comédienne aussi rusée que le jeune
gentilhomme172. |
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Comme Mme du Haussay « affirme
que l’histoire est vraie dans tous ses points » nous en concluons que le
comte de Saint-Germain a connu les personnages qu’il met en scène et nous
savons déjà que le comte de Saint-Germain et le marquis de Saint-Gilles sont
des amis comme nous l’avons vu au chapitre premier173. |
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Chapitre III : |
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Mme d’Urfé et Casanova |
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Le comte de
Saint-Germain n’était pas seulement accueilli et consulté par le roi Louis XV
et la marquise de Pompadour174, il avait aussi accès dans les meilleures familles de la
cour, et quoiqu’il acceptât les invitations à dîner qui lui étaient faites
par ses amis « vivait d’un grand régime, ne buvant jamais en man-geant175 ». S’il s’asseyait
à table, il refusait à peu de chose près les mets qu’on lui proposait, et se
contentait de parler, ce qu’il faisait avec autant de grâce que de facilité. |
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Il allait souvent
passer la soirée chez la marquise d’Urfé, qui habitait, tout près de la rue
des Saints-Pères, un élégant hôtel, sur le quai des Théatins, aujourd’hui
quai Voltaire. La marquise occupait un riche appartement, où elle vivait
somptueusement ; son salon était connu de tout Paris, et l’un des mieux
fréquentés de la capitale, où chacun tenait à honneur d’être admis. |
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La maison d’Urfé était
l’une des plus anciennes, sinon des plus nobles et des plus puissantes de
France, |
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et nombre de ses membres occupèrent les plus hautes dignités. |
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Jeanne Camus de
Pontcarré, dernière marquise d’Urfé, avait à l’époque cinquante-trois ans :
de taille élancée, très brune, un profil pur éclairé par de beaux yeux bleus,
elle était encore séduisante ; avec cela, aimable, enjoué, très instruite,
musicienne, la marquise charmait ses auditeurs. |
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Un soir [mai 1758]
que le comte de Saint-Germain était venu dîner chez Mme d’Urfé, le trop célèbre Casanova s’y trouvait. Qui ne connaît
« cette canaille insigne176 » dont le but dans la vie fut de paraître, de briller et
d’exploiter autrui. Malgré sa superbe, Casanova avoue qu’il fut étonné par le
comte de Saint-Germain177. Celui-ci, ne mangeant pas, ne faisait que parler du
commencement à la fin du repas. « Il est vrai qu’il était difficile, dit
Casanova, de parler mieux que lui… Il avait un ton décisif, mais d’une nature
si étudiée qu’il ne déplaisait pas178, » et pour cette raison, |
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Casanova l’écouta
avec la plus grande attention. En effet, on était fasciné par la conversation
du comte : « Sur quelque sujet et sur quelque époque qu’on l’interrogeât, on
était surpris de le voir connaître ou de lui entendre inventer une foule de
choses vraisemblables, intéressantes, et propres à jeter un nouveau jour sur
les faits les plus mystérieux179. » C’était un émerveillement, même chez les plus sceptiques
que de voir et d’entendre le comte, tandis que les hôtes silencieux faisaient
honneur au repas. |
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Le personnage du
comte de Saint-Germain avait tellement surpris Casanova qu’il nous en a gardé
le portrait suivant : « Il était savant, parlait parfaitement la plupart des
langues ; grand musicien, grand chimiste, d’une figure agréable180. » |
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Nous avons dit que
la marquise d’Urfé était très savante. « Alors qu’elle était toute jeune
fille, Mlle de
Pontcarré avait déjà laissé deviner les tendances de son caractère à
rechercher tout ce qui lui paraissait en dehors des lois naturelles, fort
instruite, connaissant les arts d’agréments à la mode, jouant du clavecin
comme un maître, elle n’avait aucune frivolité de son âge. Élevée à Rouen,
elle avait lu toute la bibliothèque de son père, préférant surtout les livres
qui traitaient des sciences cabalistiques, parlaient en détails des travaux
du moyen âge, des études récentes des alchi- |
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mistes célèbres en
indiquant de précieuses recettes pour la fabrication des philtres enchanteurs181. » Ayant hérité la
précieuse bibliothèque littéraire des seigneurs d’Urfé, « elle l’avait
soigneusement conservée et même enrichie de nombreux manuscrits très rares
lui ayant coûté plus de 100.000 livres182 » consacrés uniquement à l’art chimique. |
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« Dans une partie
plus retirée de ses appartements, elle possédait un vaste laboratoire de
chimie où étaient entassés des creusets, des alambics, des cornues, des
fourneaux de toutes formes nécessaires aux mystérieuses préparations
auxquelles elle se livrait. C’est dans ce lieu discret, son temple ainsi
qu’elle le nommait, toujours et soigneusement fermé pour les vulgaires,
prudemment ouvert à quelques initiés, qu’elle passait chaque jour de longues
heures, tout entière à ses travaux sur les propriétés balsamiques des plantes
en vue de la composition d’une sorte |
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d’élixir de longue vie, duquel elle attendait des effets
surprenants183. » |
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On connaît la folle
comédie jouée par Casanova à Mme d’Urfé par laquelle celle-ci devint la dupe du praticien de
l’escroquerie à la magie. Il lui persuada que pour obtenir l’union avec les
esprits élémentaires, il fallait se prêter à une hypostase, c’est-à-dire au
passage de l’âme dans le corps d’un enfant mâle, né de l’union philosophique
d’un immortel avec une mortelle. En réalité, cette expérience n’était qu’un
subterfuge de Casanova lequel soutira à Mme d’Urfé une fortune rondelette ; celle-ci mourut persuadée
qu’elle portait dans son sein l’enfant miraculeux sous la forme duquel elle
devait revivre. |
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À l’encontre de
Casanova184, le
comte de Saint-Germain observa auprès de la marquise d’Urfé une grande
prudence et jamais ne se prêta au moindre rôle de devin ou de prophète185. Du reste, rien n’a
été dit |
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sur leurs
relations, sauf une historiette « venimeuse » qui n’a même pas le mérite
d’être curieuse. Un soir de réception chez la marquise, le comte s’y trouve.
Entendant prononcer le nom de Créquy, il narre ses rapports, pendant la
première session du Concile de Trente, avec le cardinal de Créquy, évêque de
Rennes. — Pardon, évêque de Nantes, ratifie une invitée. Le comte se fâche et
demande à la dame son nom. « Devinez ». Ne pouvant le dire, il répond : «
Vous portez un nom dont la racine est cufique, hébraïque et samaritaine, un
nom dépouillé, précipitable ! C’était la marquise de Créquy186. » |
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Casanova a dit dans
ses Mémoires que la marquise
d’Urfé détestait le comte de Saint-Germain187, ce qui nous paraît quelque peu étonnant quand on sait que le
seul portrait existant du comte a fait partie du cabinet de Mme d’Urfé188. |
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Le comte y semble
avoir de 30 à 40 ans ; il est de face, en justaucorps à brandebourgs, bordé
de fourrures et comportant de grandes manches fourrées ; une cravate à jabot
de dentelles s’échappant de son gilet déboutonné jusqu’à la cinquième
boutonnière. |
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Visage ovale et
glabre, aristocratique, intelligent et fin, légèrement tourné à gauche.
Beaucoup de mystère et de raillerie, s’échappe de son regard perçant un peu à
droite, au-dessus d’un nez qui pointe droit vers le menton189. Nous pensons que ce portrait a été peint par le comte
Rotari, ami du comte de Saint-Germain, dont nous parlerons plus loin, et
donné à Mme
d’Urfé par notre personnage peu avant son départ pour La Haye, au début de
1760. |
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Ce ne fut pas la
seule fois que le comte de Saint-Germain et Casanova se rencontrèrent. Ils se
revirent chez le fermier général, M. de la Pouplinière. Ce dernier habitait
l’été le château de Passy, ancien château de Boulainvilliers, situé sur le
chemin d’Auteuil à Passy. M. de la Pouplinière était très riche ; cultivant
la poésie et le dessin ainsi que la musique, il était dans ce dernier art un
amateur possédant quelque talent. Il consacra à la musique une partie de sa
fortune et fut très généreux envers les artistes. |
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Dans le salon du
château de Passy se coudoyaient gens de cour, gens du monde, gens de lettres,
artistes, acteurs et actrices. M. de la Pouplinière avait à sa disposition un
théâtre spacieux, les premiers talents des théâtres, chanteuses et danseuses
de l’Opéra et un orchestre excellent dirigé soit par Gossec, un des meilleurs
artistes du temps, soit par Gaffre, un harpiste incomparable. Les concerts se
tenaient dans la |
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grande galerie ; ils
étaient très goûtés de l’assistance nombreuse et choisie. |
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Le comte de
Saint-Germain qui était, nous l’avons déjà montré, un brillant violoniste
pouvait aller à Passy autant comme virtuose que comme invité. Il avait été
présenté à M. de La Pouplinière par le comte de Wedel-Fries, ambassadeur du
Danemark, grand ami du fermier-général190. Au souper qui suivit le concert, le comte de Saint-Germain
soutint la conversation avec beaucoup d’esprit et de noblesse191. |
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Il ne faudrait pas
croire que le comte oubliait le motif réel ou apparent de son voyage en
France. Il s’occupait activement de la future fabrique de couleurs de
Chambord. C’est ainsi qu’au cours d’un voyage dans cette ville, le comte de
Saint-Germain fit la connaissance de l’abbé Tascher de la Pagerie, chanoine
de la cathédrale, ami du marquis de Marigny, lequel était gouverneur de
Blois. L’abbé de la Pagerie écrivait à M. de Marigny à la date du 12 août
1758 : « On attend incessamment M. de Saint-Germain qui
excite la curiosité dans le pays ; je me suis trouvé deux fois à dîner avec
lui. Il me paraît avoir beaucoup de connaissances et raisonner par principes192, » et comme l’abbé s’étonnait de voir le comte à Chambord, le
marquis de Marigny lui répondit de Versailles, le 2 septembre 1758 : « Il est vrai que le roi a accordé à M. de |
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Saint-Germain un
logement au château de Chambord. Vous avez raison de dire que c’est un homme
de mérite, j’ai eu lieu de m’en convaincre dans les entrevues que j’ai eues
avec lui et on espère de la supériorité de ses lumières des avantages réels193. » |
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On remarquera par
ces lettres combien était grande l’estime et la confiance témoignées au comte
de Saint-Germain. |
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Cependant le
transport des matières nécessitées pour la fabrication des couleurs n’ayant
pu, croyons-nous, s’effectuer d’Allemagne en France, le comte revint à
Chambord en décembre 1758, accompagné de deux gentilshommes, afin d’aviser194. Que fut-il décidé,
nous l’ignorons ; ce qui est certain, c’est que le comte de Saint-Germain ne
revint plus à Chambord195. |
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Le comte avait
laissé au château les gens qu’il avait amenés pour faire le travail de
manipulation des matières colorantes. Ce n’est que le 21 mai 1760 qu’une
décision intervint à leur sujet. Le comte de Saint-Florentin, ministre de la
maison du roi écrivit à |
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M. de Saumery,
gouverneur du château « de bien vouloir avertir ces gens
de se retirer, parce qu’ils sont inutiles et que personne n’a rien à leur
donner196 ». En effet, à cette date le comte
de Saint-Germain n’était plus en France mais en Hollande, comme on le verra
ci-après. |
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Chapitre IV : |
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Les talents de M. de Saint-Germain |
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En 1759, le comte
de Saint-Germain habitait à Paris, au 101 de la rue Richelieu, en l’hôtel de
la veuve du chevalier Lambert, son banquier197. |
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Parmi les personnes
reçues par la veuve du chevalier Lambert se trouvait le baron de Gleichen, de
passage à Paris, au titre d’envoyé du margrave de Bay-reuth, avec lequel il
venait de parcourir toute l’Italie. C’était la seconde fois que la veuve du
chevalier Lambert le recevait, M. de Gleichen étant déjà venu à Paris en 1753198. Il nous a laissé
de sa rencontre avec le comte de Saint-Germain, un récit tout à fait typique
: « Je vis entrer un homme de taille moyenne, très robuste, vêtu avec une
simplicité magnifique et recherchée. Il jeta son chapeau et son épée sur le
lit de la maîtresse du logis, se plaça dans un fauteuil près du feu et
interrompit la conversation en disant à l’homme qui parlait : « Vous ne savez
pas ce que |
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vous dites, il n’y
a que moi qui puisse parler sur cette matière, que j’ai épuisée tout comme la
musique que j’ai abandonnée, ne pouvant plus aller au-delà199. » |
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D’après ce que nous
savons du comte, de ses façons courtoises et polies de se présenter et de
parler, le récit du baron de Gleichen nous paraît suspect. En effet, parmi
ses contemporains, M. de Gleichen avait une réputation bien assise, laquelle
a été définie par Mme du Deffand. « Son défaut c’est d’être menteur au suprême
degré non qu’il déguise la vérité mais il l’altère200, » et confirmée par Louis Claude de Saint-Martin : « C’est un
homme qui donnerait trente vérités pour un mensonge201.» |
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Quoi qu’il en soit,
le comte de Saint-Germain et M. de Gleichen devinrent amis puisque ce dernier
note : « Je l’ai suivi pendant six mois avec l’assiduité la plus soumise202. » |
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Le comte avait
réuni chez la veuve du chevalier Lambert un certain nombre de tableaux ; il
les montra à M. de Gleichen en lui disant que certainement il n’en avait pas
vu de pareils en Italie durant son voyage : « Effectivement il me tint
presque parole, car les tableaux qu’il me fit voir étaient tous marqués à un
coin de singularité ou de perfection qui les rendait plus intéressants que
bien des morceaux de la première classe, surtout une sainte famille de
Murillo, qui égalait en beauté celle de Raphaël à Versailles203. » |
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Le comte fit de
même admirer à M. de Gleichen : « une quantité de pierreries et surtout des
diamants de couleur, d’une grandeur et d’une perfection surprenantes ». |
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« Je crus voir, dit
ce dernier, les trésors de la lampe merveilleuse. Il y avait, entre autres,
une opale d’une grosseur monstrueuse et un saphir blanc204 de la taille d’un œuf, qui effaçait par son éclat celui de
toutes les pierres de comparaison que je mettais à côté de lui. J’ose me
vanter de me connaître en bijoux, et je puis assurer que l’œil ne pouvait
découvrir aucune raison |
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pour douter de la finesse
de ces pierres, d’autant plus qu’elles n’étaient point montées205. » |
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M. de Gleichen
ajoute que le comte « possédait plusieurs secrets chimiques, surtout pour
faire des couleurs, des teintures et une espèce de similor d’une rare beauté.
Peut-être même était-ce lui qui avait composé ces pierreries dont j’ai parlé,
et dont la finesse ne pouvait être démentie que par la lime ». |
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Dans le même temps
que M. de Gleichen quittait Paris pour le Danemark, le comte de Saint-Germain
connut celle qui fut plus tard Mme de Genlis. |
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Stéphanie-Félicité
du Crest est née le 25 janvier 1746 « dans une petite terre de Bourgogne,
près d’Au-tun206
». Reçue à l’âge de sept ans, chanoinesse du chapitre noble d’Alix, proche de
Lyon, Mlle
du Crest, selon les prérogatives du chapitre, prit le titre de comtesse de
Lancy, son père étant seigneur de Bour-bon-Lancy. Sa jeunesse fut un
enchantement : « Le matin, dit-elle, je jouais un peu de clavecin et je
chantais ; ensuite j’apprenais mes rôles (car elle jouait la comédie), et
puis je prenais ma leçon de danse, et je tirais des armes ; après, je lisais
jusqu’au dîner207… » Grâce à cette excellente éducation, elle sut se créer |
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une place à part
lorsqu’elle vint à Paris, après que son père se fut ruiné en de mauvaises
spéculations. |
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La comtesse de
Lancy venait d’avoir treize ans lorsqu’elle vint passer, avec sa mère, l’été
de 1759, à Passy, chez le fermier général, M. de la Pouplinière : « C’était,
dit-elle, un vieillard de soixante-six ans, d’une santé robuste, d’une figure
douce, agréable et spirituelle208, » et elle ajoute naïvement : « qu’elle fut fâchée de n’avoir
pas trois ou quatre ans de plus, car je l’admirais tant que j’aurais été
charmée de l’épou-ser209. » Cependant le fermier général ne fut pas étranger au
changement de situation de sa protégée qui parvint par la suite au faîte des
honneurs. |
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Dans un chapitre
précédent, nous avons vu que le comte de Saint-Germain était reçu chez M. de
la Pou-plinière. Ce fut donc dans le salon du grand seigneur de la finance
qu’eurent lieu les rencontres de la jeune comtesse, devenue Mlle de Saint-Aubin,
avec « le personnage très singulier qu’elle vit presque tous les jours,
pendant plus de six mois210 ». |
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« Ce personnage
extraordinaire pour qui elle a conservé beaucoup d’intérêt211 » a excité au plus haut point la curiosité de la jeune du
Crest, et si elle voit en lui « un charlatan, ou du moins, un homme exalté
par quelques secrets particuliers qui lui avaient pro- |
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curé une santé très
robuste et une vie plus longue que la vie ordinaire de l’homme212, » puisque le comte
paraissait avoir à l’époque tout au plus quarante-cinq ans, bien qu’il eût
certainement un âge plus avancé, elle avoue qu’elle a été subjuguée par « cet
homme si extraordinaire par ses talents et par l’étendue de ses
connaissances, et par tout ce qui peut mériter la considération personnelle,
le savoir, des manières nobles et sérieuses, une conduite exemplaire, la
richesse et la bienfaisance213 ». |
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Cette admiration
que Mlle du Crest
éprouve pour le comte de Saint-Germain est à nouveau confirmée par les lignes
suivantes : « Il montrait les meilleurs principes, il remplissait avec
exactitude tous les devoirs extérieurs de la religion, il était fort
charitable, et tout le monde s’accordait à dire qu’il avait les mœurs les
plus pures214. Enfin tout était grave et moral dans son maintien et dans
ses discours215. » |
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De même que
Casanova, la future Mme de Genlis nous a laissé un portrait du comte, mais ce
portrait est moins banal et plus caractéristique : « Il était un peu
au-dessous de la moyenne, bien fait et marchant fort lestement ; ses cheveux
étaient noirs, son teint fort brun, sa physionomie très spirituelle, ses
traits assez réguliers216. » C’est ce que confirment M. de Gleichen et Mme du Haussay. Si nous
comparons ce portrait qui nous semble exact, avec celui tracé par C. de
Courchamps, on demeure étonné d’apprendre que le comte avait le regard
arrogant… qu’il portait « une forêt de cheveux blancs, la plus belle barbe et
les sourcils de même217 ». Ce qui est certain, c’est que d’après la gravure de N.
Thomas, le comte est glabre. De son côté, Lamothe-Langon nous décrit notre
personnage sous l’aspect le plus flatteur : « Il avait une taille cambrée et
gracieuse, les mains délicates, le pied mignon, la jambe élégante que faisait
ressortir un bas de soie bien tendu. Le haut-de-chausse, fort étroit,
laissant aussi deviner une rare perfection des formes ; son sourire montrait
les plus belles dents du monde, une jolie fossette ornait le menton218. » Nous
compléterons ce portrait par la description de M. de Gleichen qui le montre :
« vêtu avec une simplicité magnifique et recherchée » et de Mme du Haussay qui |
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l’a vu plusieurs
fois : « mis très simplement, mais avec goût » tandis que l’ironiste C. de
Courchamps l’a vu « habillé comme au temps du roi Guillemot219 ». |
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Mlle du Crest eut de
longues conversations avec le comte de Saint-Germain ; celui-ci « parlait
parfaitement le français sans aucun accent » ; par contre, M. de Gleichen
assure que le comte parlait notre langue « avec un accent piémontais220 », tandis que C. de
Courchamps prétend que cet accent était alsa-cien221, mais tous les trois s’accordent pour nous dire qu’il parlait
l’anglais, l’italien, l’espagnol, langues auxquelles il faut ajouter le
portugais, et l’allemand d’après M. de Gleichen222. Quel que fût l’accent avec lequel le comte parlait notre
langue, il fut un causeur séduisant ; Mlle du Crest qualifie sa conversation d’« instructive et amusante
; il avait beaucoup voyagé et il savait l’histoire moderne avec un détail
étonnant, ce qui a fait dire qu’il parlait des plus anciens personnages comme
ayant vécu avec eux ; mais je ne l’ai jamais rien entendu dire de semblable223 », et la jeune |
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du Crest, comme si
elle voulait opposer sa parole aux folliculaires confirme la correction
parfaite de l’attitude du comte en disant « que pendant les quatre premiers
mois de notre intimité, non seulement il ne dit pas une extravagance, mais ne
dit pas une seule phrase extraordinaire ; il avait même quelque chose de si
grave et de si respectable dans sa personne, que ma mère n’osait pas
l’interroger sur les singularités qu’on lui attribuait224 ». |
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On se souvient que
le comte de Saint-Germain excellait en musique et Mlle du Crest tient à le signaler : « Il était excellent musicien
il accompagnait de tête sur le clavecin tout ce qu’on chantait, et avec une
rare perfection, dont j’ai vu Philidor étonné, ainsi que de sa manière de
préluder225.
» Un soir, il fit une curieuse réponse à la jeune du Crest ; celle-ci jouait
des airs italiens que le comte accompagnait d’oreille, lorsque ce dernier lui
dit que dans quatre ou cinq ans, elle aurait une belle voix, et il ajouta : «
Et quand vous aurez dix-sept ou dix-huit ans, serez-vous bien aise d’être
fixée à cet âge-là, du moins pour un très grand nombre d’années ? Comme elle
répondait qu’elle en serait charmée, « Eh bien, reprit-il très sérieusement,
je vous le promets226. » |
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La musique n’était pas le
seul talent du comte. Il était bon physicien et très grand chimiste : « Il me |
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donnait sans cesse,
dit Mlle du
Crest, des bonbons excellents, en forme de fruits, qu’il m’assurait avoir
faits lui-même ; de tous ses talents, ce n’était pas celui que j’estimais le
moins. Il me donna aussi une boîte à bonbons très singulière, dont il avait
fait le dessus. La boîte, d’écaille noire, était fort grande ; le dessus en
était orné d’une agate de composition beaucoup moins grande que le couvercle
; on posait cette boîte devant le feu, et au bout d’un instant, en la
reprenant, on ne voyait plus l’agate, et l’on trouvait à sa place une jolie
miniature représentant une bergère tenant une corbeille remplie de fleurs
cette figure restait jusqu’à ce qu’on fit réchauffer la boîte, alors l’agate
reparaissait et cachait la figure227. » |
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L’habileté du comte
n’était pas moins réelle en peinture. « Il peignait à l’huile, non pas de la
première force, comme on l’a dit, mais agréablement ; il avait trouvé un
secret de couleurs véritablement merveilleux, ce qui rendait ses tableaux
très extraordinaires. Sa peinture était dans le genre des sujets historiques
; il ne manquait jamais d’orner ses figures de femmes d’ajustement de
pierreries ; alors il se servait de ses couleurs pour faire ces ornements, et
les émeraudes, les saphirs, les rubis, etc., avaient réellement l’éclat, les
reflets et le brillant des pierres qu’ils imitaient. Latour, Vanloo et
d’autres peintres ont été voir ces tableaux, et admiraient extrêmement
l’artifice surprenant de ces couleurs éblouissantes, qui avaient |
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l’inconvénient
d’éteindre les figures, dont elles détruisaient d’ailleurs la vérité par leur
étonnante illusion. Mais pour le genre d’ornements, on aurait pu tirer un
grand parti de ces singulières couleurs, dont M. de Saint-Germain n’a jamais
voulu donner le secret228. » |
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Durant le temps
qu’il connut M. de Gleichen et la future Mme de Genlis, le comte de Saint-Germain avait été admis aux
petits soupers du roi, qui se tenaient au Petit-Trianon229. |
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Louis XV réunissait
à ces petits soupers une société intime de gens aimables. Là, toute étiquette
était bannie afin que chacun pût parler librement. Les mots spirituels, les
saillies brillantes, les contes de la cour et de la ville étaient le
passe-temps de ces soupers, où quelquefois furent cependant arrêtées des
décisions importantes. |
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En ce lieu comme
ailleurs, le comte de Saint-Germain étonnait son auditoire par l’originalité
de ses idées et il était toujours prêt à improviser un apologue piquant230. |
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Nous rapportons, à titre
de curiosité, quelques-unes des histoires qu’aurait contées M. de
Saint-Germain. |
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Un jeune seigneur,
très libertin, obtient au moyen d’une opération magique, les faveurs d’un
vampire femelle. Ne pouvant se débarrasser de l’emprise du succube qu’il a
suscité, le jeune imprudent s’adresse au comte de Saint-Germain qui, par une
évocation contraire chasse l’entité. Le jeune seigneur repentant entre dans
un monastère et quelque temps après meurt en odeur de sainteté231. |
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Une jeune veuve
sachant que le comte de Saint-Germain ne vient jamais en visite qu’étant paré
de fort beaux bijoux, cherche à l’empoisonner afin de s’emparer de ses
pierreries. Le comte évente le piège ; la femme affolée appelle ses séides
pour le faire assassiner, mais ceux-ci sont mis par lui dans l’impossibilité
d’accomplir leur dessein. Les bandits sont arrêtés et pendus ainsi que leur
complice232. |
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Un riche seigneur
de Dalmatie donne à souper à ses amis. Survient un gentilhomme étranger.
Chacun des convives à sa vue éprouve une répulsion extraordinaire. Toute joie
disparaît. Les invités s’éloignent. Le nouveau venu est conduit dans une
chambre donnant sur la campagne. Vers minuit un cri retentit, puis le
silence. Le lendemain, on trouve proche du |
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palais, le cadavre d’un paysan des environs. L’étranger a
disparu233. |
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Citons encore ces
deux « anecdotes » dont la première est une pure fiction et la seconde, basée
sur un canevas dont nous indiquons la source : |
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Une demoiselle,
Hélène de Pal… est conduite au Parc-aux-Cerfs, avec le consentement de son
père, malgré les efforts de son amant. Le désespoir envahit la jeune fille
qui résout de s’empoisonner. Avec l’appui du comte de Saint-Germain, elle
simule le drame et les médecins présents essaient vainement de la ranimer. À
point nommé, le comte arrive, fait le simulacre de lui administrer un
antidote, et la jeune personne est sauvée234. |
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Maître Dumas,
ex-procureur au Châtelet, est prodigieusement riche. Il s’occupe d’astrologie
dans une chambre haute, fermée par une double porte de fer. Chaque vendredi
un homme mystérieux s’enferme avec l’ex-procureur et s’en va au bout d’une
heure. Une fois, le visiteur vient un mercredi au lieu du vendredi, ce qui
déroute maître Dumas et une discussion s’en suit. Après le départ du
visiteur, l’ex-procureur s’enferme à clef dans sa chambre, et lorsque la
femme et le fils ouvrent la porte, le lendemain, maître Dumas a disparu. Ceci
se passait en 1700. |
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Louis XV qui
connaissait l’aventure en fit part au comte de Saint-Germain. Sur ses
indications, basées sur un thème horaire, on découvre un caveau auquel on
accédait de la chambre haute par un escalier en vis, et dans ce caveau on
voit le cadavre de maître Dumas endormi à jamais par un puissant narcotique235. |
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Nous avons trouvé
dans les Mémoires secrets de
Duclos une histoire qui s’apparente étrangement avec cette anecdote. Un nommé
Pécoil, de Lyon, avait fait une fortune immense en partant des plus bas
emplois de la gabelle, à la suite de quoi il avait acheté, pour son fils, une
charge de maître des requêtes. Cependant, il ne profita jamais de ses
richesses et ne songea qu’à les accumuler. Il avait fait faire dans sa maison
un caveau fermé à trois portes, dont la dernière était de fer. Il allait de
temps à autre dans ce caveau afin de jouir de la vue de son trésor. Sa femme
et son fils s’en aperçurent. Un jour qu’il y était allé bien qu’on le crut
sorti, il ne rentra pas le soir. La mère et le fils attendirent deux jours.
Au bout de ce temps, ils se rendirent au caveau et enfoncèrent les deux
premières portes, mais la porte de fer résistant, il fallut attendre au
lendemain. Lorsqu’ils pénétrèrent dans le caveau, ils trouvèrent l’homme
étendu à terre près des coffres, mort, les bras rongés, et à côté de lui une
lanterne carbonisée236. Tout est identique, sauf la présence de notre personnage. |
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Le comte de Saint-Germain
était vu, avec distinction dans presque toutes les bonnes maisons de la
capitale. |
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C’est ainsi qu’il
était reçu fréquemment chez le marquis de Béringhen, M. le Premier, de la
petite écurie du roi, chez qui, nous l’avons vu, il raconta l’histoire du
comte de Moncade, la seule vraiment qu’on puisse lui attribuer avec certitude237 ; de même chez la
princesse de Montauban, épouse du lieutenant-général Charles de
Rohan-Rochefort. C’est dans cette maison que le comte fit la connaissance de
M. d’Af-fry, ambassadeur de France à La Haye, avec qui, plus tard, il eut des
démêlés238
; il avait ses entrées chez les demoiselles d’Alencé, parentes du comte
Dufort de Cheverny, introducteur des ambassadeurs, lesquelles demeuraient rue
Richelieu, vis-à-vis de la Bibliothèque royale. « Ces deux jeunes femmes fort
aimables voyaient la meilleure compagnie de la capi-tale239 ; » on le
rencontrait également dans la famille de M. d’Angeviller ; celui-ci parent et
héritier de Mme de Béringhen, n’était à cette époque que maréchal de camp
avant d’être nommé directeur des bâtiments du roi et membre de l’Académie des
Sciences. « J’ai connu, dit-il, M. de Saint-Germain. J’étais bien jeune [il
avait 29 ans], mais malgré ma jeunesse, quoique bien traité et caressé, par
lui, loin de le laisser jouir |
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des hommages n’on
rendait à son charlatanisme (?), je lui rompais sans cesse en visière sans
aucun ména-gement240 » ; il allait aussi chez Mme de Marchais, fille du fermier-général de Laborde et parente
de Mme de
Pompadour, mariée au premier valet de chambre du roi, laquelle épousa,
devenue veuve, M. d’Ange-viller, et tint un salon comme Mme Geoffrin. « Elle
avait conservé de fort beaux cheveux dans l’âge le plus avancé241 : on prétendait que
le fameux comte de Saint-Germain qui avait paru à la cour comme un des plus
célèbres alchimistes (?), lui avait donné une liqueur qui conservait les
cheveux et les préservait de blanchir avec les années242 » ; il était reçu
chez M. de l’Épine Danican, armateur, descendant d’un corsaire malouin. «
Celui-ci avait profité de ses lumières très étendues sur la métallurgie, pour
connaître et mettre en valeur les mines que possédait la Basse-Bretagne sans
les connaître243 » ; il allait souvent chez M. de Nicolaï, premier président
de la chambre des comptes, lequel demeurait place Royale et aussi chez le
comte Andréas Peter Bernstorff, conseiller de la légation danoise, etc. |
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Enfin un certain Ordre de la Félicité244, ayant à sa tête le duc de Bouillon « chercha à faire sa
connaissance étant donné qu’on le prenait pour un supé-rieur245 ». Cet Ordre, dont
le marquis de Chambe-nas était l’âme, se réclamait du système du comte de
Gabalis, que l’abbé Montfaucon de Villars avait inventé246. Comme bien on
pense, le comte de Saint-Germain déclina cet honneur247. |
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Chapitre V : |
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La grande colère de M. de Choiseul |
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Le comte de Saint-Germain
fréquentait la maison de M. de Choiseul, et y était bien reçu. |
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Le duc de Choiseul
était ministre des Affaires étrangères depuis le 3 décembre 1758, en
remplacement du cardinal de Bemis. « Sa naissance, son ton, ses manières le
faisaient considérer et il avait su gagner les bonnes grâces de Mme de Pompadour bien
plus que tout autre248. » |
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Quand la politique
n’était pas en jeu, seuls, les plaisirs de toutes sortes intéressaient le
duc. « J’aime mon plaisir à la folie », dira-t-il249. Au contraire, Mme de Choiseul ne vivait que par l’esprit. Aimable et bonne,
elle charmait sans être jolie. Lisant beaucoup et s’adonnant à la musique et
à la peinture, elle avait fait mander au comte de Saint-Germain de venir chez
elle, sachant par ouï-dire que l’on gagnait beaucoup à ses entretiens. En
effet, l’étendue et la variété de ses connaissances ont été pour le comte des
recommandations d’autant plus puissantes qu’en quelque art qu’il ait voulu
briller, il a toujours réussi. |
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Tout d’abord, le duc de
Choiseul ne s’étonna pas outre mesure des faits et gestes du comte de Saint- |
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Germain ; celui-ci
vivait en France comme il avait vécu auparavant en Angleterre, c’est-à-dire
grandement, réglant toutes ses dépenses sans qu’aucun envoi de fonds lui soit
fait. |
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Naturellement la
chose finit par surprendre et « comme sa richesse ne lui venait pas, en tout
cas, du jeu ou de l’escroquerie, jamais aucune accusation de ce genre ne
semble avoir été soulevée contre lui250, » on en vint à parler d’alchimie, de « pierre philosophale
». |
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Le duc ordonna une
enquête afin de connaître l’origine des fonds dont disposait le comte, et dit
à ceux qui s’adressaient à lui pour être renseignés, « qu’il leur montrerait
bientôt de quelle carrière on extrayait cette “pierre philosophale” dont ils
parlaient251 ». |
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Les moyens employés
par le duc de Choiseul ne donnèrent aucun résultat bien que le lieutenant de
police Bertin de Bellisle ait déployé tout son zèle. |
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Cette soi-disant «
minière » d’où le comte de Saint-Germain extrayait ses fonds peut s’expliquer
ainsi : il possède, nous le savons, un grand nombre de pierreries de toute
beauté, il lui est donc facile de s’en dessaisir auprès d’une personne
qualifiée, laquelle fera parvenir le joyau sur l’un des marchés de Londres ou
d’Amsterdam, afin d’en tirer le maximum, et lui fera tenir les fonds chez son
banquier, la veuve du chevalier Lambert. |
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M. de Choiseul vexé
de ne pas connaître ce qu’il désirait le plus savoir, ne sut pas cacher son
dépit, si bien qu’un soir, à souper, où se trouvaient réunis lui-même et sa
femme, le baron de Gleichen que nous connaissons, et le bailli de Solar,
ambassadeur de Sardaigne, le ministre fit une violente, sortie à sa femme : «
Il lui demanda brusquement, pourquoi elle ne buvait pas ? et elle lui ayant
répondu : qu’elle pratiquait, ainsi que M. de Gleichen ; le régime de M. de
Saint-Germain avec bon succès, M. de Choiseul lui dit : « Pour ce qui est du
baron, à qui j’ai reconnu un goût tout particulier pour les aventuriers (?),
il est le maître de choisir son régime, mais vous, Madame, dont la santé
m’est précieuse, je vous défends de suivre les folies d’un homme aussi
équivoque (?). Il est étrange, ajouta-t-il en s’échauffant davantage, qu’on
permette que le roi soit souvent presque seul avec un tel homme, tandis qu’il
ne sort jamais qu’environné de gardes, comme si tout était rempli d’assassins252. » |
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Si les paroles du
duc de Choiseul nous le montrent visiblement dépité de la confiance mise par
le roi en notre personnage, son mouvement de colère provenait aussi de sa
jalousie contre le maréchal de Belle-Isle, dont le comte de Saint-Germain
était l’ami253.
Le maréchal « ce vieux soldat à l’esprit jeune et hardi » |
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était le petit-fils
du surintendant Fouquet254. Il tenait dans le ministère du duc de Choiseul les fonctions
de ministre de la guerre. Les deux hommes se détestaient à cause de leurs
ambitions politiques personnelles255. |
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La politique de M.
de Choiseul tenait en deux lignes : combattre l’Angleterre et la vaincre ;
garder l’indépendance de la Prusse et se garantir ainsi des visées
ambitieuses des cours autrichiennes et russes256. Au contraire, M. de Belle-Isle intriguait pour se faire
l’auteur d’une paix séparée avec l’Angleterre. « Le maréchal admirait les
Anglais disant que ceux-ci sont courageux et aiment leur roi, et que dès
qu’on les attaque, il n’y a plus de faction en Angleterre et l’esprit de
patriotisme y règle les décisions de Westminster257. » |
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Or, tout ce qui
touche de près ou de loin à l’Angleterre indispose le duc de Choiseul, et
l’on va voir pourquoi le comte de Saint-Germain fut englobé dans cette
réprobation. |
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Comme beaucoup
d’autres, le comte faisait du commerce maritime et avait des intérêts dans
une compagnie anglaise de navigation. Le bateau sur lequel il était
intéressé, l’Ackerman, fut
pris le 8 mars 1759, par le corsaire français, le Maraudeur, commandé par le capitaine dunkerquois, Thivier-Leclerc. Le
jugement de l’Amirauté de Dunkerque avait reconnu la prise valable dont le
montant s’élevait à près de 800.000 livres. Cependant, la maison Eymeri et Cie de Dunkerque se
porta partie réclamante devant le conseil des prises, si bien que le
dénouement de l’affaire fut porté devant le Conseil royal258. Le comte de
Saint-Germain s’adressa à Mme de Pompadour afin qu’elle usât de son influence pour faire
lever l’embargo sur l’Ackerman, sur lequel il avait option pour 50.000 écus. |
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Quelques mois plus tard,
il était fortement question de mettre fin à la guerre qui durait depuis trois
ans. |
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Un Écossais
habitant Paris, nommé Crammont, reçut une lettre de Londres, lui parvenant
via Bruxelles, dans laquelle était suggérée l’idée d’une paix séparée avec
l’Angleterre, suggestion émanant de deux des secrétaires d’État du
Royaume-Uni, le duc de Newcastle et lord Granville (Charles Foronshead).
Cette lettre fut montrée au comte de Saint-Germain par Mme de Pompadour, à un moment où se trouvait aussi près d’elle le
maréchal de Belle-Isle, ce dernier faisant cause commune avec la favorite du
roi259. |
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Dans le même temps,
le Bailli de Froulai, ambassadeur de Malte à Paris, vint trouver le duc de
Choiseul et lui remit une lettre de Frédéric II260, par laquelle ce dernier lui mandait de bien vouloir recevoir
le baron d’Edelsheim chargé de lui présenter secrètement des propositions de
paix261.
M. de Choiseul rejeta la proposition en disant : « Nous ne sommes pas en
guerre contre le roi de Prusse et par conséquent nous ne pouvons pas traiter
avec lui d’une paix particulière. Ce sont ses ennemis ou ses alliés qui
peuvent faire sa paix, mais ce n’est pas nous262. » |
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Cependant le 25
novembre 1759, le duc Louis de Brunswick, feld-maréchal au service des
Provinces-Unies et tuteur du jeune Stathouder, Guillaume V263, avait remis à M. d’Affry, notre ministre résidant à La |
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Haye, une
déclaration signée par le comte d’Holder-nesse et par le baron de Kniphausen,
« au nom et de la part de leurs Majestés Britannique et Prussienne tendant à
témoigner de l’inclination des cours de Londres et de Berlin au
rétablissement de la paix264 ». Malheureusement, « les prétentions de l’Angleterre étaient
exagérées et la France fut obligée de leur opposer une certaine résistance265 » et les
pourparlers furent rompus. |
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Mais M. de
Belle-Isle, d’accord avec Louis XV et Mme de Pompadour, crut pouvoir réussir cette paix, souhaitée,
dit-on, par tous, et dont lui-même tirerait un grand bénéfice, quant à sa
position. Sachant que le comte de Saint-Germain était intimement lié avec M.
Yorke, ministre d’Angleterre à La Haye, il le char- |
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gea de faire auprès
de l’ambassadeur une démarche en vue d’essayer, à l’insu de M. de Choiseul,
de reprendre les pourparlers de paix. Le comte accepta cette mission «
secrète », en dehors de tout intérêt personnel, simplement pour rendre
service à M. de Belle-Isle et surtout au roi et à Mme de Pompadour pour qui il avait la plus grande estime. |
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Le 14 février 1760,
M. de Belle-Isle fit remettre au comte de Saint-Germain un blanc-seing signé
du roi Louis XV, et celui-ci partit pour la Hollande. |
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Chapitre VI : |
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Mission diplomatique |
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Le 20 février 1760,
le comte de Saint-Germain parvint à Amsterdam266, et descendit à « L’Étoile d’Orient », l’une des meilleures
auberges ; après un instant de repos, il se rendit chez MM. Adrien et Thomas
Hope, les plus riches négociants de la ville267. Ceux-ci, le lendemain, le présentaient au maire d’Amsterdam,
M. Hasselaar, qui ne fit aucune difficulté pour l’admettre chez lui, et
quelques jours plus tard, le comte devint le commensal des plus riches
familles de la « Venise du Nord ». Entre-temps, il alla rendre visite à deux
commerçants associés, les sieurs Coq et Vangiens, amis de la veuve du
chevalier Lambert, son banquier de Paris. |
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Le 22 février, M.
Astier, commissaire de la marine et du commerce de la France à Amsterdam, fit
connaître à M. d’Affry, ambassadeur de France à La Haye, l’arrivée du comte
de Saint-Germain268. |
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On sut bientôt que
celui-ci était venu en Hollande, chargé d’une commission importante pour les
finances de la France. Ce n’était, on le sait, qu’un prétexte pour donner le
change sur sa véritable mission. |
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Quinze jours après
son arrivée, le 5 mars 1760, le comte partit pour La Haye en compagnie de Mme Geel-vinck et de
l’un des frères Hope269, afin d’assister aux fêtes données en l’honneur du mariage de
la princesse Caroline, sœur du Stathouder, avec le prince Charles de
Nassau-Weilburg. L’animation était grande à l’hôtel des Ambassadeurs270, situé vis-à-vis
l’étang central de La Haye, le Vyver, et dans le même corps de bâtiment que le palais des
États-Généraux. |
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Le comte de
Saint-Germain fut reçu avec respect et attentions par l’ambassadeur, M.
d’Affry. Celui-ci était un gentilhomme suisse, militaire par état et
diplomate par occasion ; il servait la France depuis plusieurs années avec
zèle et dévouement. On se souvient que nos deux personnages s’étaient connus
à Paris et M. d’Affry avait conservé une haute opinion de son hôte. |
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D’autre part, la
famille Hasselaar avait recommandé le comte à M. Pieck van Soelen, député aux
États-Généraux, lequel de son côté le présenta à Mme de Byland ainsi qu’aux autres principales per- |
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sonnes de la haute
société de La Haye. Il plut aussitôt et il fut considéré par toutes et par
tous comme un homme de naissance. |
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Après avoir assisté
au bal donné au palais du Sta-thouder, le comte voulut repartir le lendemain
pour Amsterdam, mais il fut obligé de différer son départ sur les instances
de ses amis. Durant ce temps, il fut journellement en la compagnie de M.
d’Affry ; non seulement celui-ci l’invita à dîner, le conduisit dans sa loge
au théâtre, mais lui fit même porter à deux reprises des provisions pour son
voyage de retour271.
Durant une partie de son séjour à La Haye, le comte logea à l’auberge du «
Prince d’Orange ». |
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Par une coïncidence
imprévue, le célèbre Casanova se trouvait au même endroit. Du reste, ce
n’était pas la première fois que ce chevalier d’industrie venait à La Haye.
Son premier voyage datait de fin 1758. Il avait obtenu, grâce l’obligeance de
Mme de Rumain,
une lettre de recommandation du vicomte de Choi-seul au duc de Choiseul dont
le début a une saveur particulière : « Le sieur de Casanova, vénitien, homme
de lettres, voyage pour s’instruire dans la littérature et le commerce depuis
quelque temps. Ayant le projet de partir tout à l’heure pour la Hollande,
malgré les bontés que lui a marquées l’année dernière M. d’Af-fry, il
désirerait avoir une lettre de recommandation de M. le duc de Choiseul auprès
de ce ministre comme un titre sûr pour en être bien traité. Le vicomte de |
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Choiseul prie M. de
Choiseul de vouloir bien rendre ce service à M. de Casanova, et d’avoir la
bonté de lui faire remettre sa lettre pour ce ministre272. » |
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Casanova obtint sa
lettre de créance auprès de M. d’Affry, mais ce dernier fit connaître au duc
de Choiseul : « que Casanova n’est pas du tout ce qu’il croit ; qu’il joue
gros jeu ; qu’il est venu [à La Haye] pour une affaire d’intérêt — vendre des
valeurs françaises273. » |
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En effet, notre
homme avait reçu la mission de négocier sur l’ordre du contrôleur général, M.
de Boullongne, vingt millions de papiers-monnaies de France. Cette
négociation fut rapidement menée par le sieur Casanova et le trésor français
récupérait 18.200.000 livres, partie liquide, partie valeurs excellentes274. |
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Casanova se
trouvait donc une seconde fois à La Haye pour traiter une affaire d’emprunt à
5 %, mais, cette fois, il fut « brûlé » par M. d’Affry ; celui-ci avait écrit
au duc de Choiseul : « que Casanova avait une tenue déplorable et a bavardé à
tort et à travers sur |
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ses aventures
personnelles et sur la cour de France, c’est-à-dire indiscret en ses propos
». Ce à quoi notre ministre répondit : « qu’il ne connaissait pas directement
Casanova et que d’Affry ferait bien de fermer sa porte à cet intrigant275. » |
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Le comte de Saint-Germain
reçut la visite de l’aventurier ; ce dernier nous en a laissé le récit
suivant : |
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« Je me fis annoncer au
comte qui avait deux hei-duques dans son antichambre. |
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— Vous m’avez
prévenu, me dit-il, en me voyant entrer ; j’allais me faire annoncer chez
vous. J’imagine, mon cher monsieur Casanova, que vous êtes venu ici pour
tâcher de faire quelque chose en faveur de notre cour ; mais cela vous sera
difficile, car la bourse est scandalisée de l’opération que ce fou de
Silhouette vient de faire. J’espère cependant que ce contre-temps ne
m’empêchera pas de trouver cent |
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millions. J’en ai
donné ma parole à Louis XV, que je puis appeler mon ami, et je ne le
tromperai pas ; dans trois ou quatre semaines, mon affaire sera faite. |
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— Je pense que M. d’Affry vous aidera à réussir. |
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— Je n’ai nul
besoin de lui. Je ne le verrai même pas probablement, car il pourrait se
vanter de m’avoir aidé, et je ne le veux pas. Puisque j’en aurai toute la
peine, je prétends en avoir toute la gloire. |
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— Vous allez à la cour,
je pense, et le duc de Brunswick pourra vous être utile. |
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— Qu’irai-je y
faire, à cette cour ? Quant au duc de Brunswick, je n’ai que faire de lui et
je ne veux pas faire sa connaissance. Je n’ai besoin que d’aller à Amsterdam.
Mon crédit me suffit. J’aime le roi de France, car il n’y a pas dans tout le
royaume un plus honnête homme que lui276. » |
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Le ton arrogant et
familier des réponses prêtées à Saint-Germain est bien invraisemblable et
cette conversation a été inventée de toutes pièces comme nous le verrons par
la suite. |
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Le 6 mars 1760, le
comte de Saint-Germain se rendit chez M. d’Affry avec lequel il eut une
longue conversation touchant l’état de la trésorerie en France, disant : «
qu’il avait un certain projet pour rétablir les finances, qu’il voulait en un
mot sauver le royaume en tâchant de ménager le crédit des |
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plus gros banquiers
hollandais en notre faveur277. » M. d’Affry lui demanda si M. Bertin, notre contrôleur
général des finances, se trouvait au courant de ses démarches. La réponse du
comte fut négative. Toutefois M. d’Affry prétend avoir vu, le lendemain, le
projet financier apostillé par ce même M. Ber-tin278 ! Ce projet comportait l’indication d’une caisse d’escompte,
laquelle caisse, fit remarquer M. d’Affry, pourrait devenir un trésor immense
pour les gens qui la gérerait. Le comte répondit qu’il n’était venu en
Hollande que pour achever de former une compagnie suffisante pour répondre de
cette caisse, sans cependant la collaboration des frères Pâris279. |
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M. d’Affry demanda
au comte de lui montrer les pouvoirs l’accréditant pour cette démarche. Ce
dernier lui fit voir deux lettres de M. de Belle-Isle, datées l’une du 14 et
l’autre du 26 février 1760. La première contenait le blanc-seing signé du roi
Louis XV, et la seconde exprimait la grande impatience du maréchal à avoir
des nouvelles du comte de Saint-Germain et toutes deux étaient pleines
d’éloges sur son zèle, son |
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habileté et les
espoirs qui sont fondés sur ce pourquoi il est à La Haye et dont M. de
Belle-Isle attendait l’heureux résultat280. |
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Lorsque le comte de
Saint-Germain eut quitté M. d’Affry, celui-ci envoya un courrier à M. de
Choi-seul lui faisant part de la visite reçue et lui demandant des
instructions sur la mission financière du comte. Durant ce temps ce dernier
se présentait chez son ami, le ministre anglais, Sir Joseph Yorke. |
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L’entrevue des deux
personnages fut très cordiale et le soir même, M. Yorke rendait au comte sa
visite, à la suite de quoi une nouvelle rencontre fut décidée entre eux. |
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Ne pouvant garder
plus longtemps le silence, le comte fit part alors à son ami le diplomate de
sa véritable mission : « Il commença à parler du mauvais état de la France,
de son besoin de la paix, son désir de la conclure et son ambition
particulière de contribuer à un événement si désirable pour l’humanité en
général281. » À
ces mots, M. Yorke lui répondit d’un air grave : « Que ces affaires étaient
trop délicates pour être traitées par des personnes non qualifiées. » Sur
quoi le comte lui montra les deux lettres de M. de Belle-Isle et le
blanc-seing du roi. Le ministre anglais se trouva fort embarrassé. S’il ne
doutait pas de la qualité du comte, rien toutefois ne l’autorisait à le |
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croire
effectivement, et pour ne pas s’engager, ne lui répondit qu’en termes
généraux sur le désir de paix qu’avait l’Angleterre. Avant de prendre congé,
le comte demanda à M. Yorke de tenir secrète leur conversation et de lui
transmettre dès que possible une réponse à sa proposition282. |
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On était au 9 mars
1760. Le comte de Saint-Germain fit connaissance, ce jour-là, avec M. de
Bentinck van Rhoon, résident du conseil des députés commissaires de la
Hollande283, dont
la famille était originaire de Arnheim, et qui habitait Leyde, à mi-chemin
entre Amsterdam et La Haye. |
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Tout de suite les
deux hommes sympathisèrent et dès leur premier entretien, qui eut lieu à La
Haye, le comte mit M. de Bentinck au courant de sa mission : la paix
nécessaire entre la France et l’Angleterre. Le comte eut le soir même une
conversation analogue avec le résident du roi de Pologne, électeur de Saxe,
M. de Kauderbach, avec lequel il dîna. Durant le souper, auquel assistait le
chevalier de Bruhl, le comte, à son habitude, ne prit pas de viande, excepté
un blanc de poulet, et borna sa nourriture aux gruaux, |
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aux légumes et aux
poissons. « Il parla savamment, sans affecter aucun mystère, des plus beaux
secrets de la nature et tâcha de convaincre, par ses démonstrations, les plus
incrédules [de ses auditeurs], sans qu’il parût avoir aucun dessein. Il
montra des pierreries d’un prix inestimable, surtout une opale d’une beauté
remarquable et se déclara indifférent pour toutes les grandeurs du monde et
n’aspirer qu’au titre de citoyen284. » Puis, changeant de thème, le comte en vint à sa commission
qu’il exposa ainsi : « Le mal radical de la France est le manque de fermeté
de Louis XV. Ceux qui l’entourent connaissent l’excès de sa bonté, en abusent
et il n’est entouré que de créatures placées par les frères Pâris, qui seuls
font tout le malheur de la France. Ce sont eux qui ont tout corrompu et
traversé les dispositions du meilleur citoyen qui soit en France, le maréchal
de Belle-Isle. De là, la jalousie et la désunion parmi les ministres qui
semblent tous servir un monarque différent. Malheureusement, le roi n’a pas
autant de sagacité que de bonté pour apercevoir la malice des gens dont ils
[les frères Pâris] l’environnent, et qui connaissent son peu de fermeté, ne
sont occupés qu’à flatter son faible, et par là même sont écoutés de
préférence. Le même défaut se trouve dans la favorite. Elle connaît le mal et
n’a pas le courage d’y remédier285. » |
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À la suite de ces
divers entretiens, le comte crut devoir mettre Mme de Pompadour au courant de ses relations avec M. de Bentinck
van Rhoon, le personnage, à ses yeux, le plus qualifié pour l’aider dans sa
mission de paix, et voici cette lettre : |
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« La Haye, le 11 mars 1760. |
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« Madame, |
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« Mon attachement
pur et sincère pour le roi, pour le bien de votre aimable nation et pour
vous, non seulement ne changera jamais dans quelque endroit de l’Europe que
je me trouve ; mais je n’y demeurerai pas un instant sans vous le prouver
dans toute sa pureté, dans toute sa sincérité, dans toute sa force. |
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« Je suis
actuellement à La Haye chez M. le comte de Bentinck, seigneur de Rhoon avec
qui je suis entièrement lié. J’ay si bien fait que je ne crois pas que la
France ait d’ami plus sage, plus sincère et plus solide. Comptez là-dessus,
Madame, quelques informations que vous puissiez avoir du contraire. |
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« Ce seigneur est
tout puissant tant ici qu’en Angleterre, grand homme d’état et très
parfaitement honnête homme. Il s’est entièrement ouvert à moi. Je |
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lui parlai de
l’adorable marquise de Pompadour dans toute l’abondance d’un cœur dont les
sentiments pour vous, Madame, vous sont connus depuis longtemps, et sont très
sûrement dignes de la bonté du cœur et de la beauté de l’âme qui les a fait
naître. Il en a été charmé qu’il en est tout transporté, en un mot vous
pouvez compter sur lui comme sur moi-même. |
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« Je crois que le
roi peut en attendre de grands services, vu sa puissance, sa sincérité, sa
droiture, etc. Si le roi pense que mes liaisons avec ce seigneur puissent lui
être de quelque service, je ne m’épargnerai en rien mon zèle pour son service
et mon attachement volontaire et désintéressé pour sa personne sacrée doivent
lui être connus. |
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« Vous connaissez
la fidélité que je vous ai vouée, Madame, ordonnez et vous serez obéie. Vous
pouvez donner la paix à l’Europe sans les longueurs et les embarras d’un
congrès. Vos ordres me parviendront en toute sûreté si vous les adressez chez
M. le comte de Rhoon à La Haye ou si vous le jugez plus à propos chez MM.
Thomas et Adrien Hope chez qui je loge à Amsterdam. |
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« Ce que j’ai l’honneur
de vous écrire m’a paru si intéressant que je me reprocherais très fort de
gar- |
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der le silence vis-à-vis
de vous, Madame, à qui je n’ai jamais caché ni ne cacherai jamais rien. |
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« Si vous n’avez
pas le temps de me faire réponse vous-même, je vous supplie de me la faire
faire par quelqu’un de sûr et de confiance. Mais ne tardez pas un moment, je
vous en conjure pour tout l’attachement, pour tout l’amour que vous avez pour
le meilleur et le plus aimable des rois. |
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« Je suis, etc286. » |
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Le comte de Saint-Germain ajouta à sa lettre le post-scriptum
suivant : |
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« Je vous supplie,
Madame, de vouloir bien vous intéresser au jugement de la prise de
l’Ackermann, la plus injuste et la plus scandaleuse qu’on ait jamais faite
sur mer ; j’y suis intéressé pour 50.000 écus, et M. Emery et Cie de Dunkerque ont la
commission de se faire restituer le vaisseau. Je vous en supplie encore une
fois de faire rendre justice au Conseil royal où cette cause inique doit être
bientôt rapportée. Il vous plaira de vous souvenir que vous m’avez promis de
ne point souffrir qu’on nous fît injustice l’été dernier287. » |
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En même temps, le
comte écrivit à M. de Choiseul, et lorsque M. de Bentinck lui demanda de
quelle façon le ministre des Affaires étrangères recevrait les nouvelles, il
lui répondit d’un air assuré et souriant qu’il |
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y aurait bientôt
des changements à Versailles, faisant comprendre à M. de Bentinck qu’il
n’était pas au pouvoir de M. de Choiseul d’empêcher longtemps encore la paix
de se conclure288. |
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|
Malheureusement
pour le comte de Saint-Germain, la lettre qu’il envoya à Mme de Pompadour ne parvint pas à cette dernière. Depuis le début
de 1760, le duc de Choiseul ayant été nommé par Louis XV surintendant des
postes, disposait du mystère infidèle de la poste289 ; aussi lorsque la lettre du comte parvint à Paris, le duc
s’en empara tout de suite et envoya le message suivant à M. d’Affry : |
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« Versailles, 19 mars 1760. |
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« Je vous envoie
une lettre de M. de Saint-Germain à Mme la marquise de Pompadour qui suffit seule pour faire
connaître l’absurdité du personnage ; c’est un aventurier de premier ordre,
qui de plus par ce que j’en ai vu est fort bête. |
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|
« Je vous prie,
aussitôt ma lettre reçue de le faire venir chez vous, et de lui dire de ma
part que j’ignore de quel œil les ministres du Roy chargés du département des
finances envisageront sa conduite ridicule en Hollande relativement à cet
objet mais que quant à moi, vous avez ordre de le prévenir que si j’apprends
que près ni de loin, en petit ou en grand, il s’avise de se mêler de
politique, je l’assure que j’obtiendrai l’ordre du roi pour qu’à sa rentrée
en France, il soit mis le reste de ses jours dans un cul de basse-fosse. |
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« Vous lui
ajouterez qu’il peut être certain que ces dispositions de ma part à son égard
sont aussi sincères qu’elles seront exécutées, s’il me met dans le cas de
tenir ma parole. |
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« Après cette
déclaration vous le prierez de ne plus remettre les pieds chez vous, et il ne
sera pas mal que vous lassiez publier et connaître à tous les ministres
étrangers, ainsi qu’aux banquiers d’Amsterdam le compliment que vous avez été
chargé de faire de cet aventurier insupportable…290. » |
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Avant que cette
lettre ne parvint à son destinataire à La Haye, une scène s’y déroula entre
M. Yorke et le comte de Saint-Germain. Celui-ci n’ayant pas reçu de réponse
du ministre anglais, lui avait demandé une entrevue pour la matinée du 23
mars 1760. M. Yorke montra au comte la lettre qu’il venait de recevoir du
ministre d’État, Robert d’Arcy, Lord Holdemesse, |
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dans laquelle le
roi Georges II émettait des doutes sur l’authenticité de sa mission
concernant la paix : « Sa Majesté ne pense pas impossible que le comte de
Saint-Germain ait été réellement autorisé (peut-être même à la connaissance
de S. M. très chrétiennes) par quelques personnes de poids au Conseil, de
parler comme il l’a fait, et si le but désiré est atteint, il importe peu par
quelle voie. Mais il ne doit pas y avoir d’autres conversations entre un
ministre accrédité du Roi et une personne telle que le comte de Saint-Germain
paraît être. Ce que vous dites est officiel taudis que Saint-Germain peut
être désavoué sans cérémonie si la cour de France le juge nécessaire, et,
d’après ses propres paroles, sa mission n’est pas seulement inconnue de l’ambassadeur
de France à La Haye, mais encore du ministre des Affaires étrangères à
Versailles qui, bien qu’il soit menacé du même sort que le cardinal de
Bernis, est encore le ministre apparent… C’est donc le désir de Sa Majesté
que vous informiez le comte de Saint-Germain… vous ne pouvez vous entretenir
avec lui de sujets aussi intéressants à moins qu’il ne vous fournisse quelque
preuve authentique que S. M. très chrétienne connaît et approuve sa mission291. » |
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Comme le comte de
Saint-Germain ne pouvait montrer à l’ambassadeur d’Angleterre aucune lettre
de créance, sauf les lettres de M. de Belle-Isle et le |
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blanc-seing signé du roi
Louis XV, ce qui n’était pas suffisant pour l’accréditer, il fut obligé de se
retirer. |
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Le lendemain, il
vint chez M. d’Affry, accompagné de M. de Kauderbach et du chevalier de
Bruhl, et devait, en leur compagnie, aller à Ryswick, chez le comte A.
Golowkin292, chez
qui M. d’Affry était lui-même invité à souper. |
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M. d’Affry prit à
part le comte de Saint-Germain et lui fit connaître en termes mesurés les
instructions de M. de Choiseul. Le comte, un instant stupéfait, demanda à ses
amis de l’excuser auprès de M. Golow-kin et ayant pris congé de M. d’Affry,
il se rendit chez M. de Bentinck. Là, chez son ami, le comte exhala son
courroux, en disant : « Ce pauvre d’Affry qui pense me terroriser par ses
menaces ! mais il s’adresse mal, car j’ai foulé aux pieds tout à la fois
l’éloge et le blâme, la crainte et l’espérance. Moi qui n’ai pas d’autre
objectif que de suivre l’impulsion de mes bons sentiments envers l’humanité
et de lui faire autant de bien qu’il sera en mon pouvoir. Le roi sait très
bien que je ne crains ni d’Affry ni M. de Choiseul293. » |
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Ce ne fut qu’une
dizaine de jours après, le 5 avril 1760, non sans avoir été sollicité à
plusieurs reprises par M. d’Affry, que le comte accepta une entrevue. |
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L’ambassadeur lui
fit comprendre qu’il était tombé dans un piège, un très fâcheux piège à la
cour en écrivant au sujet de M. de Bentinck294 à Mme de Pom-padour ; que s’étant immiscé dans une transaction qui
ne le regardait pas, il doit avoir dorénavant, au nom du roi, l’obligeance de
s’occuper de ses propres affaires, et que désormais sa porte lui sera fermée. |
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Le comte de
Saint-Germain écouta M. d’Affry sans rien dire, mais quand celui-ci eut
terminé son réquisitoire, il lui fit remarquer que, quant à ce qui lui était
enjoint « au nom du roi », on ne pouvait rien lui ordonner n’étant pas sujet
du roi de France. Il ajouta qu’il se doutait bien « que M. de Choiseul avait
écrit tout cela d’après sa propre initiative et que le roi n’en savait rien,
mais que si on lui présentait un ordre écrit du roi, il y croirait mais pas
autrement295. » |
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Un autre des motifs
qui avaient fait dicter à M. de Choiseul ses dispositions agressives envers
le comte était plusieurs phrases soulignées dans une de ses dernières lettres
à Mme de
Pompadour, et que voici : « Je n’ai à rendre compte de ma conduite qu’à Dieu |
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et à mon Souverain
» et plus loin : « Depuis trente ans, je suis membre de la noblesse et je
suis connu pour n’avoir jamais fréquenté des aventuriers ni des imposteurs ni
jamais reçu de coquins296. » |
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Durant ce temps, à
Versailles, le duc de Choiseul agissait devant le Conseil royal. Après avoir
produit la dépêche de M. d’Affry, « il lut ensuite la réponse qu’il lui avait
faite, puis, promenant ses regards avec fierté autour de ses collègues, et
fixant alternativement le roi et M. de Belle-Isle297, il ajouta : « Si je ne me suis pas donné le temps de prendre
les ordres du roi, c’est parce que je suis persuadé que personne ici ne
serait assez osé de vouloir négocier une paix à l’insu du ministre des
Affaires étrangères de Votre Majesté298. » |
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Il savait que ce
prince avait établi et toujours soutenu le principe que le ministre d’un
département ne devait pas se mêler des affaires d’un autre. Il arriva de là
ce qu’il avait prévu : le roi baissa les yeux comme un coupable, le maréchal
n’osa pas dire le mot, et la demande de M. de Choiseul fut approuvée »299. |
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Fort de son droit, le duc
de Choiseul, fit parvenir aussitôt à M. d’Affry les instructions suivantes : |
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« À Versailles, 11 avril 1760. |
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« … Le roi m’a
ordonné de vous mander expressément, non seulement de décrier avec les termes
les plus humiliants et les plus expressifs par vos propos et par vos actions
ce prétendu comte de Saint-Germain, vis-à-vis de tous ceux que vous pourrez
soup- |
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çonner de connaître
ce fripon dans l’étendue de la domination des Provinces-Unies, mais S. M.
désirerait de plus que vous puissiez obtenir de l’amitié des États-Généraux
pour elle, qu’ils fissent arrêter cet homme300, pour qu’il puisse être transporté en France, et puni suivant
la grièveté de sa faute. Il est de l’intérêt de tous les souverains et de la
loi publique que l’on réprime l’insolence d’une espèce pareille, qui s’avise
de traiter sans mission les affaires d’une puissance telle que la France. Je
crois que le cas dont il s’agit doit être regardé comme étant au moins aussi
privilégié que ceux qui exigent ordinairement la réclamation et l’extradition
d’un malfaiteur, ainsi le roi a lieu d’espérer que sur votre exposition et en
conséquence de [quoi]301 le sieur Saint-Germain sera arrêté et conduit sous bonne
escorte jusqu’à Lille302. » |
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M. d’Affry suivit aussitôt les instructions de |
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M. Choiseul. Il
prévint les principaux ministres de la République et les quelques ministres
étrangers qui se trouvaient à La Haye, ainsi que M. Astier, à Amsterdam, en
priant ce dernier d’avertir les banquiers de cette ville d’être en garde
contre les propositions du comte de Saint-Germain303. |
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Le lendemain, une
scène se jouait à Ryswick, chez le comte Golowkin. Le duc de Brunswick s’y
trouvait ainsi que M. d’Affry et un autre personnage, M. de Reischach304. Le duc fit
connaître à notre ambassadeur que le comte de Saint-Germain avait fait tout
son possible pour le voir mais qu’il s’y était refusé ; toutefois il avait
appris que le comte avait vu d’autres personnes, mais qu’il ne pouvait donner
aucun nom. M. d’Affry fit alors savoir au duc de Brunswick que le comte était
un homme désavoué par M. de Choi-seul et qu’on ne devait ajouter ni foi ni
confiance à tout ce qu’il s’aviserait de dire sur les affaires de France ou
sur le gouvernement. Il demanda au duc de faire la même déclaration à
l’ambassadeur d’Angleterre, M. Yorke, tandis que lui-même l’avait déjà fait
auprès du Grand-pensionnaire, M. Stein, et du Gref- |
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fier, M. Henri
Fagel305. Le duc
de Brunswick répondit qu’il irait au devant de tout ce qui pourrait aider M.
d’Affry, mais qu’il désirait ne pas être mêlé à cette affaire306. |
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Rentré chez lui, à La
Haye, M. d’Affry écrivit à M. Astier les lignes que voici : |
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« La Haye, 17 avril 1760. |
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« Le Prétendu comte
de Saint-Germain, Monsieur, que vous avez vu à Amsterdam, et qui de là est
venu ici, est un aventurier et un imposteur. Il a eu l’impudence de s’insérer
sans aucun aveu ni mission de sa Majesté ni de son ministre, à travailler et
à négocier sur les intérêts les plus essentiels de sa Majesté et du royaume.
Sur le compte que j’en ai rendu au roi, et sur les lettres qu’il a écrites
lui-même à Versailles, sa Majesté m’a fait donner l’ordre de réclamer cet
imposteur effronté et d’en demander l’extradition pour nous être remis. Comme
il est parti subitement hier de La Haye et qu’il est peut-être à Amsterdam,
je vous autorise dans ce cas et vous commande au nom de sa Majesté de
demander sur-le-champ à la magistrature d’Amsterdam l’arrêt de cet imposteur
et sa détention sous bonne et sûre garde jusqu’à ce que nous soyons convenus
de la manière de le traduire jusqu’aux Pays- |
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Bas autrichiens pour être
ensuite conduit jusqu’à la première de nos places307. » |
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Les allées et
venues ainsi que les mesures prises par M. d’Affry, lesquelles avaient duré
quelques jours, permirent au comte de Saint-Germain de déjouer le complot de
M. de Choiseul, et cela grâce au seul ami, resté fidèle, M. de Bentinck van
Rhoon. |
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Aussitôt qu’il eut
connaissance de la dépêche de M. de Choiseul, M. de Bentinck se rendit, chez
le Grand-pensionnaire, M. Stein et lui exposa « que le comte était venu en
Hollande comme tous les autres étrangers, confiant en la protection de la
loi, et sûr de sa sécurité comme faisant partie de la chose publique. Qu’on
ne pouvait donc accuser le comte d’un crime de nature tel qu’aucun souverain
dût lui retirer sa protection, et que le droit d’asile était tenu comme très
sacré en Hollande. » Le Grand-pensionnaire en convint mais parut très inquiet
quant aux sentiments réels de M. de Choiseul308. |
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M. de Bentinck se
rendit ensuite chez le Greffier, M. Fagel, accompagné par M. Stein. Le
Greffier lui fit connaître qu’il avait conseillé à M. d’Affry de s’adresser
directement aux États-Généraux ; toutefois il ne pensait pas que ces
Messieurs livreraient le comte de Saint-Germain309. |
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D’autre part, M. de
Bentinck ayant appris, de source sûre, que M. d’Affry et le ministre
d’Angleterre, M. Yorke, s’étaient rencontrés à deux reprises résolut de voir
ce dernier, bien que prévenu. En effet, au seul nom du comte, M. Yorke prit
un air hautain et sévère, et d’une voix rude répondit « qu’il serait très
heureux de voir le comte remis aux mains de la police ». Bien qu’un peu
étonné de cette sortie de la part d’un ancien ami du comte de Saint-Germain
et qui l’avait même encouragé dans ses démarches, M. de Bentinck répéta à M.
Yorke, tout en prenant soin de ne pas l’offenser, sa manière de voir quant à
l’arrestation du comte. M. Yorke persista en disant qu’il s’en lavait les
mains et refusa de lui remettre un passeport pour le comte. M. de Bentinck
insistant, M. Yorke finit par lui dire que si lui-même demandait ce passeport
à titre personnel, il ne le refuserait pas à cause de la situation officielle
de M. de Bentinck van Rhoon. Toutefois, celui-ci fit remarquer à M. Yorke que
M. d’Affry pourrait leur causer une foule d’embarras lesquels seraient
écartés s’il était donné au comte de Saint-Germain le moyen de quitter la
Hollande. Devant cet argument310, M. Yorke appela son |
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secrétaire et lui ordonna d’apporter une feuille de passeport. |
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Il la signa et la
remit en blanc à M. de Bentinck. Ainsi, le comte pouvait quitter la Hollande
sous son nom ou sous tel autre qu’il lui plairait de prendre et éviter ainsi
les poursuites de M. de Choiseul311. |
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M. de Bentinck
emporta le passeport non sans être choqué et révolté par la scène précédente,
et se rendit chez le comte de Saint-Germain, lequel habitait depuis peu à
l’auberge : « Le maréchal de Turenne ». Ce dernier parut extrêmement surpris,
« non pas tant que M. de Choiseul ait donné l’ordre de l’arrêter, mais que M.
d’Affry l’exécutât 312. » Le comte fit à son ami plusieurs objections, ce dernier
les éluda en disant que le temps pressait, qu’il devait partir immédiatement,
sa sécurité en dépendant ; cependant, il avait jusqu’au lendemain pour se
préparer, puisqu’au cas même où M. d’Affry aurait eu l’intention de prendre
des mesures, il ne pouvait le faire avant dix heures du matin. |
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Le comte de
Saint-Germain se rendant compte de la gravité des circonstances alla aussitôt
chez le juif Boas auquel il emprunta deux mille florins sur garantie de trois
opales313, et
revint trouver M. de Bentinck. |
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Tous deux
discutèrent des moyens de sortir de Hollande et de l’endroit où le comte
pouvait se rendre. Ils convinrent de l’Angleterre. |
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Justement un bateau
partait le lendemain d’Helle-voetsluis314 pour Harwich. Comme aucun des domestiques du comte ne
connaissaient ni la langue hollandaise, ni les routes à suivre pour se rendre
au quai d’embarquement, M. de Bentinck lui offrit l’un des siens315, et afin de
dépister les curieux, loua à Leyde un carrosse à quatre chevaux. À cinq
heures du matin le véhicule stationna devant l’auberge du comte ; celui-ci «
dans sa hâte à partir oublia son épée et son ceinturon, un paquet de cœpeaux
(sic) d’argent ou d’étain et deux bouteilles de liqueurs qu’on ne connaît pas316. » |
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En arrivant à
Hellevoetsluis, le comte de Saint-Germain n’osant se loger dans la ville,
monta immédiatement à bord du bateau-poste « Le Prince d’Orange » et y resta
jusqu’au moment du départ. On était le 16 avril 1760317. |
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Le 2 mai suivant, M.
d’Affry remit au comte de Steiden-Hompesh le mémoire suivant : |
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« Hauts et Puissants Seigneurs, |
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« Un inconnu qui se
fait appeler le comte de Saint-Germain et auquel le roi, mon maître, a bien
voulu accorder un asyle dans le royaume, en a abusé. |
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« Il s’est rendu il
y a quelque temps en Hollande et depuis peu à La Haye, où sans aveu de la
part de sa Majesté ni de son ministre, et sans aucune mission, cet impudent
s’est avisé de débiter qu’il était autorisé à traiter des affaires de sa
Majesté. |
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« Le roi, mon
maître, m’ordonne expressément d’en faire part à vos Hautes Puissances et
publiquement, pour que personne dans l’étendue de leur domination ne soit
trompé par cet imposteur. |
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« S. M. m’ordonne de plus, de réclamer cet aven- |
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turier comme un
homme sans aveu, qui a abusé au premier chef de l’asyle, qu’on lui avait
accordé, en s’ingérant à parler du gouvernement du royaume, avec autant
d’indécence que d’ignorance, et en débitant faussement et témérairement qu’il
était autorisé à traiter des intérêts les plus essentiels du roi, mon maître. |
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« S. M. ne doute
pas que vos H. P. ne lui rendent le service qu’elle a droit d’attendre de
leur amitié, et de leur équité, et qu’elles n’ordonnent que le prétendu comte
de Saint-Germain soit arrêté et traduit sous bonne escorte à Anvers pour être
conduit de là en France318. » |
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Ce mémoire fut pris
ad referendum par toutes les Provinces-Unies, étant donné que le comte
n’étant plus dans la République, il suffisait que chaque Province fut
instruite de la demande du roi de France, dans le cas où celui-là
reparaîtrait319.
« Ayant délibéré, MM. les députés des Provinces respectives ont pris copie du
susdit-mémoire pour y être communiqué plus amplement. Il est convenu que le
susdit-mémoire sera remis à MM. Pieck van Soelen et autres députés des
affaires étrangères afin d’être examiné et en faire un rapport en vue du
conseil réuni320. » |
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Comme il fallait s’y attendre, l’affaire fut classée. |
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M. d’Affry partit
en congé pour Paris321, et M. de Bentinck van Rhoon put dire à son entourage : « Si
le comte de Saint-Germain revenait à La Haye, je le verrais à nouveau, à
moins que les États de Hollande ne me l’interdisent, ou bien que je sois
convaincu que le comte ne soit pas digne d’être admis dans ma maison322. » |
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Le comte était parti si précipitamment de La Haye |
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qu’il n’avait pu
prévenir aucun de ses amis d’Amsterdam, et c’est ainsi que l’un d’eux lui
écrivait : « Si la foudre m’avait frappé, je n’aurais pas pu être plus
abasourdi que je ne l’ai été quand j’ai su que vous en étiez parti. Je vais
jouer mon dernier atout et faire tous les efforts possibles dans l’espoir
d’être à même de vous présenter mes respects en personne, car je sais bien,
Monsieur, que vous êtes le plus grand gentilhomme qui soit. Je suis seulement
peiné que des gens de rien osent vous causer des soucis ; on dit que l’or et
les intrigues de toutes sortes sont mis en jeu pour entraver vos efforts
pacifiques. Quant à présent, je puis respirer un peu, car on m’assure que M.
d’Affry est parti soudainement, jeudi dernier, pour se rendre à sa cour, et
j’en conclus, et espère qu’il recevra ce qu’il mérite pour avoir manqué à ce
qui vous est dû. Je le tiens pour être cause de votre longue absence et, par
suite, de mon chagrin. Si vous pensez que le puisse, vous être utile, comptez
sur ma fidélité : je ne |
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possède que mon bras et
mon sang : je les mets joyeusement à voire disposition ». LE COMTE DE LA Watu323. |
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En somme toute
cette affaire pouvait passer pour ce qui s’appelle en langage diplomatique «
faire des sondages », puisque le comte de Saint-Germain n’était en aucune
façon autorisé ni à conclure ni à négocier un accord quelconque. |
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Chapitre VII : |
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Aventure en Angleterre |
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Venant
d’Hellevoetsluis par le « paquet-boot »324, le comte de Saint-Germain toucha terre à Harwich, petit port
anglais situé sur la rive gauche de la large embouchure de la Stour, dans le
comté d’Essex. Après quelques jours de repos, il prit place dans une des
voitures à six chevaux, appelées « machines volantes », qui faisaient en un
peu plus d’un jour les vingt-huit lieues qui séparent Harwich de Londres. |
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Le comte arriva
dans la capitale anglaise entre le 26 et le 27 avril 1760325, hors d’atteinte, il est vrai, de l’acte de force du duc de
Choiseul, mais non pas au terme de ses aventures. La Chancellerie de l’Empire
crut tout d’abord qu’on l’avait laissé partir de La Haye afin de lui donner
un prétexte de se rendre à Londres326. Toutefois « comme il est évident qu’il n’était pas autorisé
par la section du ministre français |
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[M. de Choiseul] au
nom duquel il prétend parler327, et que son séjour ici ne pouvait être d’aucune utilité et
pouvait entraîner des conséquences désagréables — on parlait de tractations
secrètes — il fut jugé préférable de se saisir de sa personne dès son arrivée328. » |
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C’est ainsi qu’à sa
descente de voiture, le comte fut prié par un messager d’État, sur l’ordre du
secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères, William Pitt, de se
tenir à la disposition du gouvernement. Ce fut dans son appartement qu’il fut
interrogé par un commis au ministère. Cet entretien n’apporta rien qui puisse
être interprété contre lui sauf « que sa conduite et son langage sont étudiés
et comportent un mélange étrange qu’il est malaisé de définir »329. Bien que le
rapport fût favorable, le ministre jugea préférable de ne pas laisser le
comte séjourner ni à Londres ni en Angleterre et l’invita à quitter le
territoire dans les plus brefs délais330. |
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Dans son embarras,
le comte de Saint-Germain se décida à s’adresser à M. de Knyphausen,
ambassadeur du roi de Prusse à Londres331, et fit demander au ministre des Affaires étrangères de
l’Angleterre de bien vouloir l’autoriser à s’entretenir avec cet ambas-sadeur332. M. Pitt ayant
accédé à cette demande, le baron de Knyphausen se rendit chez le comte.
Celui-ci lui déclara « qu’il ne pouvait, pour la raison de sa sécurité,
retourner en Hollande, et avait décidé de se rendre auprès de Frédéric II,
afin d’obtenir l’hospitalité dans ses états et d’être protégé ainsi contre
les actes de violence de M. de Choiseul. Le comte ajouta que telle avait été
sa première intention lors de son départ de Hollande, mais que le comte de
Ben-tinck lui avait conseillé de se rendre au préalable en Angleterre 333. » |
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M. de Knyphausen
fit connaître au comte, et en cela d’accord avec M. Pitt, qu’il devra se
rendre à Aurich près d’Emden, sous le nom de comte Cea et attendre les dispositions de Frédéric II334. |
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Muni cette fois
d’un passeport en bonne et due forme, le comte prit le coche pour Harwich, à
l’auberge « Aux armes du Roi » dans Leadenhall-Street, et arrivé au port
monta dans le bateau-poste qui se rendait à Hellevoetsluis. « Il s’y arrêta
le moins qu’il fut possible, parce qu’au sortir de l’Angleterre la bourse des
voyageurs est rarement assez garnie, pour résister aux sorties que font les
cabaretiers de cette ville335. » Il gagna en diligence La Haye et reprit son ancien
logement au « Maréchal de Turenne ». |
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Le comte de
Saint-Germain eut d’abord l’intention de suivre à la lettre les prescriptions
de M. de Kny-phausen « craignant de n’être pas en sûreté en Hol-lande336, » mais il changea
d’avis comme nous le verrons bientôt. |
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Son aventure de
Londres eut quelques échos dans la presse anglaise ; trois surtout parurent
dans le London Chronicle, et
sont à différents points de vue excessivement curieux. |
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Dans le numéro du
24 au 27 mai 1760, on lisait l’entrefilet suivant d’après une dépêche de
Rotterdam, datée du 18 mai : « Le comte de Saint-Germain étant relevé de ses
fonctions d’envoyé est arrivé ici. Pendant qu’il était en charge, il a eu
plusieurs confé- |
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rences avec quelques-uns
des lords du Conseil privé, ce qui ouvre un plus large champ aux conjectures337. » |
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Dans celui du 31
mai au 3 juin, on pouvait lire sous le titre : Anecdotes
sur un mystérieux étranger, et sous la signature
de Lady’s Magazine,
les lignes suivantes : « J’espère que ce gentilhomme (au sujet duquel on n’a
jamais pu découvrir la moindre chose déshonorante, et dont je respecte
sincèrement la science et le génie) ne prendra pas ombrage de mes
observations au sujet du titre qu’il a pris et que je ne crois pas être le
sien par droit de lignée ou par faveur royale ; son nom véritable est
peut-être l’un des mystères qui, à sa mort, surprendra le monde plus que tous
les étranges incidents de sa vie. Mais lui-même ne niera pas, je le suppose,
que le nom qu’il porte maintenant ne soit un nom d’emprunt. |
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« La patrie de cet
étranger est aussi totalement inconnue que son nom ; mais au sujet des deux,
ainsi que de sa jeunesse, de nombreuses suppositions ont toujours remplacé la
connaissance et, comme il était facile d’inventer n’importe quoi, la
perversité de la |
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nature humaine et
peut-être aussi l’envie que ressentaient les curieux leur a fait choisir des
passages sans doute moins favorables que ceux qui auraient été fournis par la
vérité. |
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« Jusqu’à ce que
des renseignements plus précis puissent être fournis, il serait juste que le
monde suspendit sa curiosité et la charité demande qu’on ne croie pas
certains détails qui n’ont pas de raisons338. » |
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Enfin dans le
numéro du 30 juin au 3 juillet fut publiée la note suivante : « Nous
apprenons de Paris que plusieurs personnes de distinction ont fait des
démarches auprès du roi en faveur du comte de Saint-Germain dont il est tant
question. Sa Majesté était sur le point de lui pardonner lorsqu’on découvrit
qu’il était un espion du roi de Prusse à la cour de France et son
représentant auprès de Mme de Pompadour339. » |
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Le comte ne fut
certainement pas sans ignorer les contradictions du journal londonien. Il y
répondit implicitement en restant en Hollande. |
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Chapitre VIII : |
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Retour en Hollande |
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Le comte de
Saint-Germain ne s’était pas rendu en Allemagne ; « il errait depuis son
retour d’Angleterre, dans les provinces de la République et ses environs,
sous des noms supposés et en se cachant avec soin340. » Cette dernière information de l’ambassadeur de France, M.
d’Affry, n’était rien moins qu’exacte. Le comte se cachait si peu qu’il
habitait La Haye, rendait souvent visite à son ami, M. de Bentinck van Rhoon,
dans sa propriété de Leyde, et allait chaque semaine à Amsterdam, voir le
bourgmestre, M. Hasselaar. Il est vrai, cependant, que le comte se rendit à
Altona, près de Hambourg dans le courant d’août 1760341. Ce voyage fut de
courte durée, puisque nous trouvons dans la Gazette des Pays-Bas, à la date
du 12 janvier 1761, la note que voici : « Le soi-disant comte de
Saint-Germain, cet homme indéchiffrable, dont on ne sait au juste ni le nom,
ni l’origine, ni l’état, qui a des revenus sans qu’on sache d’où ils
proviennent, des connaissances sans qu’on sache où il les a acquises, des
entrées dans les cabinets des Princes, sans qu’aucun l’avoue et le réclame,
cet homme venu sur terre sans qu’on devine par où, est actuellement ici [La |
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Haye], ne sachant où poser le pied et comme exilé de tous les
pays. |
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« Il s’est adressé
dernièrement à M. d’Affry pour obtenir, par sa médiation la liberté d’exister
quelque part. |
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« M. d’Affry a
écrit en conséquence au maréchal de Belle-Isle342 dont la réponse porte que si le roi [Louis XV] voulait faire
justice en rigueur à M. de Saint-Germain, il lui ferait faire son procès,
comme à un criminel d’État ; mais que sa majesté voulant user d’indulgence,
se contentait d’ordonner à M. d’Affry, « de n’avoir aucun commerce ni liaison
avec lui, de quelque manière que ce puisse être c’est-à-dire, de ne point lui
écrire, ni répondre à ses lettres, ni lui permettre l’accès auprès de lui ». |
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Donc le comte de
Saint-Germain est bien à La Haye, à Leyde ou Amsterdam, suivant les
circonstances ; or l’ineffable Casanova, lui, l’a vu à Paris, et voici la
scène qu’il imagina s’étant rendu au bois de Boulogne avec Mme d’Urfé, avec
laquelle il eut une conversation sur les anges des planètes, « nous nous
acheminions, dit-il, vers la voiture quand tout à coup Saint-Germain s’offrit
à nos regards ; mais dès qu’il nous eut aperçus, il rebroussa chemin et alla
se perdre dans une autre allée. L’avez-vous vu ? lui dis-je. Il travaille
contre nous, mais nos génies l’ont fait trembler. — Je suis stupéfaite.
J’irai demain à Versailles pour donner |
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cette nouvelle au
duc de Choiseul. Je suis curieuse de voir ce qu’il dira… Le lendemain, je sus
de Mme d’Urfé la
plaisante réponse que lui avait faite M. le duc de Choiseul lorsqu’elle lui
avait annoncé la rencontre qu’elle avait faite du comte de Saint-Germain dans
le bois de Boulogne. Je n’en suis pas surpris, lui avait dit ce ministre,
puisqu’il a passé la nuit dans mon cabi-net343. » La réponse prêtée à M. de Choiseul par Casanova est
peut-être spirituelle mais ne rend pas véridique son anecdote. |
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Un autre incident,
mais celui-ci incontestable, se passa à La Haye, vers la fin de 1761. Un
nommé Jaco-tet vint trouver M. d’Affry « Prétendant que le comte de
[Saint-Germain] se cache dans Amsterdam et qu’il s’engageait à le faire
découvrir344. »
Tout d’abord l’ambassadeur de France crût sur parole ce Jacotet, mais ayant
appris à ses dépens que le renseignement ne valait rien, puisque le comte
était à La Haye, il considéra ce Jacotet comme un aventurier, d’autant plus
que ce dernier était poursuivi par deux honorables commerçants d’Amsterdam,
les sieurs Coq et Van-giens, à la requête de la veuve du chevalier Lambert,
de Paris. C’était en quelque sorte une vengeance de ce Jacotet contre les
amis du comte de Saint-Germain. |
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Six mois après, le
22 mars 1762, M. d’Affry informait M. de Choiseul que « sous le nom d’un
négociant d’Amsterdam nommé Noblet ; le comte avait acquis |
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une terre en
Gueldre nommée Huberg, que M. le comte de Welderen a vendue, et sur laquelle
il n’a pourtant encore payé, qu’à peu près 30.000 francs, argent de France345. » |
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M. d’Affry demanda
à notre ministre des Affaires étrangères s’il devait poursuivre le comte ou
bien le laisser tranquille ? La réponse de M. de Choiseul ne nous est pas
connue, mais il est probable que le ministre opta pour la seconde solution. |
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Le comte de
Saint-Germain habitait Ubbergen, petite ville hollandaise à proximité de la
frontière allemande, à très peu de distance de Nimègue. « Il avait établi
dans sa maison un vaste laboratoire dans lequel il s’enfermait des jours
entiers, absorbé par ses recherches sur les matières colorantes. On assure
même que la ville d’Amsterdam manifesta le désir de lui acheter le droit
exclusif d’utiliser ses découvertes, mais il refusa, ne voulant pas favoriser
plus spécialement une ville ou une province de la République. Il a rendu de
grands services à Gronsveld en l’aidant dans la préparation des couleurs pour
sa manufacture de porcelaines à Weesp, près d’Amsterdam346. » |
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D’autre part, le
comte avait acquis quelques domaines ruraux près de Zutphen, on pouvait
croire que sa vie d’aventures était terminée et qu’il se fixerait dans les
Provinces-Unies. |
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Si absorbé qu’il
fût par ses expériences, il entretenait une importante correspondance avec
tous les pays d’Europe, mais la France était toujours privilégiée, car il
avait conservé dans notre pays ses plus chers amis. |
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Est-ce par humour
ou pour avoir le dernier mot dans l’aventure de La Haye, que M. de Choiseul
écrivit à M. d’Affry le 4 août 1762 : « Nous avons puni le prétendu comte de
Saint-Germain de l’insolence et de l’imposture des propos qu’il avait tenus,
et il faut laisser à cet aventurier le soin de perfectionner le discrédit
général dans lequel nous l’avons fait tomber347. » |
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Cette satisfaction
morale n’était pour M. de Choi-seul qu’une sorte de « chant du cygne » ;
l’année suivante, il n’était déjà plus ministre des Affaires étrangères,
tandis que le comte de Saint-Germain reprenait à travers l’Europe le cours de
ses pérégrinations, et était partout reçu avec honneur et distinction. |
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Chapitre IX : |
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Apparition en Russie |
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Il est probable que ce
fut au printemps de l’année 1762 que le comte de Saint-Germain se rendit en
Russie. |
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Depuis le 5 janvier
de la même année, à la mort de l’impératrice Elisabeth, l’empire russe était
gouverné par Charles-Pierre Ulrich, duc de Holstein-Gottorp, sous le nom de
Pierre III. Ce prince, qui réunissait en lui le sang de Pierre Ier et de Charles XII,
avait épousé en 1745, Sophie-Auguste Frédérique d’Anhalt-Zerbst. |
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Dès le début de son
règne, Pierre III s’était aliéné le clergé en préférant le luthéranisme à la
religion grecque ; puis, suivant le projet de Pierre Ier, il avait réuni les terres de l’Église au domaine ; ensuite
il contraignit les prêtres à prendre le costume des pasteurs luthériens, fit
enlever des églises les images des saints, et enfin s’était abstenu de se
faire couronner à |
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Moscou, selon les
rites consacrés348.
De plus, il se fit des ennemis dans l’armée, par des innovations dangereuses,
à la manière de Frédéric II qu’il admirait. C’est alors que, par des propos
semés avec art, on le rendit suspect au peuple. |
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Au contraire, sa
femme, princesse allemande, qui avait pris le nom de Catherine, en embrassant
la religion grecque lors de son mariage, s’identifiait à sa patrie
d’adoption. Avec beaucoup d’adresse et de circonspection, armée d’une grande
intelligence, elle résolut de prendre le pouvoir, et pour cela se fit bien
voir des popes, sut attirer chez elle les gens qui pouvaient lui être utiles
pour l’accomplissement de son œuvre. Ainsi pas à pas, Catherine organisa la
conjuration qui devait l’amener sur le trône des tzars349. |
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Ce qu’il y a
d’étonnant dans cette révolution russe, c’est qu’elle se soit faite sans la
moindre opposition et sans qu’on ait été obligé d’employer la force. |
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Disons tout de suite pour couper court aux histoires |
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relatives à la
participation du comte de Saint-Germain aux faits qui marquèrent la fin
tragique de Pierre III, que le comte ne se trouvait plus à Saint-Pétersbourg
« qu’il avait quitté avant cette époque350, » et qu’au surplus, il n’eut aucun rapport ni de près ni de
loin avec Catherine II ; ajoutons que, après recherches faites dans le
journal officiel de la cour du temps, « son nom n’est pas cité parmi les autres351 ». |
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Le comte était venu
à Saint-Pétersbourg sur les instances de son ami, le célèbre peintre italien,
comte Pierre Rotari352. Le peintre habitait la Grafsky
pereont-lok (ce qui signifie petite rue), près du pont
Anitchkoff, sur la Newsky, où se trouve le palais impérial. Pierre Rotari,
que le comte connaissait depuis longtemps, était originaire de Vérone. Après
avoir parcouru l’Europe et acquis une fortune considérable, il vint à
Saint-Pétersbourg, appelé par l’impératrice Elisabeth pour être le peintre de
la cour. Aidé de ses élèves, |
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Pierre Rotari peignit de
1757 à 1762, environ trois cents portraits des plus jolies femmes de la cour353. |
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Passionné pour son
art, le comte Rotari n’avait qu’une idée : atteindre la perfection des
maîtres, mais il doutait d’y arriver. « Un jour, dans le grand parc de
Berlin, voyant un aveugle qui jouait supérieurement de deux giumbardes à la
fois, dont il tirait des sons d’autant plus harmonieux qu’ils ne sont pas
dans l’instrument même, le peintre s’écria : cet homme fait plus que moi, il
est le seul de son art, et malheureusement il y a des Carraches et des Guidis
avant de parvenir à la perfection354. » |
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Accompagné de
l’artiste, le comte de Saint-Germain fréquenta le salon des plus illustres
familles de Saint-Pétersbourg : les Razoumowsky et les Youssou-poff ; de même
qu’à Londres, il enchanta ses auditeurs par sa virtuosité sur le violon «
dont il se servait comme d’un orchestre ». On assure que le comte dédia à la
comtesse Ostermann un morceau de musique de harpe dont il était l’auteur355. |
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Le comte connut aussi
durant le peu de temps qu’il resta dans la capitale russe, un avocat de
Genève, |
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M. Pictet, qui
lui-même était reçu dans beaucoup de maisons. D’origine genevoise et
magistrat de police, M. Pictet, n’ayant pu être du conseil des Cent, à cause
de son jeune âge, vint à Paris, et de là s’engagea avec un Russe pour voyager
durant trois années. Étant à Vienne, il rencontra Grégoire Orlof et alla avec
lui à Saint-Pétersbourg. Dans cette ville, il trouva M. Magnan, négociant,
dont il épousa la sœur, et s’associa avec lui. Une affaire louche à laquelle
il fut mêlé, lui valut bien qu’innocent, une médiocre réputation. Il avait
cependant de l’esprit et des connaissances. |
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Ce n’était pas
surtout M. Pictet que le comte fréquentait, mais son beau-frère, M. Magnan,
lequel s’occupait d’achat et de vente de pierreries. Ce dernier mettait à
part toutes les pierres auxquelles il manquait quelque qualité et les
remettait au comte afin que celui-ci puisse leur donner l’éclat voulu356. |
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Au bout de trois
mois357, le comte
regagna Ubber-gen et reprit ses travaux, après avoir fait ses adieux à son
ami Pierre Rotari qu’il ne devait plus revoir. |
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Avant de poursuivre les
incidents de la vie du comte de Saint-Germain, ouvrons ici une parenthèse. |
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Deux écrivains de nos jours358 ont voulu identifier |
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notre personnage avec le
nommé Odard, qui joua un rôle connu à Saint-Pétersbourg, à la même époque. |
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D’après les Mémoires de la Princesse Daschkol,
dame d’honneur de Catherine II et troisième fille du chancelier Voronzof,
considérée surtout comme l’âme de la révolution de 1762, nous apprenons que «
parmi les étrangers qui vinrent chercher fortune à Saint-Pétersbourg était un
Piémontais du nom de Odard qui, sur la recommandation du gouverneur du
grand-duc Paul, Nikita Panine, d’origine italienne, obtint d’être nommé
avocat près la chambre de commerce de la ville. C’était un homme d’un certain
âge, à l’aspect maladif, mais l’air rusé. Toutefois, l’ignorance de la langue
russe le rendit incapable de tenir son emploi. Odard essaya par la suite de
se faire admettre comme secrétaire auprès de l’impératrice, avec l’appui de
la princesse Daschkof, mais la tentative échoua. Enfin, par l’intermédiaire
du grand chambellan, comte Stro-gonof, il parvint à une place peu rémunérée
d’intendant, dans la maison de plaisance de Pierre III, à Ora-nienbaum. La
princesse Daschkof ajoute qu’elle n’a été qu’une seule fois en rapport avec
Odart et que durant les trois semaines qui précédèrent la révolution, elle
n’eut aucun contact avec lui359. » |
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Ces quelques renseignements nous semblent suffi- |
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sants pour que
l’intrigant Odard ne soit pas confondu avec notre personnage. |
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Chapitre X : |
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M. de Surmont, industriel |
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L’année 1763 marque
pour le comte de Saint-Germain la cessation des poursuites intentées contre
lui par le duc de Choiseul, au titre de ministre des Affaires étrangères de
France, celui-ci n’étant plus que ministre de la Guerre. La raison en est la
suivante : Si la paix signée à Hubersbourg, le 15 février, entre l’Autriche,
la Prusse et la Saxe finissait la guerre de Sept ans, le traité paraphé, le
10 du même mois, à Paris, entre la France et l’Angleterre mettait fin à la
guerre maritime. On se souvient que c’est à cause de pourparlers concernant
ce traité que le comte de Saint-Germain fut poursuivi par M. de Choiseul. |
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Le comte pouvait
donc reprendre en toute sûreté sa liberté d’aller et venir en Europe, ce
qu’il fit mais en changeant de nom. Comme il avait acheté, en Hollande, près
de Nimègue, le domaine de Ubbergen, il en |
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francisa le nom pour son usage et devint ainsi M. de Surmont. |
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C’est dans les
premiers jours de mars qu’il se dirigea vers la Belgique appelée à cette
époque les Pays-Bas catholiques, et sous la domination de la maison de
Habsbourg. |
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En passant à
Bruxelles360, M.
de Surmont alla rendre visite, un soir, très tard, car il ne sortait jamais
la journée361, à M. de Cobenzl362, ministre plénipotentiaire de l’impératrice-reine
Marie-Thérèse, près le gouverneur général, le prince Charles de Lorraine. Il
n’ignorait pas qu’en 1746, M. de Cobenzl avait été le correspondent bénévole
du prince de Galles, Frédéric-Louis, fils aîné de Georges II d’Angleterre363, |
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et comme nous
l’avons dit, M. de Surmont ayant été l’ami du prince, il fut facile pour lui
de se présenter à l’hôtel Mastaing, et d’être admis chez le ministre. Ce qui
n’empêchera pas le neveu de M. de Cobenzl d’écrire plus tard : « Il
s’introduisit auprès de mon oncle d’une façon très mystérieuse, grâce à des
lettres de recommandation, je ne sais pas de qui364. » |
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M. de Cobenzl reçut
M. de Surmont dans son grand cabinet. Les murs étaient ornés de quatre
grandes pièces de savonnerie, représentant l’histoire de Psyché. Au milieu de
la pièce trônait une magnifique table-bureau à pied de biche, incrustée de
porcelaine de Sèvres, avec écritoires d’argent et de Sèvres. Dans les
encoignures, des meubles précieux surmontés de porcelaines les plus rares. |
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M. de Surmont se
rendit compte qu’il avait devant lui un amateur d’art et quand il apprit que
celui-ci possédait une collection de tableaux remarquables, il lui exprima
son admiration, « et comme je suis très susceptible pour l’amitié, dira M. de
Cobenzl, je lui ai témoigné la mienne365. » |
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« Un jour que le
ministre disait que peu de particuliers pouvaient se vanter de posséder un
Raphaël authentique M. de Surmont répondit que c’était peut-être juste, mais
que dans sa collection il en avait et, comme preuve, quinze jours ou trois
semaines après, arriva un tableau dont il fit cadeau à M. de Cobenzl |
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comme provenant de
sa collection, et quelques artistes de Bruxelles à qui ce dernier montra ce
tableau, déclarèrent que c’était un Raphaël authentique. |
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M. de Surmont ne voulut
pas le reprendre et le pria de l’accepter en signe d’amitié. |
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« Une autre fois,
il montra à M. de Cobenzl un gros solitaire, qui avait des taches et dit
qu’en peu de jours il le rendrait sans défaut. Et effectivement, quelques
jours après, il apporta un solitaire, taillé de la même manière, qui était
impeccable et sans taches, en assurant que c’était la même pierre. Après que
M. de Cobenzl l’eut admiré et examiné, il voulut lui rendre la pierre, mais
M. de Surmont ne voulut pas la reprendre et dit qu’il avait assez de diamants
desquels il ne savait que faire, et pria le ministre de garder celui-ci comme
souvenir. Ce dernier qui ne voulait accepter aucun cadeau, se débattit
longtemps, mais devant l’insistance de son hôte finit par se laisser
convaincre366. »
Les premières impressions laissées par M. de Surmont sur M. de Cobenzl furent
les suivantes : « J’ai trouvé en lui l’homme le plus étrange que j’ai connu
dans ma vie. Il possède de grandes richesses et vit très simplement ; il est
d’une probité |
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étonnante et
possède une bonté digne d’admiration. Il a une connaissance approfondie de
tous les arts. Il est poète, musicien, écrivain, médecin, physicien,
chimiste, mécanicien peintre, bref il a une culture générale, comme je n’en
ai pas trouvé chez aucun homme367. Et comme il était intéressant avec toutes ses connaissances,
j’ai passé des heures agréables avec lui. Une seule chose que je peux lui
reprocher, c’est de se vanter trop souvent de ses talents et de ses origines368 » |
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Leur point de
contact étaient les connaissances de M. de Surmont en peinture et en dessin.
La conversation, un soir s’engagea un peu plus loin et celui-ci vint à parler
de ses découvertes. M. de Cobenzl lui ayant témoigné son incrédulité, il fit
devant lui et quelques amis « Plusieurs expériences, dont l’une consistait à
transformer un morceau de fer en un métal aussi beau que l’or369 et les autres, en
divers procédés de teinture et de tannage du cuir370. » |
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Ces expériences
eurent lieu à Tournai chez l’expert-fabricant Rasse, homme de confiance de M.
de Cobenzl. M. de Surmont voulut bien les renouveler |
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quelques jours
après, en procédant cette fois en ce qui concerne la teinture, sur la laine,
la soie et le bois. « Il teignit entièrement du bois, de couleurs si
vivantes, sans indigo ni cochenille, puis passant aux couleurs elles-mêmes,
fit de l’outremer aussi irréprochable que celui qui est extrait du
lapis-lazuli. Finalement il prit de l’huile ordinaire, de noix ou de lin, que
l’on emploie pour la peinture, lui enleva l’odeur et le goût, et en fit la
meilleure huile comestible qui soit371 » |
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M. de Cobenzl, en
protecteur éclairé du commerce des Pays-Bas, s’enthousiasma devant un tel
résultat, et comme le sens des affaires était inné en lui, il résolut d’en
tirer des subsides pour le trésor impérial. Après avoir fait examiner
soigneusement et rigoureusement tous les procédés de M. de Surmont, il mit ce
dernier en rapport avec Mme de Nettine, trésorière de la cour. |
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Mme de Nettine372 ne fut « pas moins enthousiaste que moi de ses talents » dira
M. de Cobenzl. De son |
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côté, M. de Surmont
« lui a témoigné la plus grande amitié ainsi qu’à sa famille ; de ces faits,
nous avons conclu qu’il dépendait que de nous, de nous approprier tous ses
procédés secrets. Aussi nous sommes nous mis avec ardeur à examiner leur
utilité, et nous avons trouvé que plus d’un de ses échantillons étaient
remarquables. Son métal, la teinture du bois qui est plus beau que ce qui se
fait en France, ses cuirs peuvent être d’une grande valeur, ainsi que ses
chapeaux peuvent être un article très important. » |
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Et M. de Cobenzl
ajoute avec quelque cynisme : « Il n’y a pas d’autres moyens de s’approprier
ces procédés que de consentir à l’installation d’une usine, mais cela
nécessite des dépenses373. » |
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Mme de Nettine avec son
empressement habituel se lança dans l’affaire, en avançant les fonds
nécessaires, et en principe, la manufacture fut fondée à Tournai dans le
local du négociant Rasse, chez qui M. de Surmont logeait quand il venait pour
ses travaux. C’est durant un de ses séjours à cet atelier que se déroula la
scène « fantaisiste » que Casanova a narrée dans ses Mémoires : |
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« Sur la route de
Tournai, dit Casanova, j’aperçois deux palefreniers qui conduisaient de
superbes chevaux. Ils me dirent que cet attelage appartenait à M. le comte de
Saint-Germain. |
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— Je désirerais être présenté à votre maître. |
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— Il ne reçoit personne. |
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Cette réponse me
décida à tenter l’aventure. J’écrivis au comte en lui exprimant le vif désir
que j’éprouvais de le voir. Sa réponse, écrite en langue italienne, et que
j’ai encore sous les yeux, était ainsi conçue : « Mes occupations me mettent
dans la nécessité de refuser toute espèce de visite, mais vous faites
exception à la règle. Venez donc, vous serez introduit sur-le-champ.
Seulement, ne vous nommez pas à mes gens. Je ne vous invite pas à partager ma
table : elle ne vous conviendrait pas, surtout si vous avez conservé votre
ancien appétit. » |
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Je me trouvais à
huit heures à la porte du comte. Il était en robe d’Arménien374, en bonnet pointu ;
une barbe épaisse et longue lui descendait jusqu’à la ceinture, et il tenait
en main une petite baguette d’ivoire. Autour de lui, j’aperçus une vingtaine
de bouteilles méthodiquement rangées, toutes remplies de différents élixirs.
Je cherchais quelle pouvait être son occupation avec ce costume et au milieu
de cette pharmacie, lorsqu’il me dit avec un grand sérieux : |
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— C’est le comte de
Cobenzl, premier ministre d’Au-triche375, qui me donne de l’occupation. Je travaille, pour lui plaire,
à l’établissement d’une fabrique. |
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— De verres ? |
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— De chapeaux. Son
Excellence n’a encore daigné m’accorder que mille florins pour cette
gigantesque entreprise, mais je comble le déficit au moyen de mes propres
deniers. |
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— Vous attendez beaucoup de cette fabrique ? |
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— Encore deux ou trois
ans, et pas une tête en Europe qui ne soit coiffée de mes mains. |
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— Ce sera un grand résultat. |
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— Immense ! |
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— Et il se mit à
parcourir la salle en se frottant les mains avec une vivacité de jeune homme. |
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— Il est fou, pensais-je. |
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— À propos, dit-il, avez-vous des nouvelles de la marquise
d’Urfé ? |
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— Elle est morte. |
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— Morte ! Je savais bien
qu’elle devait finir ainsi376. Et dans quel état est-elle morte ? |
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— Elle prétendait être enceinte. |
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— J’espère que vous n’en croyez rien. |
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— Je suis convaincu de son erreur. |
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— À la bonne heure ;
mais, me consultant, elle l’eût été en effet. Seulement, il m’eût été
impossible de |
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prédire le sexe de
l’enfant. J’avoue humblement que ma divination ne va pas jusque-là. |
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— M. le comte conseille les femmes en couches ? |
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— Je donne des
consultations pour toute espèce de maladie… Seriez-vous malade, par hasard ?
Effectivement, vous avez la langue sèche, le pouls dur et les yeux gonflés ;
c’est une pituite. |
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— Hélas ! non, c’est… Et je lui nommai ma vilaine maladie. |
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— Bagatelle !
reprit-il en me mettant dans les mains une petite bouteille pleine d’une
liqueur blanche qu’il appelait l’archée universelle. |
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— Que ferai-je de cette liqueur ? |
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— Ceci vous semble
une liqueur et n’en est pas une. C’est le simulacre du virus qui infecte vos
veines. Prenez cette aiguille et percez le cachet de cire qui ferme la
bouteille. |
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J’exécutai ce qu’il me prescrivait. |
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— Eh bien, reprit-il, en se rengorgeant, qu’en pensez-vous ? |
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Je ne savais que penser. |
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— Regardez ce qui reste
dans la bouteille. Il n’y a plus rien, n’est-ce pas ? La substance blanchâtre
s’est |
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évaporée. De même, en
vous piquant à un certain endroit, tout votre mal s’évaporera.. |
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On pense bien que je me
refusai à l’opération. L’opérateur en parut contrarié. |
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— Vous êtes le
premier homme qui doute de moi. Je pourrais vous en faire repentir, mais je
suis humain. Je suis, comme le Père éternel, tout puissant et tout
miséricordieux. Il est fâcheux pour vous de m’avoir témoigné si peu de
confiance. Votre fortune était assurée. Avez-vous quelque argent en poche ? |
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Je vidai mon
gousset dans sa main. Il ne prit qu’une pièce de douze sous ; puis, la posant
sur un charbon ardent, il la couvrit d’une fève noire. Pendant qu’il attisait
le feu en soufflant à. travers un tube en verre, je vis la pièce rougir,
s’enflammer, entrer en fusion. Puis, quand elle fut refroidie il me dit en
riant : |
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— Voici votre pièce, prenez là : la reconnaissez-vous ? |
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— Comment, c’est de l’or ! m’écriai-je. |
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— Du plus pur377. |
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Ma raison ne me
permettait de croire au prétendu miracle, et je considérai cette
transmutation comme le tour d’adresse d’un joueur de gobelets, mais sans lui
en rien dire. Cet homme était si heureux de sa folie. |
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— Cela est si
extraordinaire, monsieur le comte, que, s’il vous est arrivé de répéter
souvent le miracle, vous aurez dû trouver souvent des incrédules. |
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— Qui
doute de ma science et de mon pouvoir n’est pas digne de me regarder en face. |
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Je le regardai fixement. |
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—
Vous êtes un digne homme ; revenez me voir dans quelques
années. Et il me congédia en me serrant la main378. » |
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Laissons l’astucieux
mémorialiste Casanova poursuivre sa route vers Bruxelles et revenons à
Tournai. |
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Comme à point
nommé, la fabrique de porcelaine de Péterinck passait par de nouveaux
embarras. L’un des associés avait mal géré ses affaires,
et sa part, dans |
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la fabrique était à
reprendre, M. de Cobenzl résolut de remanier l’établissement379. Il demanda au
prince Charles de Lorraine le droit d’utiliser une partie de la fabrique pour
le peignage de la soie et la teinturerie en général, et obtint une concession
de terrain380 afin d’adjoindre de nouveaux bâtiments à la fabrique, en fait
une tannerie et une manufacture de chapeaux. |
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« Le fils cadet de
Mme de Nettine
âgé de 15 ans381, et son gendre M. Walckiers382, vont diriger celle entreprise qui s’annonce des plus
intéressantes et sans grands risques. La direction du personnel sera assurée
par M. Rasse ; ma sous-direction, par M. de Lan-noy et le secrétariat, par le
fils de ce dernier »383. |
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D’ores et déjà, M.
de Cobenzl prévoyait « un gain de un million étant donné que deux des plus
importants commerçants de Tournai, Barbieri et Francolet, désirent lui
confier toutes leurs soieries à teindre, c’est dire que celle affaire va être
d’une très grande importance pour la prospérité de la monarchie384. » |
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Mais que devenait
l’inventeur dans ces futurs bénéfices ? M. de Cobenzl avait profité de
l’amitié que lui témoignait M. de Surmont pour lui soutirer tous ses |
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secrets, et bien
mieux, « ces secrets, on les lui abandonne sauf à prétendre à une part
proportionnée du bénéfice385. » |
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C’est alors que le
ministre plénipotentiaire écrivit au ministre de la cour à Vienne, M. de
Kaunitz, afin de l’intéresser dans l’affaire et obtenir, par son
intermédiaire, la participation de l’ État aux frais nécessités par les
achats de maisons et d’outillage. Si celui-ci se déclara satisfait
d’apprendre l’appui bancaire de Mme de Nettine et le rôle administratif de M. Walckiers, il se
montra réticent quant à l’affaire elle-même : « un modèle n’est pas une
machine et une expérience en petit ne prouve rien en faveur d’une usine dont
l’installation est très coûteuse et les capitaux investis très incertains386, » puis il s’étonna
du choix de la ville de Tournai, trop ville-frontière pour l’établissement
d’une usine ; ce à quoi M. de Cobenzl répondit : « que le coût de la vie à
Tournai était très bon marché et que loin de Bruxelles on n’a pas à craindre
les difficultés qui pourraient naître avec les diverses corporations de cette
ville387.
» |
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M. de Kaunitz ne
s’en tint pas à ses observations techniques, il informa M. de Cobenzl de tous
les bruits qui couraient sur M. de Saint-Germain, entre autres l’anecdote
suivante : « En 1759, à Paris, un homme qui était, paraît-il, un proche
parent d’un des |
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admirateurs du
comte, obtint, par sa ténacité, l’autorisation de le surprendre chez lui. Il
lui rendit visite et le trouva dans un logis bien sale et quand il l’eut
questionné sur ses inventions, le comte lui montra quelques échantillons de
couleurs et un vieux bouquin de magie dans lequel il y avait des formules
absolument sans valeur388 ; » ce qui était manifestement faux quant au logis, le comte
de Saint-Germain ayant habité à Paris dans l’hôtel de la veuve du chevalier
Lambert, visité maintes fois par M. de Gleichen, à qui ces particularités
n’auraient pas échappé. On disait aussi que le comte avait acheté à M. de
Saint-Florentin une propriété d’une valeur de 1.800.000 fr. qu’il ne put
payer et finalement quitta la France. |
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En réponse, M. de
Cobenzl fit valoir que M. de Surmont « avait des valeurs engagées chez un
armateur de Copenhague, pour plus d’un million et qu’en outre où il a été il
a distribué des cadeaux magnifiques, dépensé énormément, n’a jamais rien
demandé à personne, ni laissé de dettes389. » |
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Le 27 mai, le
ministre fit parvenir à M. de Kaunitz, tous les échantillons : métal et
teintures sur soie, laine, cuir et bois. « J’ai fait les petits paquets, en
laissant dessus les inscriptions faites par l’inventeur et les explications
qu’il a données390.
» |
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Deux jours plus tard, le 29 mai, M. de Surmont par- |
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tit pour Tournai
avec le jeune vicomte de Nettine afin que ce dernier soit mis en possession
de tous les procédés secrets, et à son retour un projet de contrat fut rédigé
entre lui et son commettant, M. de Cobenzl : |
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« Le comte de
Surmont, durant toute sa vie, sera intéressé à la manufacture de Tournai,
érigée actuellement par moitié. |
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« Des bénéfices qui
lui reviennent seront soustraits les sommes qui lui ont été avancées et les
dépenses qui ont été faites pour lui. Après le remboursement de ces sommes,
il disposera librement de ses bénéfices. |
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« Le comte s’engage
envers M. de Cobenzl de lui remettre les données pour la fabrication du bleu
et vert, pour raffiner les huiles, le plissage du cuir pour fabriquer les
chapeaux ou autres modes d’emplois qu’il connaît, ainsi que tout autre
procédé secret ou moyen approprié pour amener la manufacture au plus haut
degré de perfection »391. |
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Toutefois avant que
ce contrat fût signé, Mme de Nettine s’était rendue à Paris pour consulter deux de ses
gendres : le marquis de Laborde392 et M. de Lalive de Jully393 ; dans ses démarches, « elle n’apprit rien de défavorable sur
le comte de Saint-Germain et acquit |
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l’assurance que l’on
avait nulle crainte, à avoir de la part d’aucune entreprise394. » |
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Rien ne s’opposait
donc à la validation de l’accord lorsque parvint le 8 juin, datée de Vienne,
une dépêche adressée à M. de Cobenzl par M. de Dorn395, par laquelle il était fait part que M. de Kaunitz pris de «
violentes coliques » (en l’espèce, maladie diplomatique) avait chargé le
susdit, conseiller à la cour, de communiquer à son excellence « que tous les
travaux préliminaires, qui devraient être déjà en cours pour la production en
gros, doivent être arrêtés et qu’il n’y a pas de possibilité de conclure
quoique ce soit avec M. de Surmont, tant que nous ne sommes pas en état de
vous transmettre l’ordre exprès de Sa Majesté à ce sujet ». |
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C’était l’éviction
pure et simple de M. de Surmont. À cette mise en demeure, M. de Cobenzl
changea complètement de ton vis-à-vis de l’inventeur, et bien que le
bourgmestre Hasselaar soit venu en personne d’Amsterdam à Bruxelles pour
répondre de son ami, rien ne le fit revenir sur sa décision396. Bien plus, M. de
Surmont ayant fait venir de Hollande divers objets précieux en garantie de
l’argent avancé par |
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Mme de Nettine, M. de
Cobenzl prétendit : « que ces objets n’avaient qu’une valeur insignifiante,
et ceux qui restent en Hollande se composent de tableaux que lui [M. de
Surmont] estime très cher, mais en réalité n’ont pas grande valeur397 ; » et ajouta, montrant ainsi son
manque de bonne foi : « de sorte que nous ne pouvions que souhaiter de nous
débarrasser de lui et nous emparer de ses inventions le moins cher possible,
et d’éviter toutes autres dépenses et lui enlever la direction de l’entreprise398. » |
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Pour arriver à ce but, M.
de Cobenzl rédigea un « mémoire » des dépenses engagées : |
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Dépenses pour la teinturerie et le dépôt ..... 56.135 |
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la tannerie.......................... 19.300 |
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l’usine de chapeaux ................... 5.700 |
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Maison pour le comte .................... 13.500 |
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Dépenses diverses ........................ 5.300 |
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Total général en Gulden .............. 99.935 |
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À ces dépenses vint se joindre le compte spécial de M. de
Surmont : |
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Avances diverses de Mme de Nettine399 ....... 81.720 |
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Débours de M. Rasse et de
Mme de Nettine
pour l’entretien du comte, ainsi que pour |
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ses voyages à Tournai, etc................. 12.280 |
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Soit : Gulden ........................94.000 |
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soit au total près
de 200.000 Gulden400, et M. de Kaunitz, devant cette dépense exagérée, refusa le
concours du gouvernement. M. de Cobenzl suggéra alors que Mme de Nettine pourrait
reprendre l’affaire à son compte, ce qui fut tout de suite accepté et
approuvé par l’impératrice Marie-Thérèse sur les conclusions de son
chancelier, conclusions que voici : « Il résulte comme évident et absolument
indispensables, que ces entreprises téméraires 401 ne répondent point aux exigences de l’État, ni par leur
nature même, ni par la gérance qu’elles nécessitent, ni par leur activité.
Mais comme Mme de Nettine a, de sa poche, fait les folles avances de 200.000
Gulden402 |
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et qu’elle désire
reprendre ces usines à son compte403, il serait juste et équitable que Votre Majesté les lui
abandonne et charge, en même temps, son gouvernement de lui donner toutes les
facilités et l’aide qui sont compatibles avec les intérêts des finances de
l’État et conciliant ceux du pays en général404. » |
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L’Impératrice
Marie-Thérèse écrivit aussitôt au gouverneur général des Pays-Bas, le prince
Charles de Lorraine : « Mon chancelier de cour et d’État m’a fait un rapport
sur toute sa correspondance avec le comte de Cobenzl au sujet des soi-disant
procédés secrets pour fabriquer et manufacturer qu’un certain Surmont dit
posséder, ainsi qu’au sujet de la manufacture que le comte de Cobenzl a en
conséquence déjà montée à Tournai, avec l’assentiment de votre altesse..,
j’autorise votre altesse à accorder à Mme de Nettine les autorisations voulues et de lui donner toutes
les facilités et l’aide qui peuvent s’allier avec |
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les intérêts de mes finances et le bien de mes provinces
belges405. » |
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On voit que M. de
Cobenzl avait agi le plus adroitement du monde, en cela aidé par M. de
Kaunitz, en présentant cette « affaire excellente » comme une escroquerie «
industrielle406,
» montée par M. de Surmont. Il en résulta que ce dernier dut quitter Tournai
le plus rapidement possible : |
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« J’attends, écrit
M. de Cobenzl, la nouvelle du départ de M. de Surmont et espère que Mme de Net-tine pourra
récupérer les grandes avances qu’elle a faites. Certainement dans les
procédés secrets, il y a du bon ; du moins, on l’a déjà constaté dans la
fabrication des chapeaux et dans la tannerie, et tous nos marchands en
soieries et toiles de lin trouvent les tissus teints merveilleux407. » |
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Alors pourquoi
toute cette mise en scène ? Mystère. Nous sommes comme M. de Kaunitz : « Je
ne comprends pas très bien ce que la phrase de votre rapport du 2 courant,
signifie : “J’attends aujourd’hui la nouvelle du départ de M. de Surmont”.
Part-il volontairement ou le chasse-t-on enfin ? Dans le premier cas, il
pourrait bien non seulement emporter avec lui l’argent de Madame de Nettine,
que je plains sincè- |
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rement, mais garder
aussi par-devers lui, la libre disposition de ses beaux procédés secrets.
Dans le deuxième cas, il est à espérer qu’on a pu encore lui avoir arraché le
secret sur le raffinage des huiles408. » |
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« M. de Surmont n’a
pas été chassé, répond M. de Cobenzl, mais en attendant la décision, si S. M.
prendrait elle-même la manufacture ou la laisserait à Mme de Nettine, cette dernière avait gardé son fils à Tournai
pour apprendre tous les procédés secrets de M. de Surmont. Comme on avait
tout appris de lui de ce qu’il savait et que sa présence n’était plus
nécessaire, je lui ai écrit au reçu des très hauts ordres, que S. M. ne
voulait rien entendre quant aux procédés secrets. En même temps, le jeune
Nettine lui a fait savoir, que sa mère gardait la manufacture pour se couvrir
de ses avances, mais qu’elle n’en ferait plus. Il s’est alors décidé à partir
en déclarant, toutefois, qu’il rembourserait le tout au courant des quelques
mois à venir409. » |
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« D’autre part, on
pouvait utiliser ses procédés secrets et, au cas où l’on ait besoin d’une
explication quelconque, il serait prêt à la donner, où qu’il se trouve. Il
est parti pour Liège et s’adressera probablement au Margrave de Bade-Durlach,
à Carlsruhe410. Mme de Nettine espère
encore récupérer au moins une partie de ses avances »411. |
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C’est ce qui
arriva. Et si pour M. de Kaunitz : « le cas de M. de Surmont était liquidé412, » pour Mme de Net-tine
l’affaire devenait excellente : « la manufacture fondée à Tournai commence à
se développer. Je crois, écrit M. de Cobenzl, que Mme de Nettine pourra y retrouver son compte, ou tout au moins
rentrer dans ses frais413. » |
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Ainsi se termina la
soi-disant escroquerie « industrielle » qui eut son heure de célébrité dans
la ville de Tournai. |
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Chapitre XI : Douze ans de silence |
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Après avoir quitté
Tournai, le comte de Saint-Germain partit pour Liège. Alla-t-il à Carlsruhe,
chez le margrave de Bade-Durlach, comme l’indique M. de Cobenzl, nous
l’ignorons. Cependant ce qui est vraisemblable, c’est qu’il se rendit en
Italie. Peu de documents existent sur le séjour qu’il fit en ce pays. Un de
ses biographes occasionnels nous dira toutefois « que l’Italie le trouva
digne de ses virtuoses et le considéra comme l’un des plus fins connaisseurs
de son art ancien et moderne414. » |
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Un des rares
documents que nous possédions sur ce séjour est constitué par les quelques
pages que lui a consacrées le comte de Lamberg dans le Mémorial
d’un mondain415, mélange de souvenirs sur
l’Italie, les Italiens et la Corse. |
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À vrai dire nous
sommes prévenus sur la valeur de ce document par le comte de Saint-Germain
lui-même ; en effet, un de ses amis, le comte de Schag-man, lui demandant un
jour ce qu’il pensait de l’auteur de l’ouvrage ci-dessus, s’attira cette
réponse |
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catégorique : « C’est un fou, il n’a pas l’honneur de me
connaître416. » |
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Quel était donc le
personnage sur qui le comte émettait un jugement aussi sévère ? |
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Le comte Maximilien
de Lamberg417,
surnommé Democrites Dulcior418 par ses
contemporains, après avoir été diplomate, joua au savant et finit
littérateur. Malgré ses divers talents rien n’est plus vrai à son égard, que
la remarque du comte de Saint-Germain. Ignorant à peu près tout du comte, M.
de Lam- |
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berg rapporta dans
son ouvrage des anecdotes plus que douteuses. Il se peut qu’il ait entrevu le
comte de Saint-Germain, en 1760, à Versailles419, mais il est certain que vers 1761, il fit la connaissance, à
Augs-bourg, de Casanova420 ; et de leurs conversations est, peut-être, né le tissu de
mensonges qu’ils se plurent à débiter l’un et l’autre sur le comte421. |
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Quoi qu’il en soit,
M. de Lamberg vint à deux reprises en Italie. En 1764, il était à Venise, en
compagnie de son maître, le prince de Wurtemberg, pour complimenter Aloisio
Mocenigo, le nouveau doge, élu l’année précédente. En 1770, il se trouvait à
Florence pour son plaisir, de même qu’en 1773, à Venise. Ses anecdotes ont
donc leurs places à ces trois dates. Nous ne les citons qu’à titre
documentaire attendu |
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qu’elles sont inexactes d’après l’avis du comte de
Saint-Germain. |
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« Un personnage
rare à voir, dit-il, c’est le Marquis d’Aymar ou Belmar, connu sous le nom de
Saint-Ger-main422
: il demeure depuis quelque temps à Venise, où il s’occupe au milieu de cent
femmes, qu’une abbesse lui fournit, à faire des expériences sur le lin qu’il
blanchit, et qu’il rend égale à la soie crue d’Italie : il croit avoir trois
cents (sic) cinquante
ans ; et pour ne pas trop exagérer peut-être, il dit avoir connu Thamas Koulikan423 en Perse. Lors de l’arrivée du duc d’York à Venise, il
demanda au Sénat le rang sur ce prince, et donna pour raisons que l’on savait
qui était le duc d’York, mais qu’on ignorait encore les titres du Marquis de
Belmar424.
» |
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Un seul
renseignement est exact dans cette anecdote, celui concernant la venue à
Venise, en mai 1764, d’Édouard-Auguste, duc d’York, frère de Georges III
d’Angleterre, en l’honneur duquel de grandes fêtes furent données. |
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À l’époque, cette ville
était le refuge de tout personnage qui désirait se cacher, le masque était
invio- |
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lable, et le
gouvernement laissait à chacun de se conduire à sa guise, si on ne se mêlait
ni de politique ni de religion. |
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M. de Lamberg continue ainsi son histoire : |
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« Il [le comte]
donna une papillote425 à un de ses amis ; auquel un banquier, qui ne connaissait pas
le Marquis, paya à vue deux cents ducats comptant. Je demandais s’il
retournerait en France ; il m’assura d’un air de conviction, que la bouteille
qui soutenait le Roi dans l’état de vigueur où il est, devait être à sa fin,
qu’à la suite de cela, il remonterait sur le théâtre par un coup d’éclat qui
le ferait connaître à toute l’Europe. Il doit avoir été à Pékin, sans s’y
donner de nom du tout ; et comme la police le pressa de se nommer, il s’excusa
sur ce qu’il ne savait pas lui-même comment il s’appelait… |
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« Il recevait même
à Venise des lettres sur l’enveloppe desquelles il n’y avait que le simple
mot, Venise ; le reste était
en blanc ; et son secrétaire demandait simplement à la poste les lettres qui
n’étaient à personne426. » |
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M. de Lamberg prétendit
que le comte de Saint-Germain lui aurait fait voir : |
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« Dans un espèce d’album, où se trouvaient plusieurs |
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signatures d’hommes
célèbres, deux mots latins de mon aïeul Gaspard-Frédéric, mort en 1686, avec
les armes blasonnées, et l’inscription que voici : Lingua
mea calamus scribae velociter scribentis427. L’encre et le papier même très
rembruni et brouillard me paraissaient anciens. La date est de 1678 ; un
autre extrait de Michel Montaigne est de l’année 1580 : « Il n’est homme de
bien qui mette à l’examen des lois toutes ses actions et pensées, qui ne soit
pendable dix fois en sa vie : voir tel qu’il seroit très grand-dommage et
très injuste de punir et de perdre428. » |
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Tout en traitant à
la légère le comte de faussaire sous le prétexte d’une citation latine : habes scientiam quaestuosam429, M. de Lamberg avance que : |
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« Les deux
inscriptions en question feraient croire à l’âge du Marquis, si la nature de
l’homme ne prouvait contre430 : à toutes ses époques, on est rarement à même d’y relever
une erreur ; il cite à leur place des dates très reculées, et ce n’est point
avec présomption qu’il affirme : c’est un homme rare qui surprend ; et ce qui
fait plaisir, c’est qu’il résiste à la critique : il joint le talent de
persuader, à une érudition peu ordinaire, |
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et la mémoire la
plus étendue, quoique locale. St. Germain dit avoir enseigné à Wildman le secret d’apprivoiser les abeilles, et de rendre les
serpents attentifs à la musique et au chant431. » |
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Continuant son
histoire, M. de Lamberg affirme avoir reçu, à Venise en 1773, une lettre du
comte de Saint-Germain, expédiée de Mantoue. Que celui-ci se soit trouvé dans
cette ville à l’époque indiquée, c’est fort possible, mais en tout cas, la
lettre qui suit est sans doute sortie de l’imagination du pamphlétaire. |
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Parlant de la fabrication
des pierres précieuses, M. de Lamberg fait dire par notre personnage : |
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« Le comte Zobor, chambellan de l’empereur défunt (prince immortel pour les
qualités augustes jointes à la protection qu’il accorda aux arts432), en a fait [un
diamant] avec moi : le prince T… en acheta un, il y a six ans environ, pour
5.500 louis, qui est de ma facture ; il l’a revendu depuis à un riche fou
avec mille ducats de profit : il faut effectivement être roi ou fou, dit le
comte de Barre433 pour employer des sommes considérables à l’achat d’un
diamant. Comme ailleurs les fous au jeu d’échecs sont les plus près des rois,
le proverbe grec : βαζιλευς η ονος, roi ou âne… et celui, aut Regem
aut fatuum nasci oportet434, ne scan- |
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dalisent personne.
Mad. de S*** en a un de la même eau bleuâtre, aussi mal taillé que le
premier, et qui paraissait dans le chaton un gros verre de Bohême à facettes
ternes… Or, M., un homme comme moi se trouve souvent fort embarrassé dans le
choix de ses pratiques ; … L’homme éventuel, au reste, donne souvent à la
nature certains élans dans les arts, seuls dûs aux artistes. Un Pott435, un Margraf436, Rouelle437, décident sur leur
trépied, que personne n’a fait des diamants, parce qu’ils ignorent des
principes opposés aux réussites. Que tous ces Messieurs (car il en est une
horde entière) étudient plus les hommes que les livres, ils leur découvriront
des mystères introuvables dans La chaîne dorée
d’Homère 438, dans le Petit Albert, dans le Grand 439, dans le mystérieux volume Pica- |
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trix440, etc. ; les grandes découvertes ne se présentent qu’au
voyageur441.
» |
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Et partant de cette
dernière hypothèse, M. de Lamberg imagine une soi-disant relation d’un voyage
que le comte de Saint-Germain aurait fait en Extrême-Orient : |
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« Je dois celle [la
découverte] de la fonte des pierres, au second voyage que je fis aux Indes en
1755, avec le colonel Clive, subordonné au vice-amiral Watson. Dans ma
première course, je n’avais acquis que très peu de connaissances sur ce
merveilleux secret en question : toutes mes tentatives faites à Vienne, à
Paris, à Londres, ne passent que pour des essais ; le grand œuvre était
réservé à l’époque dont je parle442. |
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« J’eus de très
fortes raisons pour ne me faire connaître de l’escadre que sous le nom d’un
comte de C…z443 ; jouis partout où nous abordâmes,
des mêmes |
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distinctions que
l’amiral ; le nabab de Baba444 surtout, sans me demander de quel pays j’étais, ne
m’entretint que de l’Angleterre… Je me souviens du plaisir qu’il avait à la
description que je lui fis des courses de chevaux de Nieumarket445. » |
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« Il [le nabab de
Baba] me proposa de lui laisser mon fils que j’avais avec moi : il l’appela
son mylord Bute446, à l’instar de ses courtisans qui
avaient tous des noms anglais447. » |
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Nous nous demandons
quel motif a fait agir M. de Lamberg quant à cette attribution d’un fils au
comte de Saint-Germain448. On comprend maintenant l’exclamation de celui-ci. |
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M. de Lamberg termine sa narration en attribuant |
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au comte une certaine faculté se rapportant à l’art graphique
: |
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« Un talent que M.
de Belmar possède seul, qui mériterait d’être appris et cultivé dans les
familles, c’est celui d’écrire des deux mains à la fois ; je lui ai dicté
près de vingt vers de Zaïre
qu’il écrivit recta sur
deux feuilles de papier en même temps : on eût dit que les deux écritures
simultanées fussent d’un même caractère : “Je ne vaux pas grand’chose, me
dit-il, mais vous conviendrez que je ne nourris point mon secrétaire à pure
perte449”.
» |
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Il était pourtant
réservé à M. de Lamberg de démentir une nouvelle, venant de Turin, et parue
dans le Notizie del Mondo
publié à Florence, en juillet 1770. Elle était ainsi conçue : |
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« Le comte
Maximilien de Lamberg, chambellan de LL. MM. II et RR., ayant visité l’île de
Corse pour y faire diverses recherches, s’est arrêté ici depuis fin juin, en
compagnie du comte de Saint-Germain, célèbre en Europe, par l’étendue de ses
connaissances politiques et philosophiques450. » |
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L’intéressé avoue
que « M. de Saint-Germain n’était pas son compagnon de voyage en Afrique »,
mais qu’il était à Gènes, écrivant « à un ami de Livourne, qu’il comptait
aller à Vienne revoir M. le prince Ferd. Lob-kowitz, qu’il avait connu à
Londres en 1745 »451. |
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Ce démenti de M. de
Lamberg est une confirmation du séjour du comte en Italie. Nous avons ainsi
trois dates, 1764, 1770 et 1773 et trois villes, Venise, Man-toue et Gènes. |
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D’autres personnes viendront appuyer ce témoignage. |
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Ainsi le comte de
Sagramoso, ambassadeur de l’ordre de Malte à Dresde, dira avoir rencontré le
comte de Saint-Germain à Florence, Pise et Venise « car effectivement le
comte a couru de çà et de là en Italie452 ». Le comte de Lehndorff, chambellan de la cour à Dresde, de
son côté, nous fait connaître un détail particulier quant à la générosité du
comte de Saint-Germain : « étant à Venise, il donnait annuellement 6.000
ducats sans que l’on sut exactement d’où cet argent venait453 ». Citons encore Mme de Gen-lis laquelle,
vers 1767, « passant à Sienne, apprit que le comte habitait cette ville454 » et le baron de
Glei-chen qui dit savoir qu’il apparut à Venise et à Milan, « négociant avec
les gouvernements de ces pays pour leur vendre des secrets de teintures, et
pour entreprendre des fabriques. Il avait l’air d’un homme qui cherchait
fortune, et fut arrêté dans une petite ville du Piémont pour une lettre de
change échue ; mais il étala pour plus de 100.000 écus d’effets au porteur,
paya sur-le-champ, traita le gouverneur de cette ville comme un nègre, et fut
relâché avec les excuses les plus respectueuses. En 1770, il repartit à
Livourne, portant un nom russe et l’uniforme de général, traité |
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par le comte Alexis Orlof
avec une considération que cet homme fier et insolent n’avait pour personne455. » |
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Ainsi nous avons la
certitude que le comte de Saint-Germain résida en Italie un certain laps de
temps qui peut se situer entre 1764 et 1773. Toutefois en ce qui concerne les
trois années suivantes, 1773 à 1776, nous ignorons ce qu’il fit, aucun
document italien n’étant là pour nous renseigner exactement. Le comte avoue
lui-même « cela était ouvertement connu que souvent il disparaissait pour des
années sans que l’on connût sa résidence. Il vivait retiré afin de dérouter
les curieux qui ne cessaient de le harceler de questions456 ». |
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Chapitre XII : |
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Le comte de Welldone et les princes
allemands |
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Quand le comte de
Saint-Germain arriva en Saxe au mois d’octobre 1776, des bruits tendancieux
sur sa personne commencèrent à circuler à Leipzig et à Dresde457. |
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On racontait qu’il
était d’origine judéo-portugaise et qu’il avait plusieurs centaines d’années458 ; qu’il était né en
France et de basse extraction459. On l’accusait de vouloir faire croire qu’il était le
troisième fils du prince Rákóczi460,et de s’être présenté dans divers pays sous le nom de marquis
de Belmar et de M. Castelane461. |
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Si on parlait peu
de ses voyages en Europe, on affirmait « qu’il avait été sur les rives de
l’Afrique, en Égypte et en Asie-Mineure, principalement à Constantinople et
dans la Turquie462,
et enfin « aux Indes et en Chine où il aurait entretenu durant quinze ans un |
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Français du nom de
Boissy afin de se procurer par lui toutes les matières et connaissances dont
il avait besoin463
». |
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Par contre, « on ne savait lui reprocher aucun acte
répréhensible464
». |
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Le comte de
Saint-Germain en se fixant à Leipzig prit le nom de Welldone, ce qui signifie
en anglais, bienfaiteur465. Comme il vivait à l’écart et très modestement « ne prenant
qu’un seul et léger repas par jour et ne buvant que de l’eau466, » on en conclut
que n’étant plus si riche qu’autrefois, il manquait d’argent. Toutefois, « on
assurait qu’il possédait une grande quantité de diamants467 ». |
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Dès que sa présence
fut signalée dans la ville, le comte fut tout de suite en butte aux
sollicitations quant à ses recherches chimiques, et c’est à ce sujet que le
comte Marcolini, ministre de la cour électorale, vint lui rendre visite.
Celui-ci arriva spécialement de Dresde pour proposer au comte de
Saint-Germain, moyennant récompense, de confier à l’état saxon tous ses «
secrets »468. Ce
dernier lui répondit : « que l’on se |
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trompait si l’on
supposait de telles choses chez lui. Son but unique était de rendre les
hommes heureux ; s’il réussissait, il se sentirait suffisamment récompensé ».
Le ministre étonné de cette réponse, comprit son erreur et n’insista pas469. |
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Durant près de six
mois, le comte vécut dans une sorte de retraite, ne recevant que des amis.
L’un de ceux-ci était M. de Sagramoso, ambassadeur de l’Ordre de Malte à
Dresde, que le comte avait connu lors de son séjour en Italie, et qu’il avait
retrouvé accompagnant le ministre saxon, au moment de sa visite470. |
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Un autre de ses
amis était le comte Lehndorff, chambellan de la cour à Dresde. Celui-ci était
venu à Leipzig pour la grande foire de Pâques. Ils eurent de nombreux
entretiens. Le chambellan garda longtemps le souvenir de l’extraordinaire
expression de vie spirituelle qui se remarquait sur le visage du comte de
Saint-Germain lorsque celui-ci parlait. S’il vantait l’excellence de la
vertu, de la sobriété et de l’amour du prochain, il affirmait la nécessité de
l’équilibre entre l’âme et le corps afin d’éviter le dérèglement de la
machine humaine. Invariablement le comte offrait à ses amis une certaine
poudre que l’on |
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buvait comme du thé, ayant un léger goût d’anis et un peu
purgative471. |
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En mars 1777, une
rumeur circula dans Leipzig. Ne disait-on pas que la cour électorale avait
proposé au comte le poste de ministre des Finances ? Celui-ci prévint ses
amis en leur disant qu’il n’avait pas refusé ce poste attendu qu’on ne lui
avait jamais offert et qu’au surplus : « lui, qui était prince serait très
éloigné d’accepter une place qui avait été occupée par des gens de rien472. » |
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À ce moment,
quelques princes allemands commencèrent à s’intéresser au comte de
Saint-Germain. C’est ainsi que l’archiduc d’Autriche, Maximilien-Joseph Ier, écrivit de Munich à
sa sœur, la princesse |
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veuve
Marie-Antoinette de Saxe, pour lui signaler qu’à Leipzig résidait un homme «
âgé de 200 ans, et que s’il avait cet âge sans lire cela paraisse, cet homme
devait être un adepte473 ». Ce fut dès lors à qui inviterait le comte. D’abord, le
prince Frédéric-Auguste de Brunswick, neveu de Frédéric II474, lui fit parvenir
par l’entremise de son conseiller privé à Dresde, une invitation pressante de
venir à Berlin475. |
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De son côté,
Frédéric II demanda à son ambassadeur à Dresde, le comte d’Alvensleben, de
s’informer du pourquoi de la présence du comte de Saint-Germain à Leipzig et
de l’en avertir tout de suite, car la personne l’intéressait, mais «
uniquement par curiosité476 ». Cependant, le roi fit part de la prochaine venue à Berlin,
« de celui dont on raconte des choses merveilleuses », à sa nièce, la
princesse Wilhel-mine, d’Orange, femme du Stathouder de Hollande, Guillaume V477. |
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M. d’Alvensleben se
rendit donc chez le comte de Saint-Germain qui habitait Dresde depuis cinq
semaines, et s’informa auprès de lui de ses antécé-dents478. Le comte, pour couper court à tous les inter- |
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views futurs, lui «
avoua qu’il se nommait Prince Rádóczi, et pour lui prouver sa confiance
particulière, lui dit encore qu’il avait deux frères dont les pensées
seraient si triviales qu’ils se soumettent à leur misérable sort. Lui, par
contre a pris à un certain moment le nom de Saint-Germain, ce qui signifie :
le saint frère479
». Il ajouta « Je tiens la nature dans mes mains et comme Dieu qui créa le
monde, je puis moi aussi faire sortir du néant ce que je veux480. » |
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Le comte de
Saint-Germain remit à M. d’Alvens-leben à l’intention de Frédéric II une
liste de ses procédés secrets en y joignant quelques échantillons. |
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Cette liste
intitulée : « Nouvelle physique relative à plusieurs articles du commerce qui
sont aussi important que neufs, » comprend 29 articles : |
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— « 1o Procédé donnant à
toutes sortes de peaux une solidité inconnue à ce jour, beauté, durée, etc.,
et particulièrement donnant aux peaux de mouton une valeur appréciable. |
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— 2o
Procédé pour la bonification de la laine par |
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lequel elle devient plus solide, plus fine, meilleure, etc. |
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—
3o Procédé pour le blanchissage absolu du coton, du lin, du
chanvre et leur tissus, infini supérieur à celui de Haaylem, de Hollande, un
procédé qui n’attaque pas les étoffes comme là-bas et ne demande que peu de
temps. |
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—
4o Procédé pour laver la soie par lequel la soie italienne,
supérieure à toutes les soies du monde, devient plus brillante et plus
résistante. |
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—
5o Procédé de l’amélioration des peaux de chèvres angora, de
sorte que l’on peut en faire de l’excellente brillante camelotte qui ne se
déchire pas comme l’ancienne alors que la peau devient presque aussi souple
que la soie. |
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— 6o Procédé pour le
blanchissage complet et la plus grande durée de la toile et des tissus en
coton. |
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—
7o Procédé pour teindre des peaux et du cuir en bleu, vert,
noir, vrai rouge pourpre, vrai violet et gris fin, de grande beauté et
qualité. |
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—
8o Préparation de couleurs inchangeables pour la peinture en
jaune, rouge, bleu, vert, pourpre, violet, etc., d’une beauté parfaite et de
qualité. |
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—
9o Préparation d’un blanc pour couvrir d’une qualité
insurpassable. Cette couleur, que l’on a cherché en vain de tout temps, reste
toujours blanche, se lie avec toutes les bonnes couleurs avec lesquelles on |
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la mélange, l’embellit et
la conserve. Bref, ce blanc est une véritable merveille. |
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10o Préparation du cuir noir avec de la couleur très pure et très
belle tirée du bleu russe sans aucune autre adjonction. Cela donne un cuir
noir immuable d’une beauté remarquable et de grande qualité. |
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—
11o Préparation de toile et de tissus de chanvre d’un jaune
inimitable de pureté en plusieurs nuances et de brillant, que l’on peut laver
avec de l’eau de savon, et qui ne passe pas à l’air. |
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12o Préparation d’étoffes en coton-laine et tissus d’un excellent
jaune en plusieurs nuances, bien lavable et ne passant pas à l’air. |
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— 13o Préparation de toile
en gris fin, lavable à l’eau de savon et ne passant pas à l’air. |
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— 14o Préparation d’étoffes
de coton et de tissus en gris fin, lavable à l’eau de savon et ne passant pas
à l’air. |
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15o Préparation de toile, de tissus de lin et de chanvre en vrai
pourpre, vrai violet, vrai rouge, etc. ; ces diverses nuances bien lavables
et ne passant absolument pas. |
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— 16o Préparation de très
beaux, très durables et nouveaux tissus de soie. |
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— 17o Préparation de toile
coloriée en de toutes nouvelles et belles couleurs, notamment en gris et |
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nuances qui ne passent ni par des acides, ni à l’air ni à
l’eau de savon. |
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— 18o Préparation de
tresses en argent, pour le moins un tiers meilleur marché et beaucoup plus
blanches, plus brillantes et plus durables que les plus belles tresses de
Lyon. |
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— 19o Divers procédés pour
des métaux précieux, c’est-à-dire sans or ni argent, étant de grande utilité
et d’une grande économie et qui font certainement l’étonnement de tout bon
chimiste et qui diminuent aussi les énormes frais d’articles de luxe
périssables. |
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— 20o Préparation d’un tout
nouveau métal dont les qualités sont surprenantes. |
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21o Divers procédés pour des objets de prix, qui semblent
parfaitement impossibles et sont tous la source de grande économie d’articles
de luxe. |
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— 22o Préparation de
papier, plumes, ivoire, os et bois teintés en des couleurs splendides très
fines. |
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— 23o De bons procédés chimiques pour divers vins. |
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— 24o Préparation de
liqueur Rossoli, de noyaux de fruits, etc., de qualité supérieure et à des
prix avantageux. |
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— 25o Préparation d’autres
choses utiles sur lesquelles je garde le silence481. |
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— 26o Moyen préventif
contre les maladies et désagréments de toute sorte. |
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— 27o Vrais moyens
purgatifs qui ne retirent du corps que les éléments nuisibles. |
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— 28o Véritables, sûrs et bienfaisants moyens cosmétiques. |
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— 29o Huile d’ olive superfine fabriquée en 12 heures en Allemagne. |
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En ce qui concerne l’agronomie, cela est réservé pour plus
lard. |
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L. P. T. C. D. de
Welldone. |
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Sur un autre point, on ne
peut rien dire ici pour des raisons diverses. Il est réservé, etc. |
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L’exécution de ce
nouveau plan industriel peut servir à l’économie politique au plus haut degré
et amener une union indissoluble entre certaines grandes nations. » |
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de Welldone. |
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En même temps que
cette liste, le comte avait promis de remettre à M. d’Alvensleben une lettre,
« mais craignant que les détails sur lequel il aurait à entrer seraient trop
longs », il lui remit simplement une demande d’introduction pour Frédéric II,
que voici : |
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« Sire, parler de
soi-même autrement que par des faits ne convient pas du tout quand on a le
bonheur de s’adresser à un si grand Roi : votre Majesté m’enverra donc les
ordres, dont il lui plaira d’honorer, |
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Sire, son très fidèle, très humble et très obéissant
serviteur, » |
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C. de Welldone482. |
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Le 30 juin 1777,
Frédéric II répondit à M. d’Alvens-leben qu’il ne désirait pas répondre au
comte de Saint-Germain, mais qu’il l’autorisait à lui dire qu’il était libre
de venir à Postdam. Le roi ayant communiqué la liste du comte à son frère, le
prince Henri de Prusse, celui-ci lui écrivit : |
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|
« Je te remercie,
cher frère, pour l’envoi du mémoire avec les merveilles que Saint-Germain
veut accomplir. Il promet beaucoup, mais il sait aussi beaucoup ; il doit
avoir fait des études approfondies et a toujours passé pour un homme
étonnant. Il est donc possible qu’il possède le secret d’utiliser certaines
matières et de les perfectionner. Un essai avec deux ou trois objets ne
saurait coûter beaucoup et rapporterait, en cas de succès, un gain
appréciable, naturellement pas les trésors de Crésus ou de Montézuma, mais
l’on peut être riche sans se comparer à eux. La mesure de la richesse sont
nos propres besoins. Qui trouve sa suffisance n’infirme pas sa joie, ni la
paix de son âme, voir même il l’intensifie, s’il sait alléger le sort des
malheureux et des nécessiteux. »483 |
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|
Nous ignorons si le
roi de Prusse suivit les conseils tout à fait désintéressés de son frère, les
archives secrètes de Berlin sont muettes à ce sujet. En tout cas, la raison
qui poussa le comte de Saint-Germain |
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|
à faire remettre à
Frédéric II la liste de ses procédés secrets n’est pas la vénalité en effet ;
ne dira-t-il pas à M. d’Alvensleben : « comme je dispose de grandes
richesses, un souverain ne saurait me récompenser ni me préparer un destin
qui pourrait me tenter puisque je suis moi-même prince484 ». |
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Le comte de
Saint-Germain ne s’étant pas rendu à l’invitation de Frédéric-Auguste de
Brunswick, ce dernier lui envoya un émissaire en la personne de son
conseiller privé, M. du Bosc, marchand de soieries à Dresde. Or, cet
émissaire ignorait que le comte « avait le pouvoir de lire sur le visage si
quelqu’un était à même de le comprendre ou non ; dans ce dernier cas, il
évitait de rencontrer à nouveau la personne485 ». |
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|
C’est ce qui arriva
lorsque M. du Bosc se présenta au comte de Saint-Germain. Le conseiller privé
crut que celui-ci allait lui montrer certains papiers que les « Adeptes »
exhibent avec désinvolture ou se livrer devant lui à des expériences de
transmutation. Le comte se contenta de lui faire son « portrait philosophique
». Le conseiller-privé étrangement surpris, voua, dès lors, au comte une
grande aversion, et dans le dessein de lui nuire auprès de son maître, le
présenta ainsi au prince Frédéric-Auguste : « Je ne vis en lui qu’un homme
plein d’esprit, ayant beaucoup lu, beaucoup vu et tâté de bien des choses, un
homme ayant en chimie quelques secrets et des connais- |
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|
sances décousues,
sans être devenu, pour autant, un chercheur méthodique, bref, un homme sans
système arrêté. Je reconnus qu’il n’était rien moins que Théo-sophe, qu’il
était bien loin de voir le Tout infini dans la somme des détails ou de se
former une idée juste de la Cause créatrice par l’analyse de la Création486. » |
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Du Bosc sut gagner
à sa cause un certain Frölich, lequel demeurait à Gorlitz, et tous deux
inventèrent dans leurs rapports au prince Frédéric-Auguste de Brunswick les
histoires les moins véridiques. Frölich incita d’abord le prince à ne pas
avoir de rapports avec le comte en lui faisant remarquer que celui-ci n’était
: « ni Maçon, ni mage et qu’il n’avait aucune connaissance de la Maçonnerie487. » On sait que le
prince de Brunswick était vénérable de la Loge « Aux Trois Globes de
l’Univers » de Berlin, et grand prieur des Loges du système de la Stricte
Observance. |
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M. du Bosc, de son
côté, fit connaître au prince qu’un officier russe, David van Hotze488, aurait rencontré
le comte de Saint-Germain « errant tristement |
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sur la route en
Russie, à cause d’une blessure au pied, et comme il avançait péniblement,
l’officier l’aurait fait monter dans sa voiture, et ramener à Moscou où le
comte possédait une fabrique qui ne voulait pas mar-cher489 ». Le conseiller-privé insista même sur cette histoire en
affirmant que le comte avait travaillé dans une fabrique d’indiennes à
Moscou, à la fabrication des couleurs490. Ensuite il prétendit que les pierres que possédait le comte
provenaient d’une mine qu’il aurait découverte en Russie, et dont il avait
seul le droit d’exploitation, et que par conséquent il n’avait aucune
connaissance au point de vue diamantaire491. Enfin, M. du Bosc fit courir le bruit que le comte, dénué de
tout, n’ayant plus d’argent, avait cherché à lui soutirer une forte somme492. |
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Le comte de
Saint-Germain trouva pour le défendre auprès du prince de Brunswick, deux
amis dont l’un était le conseiller d’État, baron de Wurmb, et l’autre le
chambellan du duc de Courlande, baron de Bis-chofswerder, tous deux habitant
Dresde. |
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M. de Bischofswerder493 écrivit au prince
Frédéric-Auguste de Brunswick, en lui disant : « qu’il était |
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étonné d’apprendre
que le frère du Bosc n’a pas voulu prêter d’argent au comte de Saint-Germain.
Ce frère doit pourtant bien savoir que d’après les renseignements de tous
concernant le comte qu’il s’est souvent trouvé dans la situation d’emprunter
mais qu’il a toujours rendu par des sommes importantes et qu’il ne voit pas
le moindre danger de faire sa connais-sance494, » puis d’accord avec le duc de Courlande495, M. de
Bischofswerder partit pour Leipzig, afin de rencontrer le comte de
Saint-Germain496. |
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C’est alors que ce
dernier envoya au prince Frédéric-Auguste de Brunswick, qui était à Berlin,
la lettre suivante, datée du 8 mai 1777 : |
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« Monseigneur, |
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« Votre Altesse
veut bien permettre que je lui ouvre mon cœur ; il est ulcéré depuis que M.
le conseiller Du Bosc s’est servi d’une manière qui ne pouvait pas m’être
agréable pour me signifier les ordres dont elle l’avait honoré, à ce qu’il
dit dans sa lettre et qui sûrement ne pouvaient me regarder en aucune
manière. M. le baron de Wurmb, ainsi que M. le baron de Bis-chofswerder
seront toujours d’honorables témoi- |
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gnages de la bonté
et droiture de ma démarche, que le respect et l’attachement zélé et fidèle,
que je vous ai voué pour la vie, Monseigneur, m’ont absolument rendu
nécessaire, quoique ma délicatesse m’est d’abord enjoint de ne rien dire du
motif. Je presserai autant que possible de terminer des affaires aussi
importantes qu’indispensables au lieu où je me trouve, pour avoir tout
aussitôt après l’inexprimable joie d’aller vous faire ma cour, Prince
incomparable ; quand j’aurai l’honneur de vous être bien connu, Monseigneur,
je me promets, bien sûrement de votre justice et fin discernement toute celle
qu’on me doit, et qui venant de votre part me sera extrêmement chère, je
suis, comme mon devoir, mon inclination, et mon attachement respectueux et
fidèle de votre altesse sérénissime, |
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Monseigneur, le très humble et très obéissant serviteur. » |
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Le C. de Welldone497 |
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À partir de ce
moment bien des détails manquent ou sont peu précis. Ainsi nous n’avons
trouvé aucun renseignement sur les premières visites de M. de Bis-chofswerder
avec le comte de Saint-Germain. |
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Par contre, nous
possédons le récit de l’entretien que le conseiller d’État, M. de Wurmb, eut
à Leipzig avec le comte : |
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« J’ai trouvé,
dit-il, un homme de 60 à 70 ans, très vif pour son âge. Il se moque de ceux
qui lui attribuent un âge extraordinaire. Grâce à sa vie réglée et aux
médecines qu’il possède il se peut qu’il vive encore longtemps. Malgré cela
son apparence extérieure n’est pas celle de la longévité. On ne peut pas nier
qu’il possède de belles connaissances. Je travaillerai avec lui à quelques
articles de teinture, l’emploi de la laine et du coton, pour me rendre compte
si pour nos manufactures quelque avantage pourrait en être tiré. |
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« Après avoir gagné
sa confiance, j’orientai la conversation sur la Maçonnerie. Sans
empressement, sans avoir l’air d’y attacher grand’chose, il m’avoua avoir
atteint le quatrième degré498, mais ne |
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se souviendrait
plus des signes. Pour cette raison, il me fut impossible d’aller plus à fond
sur ce sujet, car il paraissait ne rien connaître du système de la
Stricte-Observanc499. » |
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Le comte de
Saint-Germain ayant manifesté de la curiosité sur l’affaire Schrepfer, M. de
Wurmb qui fut un des principaux acteurs de cette aventure tragique, lui fit
connaître ce qu’il pouvait en dire. |
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Schrepfer500, garçon de salle
dans une auberge de Leipzig, se maria vers 40 ans. Avec la dot de sa femme,
il ouvrit, en 1772, dans la même ville, Klostergasse, un cabaret. Ayant été
admis dans une Loge, « il y soutint qu’on ne pouvait être un véritable
Franc-Maçon sans exercer la magie501. » C’est pourquoi, « il lui vint à l’idée de répandre le
bruit qu’il possédait la puissance de conjurer les esprits502, » et d’établir
dans la salle de billard attenant à son café une académie de magie ou de
fantasmagorie, comme on disait à l’époque. |
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Il fut tout de
suite regardé par les Saxons « comme un nouvel Apollonius de Thyane503, » et la foule
accourut dans le cabaret de Schrepfer pour assister à ses expériences « où il
citait des esprits qui non seulement se montraient mais parlaient même aux
specta- |
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teurs504. » On assure qu’à
un moment, « il jeta l’épouvante dans la Prusse et à Berlin, en faisant
prédire par des fantômes la mort de certaines personnes connues, mort qui,
par parenthèse, se réalisait souvent505. » |
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La Loge dont
Schrepfer était membre lui ayant interdit ses jongleries, il passa outre et
prétendit avoir été autorisé par le duc de Courlande à faire tout ce qu’il
faisait. Celui-ci mécontent, le fit bâtonner par ses gens. Loin d’être abattu
par ce coup du sort, le soi-disant sorcier redoubla d’audace dans l’art de
faire des prodiges. |
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Après s’être
éloigné quelque temps de Leipzig, Schrepfer y revint pour la foire de Pâques
de 1774, sous le nom de « baron de Steinbach, prétendu colonel au service de
la France et recommença de plus belle ses évocations et ses conjurations ; il
paraît, d’ailleurs, qu’il procédait à ses momeries avec une certaine habileté
de mise en scène506
». |
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Ce qu’il y a de
plaisant, c’est que les gens de distinction recherchèrent sa connaissance.
Parmi eux se trouvaient trois des personnages que nous avons cités
auparavant. MM. du Bosc, de Wurmb et de Bis- |
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chofswerder507. Schrepfer fit
croire à M. du Bosc qu’il avait été chargé par le duc de Chartres508, de qui disait-il,
il tenait son brevet de colonel au service de la France, et le duc de
Brunswick509,
tous deux grands maîtres des Loges Françaises et Allemandes, d’opérer la
fusion de la Maçonnerie avec la société de Jésus, dissoute par le
Saint-Siège, dont il détenait une partie du trésor. Ce trésor, d’une valeur
de plusieurs millions, déposé à Francfort chez les frères Bethmann, devait
servir à récompenser ceux qui l’aideraient dans sa tâche510. |
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MM. du Bosc et de
Wurmb remirent à Schrepfer de grosses sommes d’argent, pour ses dépenses et
son entretien ; celui-ci vint à Dresde habiter l’hôtel de Pologne et mena
grande vie. |
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Mais le résident de
France à Dresde, M. de Mar-bois, vint troubler le triomphe du magicien : « Il
pria notre homme de lui montrer son brevet de colonel au service de la
France, le menaçant en cas de refus de |
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le traiter
publiquement d’imposteur et de réclamer son arrestation511. » Tout Dresde fut en émoi, mais grâce à l’intervention du
duc de Courlande, qui perdant toute retenue, s’était promené en public avec
Schrepfer, celui-ci revint à Leipzig. Là, nouvel avatar. MM. du Bosc et de
Wurmb le sommèrent de montrer le trésor des Jésuites. Un rendez-vous fut pris
; le sorcier ne venant pas, nos deux personnages ouvrirent le paquet, envoyé
par la banque Bethmann frères, de Francfort, et s’aperçurent qu’il ne
contenait « que du papier blanc et différentes pièces qui renvoyaient à d’autres
documents absents512 ». MM. du Bosc et de Wurmb par crainte du ridicule, se
tinrent cois. Cependant l’aventure touchait à sa fin. |
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Le 7 octobre 1774,
Schrepfer réunit à souper quelques-uns de ses derniers amis, entre autres M.
de Bischofswerder : « Cette nuit, leur dit-il, en se levant de table, nous ne
nous coucherons pas, car demain matin à la pointe du jour, avant le lever du
soleil, je vous ferai voir quelque chose de tout à fait extraordinaire. »
Vers cinq heures du matin, il fit signe à ses amis en disant : Allons,
Messieurs, il est temps de partir, et tous se dirigèrent vers le parc
Rosenthal, situé aux portes de Leipzig513. |
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En route, il leur montra
un pistolet : « Je l’ai fait faire exprès sur le modèle
imaginé par Comus514 et |
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je l’emploie à ma
célébrité. Je vous ferai voir que je ne suis point un farceur de foire515. » Ayant assigné à
chacun sa place, il s’éloigna vers un buisson en leur disant : vous allez
apercevoir une étrange apparition. Ses compagnons, tous yeux et tous oreilles
ouverts pour ne rien perdre du miracle annoncé, entendirent un coup de
pistolet mais ne virent rien… le silence régna. Schrepfer venait de se tuer516. |
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L’aventure tragique
coûta au conseiller-privé, M. du Bosc, la. somme de 4 à 5.000 thalers. Nous
comprenons maintenant pourquoi il ne voulut rien prêter au comte de
Saint-Germain l’ayant certainement pris pour un émule de Schrepfer517. |
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M. de Wurmb après
son récit prit congé du comte et nous ignorons la suite de leurs entretiens.
Quant à M. de Bischofswerder, qui obtint de la part du comte de Saint-Germain
la faveur de posséder quelques-uns de ses plus importants secrets chimiques518, il eut la grande
joie d’apprendre au prince Frédéric-Auguste de Brunswick : « qu’aux essais,
ces procédés étaient d’un effet surprenant519 ». |
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Le comte quitta la Saxe
dans le courant de juillet 1777 et s’en fut à Berlin520. |
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G. Lenotre, il est
espion du roi de Prusse. Cf. Prussiens d’hier et de toujours. Paris, Perrin,
1917, pp. 133-157, tandis que pour Jean Moura et Paul Louvet, c’est un
émissaire d’une puissance occulte qui protégeait la Prusse. Cf.
Saint-Germain, le Rose-Croix immortel. Paris, Gallimard, 1934, pp. 169-221. |
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Chapitre XIII : Salons berlinois |
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Le comte de
Saint-Germain s’était rendu dans la capitale de la Prusse sur l’invitation du
prince Frédéric-Auguste de Brunswick521, et aussi avec l’assentiment de Frédéric II. Toutefois le roi
lui avait fait dire, par l’entremise de M. d’Alvensleben, avant son départ de
Leipzig, « que l’on était très incrédule à Postdam et que l’on ne croit d’une
façon générale qu’aux choses tangibles. Il [le comte] ferait donc bien de se
demander s’il est disposé de présenter sa science et ses procédés. Autrement
il perdrait certainement son temps alors que par ailleurs, il en trouverait
un emploi plus utile522 ». |
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Le comte alla-t-il
rendre visite au roi523 et à son neveu dans leur résidence de Sans-Souci, à Postdam ?
aucun document ne l’atteste. Ce qui est certain, c’est qu’il resta plus d’un
an à Berlin, du mois d’août 1777 au début d’octobre 1778524. |
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Lorsqu’il arriva à
Berlin, « le comte était un vieillard dont on ignorait l’âge ; mais il était
encore très vigoureux quoique peu chargé d’embonpoint. Il prit un petit
appartement dans une des premières auberges de la ville : il y vécut fort
retiré, avec deux domestiques, ayant à sa porte une voiture de remise qui y
passait la journée tout entière, qu’il payait bien, mais dont il ne se
servait jamais525
». |
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La première visite
que le comte reçut fut celle du baron de Knyphausen, directeur général du
commerce à Berlin. On se souviendra que c’est grâce à ce personnage, alors
ambassadeur à Londres, que notre héros put quitter cette ville en 1760526. Le baron alla donc
voir le comte « comme une ancienne connaissance, et l’invita instamment à
dîner. |
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— Je veux bien,
répondit M. de Saint-Germain, mais à condition que vous m’enverrez votre
voiture. Je ne puis me servir des remises : ce sont des voitures bien mal
suspendues527. » |
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Une des caractéristiques du comte, c’est qu’il ne |
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donnait jamais d’autre
titre à son interlocuteur que celui de « mon fils528 ». |
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Bien que peu
claironnée, la venue du comte de Saint-Germain à Berlin avait fait un certain
bruit. Aussi fut-il sollicité de part et d’autre à venir dans les salons de
la capitale prussienne. C’est ainsi que la princesse Amélie, sœur de Frédéric
II, voulut le voir. |
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Le comte se rendit
à « Mon Bijou », palais de la princesse, aux portes de Berlin. Il se trouva
en présence d’une personne, au teint maladif, mais qui cependant avait dû
être jolie. La princesse reçut le comte dans sa bibliothèque, splendidement
aménagée et considérable, avec cette particularité non moins curieuse, que
presque tous les volumes comportaient des notes de sa main. De plus,
excellente musicienne, elle connaissait à la perfection cet art, où le comte
lui-même était passé maître. C’était un excellent terrain d’entente.
Malheureusement, cet accord fut détruit par la curiosité de la princesse. |
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— « Monsieur, lui dit-elle, de quel pays êtes-vous ? |
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— Je suis, Madame, d’un
pays qui, pour souverains, n’a jamais eu d’hommes d’une origine étrangère. » |
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Ce fut avec cette
adresse, et de cette manière énigmatique, que le comte répondit à toutes les
questions que lui fit la princesse, qui en fut à la fin interdite, et le
renvoya sans en avoir rien appris529. |
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Une autre personne,
moins illustre par la naissance, désira aussi rencontrer le comte de
Saint-Germain. C’était la confidente de la princesse Amélie, Mme du Troussel, connue
sous le nom de « la belle de Kleist ». C’est de cette dame que Frédéric II
disait : « Il y a 30 ans que je la vois, elle est toujours une des plus
belles femmes de la cour : outre qu’elle a un éclat que les autres n’ont pas,
il ne semble pas qu’elle vieillisse530. » Si Mme du Troussel avait une préférence pour l’astrologie — elle
fréquentait un tireur d’horoscope qu’elle nommait « le planétaire » et qui,
selon elle, était un homme merveilleux531 — la princesse Amélie, elle, recherchait tous les
spécialistes de la cartomancie. On raconte même que « durant la guerre de
Sept ans, surtout aux époques les plus critiques pour la Prusse, la princesse
avait passé des jours à se faire tirer les cartes pour le roi Frédéric II, et
qu’elle avait envoyé les résultats et les annonces à son frère532 ». |
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Or donc un soir le comte
de Saint-Germain vint souper chez Mme de Troussel533 ; il y avait bonne com- |
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pagnie. « On
hasarda à lui parler de la pierre philosophale. Il se contenta d’observer que
ceux qui s’en occupaient faisaient, pour l’ordinaire, une gaucherie bien
étonnante, en ce qu’ils n’employaient guère d’autre agent que le feu, ne
songeant pas que le feu divise et décompose, et qu’il est par conséquent
absurde d’y recourir quand on cherche à former une composition nouvelle : il
insista beaucoup et assez longuement sur cette idée534. » La conclusion alchimique émise par le comte, conclusion
absolument exacte quant aux données traditionnelles, intrigua au plus haut
point le profane qu’était l’auteur de cette anecdote qui assistait lui-même
ce soir-là au souper chez Mme de Troussel ; il remarqua, après avoir examiné le comte
pendant toute la soirée que celui-ci « avait la physionomie fine et
spirituelle ; on voyait en lui l’homme bien né et de bonne société535 ». Et notre
anecdotier dit avec justesse que si « le comte a été, dit-on, le maître de
Cagliostro, jamais le disciple n’a valu le maître. En effet, celui-ci s’est
maintenu jusqu’à sa mort sans aucune fâcheuse aventure au lieu que Cagliostro
a terminé sa carrière dans les prisons de l’Inquisition à Rome ». Toutefois
il ajoute : « Dans l’histoire du comte de Saint-Germain, on voit un charlatan
(!) plus prudent et plus sage ; elle n’offre aucun trait qui blesse
directement l’honneur ; rien n’y |
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est contraire à la
probité ; il y a partout du merveilleux, mais il n’y a ni bassesse ni
scandale536. » |
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« Dans le temps que
cet homme singulier était à Berlin [dit encore notre anecdotier], je hasardai
un jour de parler de lui à l’envoyé de France, M. le marquis de Pons
Saint-Maurice. Je lui témoignai être en particulier fort surpris que cet
homme ait eu des liaisons particulières et étroites avec des personnes de
haut rang, tel que le cardinal de Bernis, dont il avait, disait-on, des
lettres confidentielles, écrites à l’époque où ce cardinal avait le
portefeuille des Affaires étrangères, etc. M. de Pons ne me répondit rien sur
ce dernier article mais il me fit une suite de suppositions dont
l’application était facile et sensible : « Je suppose, me dit-il, qu’un homme
vraiment original résolve de se créer et de jouer dans le monde un rôle
extraordinaire, un rôle qui étonne les esprits et fasse une sensation
générale ; je suppose que cet homme, uniquement occupé de cette idée, et s’y
livrant tout entier, ait de l’esprit, des connaissances, et autant
d’attention aux moindres circonstances, que de persévérance à suivre son plan
; je suppose surtout qu’il sache habilement donner le change sur tout ce qui
le concerne, et que jamais la présence d’esprit et la souplesse ne lui
manquent ; enfin, je suppose qu’il ait acquis ou reçu une fortune aisée, vint
cinq mille livres de rentes, par exemple, voyons la conduite que cet homme
pourra tenir. Il ne parlera, du moins avec |
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franchise, ni de
son âge, ni de son pays, ni de sa personne, et étendra le voile le plus épais
sur tout ce qui le concerne. Il aura épargné quelques années de ses revenus ;
disposant de cette sorte d’un capital qu’il confiera à des banquiers sûrs et
peu connus, il arrivera à Berlin, ayant ses fonds à Leipzig, par exemple un
banquier de Berlin aura ordre de lui payer vingt mille francs ou plus : il
les recevra, les renverra de suite à un banquier de Hambourg, qui les lui
fera repasser sans délai. Il aura le même jeu à faire jouer par des banquiers
de Francfort et de quelques autres villes ; ce sera toujours le même argent,
sur lequel il ne perdra que quelque pour cent, et il aura rempli son objet ;
car on saura que chaque semaine il reçoit des sommes considérables, et l’on
ne concevra pas l’emploi qu’il en fait, vu que d’ailleurs il fera très peu de
dépenses, et ne se mêlera d’aucune affaire. Tous les autres faits merveilleux
que l’on cite de ces hommes inconnus et extraordinaires peuvent aussi simplement
être ramenés à des explications naturelles que celui des sommes que le comte
de Saint-Germain reçoit continuellement537. » |
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La dernière visite que le comte accueillit à Berlin |
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fut celle de Dom
Pernety, conservateur de la bibliothèque de la ville, membre de l’Académie et
abbé de Burgel, en Thuringe, par la grâce de Frédéric II538. |
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Dom Pemety était un
fervent de l’alchimie. Étant bénédictin, il avait trouvé dans la bibliothèque
de l’Abbaye, un exemplaire de l’ouvrage de l’hermétiste Michel Maier : Arcana Arcanissima i.e. hieroglyphica Aegypto-graeca539. Il prit soin de traduire cette œuvre, d’un véritable adepte,
et de la publier, avec quelques modifications et additions540, sous le titre : Les Fables |
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Égyptiennes et
grecques dévoilées et réduites au même principe, avec une explication des
hiéroglyphes et de la guerre de Troie541. Juste un an avant son départ
pour la Prusse, il avait fondé à Avignon un Rite hermétique, divisé en six
degrés, avec un symbolisme se rapportant aux légendes grecques, expliquées
d’après les principes de son ouvrage. Il créa même un septième degré, dont le
rituel contient un cours complet d’hermétisme et de gnose. |
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On peut dire que
Dom Pernety était très savant (de la science qui tient à la mémoire) ; mais
sa science n’était que rudis indigestaque moles542, et nous croyons que ce fut la raison pour laquelle le comte
de Saint-Germain n’eut avec lui que peu de relations bien que Dom Pernety
allât le voir « en qualité d’adepte543 ». |
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Chapitre XIV : |
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Les hésitations du prince de Hesse |
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Ce fut dans le
courant d’octobre 1778 que le comte de Saint-Germain vint se fixer à Altona.
Ce gros bourg, dont le nom signifie : beaucoup trop près, est situé sur les bords de l’Elbe, et communique avec
Hambourg, la grande ville hanséatique, par une large chaussée. Altona était
le siège du gouvernement du duché de Holstein, lequel, à l’époque, dépendait
du Danemark. Depuis 1767, ce duché, ainsi que celui du Schleswig, était
gouverné par le landgrave Charles, prince de Hesse544. Celui-ci avait l’esprit grave et était fortement attaché aux
doctrines chrétiennes. Sa devise était : Omnia
cum Deo545. |
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Le comte de
Saint-Germain logeait, dans Altona, à l’auberge du Kaisershof, qui était
alors le rendez-vous ordinaire de tout ce que le bourg comptait d’hommes
remarquables dans les arts ; l’étroite et longue pièce du rez-de-chaussée qui
servait de salle aux buveurs suffisait quelquefois à peine à la foule des
hôtes, étrangers et nationaux, qu’attiraient soit la renommée de la maison,
soit les habitués qui la fréquentaient. |
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Dès l’arrivée du
comte, chacun désira le connaître, mais ce fut difficile, car il se tenait
sur la réserve et se familiarisait peu. Un avocat de Hambourg, Philippe
Dresser, essaya, mais en vain, et de ce fait garda rancune au comte546. Comme ce dernier
menait grand train, ne manquant pas d’argent, payant tout comptant et ne
recevant pas de traites, les langues se délièrent. Un conseiller de la
légation danoise affirmait l’avoir connu à Paris, à Londres et à La Haye ;
que, là-bas il s’était comporté comme ici ; que partout il avait été reçu à
la cour et avait été l’objet de distinctions particulières. Toutefois, on
n’avait jamais réussi à savoir qui il était. D’autres disaient que ses
serviteurs questionnés ne savaient rien de lui pour la raison qu’il s’en
débarrassait aussitôt qu’il quittait |
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un endroit. Enfin,
on prétendait qu’il écrivait jour et nuit et correspondait avec les plus
grandes têtes couronnées547. |
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Deux personnes
étaient devenues cependant ses intimes : la comtesse de Bentinck, née
comtesse d’Oldemburg, et le ministre de France à Hambourg, le baron de la
Housse. Grâce, à l’amabilité de ce dernier, très lié avec le prince de Hesse,
une rencontre fut ménagée par lui entre le landgrave et le comte de
Saint-Germain. Cette rencontre eut lieu en l’hôtel du gouverneur, dans le
courant de décembre 1778. |
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« Il [le comte]
parut se prendre d’affection pour moi, dira plus tard le prince de Hesse,
surtout lorsqu’il apprit que je n’étais point chasseur, ni n’avait d’autres
passions contraires à l’étude des hautes connaissances de la nature. Il me
dit alors : « Je viendrai vous voir à Schlesvig et vous verrez les grandes
choses que nous ferons ensemble548. » |
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Le prince de Hesse
ayant fait comprendre au comte qu’il avait bien des raisons pour ne point
accepter, pour le moment, la faveur qu’il voulait lui faire, celui-ci lui
répondit : « Je sais que je dois venir chez vous, et je dois vous parler ».
Le prince ne sut aucun autre moyen pour éluder toute explication, « que de
lui dire que le colonel Koeppern, qui était resté en arrière, |
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malade, suivrait dans une
couple de jours, et qu’il pouvait lui en parler549 ». |
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Quelques jours
après, le colonel Koeppern, qui était le maréchal de la cour du prince de
Hesse, se présenta au comte de Saint-Germain, afin de lui faire part du désir
de son maître : le prévenir et le dissuader de venir à Schleswig. Mais le
comte lui répondit : « Vous n’avez qu’à dire ce que vous voulez, je dois
aller à Schleswig, et je n’en démordrai point, le reste se trouvera », et il
termina en disant au colonel Koep-pern d’avoir l’obligeance de faire préparer
un appartement pour le recevoir. Rentré à Schleswig, le colonel transmit la
réponse du comte au prince de Hesse ; celui-ci, stupéfait, demeura interdit550. Toutefois, s’étant
informé de ce qu’était le comte de Saint-Germain auprès d’un officier de
l’année prussienne, le colonel Frankenberg, ce dernier lui répondit : « Vous
pouvez être persuadé que ce n’est point un trompeur, et qu’il possède de
hautes connaissances. » Et pour preuve de cette allégation, le colonel
informa le prince de Hesse du fait suivant. Étant en Dresde, en 1777, avec sa
femme, ils avaient fait la connaissance du comte ; ce dernier leur rendit un
grand service. « La femme de l’officier voulait vendre une paire de boucles
d’oreilles. Un joaillier lui en offrit une bagatelle. Elle en parla devant le
comte, qui lui dit : « Voulez-vous me les montrer ? ». Ce qu’elle fit. Alors,
il lui |
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dit : « Voulez-vous
me les confier pour une couple de jours ? Il les lui rendit, après les avoir
embellies. Le joaillier, auquel sa femme les montra ensuite, lui dit : «
Voilà de belles pierres, elles sont tout autres que les précédentes que vous
m’avez montrées et il les paya plus du double551. » |
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Le prince de Hesse
remercia le colonel Franken-berg de son récit, mais, en lui-même, souhaita
que le comte ne vînt pas à Schleswig. |
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Chapitre XV : Le disciple |
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Le prince de Hesse
habitait le vieux manoir féodal appellé Gottorp, situé près de la ville de
Schleswig, à l’extrémité ouest de la baie de la Schley, sur la côte orientale
du Schleswig. |
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Le comte de
Saint-Germain arriva au château, en août 1779. Dès ses premières entrevues
avec le prince de Hesse, le comte lui fit part des grandes choses qu’il
voulait faire, pour le bien de l’humanité. « Je n’en avais aucune envie, dit
le prince, mais enfin je me fis un scrupule de repousser des connaissances
très importantes à tout égard, par une fausse idée de sagesse ou d’avarice,
et je me fis son disciple552. » |
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Quelque temps après
un hôte de marque vint rendre visite au prince de Hesse. C’était le duc
Ferdinand de Brunswick553 et voici ce que ce dernier écrivit au prince Auguste de
Brunswick : « J’ai fait la connaissance du comte de Saint-Germain et j’en
suis très heureux. Trois fois j’ai été chez lui. Il a acquis de grandes
connaissances dans l’étude de la nature… Ses |
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connaissances sont très
vastes et, comme on le pense, sa conversation est pleine d’enseignements554. » |
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De même que le duc
de Brunswick, le prince de Hesse « estimait le comte et le prisait de toutes
ses forces et de tout son cœur, prenant journellement trois heures de leçons
avec lui555 ». «
Le comte parlait beaucoup de l’embellissement des couleurs, qui ne coûtaient
presque rien, de l’amélioration des métaux, ajoutant qu’il ne fallait
absolument point faire de l’or, si même on le savait, et resta, absolument
fidèle à ce principe556. Les pierres précieuses coûtent à l’achat ; mais quand on
entend leur amélioration, elles augmentent infiniment de valeur. Il n’y a
presque rien dans la nature, qu’il ne sût améliorer et utiliser. Il me confia
presque toutes les connaissances de la |
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nature557, mais seulement
leur entrée, me faisant alors chercher moi-même, par des épreuves, les moyens
de réussir, et se réjouissait extrêmement de mes progrès. Cela se rapporte
aux métaux et aux pierres, mais pour les couleurs, il me les donna
effectivement, ainsi que plusieurs connaissances fort importantes558. » |
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« Il prétendait
avoir ses connaissances par sa propre application et ses recherches. Il
connaissait les herbes à fond, et avait inventé les médecines dont il se
servait continuellement, et qui prolongeaient sa vie et sa santé559. » |
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En effet, le comte
de Saint-Germain avoua au prince de Hesse avoir atteint l’âge de 88 ans,
quoiqu’il parût un peu plus jeune. |
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Le prince de Hesse
avait mis à la disposition du comte un médecin nommé Lossau, ancien
apothicaire ; celui-ci préparait les médicaments dont le comte lui avait
dicté les compositions. L’un de ces médicaments était une préparation à base
de thé que les riches de Schleswig achetaient mais que les |
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pauvres de la ville
recevaient pour rien560, ainsi que les soins médicaux du Dr Lossau, « si bien, dira
le prince de Hesse, qu’une grande quantité de gens furent guéris et qu’à son
su personne ne mourut561 ». À ses yeux, le comte de Saint-Germain était un des plus
grands philosophes qui aient existé : « Ami de l’humanité, ne voulant de
l’argent que pour le donner aux pauvres, ami aussi des animaux, son cœur ne
s’occupait que du bonheur d’autrui. Il croyait rendre le monde heureux en lui
procurant de nouvelles jouissances, de plus belles étoffes, de plus belles
couleurs, à bien meilleur marché. Je n’ai jamais vu, ajoute le prince de
Hesse, un homme avoir un esprit aussi clair que le sien562. » D’après ce
dernier, les principes philosophiques du comte par rapport à la religion se |
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résolvaient en un
pur matérialisme, « mais qu’il savait représenter si finement, qu’il était
bien difficile de lui opposer des raisonnements victorieux. Il n’était rien
moins qu’adorateur de Jésus-Christ, et se permettait des propos peu agréables
pour moi à son égard : |
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—
Mon cher comte, lui dis-je, il dépend de vous, ce que vous
voulez croire sur Jésus-Christ, mais je vous avoue franchement que vous me
faites beaucoup de peine en me tenant des propos contre lui, auquel je suis
si entièrement dévoué. |
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Il resta pensif un moment, et me répondit : |
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Jésus-Christ n’est rien, mais vous faire de la peine c’est
quelque chose, ainsi je vous promets de ne vous en reparler jamais563. » |
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Chapitre XVI : |
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Le rideau retombe |
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Le comte de
Saint-Germain ayant manifesté le désir d’établir, dans le Schleswig, une
fabrique de couleurs, le prince de Hesse acquit à son intention, à
Eckemfœ-rde564,
les bâtiments de l’ancienne teinturerie de feu Otte565, et l’y installa. C’était au début de 1781. |
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« J’achetai, dit le
prince de Hesse, des soies, des laines, etc. Il y fallut avoir bien des
ustensiles nécessaires à une fabrique de cette espèce. J’y vis teindre, selon
la manière dont je l’avais appris et fait moi-même dans une tasse, quinze
livres de soie dans un grand chaudron. Cela réussissait parfaitement. On ne
peut donc dire, que cela n’allait point en grand566. » Chaque fois qu’il rendait visite au comte, à la
teinturerie, il lui posait de nombreuses questions et ne rentrait jamais au
château de Gottorp, sans s’être enrichi de connaissances nouvelles et fort
intéressantes. |
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Le prince de Hesse avait pour tous une mansué- |
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tude égale. Il
avait fait, en mai 1781, la connaissance par voie épistolaire, d’un
commerçant en soieries de la ville de Lyon, en France, avec lequel il s’était
senti une similitude d’un caractère religieux. Ce dernier se nommait
Jean-Baptiste Willermoz567. |
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Ayant appris que
les affaires commerciales du soyeux lyonnais n’étaient pas brillantes, il lui
écrivit en lui proposant de quitter la France et venir à Eckemfœrde fonder
une fabrique de draps de soie, de coton et de lin, auprès de la fabrique de
couleurs du comte de Saint-Germain, dont il lui vanta l’excellence des
produits, lesquels : « étaient de belles couleurs toutes fines, d’une durée
éternelle, sans que rien de ce qui altère ordinairement les autres couleurs
comme acides, soleil, air, temps pluvieux, puisse les endommager le moins du
monde568 ». |
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Le prince de Hesse
ne doutait pas que la collaboration de ces deux personnes appliquée au
tissage et à la teinture ne donnât des résultats fructueux. Wil-lermoz refusa
de s’expatrier, même pour refaire sa fortune ; cependant, il accepta l’offre
de l’exclusivité des teintures du comte de Saint-Germain. C’est alors |
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qu’il demanda des
échantillons569
et l’affaire en resta là malgré l’insistance du prince de Hesse570. |
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Durant ce temps, le
comte de Saint-Germain ne ménageait ni son temps, ni sa santé, si bien qu’en
août 1782, il contracta un rhumatisme aigu, par suite d’un séjour prolongé
dans une chambre humide du rez-de-chaussée de la teinturerie, et malgré tous
ses remèdes, il ne s’en remit jamais entièrement. « Je le trouvai un jour,
dit le prince de Hesse, au début de 1783, très malade et se croyant sur le
point de mourir. Il dépérissait à vue d’œil. Après avoir dîné dans sa chambre
à coucher, il me fit asseoir, seul devant son lit, et me parla alors bien
plus clairement sur bien des choses, m’en pronostiqua beaucoup, et me dit de
revenir le plus tôt possible, ce que je fis, mais je le trouvai moins mal à
mon retour, cependant il était fort silencieux571. » |
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Dans l’une des
dernières conversations que le prince de Hesse eut avec le comte, celui-ci
lui avoua qu’il était : « le plus ancien des Maçons ». Cette affirmation
étonna beaucoup le prince de Hesse étant |
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donné que le comte
avait toujours fait semblant de ne rien savoir de la Maçonnerie. Le prince de
Hesse lui ayant posé alors diverses questions sur certains points de détails,
le comte lui répondit avec une précision et une promptitude surprenantes : |
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— Est-ce que vous avez connu un certain Marschall de
Bieberstein ?572 |
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— Oui, très bien. |
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— Où l’avez-vous connu ? |
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— À Varsovie. |
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— Est-ce qu’il savait quelque chose ? |
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— Relata refero573. Me comprenez-vous, mon enfant ! |
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— Oui, mon cher
comte ; je vois que cela veut dire qu’il avait des papiers et que cette
instruction, il pouvait la donner à d’autres. |
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Le comte ayant approuvé cette réponse, le prince de Hesse
poursuivit : |
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— Feu Hund574 ne voulait pas nous tromper pourtant, n’est-ce pas ? |
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— Non, c’était un bon homme. |
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Brusquement le prince de Hesse lui demanda : |
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— Qui était le prédécesseur de Marschall de Bieberstein ? |
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— Le baron de Rod, à Kœnigsberg. |
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Cette dernière
réponse du comte de Saint-Germain donna au prince de Hesse la certitude que
son interlocuteur appartenait à la Maçonnerie, et il écrivit à son ami,
Jean-Baptiste Willermoz, après lui avoir conté l’anecdote : « Voici de toutes
les preuves de notre filiation la seule bonne que j’ai jamais eue ; mais elle
ne saurait l’être pour d’autres575. » |
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Avant de partir
pour Cassel, au mois de décembre 1783, le prince de Hesse eut encore deux
entrevues avec le comte celui-ci lui fit connaître à la première : « Au cas
qu’il mourût pendant son absence, il trouverait un billet fermé, de sa main,
qui lui suffirait 576. » À la deuxième, qui se passa deux jours avant son départ,
le prince de Hesse pressa le comte de lui faire part du contenu de ce billet,
ce à quoi ce dernier lui répondit, d’une voix affligée : « Ah, serais-je
malheureux, mon cher prince, si j’osais parler577. » Celui-ci n’insista pas et prit congé du comte qu’il ne
revit jamais. |
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Le comte de
Saint-Germain mourut d’une attaque de paralysie, à Eckernfœrde, le 27 février
1784. Il recommande au Dr Lossau, qui l’assistait dans ses derniers moments,
de dire au prince de Hesse, sachant que cela lui ferait plaisir : « Que Dieu
lui avait fait la grâce de lui faire changer d’avis encore avant sa mort, et
que le prince de Hesse ferait beaucoup pour soit bonheur dans un autre monde578, » et le Dr Lossau
ajoutera : « Le comte est mort en pleine connaissance579. » |
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Les obsèques eurent lieu
le 2 mars, dans la mati-née580. D’après les registres
paroissiaux de l’église |
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Saint-Nicolas, la
cérémonie ne comporta qu’une messe basse et le corps fut déposé dans le
caveau de l’église581. On peut lire sur le registre des décès, la mention suivante,
sans autres indications : « Celui qui se nommait comte de Saint-Germain et
Welldone est décédé ici, et a été inhumé à l’église de notre ville ». |
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En date du 3 avril 1784, le bourgmestre d’Ecker- |
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nfœrde fit afficher
dans la ville l’avertissement suivant : « Nous, bourgmestre et conseil de….
portons à la connaissance de chacun que cela intéresse : Celui qui était
connu à l’étranger comme ici, sous le nom de comte de Saint-Germain et
Welldone, et qui vécut dans notre pays durant les quatre dernières années,
est décédé récemment en notre ville ; la succession a été légalement mise
sous scellés, précaution jugée nécessaire envers ses héritiers ab intestat, puisque jusqu’à
présent, on n’a pas trouvé de testament, etc. ». |
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En foi de quoi, le
bourgmestre invitait tous les créanciers, ou soi-disant tels, de bien vouloir
présenter un état de leur doit, au terme fixé au 14 octobre 1784582. |
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Ce fut justement
dans le courant du même mois que le prince de Hesse, rentrant à Schleswig,
apprit, non sans un serrement de cœur, le décès de celui qu’il considérait
être plus qu’un ami. Il se porta aussitôt garant des sommes dues par le comte
Saint-Germain. Une seule chose l’intéressait : le billet que devait avoir
laissé le comte, mais on n’en trouva aucune trace. D’après lui : « ce billet
a pu être confié à des mains infidèles583. » |
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On a prétendu que
le prince de Hesse « avait hérité de tous les papiers du comte de
Saint-Germain et reçu les lettres arrivées depuis, au défunt »584, cependant rien ne
le prouve celui-ci ne fait mention dans ses Mémoires que de la possession de recettes médicamenteuses, lesquelles
recettes lui amenèrent des |
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désagréments de la
part des médecins de Schleswig, si bien qu’après la mort du Dr Lossau, le
prince de Hesse : « dégoûté des propos qu’il entendait de tous côtés retira
les recettes et ne remplaça pas son médecin »585 |
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Ainsi se termina la
vie du comte de Saint-Germain, honni par les uns, admiré par les autres, et
dont la renommée a porté aux quatre coins du monde le nom mystérieux sous
lequel il est connu. Reprenant à notre compte les qualificatifs que lui
décerna Casanova, nous dirons avec lui : Le comte de Saint-Germain fut grand,
prodigieux et singulier. Grand par ses talents, prodigieux par son savoir et
singulier par sa vie vagabonde. Il vint, il vécut, il passa, et son nom,
comme celui de tous les personnages énigmatiques s’auréola d’une légende586. |
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TROISIÈME PARTIE |
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IL ÉTAIT UNE FOIS |
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Les Mages réels, s’ils dédaignent de vivre, se dispensent
aussi de mourir. |
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Villiers de l’Isle Adam |
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Chapitre premier : Saint-Germain l’immortel |
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Nous nous sommes
efforcé, dans les pages qui précèdent, de suivre le comte de Saint-Germain
dans toutes les vicissitudes de son existence, depuis 1743, époque à laquelle
nous le trouvons mentionné pour la première fois, jusqu’au 27 février 1784,
date de sa mort « officielle ». Avec tout autre personnage, notre tâche
serait presque terminée et il ne nous resterait plus qu’à soumettre au
lecteur nos conjectures sur la naissance et la jeunesse de notre personnage,
mais il en va tout autrement avec le comte de Saint-Germain. À peine la tombe
d’Eckernfœrde est-elle refermée que va se former une légende qui, ne cessant
de se développer jusqu’à nos jours, finira par atteindre les limites les plus
extrêmes du fantastique, à ce point qu’il existe aujourd’hui de par le monde
des gens, plus nombreux qu’on ne pense généralement, qui attendent chaque
jour que le comte de Saint-Germain leur apparaisse pour leur conférer quelque
mystérieuse initiation et des pouvoirs plus mystérieux encore. |
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Renonçant
plus ou moins à tout esprit critique, nous allons recueillir, dans l’ordre
chronologique les |
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éléments de la «
légende » du comte de Saint-Germain depuis son origine jusqu’à ses derniers
développe-ments587.
Circonstance singulière, les ennemis et les admirateurs du comte de
Saint-Germain ont également contribué à la formation de la « légende », mais
il semble bien que ce soient ses ennemis qui aient commencé. |
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C’est ainsi que le
6 avril 1784, la Gazette de Brunswick (Neuen
Braunschweigischen nachrichten), dans son no 56, publia
l’entrefilet suivant sous la signature du Dr J. A. Remer, professeur
d’histoire au collège Karo-lin, de Brunswick : « Le grand chimiste
Pierre-Joseph Macquer est mort à Paris le mois dernier [15 février !] ainsi
que le fameux voyageur charlatan, le comte de Saint-Germain. » Cette calomnie
ne tarda pas à être relevée. En effet, quelques jours après, le 12 avril,
dans le no
59 de la même gazette, on pouvait lire ce qui suit : « Le comte de
Saint-Germain, dont la mort a été mentionnée dans ces feuilles, ne mérite pas
les adjectifs employés. Il avait des particularités que l’on trouve chez tous
les génies. Des personnes qui l’ont connu de près et dont le jugement ne peut
être suspecté, certifient qu’il était un homme d’une grande profondeur en
matière de connaissance de la nature, qui employa ce qu’il savait, jusqu’à la
fin de sa vie, pour le bien de l’humanité. De grands princes, pleins de
discernement, lui accordèrent leurs bienveillance |
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et protection.
Lorsqu’il fut atteint de paralysie, il resta pleinement conscient et supporta
la décision du grand Être causal du Tout avec une soumission particulièrement
illuminatrice et exemplaire588. » |
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Il ne fut opposé aucune
réponse à cette mise au point, anonyme et mesurée. |
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Toutefois, « un
espèce de journal (soit dit sans injure), voleur et compilateur », dira plus
tard Sainte-Beuve, intitulé L’Esprit des Journaux, et paraissant à Paris, inséra la note suivante, dans son
numérodu 6 juin 1784 : « On apprend de Sleswick que le fameux comte de
Saint-Germain qui s’était retiré à Hambourg, il y a quelques années, et qui
depuis quatre ans avait quitté cette ville pour se rendre auprès du prince de
Hesse, vient d’y mourir. » Cette note était suivie du commentaire suivant : «
Une érudition et une mémoire prodigieuse le secondaient parfaitement, dit un
papier public [?], dans l’attention qu’il ne perdait jamais de vue de laisser
tout le monde dans l’ignorance absolue sur son origine, son âge et le lieu de
sa naissance. Il prétendait avoir connu beaucoup Jésus-Christ et s’être
trouvé à côté de lui aux noces de Cana, lorsqu’il changea l’eau en vin. À ce
compte, il avait vécu plus de 2.000 ans ; et on s’étonne qu’il n’ait pas jugé
à propos de vivre encore quelques milliers, car
en cela il n’y a que le premier mille qui coûte589. » |
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C’était un excellent
début pour un « légendaire » concernant le comte de Saint-Germain. |
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En janvier 1785, le
journal de Berlin (Berlinische Monatsschrift), dénonça au public l’estampe qui représente notre personnage590. Ce portrait, gravé
au burin par N. Thomas en 1783, est tiré du cabinet de feue la marquise
d’Urfé591,
et dédié au comte de Milly, de l’Académie des Sciences592. L’auteur de cet
écrit le Dr
Biester, s’exprimait ainsi : « Le comte de Saint-Germain, cet aventurier,
mort il y a deux ans dans le Holstein [erreur, le décès est du 27 février
1784, à Eckernfœrde, dans le Schleiswig] était une digne réplique de feu le
comte Cagliostro [nouvelle erreur, Cagliostro ne mourut que le 26 août 1795]
; lui aussi trouva des admirateurs et des disciples en quantité, et sur quel
ton fut-il admiré ? Précisément, maintenant, |
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je reçois une
gravure, sur laquelle on le voit avec un visage de cour insignifiant [?],
dans un splendide vêtement de fourrure, et sous laquelle il se trouve des
vers curieux qui méritent l’attention, pour rendre mieux connue la façon de
penser de tels hommes qui n’ont pas honte de répandre de temps à autre de
telles choses. |
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« Je savais
parfaitement bien que beaucoup de grands et de gens du peuple se laissaient
leurrer par cet homme, lequel ne possédait ouvertement, ni en secret, de
véritable art et science quoiqu’ils ont le secret de faire accroire qu’il
était un homme miraculeux. |
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« Cet homme qui
savait une foule de choses mais rien à fond, que personne de sensé ne
respectait à Dresde et à Berlin, cet homme était assez audacieux pour faire
soupçonner qu’il savait tout, pouvait tout. Il se trouva malheureusement même
parmi les princes allemands des gens qui le croyaient. Il était soi-disant un
virtuose musical, et aurait joué du violon avec un tel brio qu’on croyait
entendre trois violons alors qu’il jouait assez médiocrement. Non seulement,
il devait être à même d’améliorer le cuir, la laine, mais aussi savoir
supprimer les taches aux diamants défectueux |
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et parvenir à
fondre plusieurs diamants en un seul. Il était aussi réputé pour savoir faire
de l’or. Il avait trouvé enfin le secret de rajeunir voire même de ne pas
mourir593. Il
acheta des immeubles et des terrains et l’on se demandait d’où provenait tout
cet argent, etc. |
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|
« Je connais tout
cela fort bien. Je sais également qu’il trouvait encore crédit, en faisant
répéter, ou en faisait comme par mégarde ou en l’affirmant ouvertement, qu’il
était extrêmement âgé. Tantôt il avait seulement échangé des lettres avec
l’empereur Léopold, tantôt avec les frères de la Rose-Croix d’Or, tantôt il
avait vécu dès l’enfance amicalement avec Frédéric Gualdo594, voire même avec N. S. Jésus-Christ, auquel il aurait donné
toutes sortes de conseils relatifs à son attitude. |
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« J’en connais qui
aujourd’hui encore, alors qu’il est mort, croient qu’il vit encore et
réapparaîtra bien vivant. Comme il est bien mort et enterré ainsi qu’un homme
ordinaire, incapable de faire des miracles, que jamais prince ne salua ou
saluerait, je n’aurais jamais pu supposer que l’on put l’honorer au point que
voici : |
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le comte de
saint-germain |
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CÉLÈBRE ALCHIMISTE |
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Ainsi que Prométhée, il déroba le feu |
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Par qui le Monde existe, et par qui tout respire ; |
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La Nature à sa voix obéit et se meut : |
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S’il n’estpas dieu lui-même, un dieu puissant l’inspire. |
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« Qui aurait pensé
que de nos jours le nom d’alchimiste pourrait être un titre d’honneur pris au
sérieux. Au fait, mérite bien d’être nommé célèbre alchimiste celui dont la
nature écoute la voix et lui obéit. La nature ! sait-on ce que l’on dit en se
servant de tels mots ? Mais la dernière ligne : |
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S’il n’est pas dieu lui-même, un dieu puissant l’inspire. |
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« L’expression
conditionnelle du premier membre de la phrase prouve que l’on accepte comme
vraie ou du moins comme vraisemblable cette pensée. Je ne suis certainement
pas intolérant ni hérétique, je n’aime pas employer des mots sévères ni
porter de lourdes accusations là où la moquerie peut se substituer mais je
craindrais d’être indigne du nom d’adorateur de Dieu si je ne déclarais pas
sérieusement qu’il s’agit ici du plus honteux blasphème dont s’est jamais
fait jour l’esprit de l’erreur. Même si l’on admettait que cet homme fut si
sage, d’esprit si pénétrant qu’il fut fou ou ignorant ; si noble, si grand et
modeste qu’il fut enfantin, orgueilleux et vantard ; si noble de pensée qu’il
fut égoïste ; si ouvert et vrai qu’il fut fourbe et trompeur, etc. Il n’en
reste pas moins vrai que tout homme devrait se refuser de telles louanges et
termes que j’ai honte à simplement répéter à son égard. Un |
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athéisme avéré
quoique lourd, tel qu’il commence à se faire jour à nouveau, est moins
nuisible qu’une telle adoration d’un homme. C’est certainement triste d’avoir
à vivre parmi des concitoyens qui n’ont jamais atteint les pensées les plus
élevées, qui ignorent le Père universel, créateur de la nature et des hommes,
sur la moralité desquels je ne saurais compter qu’en tant que sentimentalité
ou pour raison de peur du châtiment ! Mais, mille fois bien venue me soit
votre société contre de tels gens qui croient possible, imaginable, qu’un
faible homme comme vous et moi puisse dominer la nature, qu’un être limité
aie pouvoir sur tout ce qui vit et par quoi le monde existe. Je frémis
lorsque je me représente les conséquences que de telles croyances peuvent
amener. |
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« Et qui se sert de
telles expressions ? non pas des sauvages, dont l’esprit rudimentaire s’est
fait une image triviale de Dieu, en admettant qu’un homme de boue puisse
également atteindre une telle stature, mais des européens cultivés qui savent
pourtant que l’esprit le plus sagace s’évertue en vain pour s’imaginer même
l’ombre d’une qualité divine. De plus, ce sont de pieux chrétiens qui
emploient de tels termes à l’égard d’un homme595. » |
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De son côté, l’éditeur et
écrivain berlinois, Frédéric Nicolaï écrit : « Saint-Germain fut considéré
comme |
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un dieu et attira
l’attention des princes ainsi que d’autres personnes ne manquant pas d’esprit596. » |
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Parmi d’autres
écrits satiriques consacrés au comte de Saint-Germain, il en est plusieurs
dus à la plume d’un pamphlétaire sur qui nous croyons utile de donner
quelques renseignements. |
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Jean-Pierre-Louis
de Luchet, fils de Fr.-Louis de Luchet, écuyer, lieutenant d’infanterie dans
le régiment du Perche, et de Marie-Anne Revillaud, est né à Saintes le 13
janvier 1739. Après avoir fait ses études dans sa ville natale, il entra,
comme deux de ses frères, dans les ordres, et se fit jésuite. À la
suppression de l’ordre en 1763, il rentra dans le monde et embrassa la
carrière des armes. Étant officier de cavalerie, il fut connu sous le nom de
« marquis de la Roche-du-Maine ». Après avoir donné sa démission en 1765, il
épousa Mlle
Delon, fille d’un négociant de Genève, peu fortuné, et prit le titre de «
marquis de Luchet ». En 1766, il publia une Histoire
d’Orléans, qui devait avoir deux tomes.
Toutefois, le tome premier ayant fait grand bruit à son apparition, en raison
des attaques qui étaient dirigées contre la mission providentielle de Jeanne
d’Arc, la suite ne parut jamais. |
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De Luchet s’occupa
ensuite d’orpaillerie. Il donna à Paris le plan d’une entreprise pour tirer
d’une rivière du Languedoc un prétendu sable d’or et emporta l’argent de
beaucoup de gens, entre autres |
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de la duchesse de Villeroi, qui lui avait confié 80.000 livres597. |
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De son côté, la «
marquise » de Luchet eut une aventure fâcheuse. Comme maîtresse de maison,
elle ne sut pas tenir ses amis dans la limite où la plaisanterie cesse d’être
inoffensive et devient une injure598. Sur la plainte de l’offensée, la marquise de Crussol, elle
fut réprimandée par la police devant laquelle elle avait été appelée,
flétrissure dont on ne se relevait point, et qui la chassa de Paris599. |
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Les de Luchet
partirent ensuite pour Chambéry. Dans cette ville, l’ancien officier essaya
d’une exploitation de mines qui ne réussit pas, non plus que dans la
fondation d’un journal qui n’eut aucun succès. |
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C’est alors que
ruiné, il vint avec sa femme habiter chez Voltaire, à Ferney. Mme de Luchet tâcha de
payer son hospitalité « par des petits soins qu’on reconnaît, lors même
qu’ils fatiguent un peu600 ». |
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En 1777, le
landgrave de Hesse-Cassel, Frédéric II, à qui de Luchet avait été recommandé
par le patriarche de Ferney, l’engagea à venir à Cassel comme chambellan,
bibliothécaire et directeur des spectacles. Il y resta jusqu’en 1785. Le 14
août 1781, il prononça un |
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discours dans la
Loge « Frédéric de l’Amitié » à l’occasion du jour anniversaire de la
naissance de son protecteur. À la mort de Frédéric II, il passa au service du
prince Henri de Prusse, et ne revint à Paris qu’à la fin de 1786 ; il y
mourut le 6 avril 1792. Le « marquis » de Luchet s’avisa dans un premier
écrit, publié anonymement, de mettre en présence le comte de Saint-Germain et
Cagliostro, dont l’affaire du « Collier » venait de mettre le nom en vedette
: « Il est vrai, dira-t-il, que nos mémoires n’en font aucune mention, et que
cette aventure ne se trouve que dans le roman, mais il a dû nécessairement
avoir pour base quelques faits réels601. » Or, que nous sachions, dans aucun écrit pour ou contre
Cagliostro, il n’est fait mention d’un séjour de celui-ci dans le Holstein,
soit avant ou après le premier ou le deuxième voyage à Londres. Et cela est
si vrai, qu’un autre auteur, lui aussi anonyme, écrira : « C’était un coup de
théâtre que d’imaginer cette rencontre ; en voilà assez pour en suspecter la
réalité602.
» |
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D’après de Luchet,
Cagliostro et sa femme viennent d’Italie, se rendant en Russie, en passant
par Vienne et le Holstein, pour arriver à Saint-Pétersbourg603. Ce |
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qui est inexact,
puisque selon le Dr
Marc Haven, le voyage de Cagliostro en Russie se fit par Amsterdam,
Bruxelles, Francfort, Leipzig, Berlin, Kœnigsberg et Mittau604. |
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Cagliostro demanda
une audience secrète au comte de Saint-Germain, le dieu
des croyants ! 605 La réunion fut fixée pour deux heures du matin. Cagliostro et
sa femme ayant revêtu une tunique blanche, « coupée par une ceinture aurore
», se présentèrent au château « habité par le comte de Saint-Germain depuis
plusieurs années, où il faisait en paix le bonheur de trois personnes, qui
l’abreuvaient des vins de Champagne et de Hongrie, en reconnaissance du
pactole qu’il avait amené dans leurs terres606 ». Ils sont introduits dans un salon mal éclairé : « Tout à
coup, deux |
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grandes portes
s’ouvrent, et un temple resplendissant de mille bougies frappe leurs regards.
Sur un autel était assis le comte ; à ses pieds, deux ministres tenaient des
cassolettes d’or d’où s’élevaient des parfums doux et modérés. Le dieu avait
sur sa poitrine une plaque de diamants dont à peine on supportait l’éclat.
Une grande figure blanche diaphane, soutenait dans ses mains un vase sur
lequel était écrit, élixir de l’immortalité 607 ; un peu plus loin, on apercevait un miroir immense, devant
lequel se promenait une figure majestueuse, et au-dessus du miroir était
écrit, dépôt des âmes errantes608. |
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Le silence régnait dans
l’enceinte ; une voix qui n’en était pas une609, fit cependant entendre ces |
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mots : « Qui
êtes-vous ? d’où venez-vous ? que voulez-vous ? » À ces injonctions,
Cagliostro et sa femme se prosternèrent puis le premier se relevant s’écria :
« Je viens invoquer le dieu des croyants, le fils de la nature, le père de la
vérité. Je viens demander un des quatorze mille sept cents secrets qu’il
porte dans son sein. Je viens me faire son esclave, son apôtre, son martyr.
Le dieu ne répondit rien. Mais après un assez long silence, une voix se fit
entendre, et dit : Que se propose la compagne de tes voyages ? Elle répondit
: obéir et servir610. » On sépara alors Cagliostro de sa femme. Les premières
épreuves terminées, ils furent ramenés dans le temple, où on leur déclara
qu’on allait les admettre aux divers mystères ! Un homme prononça le discours
suivant que chaque adepte est obligé de retenir sans pouvoir le copier : «
Sachez que le grand secret de notre art est de gouverner les hommes, et que
l’unique moyen est de ne jamais leur dire la vérité. Ne vous conduisez pas
suivant les règles du bon sens ; bravez la raison, et produisez |
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avec courage les
plus incroyables absurdités. Quand vous sentirez ces grands principes
s’affaiblir, mettez-vous en retraite, recueillez-vous, et parcourez la terre
vous y verrez que les plus absurdes extravagances y obtiennent un culte… Le
tombeau de saint Médard a remplacé l’ombre de saint Pierre611, le baquet de Mesmer, la piscine du philosophe Nazaréen ;
souvenez-vous que le premier ressort de la nature, de la politique de la
société est la reproduction, que la chimère des mortels est d’être immortels
; de connaître l’avenir lors même qu’ils ignorent le présent, d’être
spirituels tandis qu’eux et tout ce qui les environne, est matière612. » |
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Cagliostro et sa
femme subirent ensuite les deuxièmes épreuves : pour elle, les cérémonies
essentielles du culte Otahitien, et pour lui, ceux de l’infâme Antinous, «
orgie, qui dément le faux frère, inventeur de ces facéties dégoûtantes613 ». Un festin
termina ces grossières cérémonies, au cours duquel on leur apprit « qu’il
fallait fuir, détester, calomnier les gens d’esprit ; flatter, chérir,
aveugler les sots ; répandre avec mystère que Saint-Germain était âgé de 500
ans, faire de l’or, du thé et des dupes surtout614 ». |
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C’est à la suite de la
publication de cette soi-disant « entrevue » qu’on fit courir le bruit que
Cagliostro |
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avait été le valet
de chambre et aussi l’élève du comte de Saint-Germain615. Et pourtant quelle différence entre ces deux personnages,
dira Max. de Lamberg : « Cagliostro est impénétrable et aussi singulier que
le comte de Saint-Germain dont il est dit être l’élève, alors même qu’il est
très loin de son maître en talent et en génie. Celui-ci doit sa célébrité à
son savoir celui-là la doit à la chance et aux intrigues616. » |
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De Luchet ne se
contenta pas d’induire en erreur son public en lui contant une fausse
entrevue, il voulut aussi faire croire qu’il en savait beaucoup plus sur les
faits et gestes du comte de Saint-Germain, et écrivit : « C’est un fou
sérieux, peu d’esprit, quelques connaissances en chimie, n’ayant ni
l’impudence qui convient à un charlatan, ni l’éloquence nécessaire à un
fanatique, ni la séduction qui entraîne les demi-savants617 ; » puis pour corser ces renseignements ajouta l’anecdote
suivante : « Étant à Chambéry, il [le comte] offrit sa chimie au marquis de
Bellegarde618. Ils se mettent à souffler, le creuset donne une matière qui
avait la couleur et le poids, mais non la ductibilité de l’or. Les opérations
se faisaient dans une terre, où dans l’espace de
sept mois le comte fut trois fois père. |
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L’argenterie devint
incomplète ; il avait emprunté de tous les côtés ; on lui conseilla de partir619. » En réalité,
cette anecdote reflète plutôt une mésaventure survenue à de Luchet lui-même.
Se trouvant à Chambéry en 1775, il essaya de s’enrichir dans les mines, en
cherchant de l’or. Ayant fait faillite, il dut s’enfuir à Lausanne pour
éviter la poursuite de ses créanciers620. |
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Une autre anecdote,
contée par de Luchet, n’a de rapport avec le comte de Saint-Germain que parce
qu’elle a trait à une mystification de ses contemporains : « Il [le comte]
s’était lié avec un escroc célèbre, autrefois espion du maréchal de
Belle-Isle, et retiré depuis à Bercy où il portait la croix de saint Louis
sur des haillons et du mortier sur son dos. Ils se mirent à faire de l’huile
de vitriol. C’était le prétexte pour faire de l’or. La discorde s’en mêla. Le
comte fut vaincu et quitta une ville [Paris] qui ouvre son sein à tous les
imposteurs de la terre621. » L’homme dont il est question ici est le fameux persifleur
Gauve, dit milord Gor, dont nous avons parlé précédemment622. |
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De Luchet récidiva dans
un dernier écrit publié à nouveau anonymement623, en mettant en cause le |
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comte de
Saint-Germain et son ami et protecteur, le landgrave Charles de Hesse, en
décrivant comme suit leur rencontre et ce que furent leurs relations : « Ce
Saint-Germain, après avoir scandalisé trente villes et dupé deux cents
apprentis chimistes rencontre un Grand, né libéral et sensible : il se résout
de terminer par lui le cours de ses jongleries. Voici le discours qu’il lui
tint : “Depuis près de quatre-vingts ans [il en avait alors
soixante-dix-sept], je cherche un homme, un homme dont je puisse faire un
vase d’élection, et le remplir de la céleste rosée que j’ai ramassée dans la
terre promise. Il doit ne rien savoir, et être propre à tout. D’autres
connaissances tiendraient dans sa mémoire la place de celles que je dois y
introduire ; et la lumière et les ténèbres, le pur et l’impur, Dieu et
l’homme ne s’allient pas ensemble. Je vous connais peu par moi-même, et
beaucoup par ceux que vous ne connaissez pas, mais que vous connaîtrez un
jour. |
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Le Ciel mit dans
votre âme pure les germes de toutes les qualités ; laissez-moi les développer
; devenez le récipient céleste dans lequel découleront les vérités
surnaturelles. Vous êtes invité, ou du moins vous le serez, à gouverner des
royaumes ; prêtez vos soins et votre génie aux humains, mais donnez votre
temps et votre étude au Maître Suprême. À l’âge de vingt-sept ans, vous vous
trouverez, dans peu de mois, en avoir quatre-vingt-dix. J’aurai excité,
travaillé, réalisé par, vous ; devenu un prodige pour le reste des humains,
vous ne ferez rien aux yeux de Dieu, si vous vous contentez d’être la lumière
d’une planète. Dépositaire des plus étonnants secrets, vous pourrez arrêter
la marche des étoiles, et tiendrez dans vos mains le destin des empires ;
mais la science n’est un trésor qu’autant que celui qui la donne en dirige
l’usage.” |
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« Le Grand, étonné
d’être un génie, enchanté de devenir un prodige, hors de lui en pensant qu’il
allait régenter l’Europe, baisse les yeux, se prosterne, et ne se relève que
pour aller faire préparer un château digne du thaumaturge. Quand il fut bien
établi, les préparations commencèrent, et le grand jour fut fixé. Quels sont
les secrets que l’on vit éclore ? L’art de donner au cuivre plus d’éclat et
de ductilité, la manière d’épurer les pierres fines, deux merveilles que
trois chimistes allemands ont enseignées dans leurs savantes leçons. Que
vit-on encore ? Un purgatif que chaque pharmacopole compose et vend au peuple
; une foule de liqueurs, dont plus d’un distillateur avait déjà payé le
secret en France et en Italie. |
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D’ailleurs, les
étoiles roulèrent comme à l’ordinaire, l’Europe n’éprouve aucune révolution,
pas même une très petite partie qui s’obstina à refuser la médecine politique
qu’on lui préparait. On vécut de promesses pendant plusieurs années, rien ne
s’effectua ; on surprit même le Dieu dans ses fonctions très humaines. Jamais
les yeux ne se dessillèrent, et tout en enterrant le Prophète, on crut à son
ascension miraculeuse624. » |
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Ailleurs laissant
exploser toute sa haine, de Luchet écrit : «… Pourquoi donner une espèce
d’existence à des hommes qui auraient plutôt mérité l’animadversion des lois,
que de la confiance ; aventuriers sans naissance, sans éducation, sans esprit
naturel, sans talents acquis ; sortis de la lie, errants sous des noms
supposés, n’ayant pour protecteurs que des imbéciles, pour adeptes que des
fanatiques, pour soutiens que des dupes625. » |
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Un auteur que nous
avons déjà cité, mais dont l’anonymat n’a pas été percé, émit l’hypothèse
suivante : «… pour moi, je suis fort porté à croire qu’il [le comte de
Saint-Germain] n’est point mort. Ses ennemis auront fait courir ce bruit par
pure malice, et sûrement ce Patriarche erre encore parmi les ombres : je veux
dire nous autres… Je ne voudrais même pas gager dix contre cent que ce
vénérable ne soit enca-gliostré et embastillé à l’heure où je parle626. » Remar- |
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quons que c’est la
deuxième fois que cette idée de la survivance est évoquée. |
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La qualification de
« célèbre alchimiste » donnée au comte de Saint-Germain devait avoir aussi
son écho. Dans un recueil poétique publié par le libraire-écrivain, Mercier,
de Compiègne627,
on peut lire un sonnet sur « la Création », d’un caractère nettement
hermétique, et dont l’original, dit-on, est de la main même du comte. Ce «
sonnet philosophique » est ainsi conçu : |
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« Curieux scrutateur de la nature entière, |
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J’ai connu du grand tout le principe et la fin, |
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J’ai vu l’or en puissance au fond de sa minière, |
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J’ai saisi sa matière et surpris son levain. |
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« … J’expliquai par quel art l’âme aux flancs d’une mère, |
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Fait sa maison, l’emporte, et comment un pépin |
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Mis contre un grain de blé, sous l’humide poussière ; |
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L’un plante et l’autre cep, sont le pain et le vin. |
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« Rien n’était,
dieu voulut, rien devient quelque chose, J’en doutais, je cherchai sur quoi
l’univers pose, Rien gardait l’équilibre et servait de soutien. |
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« Enfin, avec le poids de l’éloge et du blâme, |
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Je posai l’éternel, il appela mon âme |
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Je mourus, j’adorai, je ne savais plus rien628. » |
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Malheureusement, Mercier
oublie de nous faire connaître comment ce sonnet parvint entre ses mains. |
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La thèse avancée
par de Luchet, qui voyait dans le comte de Saint-Germain un émissaire des
Illuminés, fut reprise par Cadet de Gassicourt, et celui-ci nous apprend que
« chaque chapitre [des Illuminés] a un membre voyageur qui visite les autres
chapitres, et établit entre eux une correspondance. Le fameux comte de
Saint-Germain le fut pour Paris629 ; » de plus comme « étant l’un des trois chefs célèbres et
accrédités des Illuminés modernes, il est connu par ses visions et ses
prédications à Paris630 ». |
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Un autre écrivain,
Artaud de Montor, amplifia à nouveau cette thèse en disant : « Quelques-uns
des principaux adeptes des Illuminés se sont fait connaître de nos jours. Le
comte de Saint-Germain, Cagliostro, Lavater, etc., ont fixé l’attention de
toutes les nations européennes. Les talents de Cagliostro et |
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de Saint-Germain
consistaient à s’emparer des esprits faibles, à les nourrir de folles
espérances de richesses et de grandeur, et à fuir de royaume en royaume,
quand après avoir épuisé les libéralités des personnes crédules qui les
avaient accueillis, ils étaient arrivés à l’époque par eux fixée pour
réaliser les espérances ridicules qu’ils leur avaient fait concevoir631. » |
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Mais tout ceci
n’égale en rien l’extraordinaire histoire imaginée par l’abbé Barruel632. Celui-ci avait
appris par une coupure extraite du Courrier de
l’Escaut, du 9 mai 1785, qu’une société
mystérieuse se réunissait à Ermenonville « cherchant la pierre philosophale,
ayant des mœurs impossibles, présidé par le chevalier du Plain, dont on fit
un gentilhomme portugais et que ses disciples auraient appelé le Père Eternel.
Il aurait été un nouveau comte de Saint-Germain633 ». |
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L’occasion était
excellente pour une glose sur cette fable calomnieuse, et voici ce que notre
abbé écrivit : « On sait que le château d’Ermenonville, appartenant au sieur
Gérardin, à dix lieues de Paris, était un fameux repaire de l’Illuminisme. On
sait que là, auprès du tombeau de Jean-Jacques [Rousseau], sous prétexte de
ramener les hommes à l’âge de la nature, régnait la plus horrible dissolution
de mœurs. Le fameux charlatan Saint-Germain présidait à ses mystères ; il en
était le Dieu… Rien n’égale la turpitude des mœurs qui régnaient dans cette
horde d’Ermenonville. Toute femme admise aux mystères devenait commune aux
frères. Celle qu’avait choisie Saint-Germain était appelée vierge. Elle avait
seule le privilège de n’être pas livrée au hasard ou au choix de ces vrais
Adamites, si ce n’est quand il plaisait à Saint-Germain de se nommer une
autre vierge. Ce vil charlatan, plus adroit que Cagliostro, avait réellement
persuadé à ses adeptes qu’il était en possession de l’élixir de l’immortalité
; que cependant il avait subi divers changements par la métempsycose ; qu’il
était mort jusqu’à trois fois, mais qu’il ne mourrait plus ; que depuis son
dernier changement, il avait déjà vécu quinze cents ans634. » |
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Or, il résulte
d’une enquête faite à l’époque par le gouvernement que toute cette histoire
n’était qu’un tissu de calomnies, dont fit justice le personnage |
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public chargé de
l’enquête : « J’ai vu par les informations les plus scrupuleuses qu’il
n’existait dans la société d’Ermenonville, qu’une décente et honnête réunion
de deux familles et de quelques amis, composée de personnes respectables par
leur âge, leur mérite et leurs qualités635. » Au surplus, le petit cercle d’Ermenonville, présidé par le
marquis et la marquise de Gérardin, n’avait que des préoccupations
mystico-scientifiques, et en particulier s’intéressait à l’électricité «
considérée comme l’analogie du fluide vital, sinon l’élément des êtres
organisés, et l’âme même636 ». On affirme que parmi les assistants de ces réunions se
trouvaient : Quesnay de Saint-Germain, petit-fils de l’économiste Quesnay, et
partisan de Mesmer : « Tous ceux qui l’ont connu peuvent assurer qu’il n’a
jamais donné ni des exemples, ni des leçons de libertinage637, » et le chevalier
de Boufflers, qui dira lui-même que « ces assemblées n’avaient pour but que
de donner des principes de vertus et qu’elles consistaient principalement
dans la bienfaisance et la sensibilité, éclairés du flambeau de la raison638 ». |
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On trouve encore
dans les Mémoires de l’abbé
Bar-ruel d’autres renseignements aussi fantaisistes sur notre personnage : «
Dès l’année 1781, il s’était formé à Paris, rue de la Sourdière, un club tout
composé de |
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cette espèce
d’Illuminés639.
Le fameux comte de Saint-Germain avait aussi ses rendez-vous dans cette même
Loge640. »
Quand on se souvient que ce dernier était à l’époque à Eckernfoerde, que
valent des affirmations pareilles ? Il en est de même de celle qui prétend
qu’il assista au second convent des Philalèthes641, en avril 1785, bien qu’il fût décédé depuis plus d’un an. |
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Il est encore un
fait de nature à expliquer le rôle maçonnique que l’on attribue au comte de
Saint-Germain, en se souvenant qu’il se fit appeler « prince Rákóczi ». Or, à
la fin du XVIIIe siècle, un ministre d’État allemand, Charles-Auguste
Ragotzky, a été reconnu pour son zèle maçonnique642. La ressemblance du patronyme est assez frappante pour être
signalée. |
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Désormais la « Légende »
sous toutes ses formes est créée : elle entre dans l’histoire. |
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Avant de montrer
quels furent les prolongements de cette légende, de 1800 jusqu’à nos jours,
nous pensons qu’il convient d’exposer la singulière histoire du « maître » du
cartomancien Etteilla, le « dernier sorcier », comme l’appelle son biographe,
J. B. Millet-Saint-Pierre643. |
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Etteilla est le
patronyme retourné du Français Alliette, originaire de Paris : « Je suis né,
dit-il, le premier de mars (entre l’aurore et le Soleil
levant) en mil sept cent trente-huit644. » Dès ses
premières études, Alliette montra une grande aptitude pour les jeux
mathématiques, les combinaisons de chiffres. À la suite d’une crise morale
qu’il explique ainsi : « Je touchais à peine au sortir de l’âge d’or, je fis
des vœux indiscrets. La vérité m’abandonna dans la fausse vertu, alors
mettant le comble à mes folies, je quittai celles des extatiques pour entrer
dans celles des démonomanistes », il se livra à la magie, « jusqu’à faire des
évocations »645. |
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En 1753, à l’âge de
15 ans, il donnait des leçons d’arithmétique, d’algèbre et de géométrie.
Trouvant que les profits de son enseignement étaient très bor- |
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nés, il eut l’idée
de chercher une autre source de profits en disant la bonne aventure par les
cartes. L’idée lui en vint après être allé consulter une tireuse de cartes,
et quelque temps après, il publia son premier ouvrage, un cahier de 8 pages,
intitulé : Abrégé de Car-tonomancie646, qui eut un certain succès. À la suite de cette publication, «
il rechercha toutes les occasions de voir et de connaître les hommes qui
possédaient cette sublime science divinatoire, afin de devenir lui-même devin647 ». C’est à partir
de ce moment que « la vérité, dit-il, m’appela de nouveau et la science que
j’entrevis me conduisit à elle648 ». |
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N’ ayant pas
rencontré dans Paris les sommités qu’il cherchait, il résolut de voyager pour
les trouver. C’est pourquoi il alla à Rouen, puis à Lorient et enfin à
Lamballe. Dans cette dernière ville, « il fit la connaissance d’un nommé
Alexis qui lui donna des notes par écrit sur le jeu de
Tarots, qu’il appelait Livre
Égyptien649.
» Ce fut pour lui toute une révélation qu’il
cacha avec soin aux yeux du vulgaire. |
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La curiosité et le désir
de connaître le portèrent en 1759, vers Dunkerque, Bergues et Lille. Tout en
voya- |
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geant, il
s’adonnait à la lecture de tous les ouvrages sur les sciences conjecturales
qu’il put acquérir650, et ainsi dépense le reste de son patrimoine. « N’ayant
trouvé, dit-il, dans ma patrie que des fous et des ignorants, j’entrepris
d’aller chercher les Doctes dans les pays éloignés651 ; » c’est alors qu’il parcourut durant huit années, de 1759 à
1767, « le Danemark, la Russie, la Turquie, La Pologne, l’Allemagne, la
Hongrie, l’Espagne, l’Italie, la Sardaigne, le Piémont652 ». Ces longs et
pénibles voyages furent infructueux pour lui : « voyageur sans fortune, je
cheminais le jour à la merci de l’intempérie des saisons, et je m’arrêtais
les nuits sans avoir d’abri pour goûter le repos. En errant ainsi, j’ai tout
perdu, et je n’ai rien trouvé653 ». |
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Alliette rentra en
France par Marseille, en 1768654 ; on le retrouve, en 1771, à Strasbourg, s’intitulant : «
Astro-philastre »655. Revenu à Paris, il reprend ses leçons d’algèbre et donne des
consultations de car-tonomancie. Il change alors son nom en celui d’Et- |
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teilla, et publie
successivement : Etteilla ou la seule manière de tirer
les cartes656, et son curieux ouvrage : Le Zodiaque mystérieux657. Il fit encore un voyage à
Francfort-sur-le-Mein, en 1778658. |
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Fixé définitivement
à Paris, il édita de 1783 à 1785 son œuvre maîtresse : Manière
de se recréer avec le jeu de cartes nommées Tarots,
en neuf cahiers, dont le vrai titre, censuré, était : La Cartonomancie Égyptienne ou les Tarots659. |
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Lorsqu’en 1784, les
journaux annoncèrent la mort du Comte de Saint-Germain, Etteilla soutint
publiquement que c’était une fausse nouvelle prétendant qu’il existait deux
personnages du même nom : « celui qu’il nomme son cher maître, le vrai
cabaliste vivant, et non le comte de Welldon, dit de Saint-Germain qui est bien véritablement mort en odeur
d’excellent chymiste, mais non pas d’alchymiste ». Malheureusement Etteilla.
ne nous dit rien de précis sur cet autre Saint-Germain, sauf l’affirmation
qu’il est « son maître directement depuis plus de vingt ans », |
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mais qu’il « ne
donne guère plus par écrit que de vive voix, quoiqu’il témoigne qu’il dit
tout plus clairement qu’un autre660 ». D’après Etteilla, cet autre « M. de Saint-Germain, de
magicien hermétiste qu’il était est devenu cabaliste », c’est-à-dire, qu’« il
réunissait en lui la connaissance parfaite de l’esprit des trois sciences
humaines661
», et qu’il était « le vrai et unique auteur du Philalèthe : L’entrée au palais fermé du roi662 ».
Quand on songe que cet ouvrage a été écrit en 1645, cette affirmation
d’Etteilla, nous laisse rêveur. |
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Etteilla rend
hommage à son maître dans l’invocation suivante : « Agréé de la Rose-Croix,
savant et sage Saint-Germain, le favorisé de bientôt 65 lustres, qui m’avez
confié la première éducation de l’une de vos parentes, rendez-vous à ma
prière en m’aidant de vos sages conseils, à éclairer sur les hautes sciences
mes inestimables contemporains663. » Comme on avait |
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émis des doutes sur
son affirmation de la survivance du comte de Saint-Germain, dont il se disait
l’élève, Etteilla écrit ironiquement : « Lorsque j’ai dit, Ier janvier 1784, dans
l’épître à M. Court de Gébelin, que mon maître serait à Paris du 20 au 21
juillet, on a dit : bon ! il est mort ; et lorsque le journaliste a dit qu’il
venait de mourir : Ah ! Ah ! a-t-on dit, il n’était donc pas mort ! non, et
il ne l’est pas, et doit être à Paris en 1787 ou 1788 au plus tard664. » Et pour appuyer
ce qu’il avance, il déclare que « le 22 juillet 1784, lui-même avait déjeuné
avec M. de Saint-Germain, le vrai adepte et non le chymiste qui peut bien
être mort mais non celui qui vit et est de présent en Amérique », soit l’an
1785665. |
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Par la suite,
Etteilla ne revit pas son maître ; cependant, il nous fait connaître, en 1790
que : « Le comte de Saint-Germain, le vrai alchymiste, est encore de ce monde
et très bien portant666. » |
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Notre cartonomancien,
après avoir visité Lyon dans les premiers jours de 1789, ouvrait le 1er juillet 1790, |
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à Paris une école
publique et gratuite de magie667. D’immenses affiches annonçant cet enseignement couvrirent
les murs de la capitale668, et les élèves furent assez nombreux pour lui procurer de
grands profits. |
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Etteilla mourut le
12 décembre 1791669.
Ajoutons que la qualité de coiffeur qu’on lui donne provient du fait qu’il
habita vers 1790, rue du Chantre, dans la maison d’un perruquier, au
troisième étage670. |
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Sur un autre sujet, cette
fois bibliographique, nous devons aussi des explications à nos lecteurs. |
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S’il est avéré que
le comte de Saint-Germain soit l’auteur d’un certain nombre de morceaux de
musique, qui ont été édités, et d’un manuscrit sur la technique musicale,
rien n’est moins sûr que l’attribution qu’on lui fait des deux manuscrits
suivants, vraisemblablement de la première moitié du XVIIIe siècle. |
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Le premier est
intitulé : La Magie Sainte révélée à Moy[s]e, retrouvée
dans un Monument égyptien, et précieusement conservée en Asie sous la devise
d’un dragon ailé671. Ce manuscrit, composé en
caractères d’écri- |
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ture secrète,
tracés dans des triangles, est illustré de 5 figures cabalistiques. C’est un
rituel de magie cérémonielle donnant des indications « pour opérer trois
merveilles : 1o
trouver les choses perdues dans les mers depuis le bouleversement du globe ;
2o
découvrir les mines de diamants, d’or et d’argent, dans le sein de la terre ;
3o
prolonger la vie au-delà d’un siècle avec la force et la santé ». Viennent
ensuite : manipulation et exorcisme ; invocation des esprits ; révélations.
Le faux titre porte la mention suivante : dans une figure triangulaire
au-dessus d’un dragon ailé : « Ex dono
sapientissimi comitis Saint-Germain qui orbem terrarum percucurit (offert par le très sage comte Saint-Germain qui a parcouru
le monde). Cette dédicace ne garantit aucunement l’attribution, bien que l’on
affirme que cette œuvre soit du comte de Saint-Germain, « initiateur de
Cagliostro à la Franc-Maçonnerie672 ». |
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Le second manuscrit
porte le titre de La Très Sainte Trinosophie, et serait paraît-il, d’après une note inscrite au faux titre,
« la seule copie existante » de cette œuvre, « que de Saint-Germain détruisit
lui-même dans un de ses voyages673 ». Cette mention
est signée : |
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« J. B. C. Philotaume, auteur de
plusieurs ouvrages ». Nous ne croyons pas que ce nom soit le patronyme du
scripteur ; il a plutôt l’allure d’un pseudonyme674. Ce manuscrit n’est autre qu’un livre d’alchimie cabba-lisée.
On y trouve nombre d’inscriptions hébraïques, des mots arabisés ou vaguement
sanscrits, des hiéroglyphes, et même des cunéiformes de fantaisie. Le
symbolisme de cet ouvrage est égyptianisé selon la mode de l’époque675. « L’auteur, fidèle
à la méthode synthétique de ses devanciers, s’appuie sur le texte biblique de
la formation du Cosmos, pour expliquer, à la façon traditionnelle des
cabbalistes, les principes |
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de la science676. » Le titre
enluminé de ce manuscrit présente dans les nombreux symboles de son
encadrement une sorte de résumé de la science hermétique. On prétend que cet
ouvrage aurait été trouvé au château Saint-Ange, à Rome, dans les papiers de
Cagliostro (qui y fut emprisonné677), par les soldats de Masséna678. Lors de la vente après décès du maréchal, le manuscrit
acheté par un tiers, fut offert à la Bibliothèque de Troyes679. |
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Revenons maintenant
à la légende et voyons ce qu’elle est devenue sous la plume des écrivains
admirateurs ou détracteurs du comte de Saint-Germain. |
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Ainsi le député aux
États Généraux, Jean-Joseph Mounier, nous apprend que : « Saint-Germain
parcourait les Loges de Francs-Maçons pour vendre l’immortalité et racontait
ce qu’il avait fait plusieurs siècles auparavant, aimant à se faire admirer
par des récits surprenants, à passer pour un homme extraordinaire, à tromper
ceux qui voulaient des prodiges680. » |
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Pour A. Boileau,
Franc-Maçon notoire : « Le comte de Saint-Germain est un des chefs des
Illuminés de Berlin avec Schrepfer et Cagliostro. Tous trois cherchaient des
dupes et non des séides681. » |
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Selon l’historien
F. Tastavin : « Le fameux Saint-Germain, de la secte des Illuminés, fut
l’animateur du coup d’état de 1762, qui coûta à l’empereur Pierre III le
trône d’abord, la vie ensuite682. » |
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D’après Mlle Lenormand, la
célèbre cartomancienne du Ier Empire : « Quelques cabalistes prétendent que le fameux comte
de Saint-Germain vit encore ; et les adeptes de cette science hermétique vous
assurent de la meilleure foi du monde et avec le sentiment de la conviction,
que ce grand alchimiste s’occupe journellement à faire de l’or, et passe
ainsi son temps très agréablement, qu’il voyage tantôt dans un pays, tantôt
dans un autre ; qu’il n’a point de demeure fixe, que l’univers est maintenant
sa patrie. Comme nouveau Sosie, il jouit du privilège immuable de revoir ses
amis, mais sous la forme et les traits d’un adolescent. » En note, Mlle Lenormand ajoute :
« Le cabinet du comte de Saint-Germain renfermait les choses les plus rares
et les plus curieuses ; il avait comme Socrate un génie familier, et à
entendre ses adorateurs enthousiastes, il doit renaître sept fois683. » |
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Si on en croit le
littérateur J. F. Barrière : « Saint-Germain, ainsi que tous les charlatans
de cette espèce, se paraît d’une magnificence théâtrale, et d’une science
encore plus trompeuse. La fantasmagorie le servait au mieux ; et comme il
évoquait, par des effets de catoptrique, des ombres demandées et presque
toujours reconnues, sa correspondance avec l’autre monde était une chose
prouvée par beaucoup de gens. |
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« Il joua le même
rôle à Londres, à Venise, en Hollande ; mais il regretta constamment Paris,
où jamais on ne chicana ses miracles684. » |
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Dans un passage de
ses Mémoires, le cynique
Casanova, prétend que « Saint-Germain était maître de se rendre toutes les
femmes dociles ; car, en même temps qu’il leur donnait du fard et des
cosmétiques qui les embellissaient ; il les flattait, non de les faire
rajeunir, car il avait la modestie d’avouer que cela lui était impossible,
mais de les conserver dans l’état où il les prenait, au moyen d’une eau qui,
disait-il, lui coûtait beaucoup, mais dont il leur faisait présent685. » |
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Une affirmation
bizarre, car elle est la première de ce genre, est celle que nous avons
extraite d’une œuvre signée du pseudonyme A. Erdan : « Des personnes dignes
de foi m’ont raconté avoir entendu |
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Coessin affirmer qu’il
était une incarnation du comte de Saint-Germain686. » |
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Moins
extraordinaire est l’idée émise par le célèbre écrivain russe A. Pouchkhine
qui, parlant de notre personnage dans une de ses meilleures nouvelles : La Dame de Pique, le fait
simplement possesseur d’un secret pour gagner au jeu687. |
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Mais ce que nous
pourrions qualifier de « chef-d’œuvre » de l’art divinatoire du comte de
Saint-Germain a été forgé de toutes pièces par l’un de ces astucieux
écrivains qui mirent en vogue, les Mémoires historiques « apocryphes », le
baron Etienne-Léon de Lamothe-Langon. Ce « romancier » après avoir composé
les soi-disant aventures du Comte de Saint-Germain et de
Mme de
Pompadour, récidiva dans les Souvenirs sur Marie-Antoinette par Mme la comtesse d’Adhémar688, souvenirs qui ne sont en réalité
que des échos « revus et corrigés » des Chroniques
de l’Œil-de-Bœuf, des Mémoires de Casanova, de Mme du Hausset et autres689. Lamothe-Langon, afin de nous en faire accroire, met tout
d’abord en cause son confrère, |
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Cousen de
Courchamps, l’auteur des faux Mémoires de la marquise de
Créquy690 : « Je ne suis pas d’accord avec Mme de Créquy, sur le
comte de Saint Germain ; elle en fait un charlatan imbécile, et il m’a paru
rusé et spirituel. Quelle diversité de jugements sur le même personnage, et
pourtant nous l’avons vu toutes deux691. Moi j’ai, à la vérité, été liée plus intimement avec lui. Il
m’a laissé un manuscrit curieux que je publierai peut-être un jour, si les
événements ne s’opposent pas à ce projet692. » Lamothe-Langon, se souvenant que Cousen de Courchamps
avait publié des soi-disant extraits des mémoires inédits de Cagliostro dans
les Mémoires de la marquise de Créquy, n’a pas voulu être en reste avec son confrère693. |
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Le « chef-d’œuvre »
se divise en deux épisodes. Le premier se situe aux environs de l’année 1775
et se passe d’abord à Paris, en l’hôtel de la comtesse d’Ad-hémar694. La comtesse est
seule dans ses appartements, son mari étant parti voir des parents dans le
Languedoc : « C’était un dimanche à huit heures du matin ». Le comte de
Saint-Germain se présente et se fait annoncer sous le nom de comte de Saint-Noël695. |
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« Le comte parut.
Je le trouvai frais, bien portant et presque rajeuni. Il m’adressa le même
compliment, mais je doute qu’il fut aussi sincère que le mien. |
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— Vous
avez perdu, lui dis-je, un ami, un protecteur dans la personne du feu roi. |
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— Je regrette doublement cette perte pour
moi et pour la France. |
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— La nation n’est pas de
votre avis, elle attend son bonheur du nouveau règne. |
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— C’est un tort ; ce règne lui sera funeste. |
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— Que dites-vous là ?
répliquai-je en baissant la voix et regardant autour de moi. |
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— La vérité… Il se
forme une conspiration gigantesque qui n’a pas encore de chef visible, mais
il paraîtra avant peu. On ne tend à rien n’a moins qu’à renverser ce qui
existe, sauf à le reconstruire un nouveau plan. On en veut à la famille
royale, au clergé, à la noblesse, à la magistrature. Cependant, il est temps
de déjouer l’intrigue ; plus tard ce serait impossible696. |
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— Où avez-vous vu tout cela, est-ce en rêvant, ou éveillé ? |
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— Partie à l’aide
de mes deux oreilles, et partie par révélation. Le roi de France, je le
répète, n’a pas de temps à perdre. |
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— Il faut demander
une audience à M. de Maure-pas, lui communiquer vos craintes, car il peut
tout, ayant l’entière confiance du roi. |
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— Il peut tout, je
le sais, hors sauver la France, ou plutôt ce sera lui qui précipitera sa
ruine. Cet homme vous perd, Madame. |
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— Vous m’en dites assez
pour qu’on vous envoie à la Bastille, passer le reste de vos jours. |
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— Je ne parle ainsi qu’à des amis dont je suis sûr. |
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— Cependant, voyez M. de
Maurepas, il a de bonnes intentions à défaut d’habileté. |
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— Il se refuserait
à l’évidence, d’ailleurs il me déteste. Ignorez-vous le sot quatrain qui lui
valu son exil… La marquise de Pompadour sut que M. de Maurepas en était
l’auteur, et lui prétendit que je lui avait enlevé le manuscrit original pour
le remettre à l’altière sultane697. Son exil suivit la publication de ces mauvais vers, et dès
lors il m’enveloppa dans ses projets de vengeance. Jamais il ne me
pardonnera. Néanmoins, madame la comtesse, voici ce que je vous propose.
Parlez de moi à la reine, des services que j’ai rendu au gouvernement dans
les missions qu’on m’a confiées auprès des divers cours de l’Europe698. Si S. M. veut
m’entendre, je lui révélerai ce que je sais ; alors elle jugera s’il convient
de me mettre en présence du roi, sans l’intermédiaire toutefois de M. de
Maurepas c’est mon sine qua non. |
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« J’écoutais avec
attention M. de Saint-Germain, et je compris tous les dangers qui
retomberaient sur |
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ma tête, si je me
mêlais d’une pareille affaire. D’une autre part, je savais le comte
parfaitement instruit de la politique européenne, et je craignais de perdre
l’occasion de servir l’État et le roi. Le comte de Saint-Germain devinant,
mon embarras, me dit : « Réfléchissez à ma proposition ; je suis à Paris
incognito ; ne parlez de moi à personne ; et si vous voulez demain venir me
trouver dans l’église des jacobins de la rue Saint-Honoré, j’y attendrai
votre réponse à onze heures précises. |
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— Je préférerais vous voir chez moi. |
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— Volontiers donc, Madame, à demain. |
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« Et il partit. Je
rêvais toute la journée à cette espèce d’apparition, et aux paroles
menaçantes du comte de Saint-Germain. Quoi ! nous touchions à une
désorganisation sociale ; ce règne, qui s’annonçait sous d’aussi heureux
présages, couvait la tempête !… Après avoir longtemps médité ce texte, je me
déterminai à présenter à la reine M. de Saint-Germain, si elle y consentait.
Il fut exact au rendez-vous et parut enchanté de la résolution que j’avais
prise. Je lui demandai s’il venait s’établir à Paris ; il me répondit
négativement, ses projets ne lui permettant plus d’habiter la France. |
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« Il s’écoulera un siècle, dit-il, avant que j’y reparaisse. » |
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Le même jour, Mme d’Adhémar alla à
Versailles, voir la reine, et lui fit part de ce que le comte lui avait dit.
La reine accepta l’entrevue, mais à une condition : |
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« Je vous autorise
à le conduire demain à Versailles, déguisé sous votre livrée ; il restera
dans votre appartement, et dès qu’il me sera possible de l’admettre, je vous
ferai appeler tous les deux. Je ne l’entendrai qu’en votre présence : c’est
mon sine qua non. |
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« M. de
Saint-Germain m’attendait à la porte de la conférence. Dès que je l’aperçus,
je fis arrêter ma voiture, il monta avec moi et nous rentrâmes ensemble à mon
hôtel. Il assista à mon dîner, mais ne mangea pas, selon son habitude ; après
quoi, il me proposa de repartir pour Versailles. Il coucherait à l’auberge,
et me rejoindrait le lendemain. J’y consentis, empressée que j’étais de ne
rien négliger pour la réussite de cette affaire. |
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« Nous étions donc
chez moi, au pied-à-terre que l’on appelait à Versailles un appartement,
lorsqu’un page de la reine vint me demander de la part de S. M., le tome
second du livre qu’elle m’avait chargé de lui apporter de Paris. C’était le
signal convenu. Je remis au page un volume de je ne sais quel roman nouveau,
et dès qu’il fut parti, je le suivis accompagné de mon
laquais. Nous entrâmes par les cabinets ; Mme de Misery nous
conduisit dans la pièce particulière où la reine nous attendait. Elle se leva
avec une dignité affable. |
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— Monsieur le comte, lui
dit-elle, Versailles est un lieu qui vous est familier. |
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— Madame, j’ai pendant près de vingt ans vu le feu |
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roi dans son
intimité699 ; il
daignait m’écouter avec bonté il s’est servi de mes faibles talents en
plusieurs circonstances, et je ne crois pas qu’il ait regretté de m’avoir
accordé sa confiance. |
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— Vous avez désiré
que Mme d’Adhémar
vous conduisît près de moi, j’ai beaucoup d’affection pour elle, et je ne
doute pas que ce que vous avez à me dire mérite d’être écouté. |
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— La reine,
répondit le comte d’un ton solennel, pèsera dans sa sagesse ce que je vais
lui confier. Le parti encyclopédiste veut le pouvoir, il ne l’obtiendra que
par l’abaissement total du clergé, et pour parvenir à ce résultat, il
bouleversera la monarchie. Ce parti, qui cherche un chef parmi les membres de
la famille royale, a jeté les yeux sur le duc de Chartres ; ce prince servira
d’instrument à des hommes qui le sacrifieront lorsqu’il aura cessé de leur
être utile ; on lui proposera la couronne de France, et l’échafaud lui
tiendra lieu de trône. Mais avant ce jour de justice, que de cruautés ! que
de forfaits ! les lois ne seront plus la sauvegarde de l’homme de bien et
l’effroi des méchants. Ce seront ces derniers qui saisiront le pouvoir de leurs
mains ensanglantées, ils aboliront la religion catholique, la noblesse, la
magistrature… |
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— De sorte, interrompit
la reine avec impatience, qu’il ne restera que la royauté. |
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— Pas même la royauté !…
Mais une république avide dont le sceptre sera la hache du bourreau. |
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À ces mots, je ne pus me
contenir, et prenant sur moi d’interrompre le comte en présence de la reine. |
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— Monsieur, m’écriai-je,
songez-vous à ce que vous dites et devant qui vous parlez ? |
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— En effet, ajouta
Marie-Antoinette, quelque peu émue, ce sont des choses que mes oreilles ne
sont pas habituées à entendre. |
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— C’est aussi dans
la gravité des circonstances que je puise cette hardiesse, répondit
froidement M. de Saint-Germain. Je ne suis pas venu avec l’intention
d’adresser à la reine ces hommages dont elle doit être lasse, mais bien pour
lui montrer les dangers qui menacent sa couronne si l’on ne cherche
promptement à les détourner. Vous êtes positif, monsieur, dit
Marie-Antoinette, avec humeur. |
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— Je suis au désespoir de
déplaire à V. M., mais je ne puis lui dire que la vérité. |
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— Monsieur, répartit la
reine, en affectant un ton enjoué : « Le vrai peut quelquefois n’être pas
vraisemblable ». |
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— Je conviens,
madame, que c’est ici le cas de faire cette application, mais V. M. me
permettra à mon tour de lui rappeler que Cassandre prédit la ruine de Troie,
et qu’on refusa de la croire. Je suis Cas-sandre, la France est l’empire de
Priam. Quelques années s’écouleront encore dans un calme trompeur, puis
surgiront de toutes les parties du royaume des |
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hommes avides de
vengeance, de pouvoir, d’argent ; ils renverseront tout sur leur passage. La
populace séditieuse et quelques grands de l’État leur prêteront un appui ; un
esprit de vertige s’emparera des citoyens ; la guerre civile éclatera avec
toutes ses horreurs elle traînera à sa suite le meurtre, le pillage, l’exil.
On regrettera alors de ne pas m’avoir écouté ; on me redemandera peut-être,
mais il ne sera plus temps… l’orage aura tout emporté. |
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— J’avoue,
monsieur, que ce discours m’étonne de plus en plus, et si je ne savais pas
que le feu roi avait pour vous de l’amitié, que vous l’avez servi fidèlement…
Vous désirez parler au roi ? |
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— Oui, madame. |
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— Mais sans le secours de de Maurepas ? |
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— Il est mon ennemi700 ; d’ailleurs, je le
mets au rang de ceux qui prépareront la ruine du royaume, non par malice,
mais par incapacité. |
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— Vous jugez sévèrement un homme qui a l’approbation de la
masse. |
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— Il est plus que premier
ministre, Madame, et à ce titre il doit avoir des flatteurs. |
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— Si vous l’excluez
de vos rapports avec le roi, je crains que vous arriviez difficilement
jusqu’à S. M., qui ne peut traiter sans son principal conseiller. |
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— Je serai aux
ordres de Leurs Majestés tant qu’elles voudront m’employer ; mais comme je ne
suis pas leur sujet, toute soumission de ma part est un acte de bénévolence. |
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— Monsieur, dit la
reine, qui, à cette époque, ne pouvait traiter longtemps sérieusement une
matière grave, où êtes-vous né ? |
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— À Jérusalem, madame. |
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— Et il y a de cela ? |
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— La reine me
permettra d’avoir une faiblesse commune à nombre de personnes ; je n’aime
point à dire mon âge, cela porte malheur. |
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— Quant à moi, l’Almanach royal ne me permet pas
de me faire illusion sur le mien. Adieu, monsieur ; la volonté du roi vous
sera transmise. |
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« C’était un congé ; nous
nous retirâmes, et en remontant chez moi, M. de Saint-Germain me dit : |
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« Je vais aussi
vous quitter, madame, et pour longtemps, car je ne compte pas rester plus de
quatre jours en France. |
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— Qu’est-ce qui vous décide à partir aussi vite. |
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— La reine va
répéter au roi ce que je lui ai dit. Louis XVI le rapportera à son tour à M.
de Maurepas, ce ministre dressera une lettre de cachet contre moi, et le
lieutenant de police aura ordre de la mettre à exécution. Je sais comment ces
choses se pratiquent, et je n’ai nulle envie d’aller à la Bastille. |
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— Que vous importe ? vous en sortirez par le trou de la
serrure. |
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— Je préfère n’avoir pas besoin de recourir à un miracle.
Adieu, Madame. |
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— Mais si le roi vous fait appeler ? |
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— Je reviendrai. |
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— Comment le saurez-vous ? |
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— J’ai un moyen pour cela ; ne vous en inquiétez pas. |
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— En attendant, je serai compromise. |
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— Non, Adieu. |
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— Il partit aussitôt qu’il eut ôté sa livrée. » |
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Deux heures après,
Mme d’Adhémar est
appelée auprès du roi. La reine est là, embarrassée. Le roi, au contraire,
est souriant. Il va en référer à M. de Mau-repas et si celui-ci accepte, la
conférence aura lieu. Mme d’Adhémar rassérénée retourne dans sa chambre. Deux heures
après, on frappe à sa porte. C’est M. de Maurepas. La conversation s’engage.
À ce moment, la porte s’entrouvre, et le comte de Saint-Germain entre, et
allant vers M. de Maurepas, lui dit : |
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— Comte, le roi
vous avait appelé pour lui donner de bons conseils, et vous ne songez qu’à
conserver votre autorité. En vous opposant à ce que je voie le monarque,
c’est perdre la monarchie, car je n’ai qu’un temps limité à donner à la
France, et, ce temps passé, on ne me reverra ici qu’après la descente au
tombeau de trois générations consécutives. J’ai dit à |
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la reine tout ce
qu’il m’était permis de lui apprendre, mes révélations au roi auraient été
plus complètes ; il est malheureux que vous soyez intervenu entre S. M. et
moi. Je n’aurai aucun reproche à me faire lorsque l’horrible anarchie
dévastera toute la France. Ces calamités, vous ne les verrez pas ; mais ce
sera assez pour votre mémoire de les avoir préparées… N’attendez nul hommage
de la postérité ; ministre frivole et incapable, on vous rangera parmi ceux
qui perdent les empires. » |
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M. de Saint-Germain,
après avoir ainsi parlé sans reprendre haleine, retourna vers la porte, la
ferma et disparut. |
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Durant dix minutes,
M. de Maurepas fut abasourdi, puis reprenant son sang-froid ; s’adressant à Mme d’Adhémar : « En
vérité, s’écria-t-il, voilà un impudent drôle ; permettez-moi de le
recommander à qui de droit. » Appelant ses gens, il leur ordonna
d’appréhender le comte de Saint-Germain, mais on ne put retrouver ses traces701. |
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Le second épisode
du « chef-d’œuvre » se passe plus de dix ans après, l’an 1789. Cette fois
nous allons marcher de merveilles en merveilles au point de vue « divinatoire
». Rien de ce qui va se passer durant les quarante années qui vont suivre n’a
été omis. La « rétrospective » et la précision des événements annoncés
révèlent la « forgerie ». |
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Lamothe-Langon nous montre Mme d’Adhémar ren- |
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trant chez elle, après quelques visites. On lui remet un
billet ainsi conçu : |
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« Tout est perdu,
madame la comtesse, ce soleil est le dernier qui se couchera sur la
monarchie, demain elle n’existera plus, il y aura un autre chaos, une
anarchie sans égale. Vous savez tout ce que j’ai tenté pour imprimer aux
affaires une marche différente, on m’a dédaigné, aujourd’hui il est trop
tard. J’ai voulu voir l’ouvrage qu’a préparé le démon Cagliostro, il est
infernal702 :
tenez-vous à l’écart, je veillerai sur vous ; soyez prudente, et vous
existerez après que la tempête aura tout abattu. Je résiste au désir que j’ai
de vous voir, que dirions-nous ? Vous me demanderiez l’impossible ; je ne
peux rien pour le roi, rien pour la reine, rien pour la famille royale, rien
même pour le duc d’Orléans, qui triomphera demain et qui, tout d’une course,
traversera le Capitole pour trébucher du haut de la roche tarpéienne.
Cependant si vous teniez beaucoup à vous rencontrer avec un vieil ami, allez
à la messe de huit heures, aux Récollets, et entrez dans la seconde chapelle
à main droite. |
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J’ai l’honneur d’être… » |
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Comte de Saint-Germain |
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« À ce nom déjà deviné, un cri de surprise |
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m’échappa ; lui
encore vivant, lui qu’on faisait mort dès 1784, et dont je n’avais plus
entendu parler depuis de longues années, reparaissait tout à coup, et en quel
moment, à quelle époque ? Pourquoi venait-il en France, ne devait-il donc
jamais en finir avec l’existence, car je connaissais des vieillards, qui
l’avaient vu portant sur ses traits quarante à cinquante ans, et cela dès le
commencement du XVIIIe siècle ? |
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« Il était une
heure de nuit, lorsque je lisais sa lettre ; celle du rendez-vous était
matinale, je me couchai ; je dormis peu, des songes affreux me tourmentèrent,
et dans leur hideuse bizarrerie, je vis l’avenir sans toutefois le
comprendre. Aux approches du jour, je me levai harassée, j’avais commandé à
mon premier valet de chambre du café très fort, j’en pris deux tasses qui me
ranimèrent. À sept heures et demie, je fis avancer une chaise à porteur, et
suivie de mon gri-son de confiance, je me transportai aux Récollets. |
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« L’église était
déserte, je postai mon Laroche en sentinelle, et j’entrai dans la chapelle
désignée ; peu de temps après, et comme à peine je me recueillais devant
Dieu, voici venir un homme… C’était lui en personne. Oui, lui avec le même
visage de 1760, tandis que le mien s’était chargé de rides et de marques de
décrépitude. J’en demeurai frappée ; lui me sourit, s’avança, prit ma main et
la baisa galamment ; j’étais si troublée que je le laissai faire malgré la
sainteté du lieu. |
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— Vous voilà, dis-je, d’où sortez-vous ? |
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— Je viens de la Chine et du Japon. |
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— Ou plutôt de l’autre monde ! |
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— Ma foi ! à peu
près ; ah ! Madame, là-bas (je souligne l’expression), rien n’est aussi
singulier que ce qui se passe ici. Comment arrange-t-on la monarchie de Louis
XIV ? Vous qui ne l’avez vu, vous n’en pouvez faire la comparaison, mais moi… |
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— Je vous y prend, l’homme d’hier ! |
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— Qui ne connaît
pas l’histoire de ce grand règne ? Et le cardinal de Richelieu, s’il
revenait… il en deviendrait fou ; quoi, le règne de la canaille ! que vous
disais-je, ainsi qu’à la reine, que M. de Maure-pas laisserait perdre tout,
parce qu’il compromettait tout : j’étais Cassandre, un prophète de malheur,
où en êtes-vous ? |
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— Eh ! M. le comte, votre sagesse sera inutile. |
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— Madame, qui sème
du vent, recueille des tempêtes : Jésus l’a dit dans l’Évangile, peut-être
non pas avant moi, mais enfin ses paroles restent écrites, on n’a pu que
profiter des miennes. |
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— Encore… dis-je, en
essayant de sourire, mais lui sans répondre à mon exclamation : |
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— Je vous l’ai
écrit, je ne peux rien, j’ai les mains liées par plus fort que moi, il y a
des périodes de temps où reculer est possible, d’autres où quand il a
prononcé l’arrêt il faut que l’arrêt s’exécute : nous
entrons dans celle-là. |
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— Verrez-vous la reine ? |
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— Non, elle est vouée. |
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— Vouée ! à quoi ? |
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— À la mort ! |
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« Oh ! cette fois
je ne pus retenir un cri, je me soulevai sur mon siège, mes mains
repoussèrent le comte, et d’une voix tremblante : |
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— Et vous aussi ! vous, quoi ! vous aussi ! |
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— Oui, moi… moi, comme Cazotte. |
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— Vous savez… |
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— Ce que vous ne
soupçonnez même pas. Retournez au château, allez dire à la reine de prendre
garde à elle, que ce jour lui sera funeste, il y a complot, préméditation de
meurtre. |
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— Vous me remplissez d’épouvante, mais le comte d’Estaing a
promis… |
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— Il aura peur et se cachera. |
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— Mais M. de La Fayette ?… |
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— Ballon gonflé de
vent, à l’heure qu’il est, on détermine ce qu’on fera de lui, s’il sera
instrument ou victime à midi, tout sera décidé. |
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— Monsieur, dis-je, vous
pourriez rendre de grands services à nos souverains si vous le vouliez. |
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— Et si je ne peux pas ? |
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— Comment ? |
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— Oui, si je ne peux pas ; je croyais n’être pas |
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entendu. L’heure du repos
est passé, les arrêts de la Providence doivent recevoir leur exécution. |
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— En définitive, que veulent-ils ? |
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— La ruine complète
des Bourbons ; on les chassera de tous les trônes qu’ils occupent, et en
moins d’un siècle ils rentreront dans le rang de simples particuliers dans
leurs diverses branches. |
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— Et la France ? |
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— Royaume,
république, empire, état mixte, tourment agité, déchiré ; de tyrans habiles,
elle passera à d’autres ambitieux sans mérite ; elle sera divisée, morcelée,
dépecée ; et ce ne sont point des pléonasmes que je fais, les temps prochains
ramèneront les bouleversements du Bas-Empire ; l’orgueil dominera ou abolira
les distinctions, non par vertu, mais par vanité ; c’est par vanité qu’on y
reviendra. Les Français, comme les enfants jouent à la poussette et à la
fronde, joueront aux titres, honneurs, cordons ; tout leur sera hochet,
jusqu’au fourniment de garde nationale ; des gens de grand appétit dévoreront
les finances. Quelque cinquante millions forment aujourd’hui un déficit au
nom duquel on fait la révolution ; eh bien, sous le dictatorat des philanthropes,
des rhéteurs, la dette de l’État dépassera plusieurs milliards. |
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— Vous êtes un terrible prophète, quand vous reverrai-je ? |
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— Encore cinq fois, ne souhaitez pas la sixième. |
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« J’avoue qu’une conversation si solennelle, si |
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lugubre, si
terrifiante, m’inspirait peu d’envie de la continuer ; M. de Saint-Germain me
pesait sur le cœur comme un cauchemar il est étrange combien, nous changeons
avec l’âge, combien nous voyons avec indifférence, dégoût même, ceux dont la
présence nous charmait autrefois. Je me trouvai en ce cas dans la
circonstance présente ; d’ailleurs, les périls présents de la reine me
préoccupaient, je n’insistai pas assez auprès du comte, peut-être en le
sollicitant il serait venu vers elle il y eut un temps de silence, et lui,
reprenant la parole : |
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— Que je ne vous
retienne pas plus tard, il y a déjà de l’agitation dans la ville, je suis
comme Athalie, j’ai voulu voir, j’ai vu ; maintenant je vais reprendre la
poste et vous quitter ; j’ai un voyage à faire en Suède ; un grand crime s’y
prépare, je vais tenter de le prévenir ; S. M. Gustave III m’intéresse, il
vaut mieux que sa renommée. |
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— Et on le menace ? |
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— Oui, on ne dira plus
heureux comme un roi, ni comme une reine surtout703. |
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— Adieu donc, Monsieur.
En vérité, je voudrais ne pas vous avoir entendu. |
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— Ainsi nous
sommes, gens de vérité, on accueille des trompeurs, et fi ! à qui dit ce qui
sera. Adieu, madame, au revoir. |
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« Il s’éloigna, je restai ensevelie dans une médita- |
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tion profonde, ne
sachant si je devais ou non instruire la reine de cette visite ; je me
déterminai à attendre la fin de la semaine et à me taire si celle-ci était
féconde en malheurs. Je me levai enfin, et lorsque je retrouvai Laroche, je
lui demandai s’il avait vu le comte de Saint-Germain à son passage. |
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— Le ministre, madame ? |
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— Non, il est mort depuis longtemps, l’autre. |
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— Ah, l’habile
escamoteur, non, madame ; est-ce que madame la comtesse l’a rencontré ? |
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— Il vient de sortir tout à l’heure, il a passé contre vous. |
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— Il faut que je sois distrait, car je ne l’ai pas aperçu. |
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— C’est impossible, Laroche, vous vous amusez. |
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— Plus les temps sont mauvais et plus j’ai de respect pour
madame. |
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— Quoi ! à cette porte, là, près de vous, il n’a point passé ? |
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— Ce n’est point ce que donc je nie, mais il n’a pas frappé
mes yeux. |
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— Il s’était rendu invisible, je m’y perdais704. » |
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Afin de donner plus
d’ampleur au dénouement de son « chef-d’œuvre », le romancier Lamothe-Langon
prétendit avoir trouvé, attaché par une épingle, au « manuscrit original » de
ses élucubrations, une note écrite de la main même de Mme d’Adhémar, datée du 12 mai 1821, indiquant les instants des
cinq visites promises par l’« invisible ». |
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« J’ai revu M. de
Saint-Germain, et toujours à mon inconcevable surprise, à l’assassinat de la
reine, aux approches du 18 brumaire, le lendemain de la mort de M. le duc
d’Enghien, en 1815 dans le mois de janvier, et à la veille du meurtre de M.
le duc de Berry. J’attends la sixième visite quand Dieu voudra705. » |
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Afin d’étayer
l’hypothèse de la survivance du comte de Saint-Germain, Lamothe-Langon tenta
de se raccrocher à l’« histoire » d’une conversation qui aurait eu lieu entre
Mme d’Adhémar et
le comte de Cha-lons, à Paris. Ce dernier, « revenu de son ambassade de
Venise, en 1788, m’a dit avoir parlé au comte de Saint-Germain sur la place
Saint-Marc, la veille du jour où il quitta Venise pour aller en ambassade au |
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Portugal706 ». Toutefois s’il
est vrai que le comte de Chalons a été notre représentant accrédité à Venise
depuis 1786707, il est non moins avéré qu’il quitta son poste d’Italie au
commencement de l’année 1789, remplacé par le marquis de Bombelles, dont il
prit le mandat à Lisbonne708. |
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|
Sans avoir aucun rapport
avec l’hypothèse émise par Lamothe-Langon, un savant bibliographe-bio- |
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graphe allemand, E. M.
Oettinger, a publié la singulière anecdote que voici : |
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« Je me trouvais à
Paris, en l’année 1835. C’était un de ces dimanches que j’avais l’habitude de
passer rue de Tournon, no 8, dans le salon de Jules Janin709. Il était environ huit heures du soir, je me tenais dans la
salle de billard quand un homme entra, dont l’extérieur n’avait rien de
particulièrement frappant. « Qui est cet homme », demandai-je à l’amie de
Janin. « Un homme dont vous avez déjà certainement entendu parler, mais homme
qui sous tous les rapports est une très remarquable apparition ». — « Vous me
rendez excessivement curieux ». — « Cet homme est… le célèbre comte de
Saint-Germain ». De frayeur, la queue de billard me tomba de la main ». — «
Qui donc m’a dit que le comte était mort en Silésie vers 1780 ». — « Cela
doit être une erreur. Cet homme ne meurt jamais ». — « Qui dit cela ? ». |
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— « Lui-même ». |
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— « Et vous le croyez ». |
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— « Je crois tout et rien »710. |
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En 1846, un
écrivain viennois, Franz Gräffer publia une curieuse relation de l’entrevue
que son frère Rudolph aurait eue avec le comte de Saint-Germain à Vienne,
entre 1788 et 1790. Ce qui pour le moins est extraordinaire, c’est que
Rudolph Gräffer ait attendu plus de cinquante années pour faire cette
confidence : « Le bruit courut un jour que le comte de Saint-Germain, le plus
énigmatique de tous les incompréhensibles, était à Vienne. Il y eut, parmi
tous ceux qui le connaissaient, comme un choc électrique. Notre cercle
d’adeptes frissonne. Saint-Germain à Vienne ! À peine R. Gräffer se fut-il
remis de la surprise de cette nouvelle, qu’il partit en toute hâte pour
Hini-berg, sa maison de campagne où il avait ses papiers. Parmi ceux-ci se
trouve une lettre de recommandation de Casanova, le génial aventurier, qu’il
avait eu l’occasion de connaître à Amsterdam711, lettre adressée à Saint-Germain. Gräffer revient en hâte à
sa maison d’affaires ; là, on l’informe, qu’il y avait environ une heure, un
gentilhomme s’y était présenté et dont |
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l’aspect les avait
tous étonnés. Ce monsieur n’était ni grand, ni petit, remarquablement bien
proportionné, portant sur sa personne toutes les marques de la noblesse… Il
dit en français, comme se parlant à lui-même, sans se soucier des personnes
présentes : “J’habite le Fédalhof, dans la chambre où Leibnitz logeait en
1713.” Nous fûmes sur le point de parler, mais il était déjà parti. Depuis,
monsieur, nous sommes restés, comme vous le voyez, absolument pétrifiés… |
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« En cinq minutes,
on atteignit le Fédalhof. La chambre de Leibnitz est vide. Personne ne sait
quand le “gentilhomme américain” rentrera chez lui712. Quant aux bagages, on n’en voit pas trace, sauf un petit
coffret de fer. Il est presque l’heure du dîner ! Gräffer est presque
automatiquement suggestionné d’aller trouver le baron Linden ; il le
rencontre à “l’Ente”. Ils se rendent ensemble dans la Lands-trasse713 ou quelque chose,
un pressentiment obscur, les incite à se rendre rapidement. |
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« Le laboratoire
est ouvert ; un cri de stupeur leur échappe simultanément : Saint-Germain est
assis à une table, lisant tranquillement une édition in-folio de Paracelse.
Ils se tenaient muets sur le seuil.. Le mystérieux intrus ferma lentement le
volume et, lentement aussi, se leva. Les deux hommes savent |
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bien que cette
apparition ne peut être que celle de “l’homme aux miracles”. Ce que leur
employé leur en avait dit n’était que l’ombre de la réalité. Il semblait
qu’une aura de splendeur l’enveloppait tout entier. Une ignité souveraine se
dégageait de lui et s’affirmait. Les deux hommes étaient silencieux. Le comte
alla au-devant d’eux ; ils entrèrent. Alors, en termes mesurés, sans
formalité, mais d’une voix de ténor, inconcevablement harmonieuse et
résonnant au plus profond de l’âme, il dit en français, à Gräffer : “Vous
avez une lettre d’introduction auprès de moi de M. de Seingalt714. Il n’en est pas
besoin. Ce monsieur est le baron Linden. Je savais que vous seriez tous les
deux ici en ce moment. Vous avez une autre lettre pour moi de Bruhl. Mais le
peintre ne peut pas être sauvé ; son poumon est perdu ; il mourra le 8
juillet 1805715. Un homme, qui à l’heure actuelle, n’est encore qu’un enfant
appelé Buonaparte sera indirectement à blâmer. Et maintenant, messieurs, je
sais quelles sont vos occupations ; puis-je vous servir en quoi que ce soit ?
Parlez.” Mais parler nous était impossible. |
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« Linden avança une
petite table, sortit quelques friandises d’un placard, les plaça devant notre
hôte, et descendit à la cave. |
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« Le comte fit signe à Gräffer de s’asseoir, prit lui- |
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même un siège, et
dit : “Je savais que votre ami Linden se retirerait, il y était forcé. Je
veux vous servir seul. Je vous connais par Angelo Soliman, à qui j’ai été à
même de rendre service en Afrique. Si Linden vient, je le renverrai à
nouveau.” Gräffer s’était ressaisi ; cependant il était trop abasourdi pour
répondre autrement que par ses mots : “Je vous comprends : j’ai un
pressentiment.” |
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« Entre-temps,
Linden revient et met deux bouteilles sur la table. Saint-Germain sourit avec
une dignité inexprimable. Linden lui offre de se rafraîchir. Le sourire du
comte s’accentua jusqu’au rire. “Je vous le demande, dit-il, y a-t-il âme qui
vive sur la terre qui m’ait jamais vu boire ou manger ?” Il indique la
bouteille du doigt. “Ce Tokay ne vient pas directement de Hongrie ; il vient
de mon amie Catherine de Russie. Elle était si charmée des tableaux peints
par l’homme malade sur la bataille de Mödling716 qu’elle lui en envoya un tonneau du même.” Gräffer et Linden
étaient stupéfaits ; le vin avait été acheté à Casanova717. |
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« Le comte demanda tout ce qu’il faut pour écrire ; |
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Linden le lui
apporta. “L’homme aux miracles” coupa d’une feuille de papier deux parties
égales, les plaça l’une contre l’autre et, saisissant une plume de chaque
main, simultanément, se mit à écrire avec les deux une demi-page, les signa,
et dit : “Vous collectionnez les autographes, monsieur, le texte est le
même”. “C’est de la magie,” s’exclamèrent les deux amis, car trait pour trait
les deux écritures étaient semblables, nulle trace de différence. |
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« L’écrivain
sourit, place les deux feuilles l’une sur l’autre et les applique contre la
vitre de la croisée ; il semble qu’on ne voit qu’une seule écriture si exact
est le fac-similé de l’une avec l’autre ; elles apparaissent comme
l’impression de la même planche à graver. Les témoins en restaient muets de
stupeur718. |
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« Le comte dit
alors : “Je désire qu’une de ces feuilles soit remise aussi rapidement que
possible à Angelo. Dans un quart d’heure, il doit sortir avec le prince
Lichtenstein ; le porteur recevra une petite boîte…. ” |
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« Alors
Saint-Germain prit graduellement un aspect solennel. Pendant quelques
secondes, il devint rigide comme une statue ; ses yeux toujours
inexprimable-ment vivants, se firent ternes, sans couleur ni feu. Puis, tout
de suite, tout son être s’anima de nouveau. Il fit signe de la main comme
pour signaler son départ, puis dit : “Je m’en vais ; ne venez pas me voir.
Vous |
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me reverrez une
fois encore. Demain dans la nuit, je serai parti. On a grand besoin de moi à
Constantinople, ensuite en Angleterre, pour préparer deux inventions qui
seront en usage dans le siècle qui vient : les chemins de fer et les bateaux
à vapeur. On en aura besoin en Allemagne. Les saisons subiront graduellement
des changements dans leur ordre ; d’abord le printemps, puis l’été. C’est
l’arrêt graduel du temps lui-même qui annonce la fin d’un cycle. Je vois tout
cela. Croyez-moi, les astronomes et les météorologues ne savent rien. On a
besoin d’avoir étudié comme je l’ai fait dans les Pyramides. Vers la fin du
présent siècle, je disparaîtrai hors de l’Europe et me rendrai dans la région
de l’Himalaya. je me reposerai : il faut que je me repose. Dans
quatre-vingt-cinq ans exactement les gens se souviendront de moi de nouveau.
Adieu, je vous aime.” |
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« Après avoir
prononcé solennellement ces mots, le comte refit le signe de sa main, et les
deux adeptes, anéantis par la force de leurs impressions sans précédent,
quittèrent la pièce en un état intraduisible. Au même moment une pluie
torrentielle tomba avec accompagnement de roulement de tonnerre.
Instinctivement, ils rentrèrent dans le laboratoire pour s’y réfugier. Ils
ouvrent la porte, Saint-Germain n’y était plus… »719. |
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À propos de la longévité du comte de Saint-Ger- |
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main, Collin de
Plancy a imaginé la scène suivante : « Contant un jour qu’il avait beaucoup
connu Ponce Pilate à Jérusalem, il décrivait minutieusement la maison de ce
gouverneur romain, et disait les plats qu’on avait servis sur sa table un
soir qu’il avait soupé chez lui. Le cardinal de Rohan720, croyant n’entendre là que des rêveries, s’adressa au valet
de chambre du comte de Saint-Germain, vieillard aux cheveux blancs, à la
figure honnête : “Mon ami, lui dit-il, j’ai de la peine à croire ce que dit
votre maître. Qu’il soit ventriloque, passe ; qu’il fasse de l’or, j’y
consens ; mais qu’il ait 2.000 ans et qu’il ait vu Ponce Pilate, c’est trop
fort. Étiez-vous là ? — Oh ! non, monseigneur, répondit ingénument le valet
de chambre, c’est plus ancien que moi. Il n’y a guère que 400 ans que je suis
au service de M. le comte721.” » |
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De même que F.
Barrière, l’abbé Lecanu a voulu voir dans le comte de Saint-Germain un
évocateur du genre Schrepfer, et voici ce qu’il écrit : « On rapporte |
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qu’il se passait
dans la maison du comte des choses étranges qui jetèrent la crainte dans le
public. On disait qu’à la demande des personnes assez hardies pour le
désirer, il évoquait des ombres, et que ces terribles apparitions étaient
toujours reconnues. Quelquefois il faisait répondre à certaines questions sur
l’avenir par des voix souterraines, qu’on entendait très distinctement,
pourvu qu’on appliquât l’oreille au parquet d’une chambre mystérieuse.
Plusieurs de ces prédictions se réalisèrent, assurait-on, et la
correspondance de Saint-Germain avec l’autre monde fut une vérité démontrée
pour beaucoup de gens722. » |
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Parmi les anecdotes
sur la manière dont le comte de Saint-Germain rajeunissait les dames de la cour, en voici une dans laquelle on lui fait
jouer un rôle qui dépasse les bornes du ridicule : « Une douairière le
pressait de l’embellir et d’en faire instantanément une Hébé : “Vous le
voulez, madame la duchesse ? Eh bien ! buvez cela”. En même temps il
présentait une petite fiole remplie d’eau claire et la faisait vider par la
solliciteuse après s’être assuré, point essentiel qu’il n’existait aucune
glace dans l’appartement. Quelques minutes plus tard, on entendait des pas
menus dans l’antichambre, puis un fringant marquis entrait en s’écriant : “Oh
! c’est vous mademoiselle ?” La duchesse de soixante-dix ans traitée de mademoiselle était aux anges. Le
marquis, compère du faiseur, s’extasiait, complimentait, et comme la vieille
dame |
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se lamentait de ne
pas avoir un miroir, il lui en offrait un admirablement peint où se trouvait
un ravissant portrait de jeune fille. Ensuite de quoi grassement payé,
Saint-Germain filait recommencer ailleurs723. » |
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Un auteur bien
placé pour nous dire quelques vérités, Le Couteulx de Canteleu, puisqu’il
prétend tenir ses renseignements de la meilleure source, les manuscrits du
prince de Hesse (!), nous raconte que « le comte de Saint-Germain se servait
souvent pour ses apparitions, de ce fameux miroir magique qui fit, en partie
sa réputation. On sait qu’il montra à Louis XV le sort de ses enfants dans un
de ces miroirs magiques qui sont encore un problème pour la science, et que
le roi recula de terreur en voyant l’image du dauphin lui apparaître
décapitée724. » |
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Évidemment, ce
renseignement est nouveau mais comme nous ne pouvons le contrôler (le roi
Louis XV n’ayant rien dit ni fait dire à ce sujet), nous pouvons le supposer
aussi fantaisiste que l’idée émise par Ernest Capendu dans son roman : Le comte de Saint-Germain, paru en
1865. Un jeune homme, pour venger ses parents assassinés, prend tour à tour
l’aspect du |
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fameux bandit Poulailler
et celui plus noble du comte de Saint-Germain. L’action se passe en 1745725. ! |
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Mais arrivons au
célèbre « exhibiteur » américain, T. P. Barnum, qui lui aussi a son mot à
dire sur le comte de Saint-Germain, et voici ce que nous apprenons : « Il
disait être né en Chaldée, au commencement des siècles, et être le seul
héritier des sciences et des mystères perdus de sa propre race et de la race
égyptienne. |
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« Ses prédictions
étaient encore plus surprenantes, et il est bien prouvé, par des attestations
très puissantes et très explicites, qu’il prédit le temps, le lieu et les
circonstances de la mort de Louis XV quelques années avant qu’elle arrivât. |
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« Sa mémoire était
étonnante. Ayant une fois lu un journal, il en répéta tout le contenu
couramment, depuis le commencement jusqu’à la fin ; et à ses autres dons, il
joignait la faculté d’écrire avec les deux mains des caractères en taille
douce. Ainsi, il pouvait écrire une lettre d’amour avec sa main droite tandis
qu’il composait et transcrivait des vers avec sa main gauche, et cela, en
apparence, avec la plus grande facilité… |
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« De plus, le comte
tombait dans des attaques de catalepsie qui duraient souvent des heures et
même des jours, et durant cette période, il déclarait qu’il visitait en
esprit les régions les plus reculées de la |
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terre et même les
étoiles les plus éloignées. Il racontait avec un pouvoir surprenant les
scènes dont il avait été témoin726. » |
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Vers 1869, la
légende va s’éloigner, durant quelque temps, du genre « occulte » et
reprendre une allure « maçonnique ». |
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Ainsi, d’après un
écrivain hollandais, Van Sypesteyn : « Il est hors de doute que Saint-Germain
fut membre de la Loge des Martinistes et on prétend qu’il fut chargé par le
marquis de Saint-Martin de fonder une loge à La Haye, mais qu’il échoua dans
sa tentative727.
» |
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Franchissons
dix-huit ans. Nous sommes en 1884. Un journal de Weimar, Der
Gartenlaube (Le
berceau de verdure), sous la signature de A. V.
d’Elbe, publia le récit suivant, dont les scènes se passent entre 1775 et
1778 : |
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« Charles-Auguste
[de Saxe-Weimar] alla chez le landgrave Adolphe de
Hesse-Philippsthal-Barchfeld. Saint-Germain était là et fut dûment présenté
au duc. |
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Il fut charmant
dans sa conversation et le duc, après souper demanda à son hôte : — Quel âge
a le comte ? — Nous ne savons rien de précis là-dessus, répondit le
landgrave. Il est de fait que le comte connaît des détails que seuls des
contemporains pourraient raconter de la même façon. Il est admis, ici, à
Cas-sel, d’écouter respectueusement ses histoires et de ne s’étonner de rien.
Le comte ne se loue pas ; il n’est ni importun, ni bavard, c’est un homme de
bonne société que chacun est heureux de recevoir. Il n’est pas trop aimé par
le chef de notre maison le landgrave Frédéric II, qui l’appelle un moraliste
fatigant. Mais il est en rapport avec nombre d’hommes éminents, et exerce une
influence extraordinaire sur d’autres. Mon cousin, le landgrave Charles de
Hesse lui est très attaché ; ils travaillent de conserve dans la
Franc-Maçonnerie et autres sciences ténébreuses. Lavater lui envoie des
hommes de choix728.
Il peut parler avec des voix différentes comme venant de diverses distances ;
il peut imiter à première vue toute écriture ; on dit qu’il a des
accointances avec les esprits qui lui obéissent. C’est un médecin et un
géologue et il a la réputation de prolonger la vie. |
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« [Rentré à Weimar] le
duc alla rendre visite à Gôrtz729 qu’il savait être un ennemi et un adversaire |
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de Goethe. C’est pourquoi
en ce moment de surexcitation, il prit le parti du maréchal. |
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« Görtz reçut cette
visite inattendue d’un air de soumission, et lorsque, par certaines allusions
il put se convaincre que le duc ne désirait pas parler de Goethe, sa
physionomie s’éclaira davantage. |
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« Finalement, le
duc dit, non sans quelques embarras : “Au commencement de mai, cher maréchal,
j’ai fait une très intéressante connaissance chez les landgraves de
Barchfeld, connaissance que je désire maintenir. C’est un certain comte de
Saint-Germain qui réside à Cassel. Écrivez, je vous prie, à ce gentilhomme
pour l’inviter gracieusement à venir ici.” |
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« Görtz promit d’accéder
à ce désir dans le plus bref délai possible et le mieux qu’il saurait le
faire. |
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« Quand le duc se fut retiré, il s’assit à son bureau et
écrivit comme suit : |
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jeunes ducs de
Saxe-Weimar, Charles-Auguste et Constantin. En 1775, Charles-Auguste, étant
devenu grand duc, de Goertz cessa ses fonctions et fut nommé en 1778, grand
maître de la maison de la grande duchesse, épouse de Charles-Auguste. La même
année, de Goertz passa au service du roi de Prusse, Frédéric II, qu’il ne
quitta plus. Signalons que Mirabeau, dans une lettre précédant le pamphlet
anonyme : Le Charlatan démasqué (Francfort-sur-le-Mayn, 1786, in-8o), écrit que le comte
de Goertz, alors ambassadeur de Prusse en Russie, en 1784, fut avisé par le
consul de Prusse à Cadix, que Cagliostro, lequel se trouvait, à cette époque,
à Saint-Pétersbourg, avait omis d’acquitter après son passage dans le port
espagnol, vers 1775, plusieurs lettres de change d’une valeur totale de 5.000
roubles. La coïncidence du nom de l’homme d’État prussien est à considérer. |
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« Triomphez, cher
comte, votre science des hommes, votre habileté, sont victorieuses. Vous avez
bien prédit : notre gracieux seigneur et maître est enchanté de vous et vous
mande par la présente, en due forme, par mon intermédiaire, de venir à sa
cour. |
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« Vous êtes
réellement un homme de génie car son maudit favori plébéien commence à
chanceler… encore un bon coup d’épaule, une poussée de votre génie, et
l’avocat de Francfort730 qui s’ingère dans nos affaires, est fait échec et mat.
Voulez-vous vous mesurer ouvertement avec lui, dès maintenant, ou bien
préférez-vous faire d’abord, incognito, la reconnaissance du champ de
bataille ? Placez une ou deux mines au bon endroit et ne vous montrez que
lorsqu’il sera totalement battu alors vous prendrez sa place avec bien plus
de droit et de pouvoir ? |
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« J’abandonne tout
cela à votre sagacité. Comptez entièrement sur moi comme par le passé, sur
moi et sur une petite élite de fidèles aristocrates parmi lesquels il y en
aurait un ou deux que vous pourriez vous attacher plus étroitement, si vous
le jugez bon : |
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Toujours votre sincèrement » |
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Comte Görtz, maréchal de
cour |
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Voici la réponse du comte de Saint-Germain : |
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« Cher comte, |
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« Je suis tout prêt
à m’associer avec vous et vos compagnons en idées et suis très reconnaissant
de votre gracieuse intervention. J’en profiterai plus tard. |
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« Pour l’instant,
j’ai promis de passer par Hanau pour y rencontrer le landgrave Charles chez
son frère731, et
y travailler avec lui au système de la « Stricte-Observance », réforme de
l’ordre des Francs-Maçons dans un sens aristocratique732, laquelle réforme
vous intéresse tant aussi733. |
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« Le landgrave est
pour moi un cher et sympathique protecteur et, s’il n’est pas prince régnant,
sa situation dans le Schleswig, comme attaché au service danois, n’en est pas
moins très princière. Dans tous les cas, avant que je me décide tout à fait
pour le landgrave, j’irai à Weimar pour vous libérer de l’intrus détesté et
reconnaître les lieux. Il se peut que je préfère le faire d’abord incognito. |
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« Recommandez-moi
fidèlement à votre maître, et promettez ma visite pour un temps très
prochain. |
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« Au nom de la prudence, silence et sagesse, je vous salue. |
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« Bien vôtre, |
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Saint-Germain734. » |
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Ce récit, dont
l’authenticité est plus que dou-teuse735, eut son écho en France. L’année suivante, un journaliste
Édouard Drumont, émit la supposition suivante : « L’énigmatique comte de
Saint-Germain allait, de ville en ville, porter le mot d’ordre mystérieux,
resserrant le faisceau des Loges entre elles, achetant partout ceux qui
étaient à vendre, troublant les esprits avec des prestiges ou des sornettes,
débitées avec un imperturbable aplomb736. » |
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|
Le rôle «
Maçonnique », que l’on prête au comte de Saint-Germain, fut ensuite « dévoilé
» d’une curieuse façon par Jules Doinel sous le voile de l’anonymat737 : « On a de fortes raisons de croire
que le comte de |
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|
Saint-Germain était
un des plus puissants démons missionnaires de Satan. Il disparaissait aussi
facilement qu’il apparaissait. Il se rendait invisible. Il a été vu à
plusieurs endroits à la fois. Malgré toutes les recherches, personne n’a pu
savoir ni son âge, ni son pays, ni le lieu de sa mort. Bien mieux, il a été
vu en Égypte, pendant l’expédition du général Bonaparte et les balles ne
l’atteignaient pas. |
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|
« Le comte de
Saint-Germain, interrogé sur son âge, répondit un jour qu’il avait vu
Jésus-Christ. On peut prendre cela pour une fanfaronnade, pour une hâblerie
de charlatan ; mais quand le comte de Saint-Germain affirma avoir connu Jules
César, quand il donna de tels détails que les historiens demeurèrent
confondus ; quand il les donna de telle manière que les recherches de
l’érudition contemporaine ont seules pu les contrôler ; quand il décrivit si
fidèlement et si exactement l’intérieur des catacombes ; quand il jeta sur
l’Inde alors inconnue la vive et soudaine clarté de révélations confirmées
par la science prodigieuse des |
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Anquetil-Duperron,
et des Burnouf, on ne put croire que deux choses : ou bien il avait vu ce
dont il parlait avec une si puissante certitude, ou bien il avait reçu une
tradition ininterrompue et mathématiquement fidèle. Ce qui est plus difficile
à admettre que la manifestation d’un être invisible. » |
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|
« Le comte de
Saint-Germain domine l’occultisme du XVIIIe siècle agonisant. Il
apparaît, et tout ce qu’il y a d’hostile à l’Église et à la Monarchie se
groupe autour de lui. Les Loges se multiplient. Les illuminés pullulent.
Mesmer, Saint-Martin, Puységur, Caglios-tro, Weishaupt, Cazotte sont autant
d’astres noirs qui évoluent autour de ce soleil infernal. Il donne le mot
d’ordre à la Maçonnerie, règle les rituels, inspire les fêtes d’adoption,
organise des Loges de femmes, enrégimente la noblesse dans les ateliers
hiramiques. Mais surtout, il prépare la Révolution, visite Voltaire vieilli,
aide Jean-Jacques Rousseau, dirige Naigeon et Diderot, se glisse dans les
salons et y souffle l’esprit de volupté et de dénigrement, se glisse à la
cour et y essaie ses séductions sur tous et sur toutes, arrive jusqu’à la
reine et lui conseille la frivolité innocente qui lui sera si fatale. Tantôt
ici et tantôt là, le comte |
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de Saint-Germain,
qui demeure une énigme inexplicable pour tous ceux qui l’ont vu et qui l’ont
entendu, n’en est pas une pour nous. C’est une personnalité animée par Satan,
si ce n’est un des esprits de Satan, envoyé par lui en mission en Europe.
C’est à partir de son arrivée que le mouvement occultiste se propage ; c’est
à partir de sa disparition que la Révolution éclate. |
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|
« Un homme seul
semble avoir connu, en Allemagne, l’identité du comte de Saint-Germain, c’est
Weishaupt. Il lui parle avec un respect religieux. Il lui écrit comme à un
être divin738. |
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« Un homme seul
semble avoir connu, en France, l’identité du comte de Saint-Germain, c’est
Caglios-tro. On l’a vu se prosterner devant lui. Il l’écoute comme un vivant
oracle »739. |
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Cette légende d’un
comte de Saint-Germain préparant la Révolution Française fut reprise quelque
temps après par l’érudit auteur des Essais de Sciences
Maudites, Stanislas de Guaita, quand il annonce,
sans aucune preuve à l’appui que « Saint-Germain organisait en silence les
clubs tapageurs du lendemain, et fécondait de son or intarissable la future |
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émeute propre à ébranler le pouvoir d’un roi par la violence740. » |
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Un « intermède
musical » nous est fourni par le publiciste Émile Colombey. S’inspirant de
deux extraits, le premier des Souvenirs et portraits du duc de Levis741 et le second des Mémoires du baron de Gleichen, il les paraphrase ainsi : « Un jour,
Saint-Germain rendant visite à Mme de Marchais, jette en entrant son chapeau et son épée sur un
meuble et, se mettant au piano, exécute prestement un morceau qui fut très
applaudi. On demande le nom de l’auteur. — Je l’ignore, répondit-il
gravement, tout ce que je puis dire, c’est que j’ai entendu cette marche lors
de l’entrée d’Alexandre le Grand dans Babylone742. » |
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Signalons, à la
même époque, la pièce d’Émile Bergerat : La Pompadour, dans laquelle le comte de Saint-Germain joue un rôle
épisodique en compagnie de Guay, le graveur en pierres fines du cabi- |
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net du roi. Une des
scènes est la suivante : Le comte ayant demandé une perle à Mme de Pompadour, la
fait dissoudre, et lit l’avenir dans ce coûteux « marc de café743 ». |
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L’année suivante,
le 13 juin 1893, l’écrivain Jules Bois, dans une conférence à la salle des
Capucines, traita de « l’élixir d’immortalité » du comte de Saint-Germain. |
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De même quelques
années après, Henri d’Almé-ras : « Le comte de Saint-Germain, dans les salons
où il fréquentait, ne gardait pas jalousement le secret de son élixir
d’immortalité auquel il devait une si exceptionnelle longévité. Dans les
Loges où il était admis, il en donnait quelquefois de minuscules bouteilles,
qui produisaient assurait-on, les plus merveilleux effets744. » |
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Auparavant,
l’auteur de : Au Pays des Esprits, parlant des séances de magie qui se faisaient en Angleterre
vers 1860, nous dit que la plupart des magistes anglais, se conformant à
chaque article du rituel magique « répétaient les formules que l’on dit
provenir des mages d’Égypte et de Chaldée, et dont se servaient des mystiques
célèbres, tels que Thomas d’Aquin, Albert le Grand, Nostradamus, le comte de
Saint-Germain, etc745. » |
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De 1904 à 1920, les
écrivains s’occupèrent peu du comte de Saint-Germain. Citons cependant le Dr
Henri Favre, lequel dans une sorte d’autobiographie, ne craignit point
d’écrire : « Le mouvement du grand cophte, cette haute parade thaumaturgique
dont, en France le comparse de parade fut Cagliostro ; dont le vrai promoteur
de grande mise en scène fut le fameux comte de Saint-Germain746. » |
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Se basant sur des
renseignements fantaisistes Claude Farrère nous présente un comte de
Saint-Germain, jouant un rôle de magiciens possesseur d’un secret de longue
vie ultra-moderne747. |
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Dans l’ouvrage
d’Octave Béliard, paru en 1920, nous trouvons encore là des redites dont,
cependant, l’interprétation nous a étonné : « Le comte de Saint-Germain
éblouit dix ans la cour et la ville par son élégance, sa faconde et sa
beauté… Mais ce qui piqua le plus la curiosité, au point que Louis XV et Mme de Pompadour le
voulurent voir, c’est qu’il affirmait avoir vécu plusieurs fois et gardé le
souvenir de ses vies successives… Brusquement, en 1760, il quitta Paris pour
aller étonner les Londoniens… Des auteurs le font voir fuyant la vengeance
des Illuminés dont il aurait trahi les mystères. Toujours est-il qu’il
disparaissait soudainement de ses successives demeures et que les bruits les
plus contradictoires courent sur |
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sa mort, puisque des
auteurs de mémoires disent qu’il fut assassiné par les Rose-Croix au château
de Rueil748. » |
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Ce n’est pas non
plus dans l’ouvrage de Rainer-Maria Rilke que nous avons pu satisfaire notre
curiosité. Bien que cet auteur ait consacré quelques pages au comte de
Saint-Germain, il ne nous apprend rien que nous ne sachions749. |
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Arrivons à 1928.
Avec le conférencier russe, M. de Meck nous ne sortons pas des banalités. «
Par ses pouvoirs occultes incontestables, tels que la clairvoyance, la
lecture de pensée, la prédiction de l’avenir, le comte de Saint-Germain
faisait une impression profonde… Il est regrettable qu’un homme comme lui,
ait cru devoir mêler à sa science un don de charlatanisme… Ce charlatanisme
avait pour but d’impressionner l’imagination des personnes, avec lesquelles
il était en rapport, et de les rendre ainsi plus, réceptives aux impressions
qu ‘elles recevaient de lui… Ce charlatanisme consistait surtout à faire
croire aux gens des choses où le mensonge était parfois entremêlé à la vérité750. » |
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Une information assez curieuse, bien qu’elle soit |
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la reprise d’une
note parue dans Le Lotus Bleu,
en 1899751,
est donné par notre regretté ami, l’écrivain Maurice Magre : « Napoléon III
intrigué par ce qu’il avait entendu dire au sujet de la vie mystérieuse du
comte de Saint-Germain avait chargé un de ses bibliothécaires de rechercher
et de réunir tout ce qui lui était relatif, parmi les archives et documents
de la fin du XVIIIe siècle. Ce travail avait été fait. Un grand nombre de pièces
formant un dossier considérable, avait été déposé dans une bibliothèque de la
préfecture de police. La guerre de 1870 survint, puis la Commune et la partie
de la préfecture de police où se trouvait le dossier fut brûlée752. » |
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Parmi les écrivains
des dix dernières années précédant notre époque, citons entre autres, un
auteur italien, Giovanni Papini, qui, dans un roman autobiographique, dit-on,
nous fait part de sa rencontre avec le comte de Saint-Germain. Gog [c’est
l’auteur] est sur le « Prince of Wales », qui fait route vers Bombay. Une
nuit, il coudoie sur le pont un monsieur d’une cinquantaine d’années, dont
l’aspect le trouble. C’est Saint-Germain. Celui-ci lui avoue qu’il est
quelque peu ennuyé de sa longue vie. Ceci ne serait que banal, mais G. Papini
ajoute que le comte lui aurait fait connaître « qu’il était né dans les
premières années du XIVe siècle et qu’il était arrivé à temps pour connaître |
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Christophe Colomb753. » Voici des
précisions pour le moins sensationnelles. |
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Un autre écrivain,
français celui-là, le mystique Sédir, ne se compromet pas beaucoup : « Parmi
les missionnés qui semblent appartenir à l’ordre des Rose-Croix, il faut
citer le célèbre comte de Saint-Germain. Ses voyages, ses missions politiques
en Russie, à Amsterdam, à Londres, à Paris, les secrets merveilleux dont il
semblait le détenteur, tout cela a beaucoup surexcité, l’imagination
populaire754. » |
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Avec Robert
Chauvelot et Robert Margerit, nous retombons dans le domaine de la pure
fantaisie. Si le premier imagina de faire revivre, grâce à une exhumation, le
comte de Saint-Germain, « le Grand Invisible, chef des Illuminés d’Orient »,
et de lui prêter de nouvelles aventures extraordinaires755, le second va jusqu’à faire tenir à notre personnage un
langage auquel cet élégant gentilhomme ne nous avait point habitué756. |
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Pour MM. Jean Moura et Paul Louvet, Saint-Ger- |
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main est le Rose-Croix
immortel, mais leur affirmation n’est basée que sur des documents par trop
fantaisistes757. |
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De même Pierre
Geyraud, se borne à résumer les racontards habituels : « Il était Rose-Croix,
ce mystérieux comte de Saint-Germain, élégant, spirituel, coqueluche des
salons, d’âge indéterminé puisqu’il avait connu le Christ, et qu’il avait
comme le rappelle Voltaire, “soupé autrefois dans la ville de Trente avec les
Pères du Concile” ; il est, d’ailleurs, encore à Venise, dans un palais du
grand canal758. » |
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Cette dernière
affirmation n’est pas une simple boutade de journaliste, comme on serait
tenté de le croire, et à son sujet nous allons exposer dans le deuxième
chapitre de la « légende » ce que l’on pourrait appeler la chronique du «
Maître » des Théosophes759. |
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Chapitre II : |
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Le « Maître » des Théosophes |
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Nos lecteurs se
souviennent du passage des Petits Mémoires de Vienne de F. Gräffer, publiés en 1846, dans lequel il est indiqué
que le comte de Saint-Germain devait aller se reposer « dans la région des
Himalaya ». Dès 1877, nous trouvons sous la plume de H. P. Blavatsky, la
fondatrice de la Société Théo-sophique, quelques lignes qui pourraient se
rapporter à cette histoire : « Qui n’a pas entendu parler, aux Indes, du Houtouktou du Haut-Thibet ? Sa
confrérie de Khe-lan était célèbre dans le pays tout entier ; et un des
“frères” les plus renommés était un Peh-ling (un Anglais) qui y arriva un jour, de l’Occident, dans la
première partie de ce siècle… Il parlait toutes les langues, y compris le
tibétain, et connaissait toutes les sciences, nous dit la tradition. Sa
sainteté et les phé- |
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nomènes qu’il
produisit firent qu’il fut proclamé Sha-béron après quelques années seulement
de résidence. Son souvenir est encore vivant aujourd’hui parmi les Tibétains,
mais son véritable nom n’est connu que des seuls Shabérons760. » Ce qui nous empêche d’être affirmatif quant à l’intention
que pouvait avoir Mme Blavatsky, c’est que celle-ci parle d’un « Anglais », qualité
que personne n’a jamais prêtée au comte de Saint-Germain, et cette précision
est d’autant plus curieuse que ce terme Peh-ling, ou plus exactement philing, désigne simplement un Européen. |
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La seconde citation de H.
P. B., parue en 1889, est beaucoup plus précise : |
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« Un “frère” âgé,
grand kabaliste, vient de mourir ici [Londres], dont le grand-père, Maçon
célèbre, fut l’ami intime du comte de Saint-Germain, lorsque ce dernier fut
envoyé, dit-on, par Louis XV, en Angleterre, en 1760, pour négocier la paix
entre les deux pays761. Le comte de Saint-Germain laissa entre les mains de ce Maçon
certains documents concernant l’histoire de la Maçonnerie, et contenant les
clefs de plus d’un mystère incompris762. Il le fit à la condition |
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que ces documents
deviendraient l’héritage secret de tous ceux de ses descendants qui seraient
Maçons. Ces papiers ne profitèrent qu’à deux Maçons, d’ailleurs : au père et
au fils, celui qui vient de mourir, et ne profitèrent plus à personne, en
Europe. Avant sa mort, les précieux documents furent confiés à un Oriental
(un Hindou) qui eut pour mission de les remettre à une certaine personne qui
viendrait les chercher à Amritsa — ville de l’immortalité763. » |
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Enfin, rapportons
la dernière opinion de Mme Bla-vatsky sur le comte de Saint-Germain, opinion en rapport
avec le dernier alinéa de la citation ci-dessus : |
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« Le comte de
Saint-Germain fut certainement le plus grand adepte Oriental que l’Europe ait
vu au cours des derniers siècles764. » |
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En novembre 1894,
au cours d’une réunion des membres parisiens de la S. T., la comtesse
Wachtmeis-ter, de passage à Paris, en route pour l’Inde, où elle va résider,
apprit à son auditoire : « que selon le plan des Maîtres, dont H. P. B. était
l’instrument, la Société Théosophique aurait dû être édifiée solidement
depuis le dernier quart de siècle précédent. Leurs envoyés, notamment
Martines Pasqualis, de Saint-Martin, Cagliostro, Mesmer et le comte de
Saint-Germain en avaient établi secrètement les bases, à Paris ; mais le
mouvement qu’ils devaient vitaliser fut étouffé par la Révolution française
de 1789 ». La comtesse Wachtmeister ajoute : « H. P. B. était, au siècle
dernier, comme elle l’a été dans celui-ci, l’agent désigné des Maîtres ; elle
était à Paris, à l’époque de Louis XVI, quand fut formé le premier noyau de
la Société Théosophique765. » |
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Quelque temps
après, un autre membre notoire de la S. T., W. Q. Judge nous affirme : « Un
courant de force spirituelle coule à flot sur le monde à la fin de chaque
siècle, par la volonté des Maîtres ou Mahat-mas. Ce courant commence aux
dernières vingt-cinq |
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années du siècle, finit à
la fin du siècle, pour ne recommencer qu’au dernier quartier du siècle
dernier766. » |
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C’est pourquoi,
nous dit H. S. Olcott, président de la S. T. : « Il est toujours douteux
qu’un Adepte meure767, comme il semble le faire, dans un corps particulier. Étant
donné le pouvoir d’illusionnistes, qu’ils possèdent, l’enterrement de leur
cadavre n’est même pas une preuve de la réalité de leur mort. Qu’advint-il,
par exemple, du comte de Saint-Germain, “l’aventurier, l’espion” des
encyclopédistes, qui éblouit toutes les cours de l’Europe, il y a un siècle
[1795] et qui s’étant retiré dans le Holstein (!), disparut aussi
mystérieusement qu’il était apparu768. » |
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Ce qu’il advint du
comte de Saint-Germain, un article « sensationnel » paru en septembre 1895,
dans Le Lotus Bleu et
intitulé Le Secret du comte de Saint-Germain, va nous l’apprendre : « Le comte de Saint-Germain est
certainement l’homme le plus étonnant |
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dont l’histoire ait
conservé le souvenir. Il apparut en France au siècle dernier, sous Louis XV,
sous le nom de comte de Saint-Germain ; ce nom lui venait d’une terre achetée
par lui dans le Tyrol et dont il avait payé au pape le droit de prendre le
titre769. Sa
beauté était remarquable et ses manières splendides ; il avait un talent
d’élocution extraordinaire ; une instruction et une érudition merveilleuses ;
il connaissait et parlait admirablement presque toutes les langues connues.
Musicien achevé, il jouait de tous les instruments, mais il affectionnait
plus particulièrement le violon ; il le faisait vibrer si divinement que deux
personnes qui l’avaient entendu et qui écoutèrent plus tard le fameux maestro
génois, Paganini, mettaient ces deux artistes au même niveau. “Saint-Germain
aurait pu rivaliser avec Paganini, disait un octogénaire Belge, en 1834770” ; et un Lithuanien
émerveillé s’écriait à son tour, en entendant Paganini : “C’est Saint-Germain
ressuscité qui joue du violon dans le corps d’un squelette italien771”. » |
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« Riche à l’excès,
méprisant profondément les trésors, on le voyait prodiguer des dons
fantastiques à ses amis et même aux princes : ses écrins étaient
inépuisables. Il transmutait les métaux, fabriquait de l’or et disait avoir
appris d’un vieux brahme Hindou le moyen de “vivifier” le carbone pur,
c’est-à-dire de le transformer en diamant. En 1780, pendant sa visite à
l’ambassade française de la Hague (sic), il mit en pièces, avec un marteau, un diamant superbe qu’il
avait produit par des moyens alchimiques ; il venait de vendre le pareil,
fabriqué par lui aussi, à un joaillier pour le prix de 5.500 louis d’or »772. |
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« Il vivait
somptueusement… ; il avait une prodigieuse mémoire… ; il pouvait écrire des
deux mains à la fois… Il lisait sans les ouvrir, les lettres closes et avant
même qu’on les lui eut remises ; il prophétisait souvent à la cour de Louis
XV et de Louis XVI…773. |
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« Il se mettait
souvent dans des états léthargiques qui duraient de 30 à 50 heures, et
pendant lesquels son corps paraissait comme mort. Puis, il se réveillait
restauré, rajeuni, revigoré par ce repos magique, et stupéfiait l’assistance
en racontant tout ce qui |
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s’était passé dans
la ville ou dans les affaires, pendant ce temps. Ses prophéties, comme ses
prévisions ne le trompaient jamais774. |
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« Frédéric II, de
Prusse, son intime ami (!) disait que personne n’avait pu déchiffrer son
énigme ; en 1772, il était le confident du prince Orloff à Vienne, qu’il
sauva de la mort, au moment des conspirations politiques qui agitèrent le
pays775. » |
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« Il disparut aussi
mystérieusement qu’il était venu ; le prince de Hesse raconte qu’il mourut en
1783776, pendant
qu’il faisait des expériences sur les couleurs à Eckenford (sic). C’est une chose bien étrange
que l’histoire n’ait consigné la mort d’un homme qui passionna tout ce qu’il
y avait de grand en Europe que dans le témoignage incertain d’un ami ; il est
souverainement étonnant qu’on ait jamais dit un mot de ses |
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funérailles, qu’aucun
registre n’en porte les traces, qu’aucun mémoire ne les rappelle ( !). |
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« Il est d’ailleurs
à peu près prouvé qu’il vivait plusieurs années après 1784. Il eut, dit-on,
une conférence importante avec l’impératrice de Russie en 1786 ou 1788. On
raconte qu’il apparut à la princesse de Lamballe, lorsqu’elle était devant le
tribunal révolutionnaire, quelques instants avant qu’on ne lui tranchât la
tête, et à la maîtresse de Louis XV, Jeanne Dubarry, pendant qu’elle aussi
attendait le coup fatal, en 1793777. « Cet homme ne doit pas mourir » disait de lui son ami
Frédéric de Prusse778. |
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« Saint-Germain fut
le porte-lumière (de la Grande Fraternité), envoyé en France, vers la fin du
siècle dernier. Il avait pour mission d’établir une organisation semblable à
la Société Théosophique actuelle. |
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« L’envoyé du cycle
actuel, H. P. Blavatsky, a été presque aussi prodigieux que Saint-Germain…
Elle a été le Saint-Germain du XIXe siècle779, la même Fraternité
l’a envoyée780. » |
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De son côté, H. S. Olcott
déclare : « Si Mme
Fadeef, la tante de H. P. B., pouvait être amenée à publier |
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certains documents
que renferme sa fameuse bibliothèque (!), le monde aurait, de la mission
pré-révolutionnaire en Europe de cet adepte Oriental [le comte de
Saint-Germain], une idée plus exacte qu’il n’a pu l’avoir jusqu’à présent781. » |
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Ce fut au mois de
janvier 1899, que le commandant Courmes, au cours d’une conférence annonça la
publication imminente des nombreuses recherches sur le comte de
Saint-Germain, que Mme Cooper-Oakley, amie de la première heure de H. P. B., avaient
faites, dans les bibliothèques publiques de Paris et de Berlin782. |
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Le lancement de ces
révélations fut dévolu au Dr Pascal, à ce moment vice-président de la S. T., lequel dans
l’éditorial du no 1 de la 10e année du Lotus Bleu, expliqua la mission salvatrice du comte de Saint-Germain,
mission continuée ensuite par H. P. B. : « La semence théosophique fut
confiée au sol français au siècle dernier, quand les trois “Messagers” de la
Grande Fraternité essayèrent de former une organisation capable de régénérer
la race en péril et d’écarter le douloureux orage qui devait ensanglanter
notre pays. Malgré leurs efforts, malgré la puissance du dernier d’entre eux,
— le comte de Saint-Germain — la précieuse semence ne put continuer sa germination
: elle pourrit dans un sol infesté par le matérialisme |
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glacé par le
scepticisme, et l’ouragan révolutionnaire fit le reste. Quand le “Messager”
du siècle actuel, — H. P. B. — fut chargé de reprendre la tâche inachevée, il
s’adressa aux contrées que l’évolution destine à un grand avenir — l’Amérique
et l’Inde —. La graine fut vivifiée à New-York783. » |
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Dans les Petits mémoires de Vienne de Fr.
Gräffer, le comte de Saint-Germain est censé dire : « Je disparaîtrai vers la
fin du siècle, de l’Europe… On me reverra dans 85 ans jour pour jour ». Comme
ces paroles, dit-on, ont été prononcées en 1790, c’était donc en 1875 que le
comte de Saint-Germain devait manifester de nouveau son activité. Or, c’est
précisément en 1875 (en Amérique, il est vrai, et non en Europe) que fut
fondée la Société Théosophique. Cette date a-t-elle été choisie
intentionnellement ou la coïncidence fut-elle simplement utilisée par la
suite, lorsqu’on s’en aperçut, c’est là ce qu’il est bien difficile de dire
avec certitude. Ce qui est sûr, c’est que, depuis 1889 jusqu’à nos jours,
l’importance du rôle prêté au comte de Saint-Germain dans la fondation et la
direction permanente de la S. T. n’a cessé de croître. |
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Lorsque dans le
courant de 1899 parurent les fameux Incidents de la vie
du comte de Saint-Germain par Mme Cooper-Oakley784, la direction du Lotus Bleu, |
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qui en assumait la
publication, célébra cet événement d’une façon grandiloquente : « Le comte de
Saint-Germain fut un missionnaire envoyé, par les êtres supérieurs, qui
dirigent l’humanité, pour essayer de modifier l’état de la société au XVIIIe siècle, et pour donner ce qui manquait à l’École
Encyclopédiste une base pour rénover les idées et les lois. |
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« Saint-Germain
avait essayé en vain de peser sur les privilégiés et sur la royauté pour
obtenir des concessions et des réformes qui auraient empêché l’explosion des
passions populaires… |
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« Saint-Germain ne
réussit pas dans son œuvre et disparut sans qu’on sût communément ce qu’il
était devenu… |
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« La tentative du
siècle dernier ayant avorté, le comte de Saint-Germain n’en a pas moins
poursuivi la réalisation de son œuvre qu’il reprendra ostensiblement dès
qu’il le jugera nécessaire, c’est-à-dire à notre époque…785. » |
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Que contenaient
donc les révélations de Mme Coo-per-Oakley, sans doute des anecdotes assez
extraordinaires ; on prit soin au Lotus Bleu de prévenir les lecteurs en leur disant : |
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« Ne traitez donc
pas légèrement ces assertions qui nous montrent de hautes intelligences
venant nous aider à réaliser l’avancement spirituel et moral de l’humanité,
comme l’a fait et le fera encore celui qui |
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s’est fait connaître au
siècle dernier, sous le nom de comte de Saint-Germain786. » |
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La précaution
n’était point vaine, en effet. Les fameux documents n’étaient autres que des
extraits des « rares et précieux » Souvenirs sur
Marie-Antoinette, du sieur Lamothe-Langon787, et les « notes
intéressantes et singulièrement rédigées », des Petits
mémoires de Fr. Gräffer. Ces « révélations
sensationnelles » extraites de la « fameuse bibliothèque » de Mme Fadeef, tante de H.
P. B., n’excitèrent aucun intérêt en dehors des milieux théosophiques.
L’auteur quitta la France pour se retirer en Italie, où plu- |
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sieurs années
après, en 1912, un éditeur fit paraître en volume les Incidents, revus, corrigés et augmentés, sous le titre The Comte de Saint-Germain : The Secret of Kings788. |
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Cependant l’élan
donné, l’enthousiasme pour le comte de Saint-Germain ne se ralentit point, au
contraire, et les mérites du nouveau « Maître » furent célébrés en 1901, par
Louis Revel, l’un des théosophes les plus autorisés du moment : « Aux
mystiques du XVIIIe siècle, il faut surtout ajouter le comte de Saint-Germain, le
porte-lumière mystique, l’envoyé du cycle qui lança la première parole
théosophique moderne aux rois et aux nobles, mais dont la semence fut
étouffée par le souffle des passions789. » |
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Mais il manquait à
cette « adoption » la consécration « officielle », celle du président de la
Société Théosophique, H. S. Olcott. Celui-ci n’y manqua pas et exposa son
point de vue dans un article intitulé : Le comte de
Saint-Germain et H. P. B.790. Pour H. S. Olcott, le comte de
Saint-Germain est un « homme étonnant », et « l’une des figures les plus
pittoresques, les plus impressionnantes, et les plus admirables de l’histoire
moderne. |
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« J’en suis venu,
dit-il, après avoir lu sur lui tout ce que j’ai pu trouver, à l’aimer et
l’admirer autant que le faisait H. P. B., et pour la même raison : Messager
de la Loge Blanche, il fut un agent plein de dévouement, employant toutes ses
forces au service d’autrui. » |
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H. S. Olcott ajoute
que toutes ses lectures et tout ce qu’il a entendu dire sur le comte de
Saint-Germain, « l’ont persuadé de son identité avec l’un des êtres
invisibles les plus charmants qui ont pris le masque d’H. P. B., pendant la
composition d’« Isis dévoilée ». « Plus j’y pense, dit-il, et plus je me
convaincs de la vérité de ma supposition791. » |
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Puis il fait un
parallèle entre ce qui, dans la vie de H. P. B., peut être rapproché de tout
ce qu’il connaît du comte de Saint-Germain, et conclut que ces deux
mystérieux personnages « sont agents et messagers |
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de la Loge Blanche.
L’un eut pour mission d’aider à diriger les lignes karmiques convergentes
aboutissant à la terrible révolution de la fin du XVIIIe siècle, véritable
cyclone destiné à purifier l’atmosphère morale des sociétés européennes.
L’autre nous vint dans un temps où le matérialisme allait être combattu et où
la Société Théosophique devait inaugurer le règne de la pensée spirituelle792. » |
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Lorsque l’année
suivante, en 1907, H. S. Olcott décéda, ce fut Mme A. Besant qui devint présidente de la S. T. ; à son tour,
elle exposa, dans l’une de ses œuvres, que le comte de Saint-Germain n’était
pas resté seul dans sa dernière incarnation et qu’il était accompagné d’un
disciple : « Dans la dernière partie du XVIIIe siècle un grand
effort fut tenté pour éclairer “les barbares blancs d’Occident”, dont le
poids porta sur deux grands personnages en relation étroite avec la Grande
Loge Blanche, bien que ni l’un ni l’autre, à ce que je sache, ne fut alors un
Maître ; celui qui avait le nom comte de Saint-Germain, qui est maintenant
l’un des Maîtres et son collègue, dans cette grande tâche, intimement attaché
à lui, membre d’une noble famille autrichienne et qui nous fut connu plus
tard sous le nom de H. P. B. Leur tentative de changer la face de l’Europe
échoua, car les temps n’étaient pas mûrs793. » |
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« Le grand
occultiste, frère de la Loge Blanche, nous dit encore Mme Besant, fut la plus grande force agissante derrière le
mouvement de réforme intellectuelle qui reçut le coup de mort, quand éclata
la Révolution française. |
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« Cette force
renaquit de ses cendres, — comme le Phénix de la Fable — pour reparaître au
cours du XIXe siècle, sous forme de la Société Théosophique dont ce Frère
est l’un des chefs reconnus. Il vit toujours dans la même enveloppe physique
dont l’éternelle jeunesse étonnait déjà ceux qui l’avaient connu un siècle
précédent794.
Il a rempli la prophétie faite à Mme d’Adhémar, à savoir qu’il se montrerait à nouveau un siècle
après lui avoir dit adieu, et ce, dans le mouvement spirituel qui s’accentue
de tous côtés autour de nous, il est appelé à être l’un des chefs les plus
autorisés795.
» |
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Une des incarnations les moins connues du |
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comte de
Saint-Germain est celle que lui a attribué J. J. Wedgwood, secrétaire de la
S. T., en Angleterre : « En 1796, le comte de Saint-Germain aurait été élu
grand-maître de l’ordre de Malte sous le nom de comte de Hompesch, et en
cette qualité aurait signé deux ans plus tard la capitulation qui livrait
cette île à la flotte française qui portait en Égypte l’armée de Bonaparte796. » |
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Cette « révélation
» n’étonna pas la présidente de la S. T. au contraire, Mme Besant fit connaître qu’elle avait vu à Rome, dans la
chapelle des chevaliers de Malte, une série de portraits parmi lesquels se
trouvait l’image du comte de Saint-Germain797, qu’on reconnaît être celle du grand-maître von Hompesch798. |
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Dans son ouvrage, Les Maîtres, Mme Besant nous donne la
série « complète » des différentes incarnations du comte de Saint-Germain.
C’est ainsi que |
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le « Maître » a été
successivement en remontant le cours des temps : le dernier survivant de la
maison royale des Rákóczi799, au XVIIIe siècle ; François
Bacon de Verulam, au XVIIe siècle ; Robert le
Moine au XVIe siècle800 ; Hunyadi Janos au XVe siècle801, et Christian
Rosencreutz, le grand Rose-Croix, au XIVe siècle. « Maintenant
qu’il a atteint le rang de “Maître” : c’est l’Adepte Hongrois du Monde occulte et quelques-uns
d’entre nous, dit Mme Besant, le connaissent revêtu de ce corps humain802. » |
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Mais on devait
bientôt dépasser les bornes de l’invraisemblance. Mme Besant et C. W. Leadbeater nous content froidement : |
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« Avant d’avoir acquis la surhumanité, le comte |
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de Saint-Germain,
l’Adepte hongrois, aurait été la déesse Vénus803. » Et pourtant cette nouvelle et « première » incarnation
peut s’expliquer de la façon suivante : « On sait que Saint-Germain est
l’objet d’une dévotion particulière dans les cercles de la théoso-phie
moderne, et dans les Loges co-Maçonniques, son portrait est salué comme celui
d’un Maître qui a pris spécialement à charge le mouvement féminin en
Maçonnerie804. » |
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Afin d’appuyer
l’hypothèse émise par Mme Besant sur l’existence actuelle du comte de Saint-Germain, le
théosophe C. W. Leadbeater nous assure avoir rencontré l’adepte hongrois en
1926 : « Je le rencontrai dans les circonstances les plus ordinaires sans
aucun rendez-vous préalable, et comme par hasard, descendant le Corso, à Rome805, vêtu comme le premier |
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gentleman italien
venu. Il me mena dans les jardins sur la colline du Pincio et nous étant
assis, nous causâmes plus d’une heure de la société et de son avenir, ou
plutôt devrai-je dire, il parla et j’écoutai, tout en répondant quand il me
questionnait806.
» |
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Voici d’après C. W.
Leadbeater l’aspect physique du comte de Saint-Germain : « Le Maître
ressemble au Mahâ Cho-han sous maints rapports. Bien que de taille moyenne,
se tient très droit, avec une apparence toute militaire807 ; il a l’exquise courtoisie et la dignité d’un grand seigneur
du XVIIIe siècle et l’on devine immédiatement qu’il appartient à une
famille très ancienne et noble. Ses yeux, grands et marrons sont pleins de
tendresse et d’humour, avec l’autorité du pouvoir. Son visage est d’un teint
olivâtre ; ses cheveux foncés et coupés courts sont divisés au milieu par une
raie, et brossés du front vers l’arrière ; la barbe est courte et taillée en
pointe. Souvent il revêt un uniforme sombre orné de galons d’or, et par- |
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fois aussi un
magnifique manteau rouge d’officier, qui accentue encore son allure militaire808. Il réside
habituellement dans un château ancien situé dans l’est de l’Europe, et
propriété de sa famille depuis des siècles809. » |
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Aux diverses «
incarnations » du comte de Saint-Germain que nous avons déjà mentionnées, C.
W. Lea-dbeater ajoute celles de Roger Bacon au XIIIe siècle, du
néo-platonicien Proclus, au Ve siècle, et de saint
Alban, premier martyr de la religion chrétienne, en Grande-Bretagne, au IIIe siècle après Jésus-Christ. |
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Suivant le même
auteur, le comte de Saint-Germain est un thaumaturge : « Son travail
s’effectue pour une grande part au moyen de la magie rituelle, et il se sert
de grands anges qui sont tout dévoués à ses ordres, et qui sont heureux
d’exécuter ses volontés. Bien qu’il connaisse toutes les langues européennes
et beaucoup de langues orientales, il utilise surtout le latin, qui est la
forme spéciale de sa pensée, et dont la splendeur et le rythme ne peuvent
être surpassés ici-bas. |
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« Dans les cérémonies où
il officie, il revêt des costumes de nuances variées et des bijoux somptueux. |
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Il possède un
vêtement en mailles d’or, qui appartint autrefois à un empereur romain,
au-dessus duquel il jette un magnifique manteau cramoisi, dont l’attache est
constituée par une améthyste et un diamant en forme d’étoile à sept pointes.
Parfois aussi il porte un superbe costume violet. |
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« Les cérémonies et
les rites des anciens mystères, dont les noms eux-mêmes sont oubliés depuis
longtemps par le monde extérieur, ne constituent pas le seul travail auquel
il s’adonne, mais il est en outre très absorbé par la situation politique de
l’Europe et par le développement de la science physique moderne810. » |
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Avec ce dernier
extrait, nous pensons avoir donné au lecteur, un suffisant aperçu des «
histoires fantastiques » émises par les écrivains de la Société
Théo-sophique, lesquels, durant plus de trente ans ont lu les archives «
Akasiques811 » et
reconstitué par ce moyen magique le passé « immémorial » du comte de
Saint-Germain. |
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Mais voici un autre
« conte ». En 1935, dans certaines revues américaines, il fut fait mention de
l’existence, en Californie, d’un centre appelé « Les Frères du Mont Shasta » (The Brotherhood of Mount Shasta),
et peu après, dans une petite revue de Washington, il était parlé, sous la
signature du Dr Stokes, des activités du |
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comte de
Saint-Germain en Amérique, à propos d’un ouvrage qui venait de paraître. Cet
ouvrage intitulé « Les Mystères dévoilés » (Unveiled
mysteries) a pour auteur : Godfrey Ray King,
pseudonyme de l’écrivain C. W. Ballard812. Dans la préface, l’auteur nous déclare que cet ouvrage est
donné sous le contrôle du comte de Saint-Germain, le Grand Maître, un des
Frères de la Grande Loge Blanche, en Amérique depuis 1930. Le texte explique
que ce sont là le récit d’expériences réelles et véritables qui ont eu lieu
durant trois mois, d’août à septembre 1930, sur le Mont Shasta. Les
conversations de l’auteur avec le comte de Saint-Germain sont mentionnés
comme une chose réelle. Il dit qu’il le vit sous une forme matérielle, et en
sa compagnie, visita quelques temples du désert du Sahara. Au cours de l’une
de ces visites, le comte de Saint-Germain présenta à son hôte sa femme et son
fils, ce dernier étant appelé à lui succéder. En réalité, il n’y eut jamais
aucune Fraternité de quoi que ce soit, ni sur le Mont Shasta, ni dans les
environs. Ceci résulte d’une enquête faite sur place par un journaliste
américain, Geo L. Smith. Toute cette histoire n’était qu’une fiction et une
fraude813. |
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En 1936, il parut
dans Les cahiers de la Fraternité Polaire814, sous la signature
: Enrico Contardi-Rhodio, la relation d’une visite que le comte de
Saint-Germain aurait faite à cet écrivain, à Paris, en 1934. Le plus
merveilleux de ce récit est que l’auteur pour écrire sa relation s’est
manifestement inspiré d’un texte écrit par Eliphas Lévi en 1865, à propos de
la visite d’un certain Juliano Capella. La similitude de certains détails est
frappante : la façon de frapper à la porte, la description du visiteur, sa
manière d’entrer et de se comporter dans la chambre, les détails donnés sur
sa vie et ses prévisions, rien n’a été omis815. |
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Une autre visite du
comte de Saint-Germain a été signalée par l’écrivain Maurice Magre. Cette
visite eut lieu aussi à Paris chez un jeune homme que l’écrivain ne
connaissait pas. « Saint-Germain l’immortel » était venu voir ce jeune homme
« par reconnaissance pour un de ses aïeux, rose-croix comme lui et qui lui
avait rendu service, en des temps très lointains ». Ajoutons toutefois que
Maurice Magre ne donne ce témoignage que sous toutes réserves816. |
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Et comme pour confirmer, cette soi-disant visite, |
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Paris-Midi publiait le 6 mai 1940, sous la signature L. de G., l’article
suivant : Le comte de Saint-Germain, le mage fameux du XVIIIe siècle, s’est-il réincarné en décembre 1939 ? |
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Il nous a fallu
attendre jusqu’au 2 février 1945 pour être fixé exactement sur cette
question, par M. Roger Lannes, lequel écrivit dans Le
Parisien libéré : « On annonce du Midi que le
comte de Saint-Germain est réapparu et qu’on en saura bientôt le rôle occulte
! » |
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C’est sur ces
informations que nous terminerons le deuxième chapitre de cette « légende »
qui à dire vrai, a « ensorcelé » tous ceux qui se sont occupés du comte de
Saint-Germain. Nous essaierons de déterminer dans la dernière partie de notre
étude la part de vérité — en grande partie symbolique d’ailleurs — qui a pu
donner naissance à ces histoires fantastiques qui n’ont pas toujours été
propagées avec des intentions parfaitement désintéressées. |
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|
QUATRIÈME PARTIE |
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UNE ÉNIGME HISTORIQUE |
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…La science conjecturale de l’histoire. |
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E. Renan |
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Chapitre unique : |
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Un secret d’État à la Cour de Madrid |
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Nous voici arrivés
à la dernière partie de notre étude. Dans les précédentes, nous avons essayé
de montrer ce qu’était le comte de Saint-Germain, dépouillé de son auréole de
légende, et dégagé de toutes les invraisemblances émises sur son nom et sa
nationalité ; nous allons maintenant tenter d’exposer notre idée sur son
origine que nous croyons germano-espagnole. Cependant, nous prions nos
lecteurs envisager ce que nous allons exposer, non comme une certitude, mais
comme une hypothèse ; toutefois, cette hypothèse nous paraît valable si nous
tenons compte de certaines paroles prononcées par le comte lui-même sur les
premières années de sa vie. |
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Le
point de départ de ce curieux problème nous est fourni par Mme de Genlis. À une
demande directe, posée par la mère de l’écrivain, le comte de Saint-Germain
répondit : « Tout ce que je puis vous dire sur ma naissance, c’est qu’à sept
ans j’errais au fond des forêts avec mon gouverneur… et que ma tête était
mise à prix !… La veille de ma fuite, continua le comte, ma mère que je ne
devais plus revoir attacha son portrait à mon bras !… Il retroussa sa manche
et il détacha un bracelet parfaitement peint en émail et représentant une
très belle femme. » Mme de Genlis dit que M. de Saint-Germain n’ajouta rien et
changea de conversation. Cependant, elle-même annexe à ce |
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qui a été dit, ce
qui suit : « Lorsqu’il fut parti, j’eus un grand chagrin, celui d’entendre ma
mère se moquer de sa proscription et de la reine, sa mère ; car cette tête
mise à prix dès l’âge de sept ans, cette fuite dans les forêts, avec un
gouverneur, donnaient à entendre qu’il était le fils d’un roi détrôné817. » |
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Un passage de ce
document est assez bizarre. En effet, on y remarque que la mère de Mme de Genlis se moque
de la reine, mère du
comte de Saint-Germain dont il est nullement parlé dans le texte qui précède.
Il y a là une anomalie assez singulière laquelle tendrait à prouver que Mme de Genlis a omis
certaines paroles du comte, touchant à un secret qu’on ne voulait pas
révéler. |
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D’autre part, la
dernière ligne du contexte est fort suggestive, car elle laisse supposer que
le comte de Saint-Germain serait d’origine royale, ce qui n’est pas
incompatible avec l’opinion émise par Louis XV, et rapportée par Mme du Hausset : « Le
roi en parle quelquefois comme étant d’une illustre naissance818. » |
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Le baron de
Gleichen, de son côté, nous fait part d’un détail très caractéristique qui se
relie parfaitement à nos deux citations : « Il [le comte de Saint-Germain] se
plaisait à raconter des traits de son enfance, et se peignait alors environné
d’une suite nombreuse, se promenant sur des terrasses magnifiques, dans un |
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climat délicieux, comme
s’il avait été le prince héréditaire d’un roi de Grenade du temps des Maures819. » |
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Cette dernière
indication, venant encore à l’appui de la naissance royale du comte de
Saint-Germain et nous laissant supposer qu’il pourrait être d’origine
espagnole, est corroborée par un extrait des Mémoires de Jean de Hardenbrock : « Il a l’air d’un espagnol de haute
naissance et parle avec beaucoup d’émotion de sa mère défunte. Il signe «
Prince d’Es…820 ». Le scrip-teur, selon toute vraisemblance, a voulu dire «
Prince d’Espagne ». À propos de cette dignité, Saint-Simon nous fait
connaître que « le titre de prince est si peu connu en Espagne et en même
temps si peu goûté, qu’aucun Espagnol ne l’a jamais porté, jusqu’aux enfants
des rois, si on en excepte quelques-uns des héritiers présomptifs de la
couronne821
». Cette dernière remarque du grand mémorialiste nous semble devoir renforcer
la présomption de la descendance |
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royale du comte de
Saint-Germain. Mais de qui peut-il être le fils ? Certainement pas du roi
d’Espagne, Charles II, puisqu’il est de notoriété publique que ce roi n’a
jamais eu d’enfant ; en outre cette paternité eu empêché la guerre de
succession d’Espagne. Le secret a été bien gardé. |
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Pour en revenir à
l’origine espagnole, citons encore l’opinion de M. de Kauderbach, lequel dans
une lettre à un de ses amis lui fait connaître que le comte de Saint-Germain
« prétend lui-même être espagnol822. » |
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Enfin voici la
parfaite « amende honorable » de M. de Luchet, un des persécuteurs «
post-mortem » du comte de Saint-Germain qui, lui aussi, est partisan de
l’origine espagnole. Il ne cite pas notre personnage mais à travers les
lignes on devine aisément ce dont il parle, aucune erreur n’est possible.
Nous avons connu, dit-il, « un Grand d’Espagne, plein d’esprit, de talens, de
connaissances, écrivant bien en vers, en prose, parlant toutes les langues,
jouant de tous les instruments, et le plus insupportable des mortels : plus
connu depuis par ses étourderies, ses voyages, ses malheurs ; indignement
calomnié, mal à propos déshérité, regorgeant de ridicules, ayant beaucoup de
défauts, quelques petits vices mêmes si l’on veut, mais non de ceux dont la
malignité humaine a tenté de le noircir823. » |
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Nous arrivons
maintenant au point névralgique du problème historique qui a passionné tous
les chercheurs : quels étaient les parents du comte de Saint-Germain ? Nous
croyons avoir résolu ce problème délicat, et si nous manquons de preuves
matérielles, nous avons réuni un ensemble d’indications concordantes qui nous
paraissent de nature à entraîner la conviction. |
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En ce qui concerne
son hérédité maternelle, l’unanimité des historiens s’est portée sur la veuve
du roi Charles II, d’Espagne, Marie-Anne de Neubourg, d’origine allemande, ce
qui est nullement incompatible avec ce que nous savons. En effet, ne dit-on
pas que le comte de Saint-Germain lorsque, la mère de Mme de Genlis « lui demanda s’il était vrai que l’Allemagne fut
sa patrie, secoua la tête d’un air mystérieux, et poussa un profond soupir824. » Nous apprenons,
d’autre part, « qu’il possède de grands domaines dans le Palatinat et dans
d’autres contrées de l’Allemagne825 ». |
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Toutefois le texte
le plus clair sur son origine maternelle est le suivant : lorsque le comte de
Saint-Germain répondant à une question de la princesse Amélie, sœur de
Frédéric II, sur cette origine, il s’exprima ainsi : « Je suis, Madame, d’un
pays qui, pour souverains, n’a jamais eu d’hommes d’une ori- |
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gine étrangère. » À
l’époque, une seule famille prin-cière, en Europe, réalisait cette condition
; c’était la lignée masculine des Wittelsbach, laquelle a régné sur la
Bavière, le Palatinat et les Deux-Ponts, de 1180 à 1777. Or, Marie-Anne de
Neubourg est descendante des Wittelsbach par son père, Philippe-Guillaume,
prince palatin du Rhin. |
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Cette filiation est
confirmée de nouveau par cet extrait : « J’ai ouï dire, écrit M. de Gleichen,
qu’entre plusieurs noms, il [le comte de Saint-Germain] avait porté
anciennement celui de marquis de Montferrat. Je me rappelle que le vieux
baron de Stosch m’a dit à Florence avoir connu, sous le règne du Régent, un
marquis de Montferrat qui passait pour un fils naturel de la veuve de Charles
II, retirée à Bayonne, et d’un banquier de Madrid826. » |
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Nous avons déjà
prouvé que le nom de « marquis de Montferrat » appartenait à une famille du
Dauphiné et que le baron de Stosch n’était pas à Paris sous la Régence, mais
l’indication de la présumée mère du comte de Saint-Germain est confirmée par
l’écrivain troyen, Pierre-Jean Grosley : « Un Hollandais m’a dit, qu’il était
public en Hollande, que le comte de Saint-Germain était le fils d’une
princesse réfugiée à Bayonne au commencement de ce siècle [1706] et d’un juif
de Bordeaux827. » |
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Si on pense à la piété de cette princesse catholique |
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et à l’orgueil de
caste qui animait la noblesse allemande et espagnole de cette époque, il
paraîtra tout à fait invraisemblable que la reine eut un juif pour amant.
D’ailleurs, il s’agit là d’une hypothèse toute gratuite et que ne vient
appuyer aucun document. |
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Il en est de même
de la supposition de l’historien espagnol Enrique Florez, lequel cite, parmi
les favoris de Marie-Anne de Neubourg, un certain Adanero, banquier, juif
selon toute apparence, que la reine anoblit et fit ministre des Finances828. |
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Toutefois, à la
cour du roi Charles II évolue un personnage éminent, grand d’Espagne et
dignitaire de la plus haute noblesse du pays, que son immense fortune a fait
dénommer : « le banquier de Madrid », c’est-à-dire de la même expression dont
se sert Voltaire pour qualifier Frédéric II, qu’il appelle : « le banquier de
Leipzick829, »
nous voulons parler de l’Ami-rante de Castille. |
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On peut admettre,
comme nous essaierons de le démontrer, qu’il n’y a rien d’impossible à ce que
le comte de Saint-Germain ait été le fils de la reine, veuve de Charles II,
et de l’Amirante de Castille. Une telle filiation n’a rien d’improbable, mais
en cette matière tout est conjecture. Nos deux personnages ont bien gardé
leur secret ; ils se sont aimés, cela seul est avéré830. |
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Jean-Thomas
Enriquez de Cabrera, duc de Rio-seco, comte de Melgar, onzième et dernier
Amirante de Castille831, était le premier seigneur d’Espagne pour la naissance, étant
d’origine royale quoique bâtarde. Il descendait en ligne directe et masculine
d’Alphonse XI, roi de Castille. Ce dernier, fils de Ferdinand IV et de
Constance de Portugal, épousa Marie, fille d’Alphonse IV, roi du Portugal. Il
eut deux fils : l’un, Ferdinand, mort jeune, et Pierre le Cruel, qui lui
succéda. |
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Cependant, Alphonse
XI eut de sa maîtresse, Éléo-nore de Guzman, dame de Médina-Sidonia, veuve de
jean de Velascos, deux bâtards jumeaux. |
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Le premier fut
Henri de Transtamare, lequel tua Pierre le Cruel en 1368 et prit sa place sur
le trône de Castille, grâce à l’appui de Bertrand du Guesclin, et fut la tige
d’où est issue la lignée des rois catholiques et Charles Quint, c’est-à-dire
les branches d’Espagne et impériale de la maison d’Autriche. |
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L’autre jumeau,
Frédéric de Transtamare, grand maître de l’ordre de Saint-Jacques-de-l’Epée,
lequel fut massacré à Séville par les séides de Pierre le Cruel, fut le
rameau d’où sont sortis légitimement et mascu-linement les amirantes de
Castille. |
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Le fils cadet de Frédéric, Alphonse Enriquez832, |
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reçut la charge
héréditaire d’Amirante de Castille, le 4 octobre 1405, des mains du roi Henri
III de Castille, « ayant droit de juridiction, rentes et droits, et faculté
d’avoir des agents dans les ports de mer833 ». |
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Le deuxième
Amirante, Frédéric Enriquez, premier comte de Melgar, maria en secondes noces
sa fille Jeanne à Jean III, roi de Navarre d’Aragon, laquelle Jeanne et fut
mère de Ferdinand le Catholique, le mari d’Isabelle, reine de Castille, dont
la fille Jeanne la Folle fut la mère de Charles-Quint834. Ce même Jean III avait eu d’un premier lit avec Blanche de
Navarre, fille de Charles III, une fille, Éléonore, laquelle épousa Gaston
IV, comte de Foix. Le fils d’Éléonore, Gaston, comte de Castelbon, se maria à
Madeleine de France, fille de Charles VII, et Madeleine eut une fille,
Catherine de Foix, la mère d’Henri d’Albret, aïeul de Henri IV, roi de
France. |
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Jean-Thomas de
Cabrera835,
d’autre part, était allié deux fois à la maison de France, d’abord par Anne
d’Autriche, fille de Philippe III, épouse de Louis XIII, et sixième petite
fille de Frédéric de Transtamare, premier amirante de Castille et ensuite par
Anne-Marie-Thérèse d’Autriche, fille de Philippe IV, mariée |
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à Louis XIV, et septième petite fille de ce même amirante836. |
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En outre, son père,
Jean-Gaspar Enriquez, étant allié aux Médicis par son mariage avec Elvire de
Tolède-Ossorio837,
on peut dire que le dernier Ami-rante de Castille était uni aux rois
d’Espagne et de Portugal, aux empereurs d’Allemagne, à la maison de France et
aux Médicis838. |
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Le dernier Amirante
est né à Gènes, le 21 décembre 1646, dans le palais des Doria, mis
gracieusement à la disposition de ses parents par le duc de Tarsi. Il fut
baptisé le 6 janvier suivant en l’église de Sainte-Marie-Madeleine, recevant
de la république génoise l’honneur d’être compté dorénavant parmi sa
noblesse. |
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Son enfance fut
particulièrement heureuse, et il paraît, d’après ses biographes, A.
Cienfuegos839 et
F. Duro, que son éducation fut très poussée, non seulement à cause de sa très
grande noblesse, mais aussi encouragée par l’exemple de son père, doué
d’infi- |
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niment d’esprit,
lequel recevait dans sa maison de plaisance, située à l’extrémité de Madrid,
la société la plus choisie, lettrés et artistes les plus réputés. « Cette
maison, superbement meublée, et ornée d’un très grand nombre des plus belles
et des plus riches peintures qu’il y ait en Europe, était sans contredit, la
plus agréable de Madrid840. » |
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On dit même que le
jeune de Cabrera cultiva les Muses avec quelques succès, et au sortir de son
enfance reçut de son père, le titre de comte de Mel-gar, appartenant à la
famille. |
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En 1663, le jeune
comte de Melgar, âgé de 17 ans, fut marié par son père à Anne-Catherine de la
Cerda, fille de Louis-François, septième duc de Médina-Céli841. |
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Deux ans après, il
fut mêlé à un procès survenu à la suite d’une bagarre entre les gens de son
père et ceux du comte d’Oropesa, et son père eut de la peine à obtenir le
sursis du procès. De même, en 1670, il accepta un duel provoqué par des
émissaires de Don juan d’Autriche, fils naturel de Philippe IV. Son
adversaire arrêté et emprisonné subit la peine capitale. |
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À quelque temps de là, il
prit du service dans la fameuse Chamberga, ou garde du corps de Charles II, |
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d’où il sortit
bientôt avec le grade de mestre de camp, et obtint le commandement d’un corps
de volontaires espagnols, le Tercio de Lombardie. Il entretint et équipa à ses frais le Tercio de
son commandement et peu après fut nommé général de la cavalerie de Milan, et
plus tard ambassadeur extraordinaire du roi catholique auprès du Pontife, sede vacante par le décès de
Clément X, et chargé de surveiller l’élection du successeur, qui fut le
candidat de l’Espagne, le cardinal Benoîst Odescalchi, couronné le 4 octobre
1676, sous le nom d’Innocent XI, ce qui prouva l’habileté du comte de Melgar
comme diplomate, et augmenta son pouvoir et son prestige, déjà très
considérable à Madrid. |
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Par cédule royale,
datée de l’Escurial, 17 octobre 1678842, le comte de Melgar fut nommé gouverneur et capitaine général
de Milan. À ce moment, la situation de la Lombardie était critique à cause de
la guerre avec la France. Il tint dignement son rôle, et après la paix de
Nimègue (1679), sut mettre de l’ordre partout où régnait le désarroi. Il
résista même tant qu’il put à la cession de Casal capitale du Mont-ferrat, à
la France, contrariant ainsi le pacte de Charles IV de Gonzague, duc de
Mantoue, avec Louis XIV843. |
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Au mois de juin
1684, le comte de Melgar, se conduisit, selon Cienfuegos, d’une façon
brillante. L’amiral français Duquesne, sur l’ordre du fils de Louvois, le
marquis de Seignelay, ministre de la marine, ayant attaqué la ville de Gènes,
contre tous droits et sans déclaration de guerre, les troupes de sa
Seigneurie et celles du capitaine général de Milan, firent rembarquer les
Français et appareiller l’escadre de Duquesne, avec des pertes sensibles844 |
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La chute de son
beau-père, le duc de Médina-Céli, comme premier ministre de Charles II, et
son remplacement par le comte d’Oropesa, détermina le comte de Melgar à
demander au roi la permission de rentrer en Espagne. Pour toute réponse,
Charles II le nomma son ambassadeur à Rome (1686), charge qu’il n’accepta pas
; il partit pour Madrid, malgré l’ordre du roi, et vint exposer à ce dernier
que l’administration de ses affaires personnelles ne lui laissait pas le
loisir d’exercer une telle fonction. |
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De retour à Madrid,
le comte de Melgar trouva la cour en un triste état. Le malheureux Charles II
n’était qu’un être irrésolu, maladif, tout à la fois pantin des appétits de
la reine mère, des grands et du comte d’Oropesa, son ministre. Le comte de
Melgar se rallia à la reine Marie-Louise et tâcha de se tenir en bons termes
avec tous les partis. Le ministre Oro-pesa le nomma vice-roi de Catalogne
(1688). Dans |
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son nouveau poste,
le comte s’efforça de diviser les partisans pour gagner la cause du roi. Son
mandat fut de peu de durée, et il revint à Madrid où il se fit valoir à
nouveau au moment de la mort de la reine Marie-Louise (12 février 1689). |
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C’est à ce moment
que le comte de Melgar se rendit indispensable à l’Alcazar royal de Madrid.
Héritier de la « privauté » de la reine Marie-Louise, il s’efforça d’obtenir
celle de la seconde femme de Charles II qui venait d’arriver en Espagne. |
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Marie-Anne de
Neubourg était la troisième fille du duc Philippe-Guillaume, prince palatin
du Rhin, descendant de l’illustre famille de Wittelsbach845, dont les différentes branches de Bavière et des Deux-Ponts
régnaient sur tout l’ouest du Saint-Empire romain et même sur la Suède. En
plus du Neubourg, le duc possédait les duchés de Clèves, de Juliers et de
Berg, avec Dusseldorf pour capitale. Le prince palatin était filleul de
Philippe III, et cousin au 3e degré de Marie-Anne d’Autriche, mère de Charles II. Son
ancêtre, Frédéric le Sage avait été le compagnon de Philippe d’Autriche, roi
de Castille, et de sa malheureuse épouse, Jeanne la Folle. Son père même, le
duc de Wolgang, avait fait un long séjour à la cour de Philippe IV. |
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Marié une première
fois avec Anne-Catherine de Pologne, dont il n’eut pas d’enfant, le duc
Philippe-Guillaume épousa en secondes noces Isabelle-Amélie |
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de Hesse-Darmstadt, qui
lui donna 17 enfants, 9 garçons et 8 filles. Il mourut en octobre 1690846. |
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Marie-Anne est née
à Dusseldorf, le 28 octobre
1667, entre 3 et 4 heures du matin847. Jusqu’à son mariage, sa vie se passa à Neubourg848. D’un esprit élevé,
« elle était savante surtout dans les sciences, singulièrement dans les
mathématiques et la géographie qu’elle possède parfaitement ; et parle huit
ou dix langues et particulièrement la française à la perfection. Elle était
aussi excellente musicienne et même composait à ses heures des morceaux
qu’elle faisait exécuter par l’orchestre attaché à sa cour849. » |
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Elle avait 22 ans,
lorsque le 28 août 1689, à Neu-bourg, en présence de l’empereur Léopold et de
l’impératrice, sa sœur, elle « épousa » Charles II, roi d’Espagne, en la
personne du roi de Hongrie850. Le |
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mariage n’eut lieu
que le 4 mai 1690, à Valladolid. Seul de toute sa famille, son frère le
prince Louis-Antoine, grand maître de l’ordre Teutonique accompagna sa sœur
en Espagne851. |
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On raconte sur
l’arrivée de la reine dans ses États une histoire fort singulière : « Cette
princesse avait été présentée par un grand seigneur de la cour de son mari,
qui fit un grand discours où l’éloge de la princesse était tourné dans tous
les sens. Le marquis del Carpio852, chargé de la recevoir, s’approchant de l’oreille de
l’orateur, lui dit pour toute réponse : Est- |
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elle grosse ? C’est
ce qu’il nous faudrait853. » Il semble donc bien que, dès ce moment, certains étaient
fort préoccupés des difficultés qui attendaient l’Espagne si Charles II
venait à mourir sans héritier, et nous avons dans un extrait de la
correspondance de la princesse Palatine un reflet de cette inquiétude : « Je
reçois quelquefois de la reine d’Espagne de fort aimables lettres ; je
regrette que cette pauvre reine soit aussi malheureuse. Ce serait un grand
bonheur pour l’Europe si elle avait un enfant ; garçon ou fille, tout serait
bon, pourvu qu’il vécût854 ; car il ne faut pas être prophète pour deviner que si le roi
d’Espagne meurt sans enfant, il s’élèvera une terrible guerre ; toutes les
puissances prétendent à sa succession ; aucune d’elles ne voudra céder à une
autre, et il n’y aura que la guerre qui pourra décider »855. |
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On sait que les
événements donnèrent raison à ces craintes, puisque l’union de Marie-Anne de
Neubourg et de Charles II resta stérile. Toutefois, on parle de certaines
faiblesses d’un cœur aimant que la nature, disait-on, avait fait trop
sensible, et un nom a été prononcé, celui du comte de Melgar qui, vers cette |
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époque, jouissait
d’une puissance presque supérieure à celle de son roi. Le père du comte de
Melgar, l’ami-rante Jean-Gaspard, étant mort en 1691, il hérita du titre et
de celui de « 24e
de la ville de Séville », gran-desse très convoitée, du titre de duc de
Médina de Rioseco et de celui de commandeur de Pietrabuena, de l’ordre
d’Alcantara. Quelque temps après, il devint un des lieutenants-généraux du
royaume, et brilla dans les conseils de la couronne, comme rival heureux des
contes de Monterey et de Benavente, du marquis de Villafranca, du de
Frigiliane et même du puissant duc de Montalto, Ferdinand de Moncade, premier
ministre856. |
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L’Amirante, C’est ainsi que l’on nomma
désormais le comte de Melgar, les surpassa tous. « Son esprit et son
éducation étaient à la hauteur de son rang, et, par une élocution élégante et
facile, savait utiliser ses connaissances variées et étendues857. » Il avait créé un
parti qui continuait la politique qu’il avait inauguré depuis l’époque de son
gouvernement de Lombardie et qui avait pour devise : « que dans l’abaissement
du pouvoir de la France consistait le suprême salut de l’Espagne ». Le roi Charles
II sympathisait avec ces idées qui défendaient les intérêts de sa propre mai- |
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son contre
l’ambition de Louis XIV, et il en sut tellement gré à l’Amirante qu’il le
nomma « Cavallerizo mayor » ou grand écuyer, charge enviée et suprême à la
cour (1695). En réalité, l’Amirante devint premier ministre « valido » ou
favori et il gouverna avec énergie et diplomatie, à la fois. |
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Cependant, en
décembre 1696, apparut un ennemi acharné de la politique de l’Amirante dans
la personne du cardinal Louis-Manuel-Femandez Porto-carrero, archevêque de
Tolède, rallié aux intérêts de Louis XIV. Le cardinal adressa à Charles II un
mémoire dans lequel il exposait ses griefs contre l’Amirante, s’érigeant
devant lui comme un rival implacable avec toute l’autorité que lui conférait
son caractère sacerdotal. |
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Malgré le
machiavélisme de l’archevêque de Tolède et la puissance formidable qui
l’appuyait, l’Amirante triompha et le moment de son second mariage (1697),
avec Anne-Catherine de la Cerda, fille de Jean-François, huitième duc de
Médina-Céli858,
et de Catherine-Antoinette, duchesse de Ségorbe, marqua le sommet de sa
puissance859.
Dès lors le cardinal Portocarrero n’hésita pas à brouiller l’Amirante avec
son meilleur ami, le comte de Cifuentes, mais l’intrigue à ce moment
n’aboutit qu’à amener la décision royale de |
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faire habiter le
palais royal à l’Amirante, auquel le roi octroyait sa protection immédiate
contre les menées de ses ennemis. |
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Après la paix de
Ryswick (20 sept. 1697), Louis XIV inaugura en Espagne une politique
d’attraction à base de corruption. Il acheta tant qu’il put les volontés de
quelques seigneurs vénaux et l’or français circula au détriment de la
puissance de l’Amirante. |
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La déchéance et la
misère de l’Espagne étaient, en ce temps, considérables, et, pour quelques
millions, le Roi-Soleil sut créer un état « de facto » en rapport avec sa
politique personnelle. Il obtint le renvoi du confesseur du roi et du comte
d’Harrach, personnages du parti autrichien, et depuis ce temps l’influence
occulte du cardinal Portocarrero se développa fortement à la cour de Charles
II. |
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Grand diplomate,
l’Amirante tâcha d’enrayer l’influence de son rival en s’associant avec le
comte d’Oropesa860,
dans le gouvernement, le nommant premier ministre et président de Castille ;
mais la disette de 1698 amena les ennemis d’Oropesa à l’accuser d’accaparer
les articles de première nécessité, et la famine déclencha une mutinerie du
peuple, excité par des chefs aux ordres du cardinal Portocarrero, lequel
saccagea le palais d’Oropesa et celui de l’Amirante. Portocarrero obtint
immédiatement du roi Charles II, |
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faible pantin sans
force ni énergie, le renvoi d’Oro-pesa et de l’Amirante, et même leur exil
par décret du 23 mai 1699. L’archevêque de Tolède, à la suite de ses
intrigues, fut fait premier ministre, livrant sa patrie à la volonté de Louis
XIV861, et
annulant la chancelante et misérable royauté du malheureux Charles II. |
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Pour obtenir le
renvoi de l’Amirante, le cardinal Portocarrero l’accusa d’avoir « envoûté »
le roi862, et
avec la complicité de l’inquisiteur général, J. Thomas de Rocaberti, essaya
de faire enfermer sa victime dans les cachots du Saint-Office, et avec lui la
reine Marie-Anne, ce qui ne put s’exécuter par suite de la mort de
l’inquisiteur et par l’énergie de la reine qui se défendit et couvrit son
illustre ami. Néanmoins l’Amirante fut destitué de son titre de grand écuyer
et on suggéra à Louis XIV d’obtenir l’exil du noble castillan. |
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Le second mariage
de l’Amirante avait peu duré : sa femme était morte le 16 décembre 1698. Il
tourna alors ses regards vers la reine863 et celle-ci, sans nul |
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doute, accepta ses
hommages. L’Amirante dépensa des sommes énormes pour plaire à Marie-Anne. Il
donna des fêtes et des spectacles publics à toute la cour et la ville, et
cela, à l’intention personnelle de la reine864. Son mérite auprès d’elle était rehaussé par sa beauté
régulière865
et par ses dons naturels de peintre, de sculpteur et de musicien ; il parlait
et écrivait plusieurs langues, ce qui n’était pas alors commun en Espagne,
aimant d’ailleurs à s’entourer de savants et recherchant leur entretien866. De son côté, la
reine était grande et très bien faite. « Un air de douce majesté, une
attitude grave, une blancheur de teint extraordinaire, relevée par des
cheveux blonds, lui font une auréole de toutes les grâces les plus
attrayantes de la beauté867 ; » et comme elle |
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ne manquait pas
d’esprit et de connaissances, elle fut charmée de rencontrer dans l’Amirante
les mêmes qualités qu’elle possédait. Son âme d’exilée et sa vie entourée de
prescriptions sévères l’incitèrent à ne pas repousser l’amitié et l’amour de
l’Amirante. Les plus récents travaux sur cette époque considèrent l’adultère
de la reine Marie-Anne et de l’Amirante comme un fait acquis à l’histoire868. |
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L’année 1700 fut
tragique pour l’Espagne. Charles II était mourant869 et nul héritier n’était désigné et pourtant la succession
était splendide : l’Espagne, les Deux-Siciles, la Toscane, le Milanais, la
Sardaigne et les plus florissantes régions de l’Amérique. Aucun des
prétendants n’était bien sûr de son droit. Alors s’engagea autour de Charles
II une lutte implacable. Qui l’emportera : l’Autriche ou la France ? |
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Ce fut la France,
grâce aux menées du cardinal Portocarrero qui l’emporta870. Le traité, rédigé sous le plus profond secret par le
secrétaire d’État, Antoine de Ubilla, fut soumis à la signature royale le |
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20 octobre, à midi, au
Buen-Retiro, et Charles II mourut le 1er novembre, à 3 heures après-midi871. |
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Le duc d’Anjou,
sous le nom de Philippe V, inaugura la première phase de sa vie de roi, en
tâchant de s’attirer les bonnes grâces des nobles du pays872. L’un des premiers ralliés fut l’Amirante et, malgré
l’opposition du cardinal Portocarrero, il fut nommé ambassadeur
extraordinaire auprès de Louis XIV. Mais l’archevêque de Tolède changea la
désignation, réduisant la charge à celle d’ambassadeur ordinaire. L’Amirante,
dont la fierté fut indignée qu’on lui offrit un tel emploi, qu’il regardait
néanmoins comme un exil, prépara aussitôt son départ, non sans avoir fait des
reproches au cardinal Portocarrero, à la reine Marie-Louise, femme de
Philippe V, régente pendant l’absence du roi (en Italie), et au roi même
(1702). |
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La reine
douairière, Marie-Anne, avait été obligée de quitter Madrid, bien avant
l’Amirante, par suite de l’hostilité de l’archevêque de Tolède873 ; elle s’en plai- |
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gnit à Philippe V.
Celui-ci lui répondit qu’elle n’avait qu’à choisir une des villes d’Espagne
qui sera le plus à son gré, « entre celles qui lui seront proposées de sa
part874 ». Malgré
cela, la reine douairière fut finalement reléguée à Tolède, par le cardinal
Portocarrero, sous promesse de fidélité875. |
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Durant ce temps,
l’Amirante faisait de grands et lents préparatifs pour rejoindre son poste. «
Il partit le plus tard qu’il put [13 Sept. 1702], et marcha à pas de tortue.
Il était accompagné de son bâtard (?), de plusieurs gentilshommes de sa confiance876 et du jésuite
Cienfuegos877, son confesseur. |
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« Il avait pris
avec lui toutes ses pierreries ce qu’il avait pu d’argent878 et mis à couvert argent et effets879. Comme il approchait de la Navarre, il disparut avec ses
compagnons, et par des routes détournées, où il avait secrètement disposé les
relais, il gagna la frontière du Portugal, avant que la nouvelle de sa fuite
portée à Madrid, eût donné le temps de pouvoir le rattraper880. » |
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Arrivé à Lisbonne,
il donna son adhésion au parti de l’empereur et à la maison d’Autriche, qu’il
promit de seconder. Il paraît, qu’à ce moment, il songea à certains droits de
sa famille à la couronne du Pérou, qui lui revenaient d’un neveu de la race
des Incas881. |
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Cependant à Madrid, le cardinal Portocarrero et |
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Mme des Ursins, la
camarera-major de la reine, furent les plus acharnés contre l’Amirante. On
lui fit son procès (août 1703), et on le condamna à mort, par contumace il
est vrai, avec confiscation de ses biens, au grand scandale de la noblesse et
du duc de Médina-Céli qui s’écria : « on ne doit pas traiter de la sorte des
gens comme nous882 ». |
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L’Amirante
répondit, de Lisbonne, par un manifeste dans lequel il faisait mention de la
bassesse de l’archevêque de Tolède883 et de la duplicité de Louis XIV, qui réduisait l’Espagne au
rôle de puissance satellite de la France884. L’influence de ce manifeste fut décisive sur l’Espagne et la
guerre civile en fut la conséquence immédiate. |
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L’empereur Léopold
1er, sur le
conseil de l’Ami-rante, abdiqua ses droits en faveur de son fils, l’archiduc
Charles, lequel débarqua à Lisbonne et fut proclamé roi d’Espagne sous le nom
de Charles III, avec l’appui des armées et escadres de l’Angleterre, du
Portugal, de la Hollande et de l’Autriche. |
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L’archiduc Charles trouva dans l’Amirante « le |
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conseiller le mieux
instruit des affaires d’Espagne qu’il pouvait souhaiter. En effet, il était
l’axe sur lequel tournait toute la machine des Alliés. L’Ami-rante se fit
honneur auprès de Charles III de sa fuite, et la lui donna comme un sacrifice
qu’il lui faisait par principe de conscience, ne pouvant approuver la
nomination du duc d’Anjou au trône d’Espagne »885. |
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En réponse à une
lettre de reproches que lui adressa de Madrid, le président de la junte
espagnole, Manuel Arias, archevêque de Valence, l’Amirante écrivit (février
1704) : « Vous m’adressez très mal vos remontrances et vos conseils pour me
détacher des intérêts de la Sérénissime Maison d’Autriche, que j’ai embrassés
avec justice et raison, je sçai que les gens revêtus de quelque caractère,
sont censurés s’ils échouent dans leurs entreprises, et qu’on les envie s’ils
réussissent. Il me paroit que tous les bons et véritables Espagnols ne
sçauroient avoir d’autres sentiments que ceux que j’ai contre le gouvernement
François, et le peu de droit que la Maison de Bourbon a sur les couronnes
d’Espagne, je suis même surpris qu’un Prélat aussi éclairé que vous l’êtes,
Monseigneur, aît pu se laisser tromper sur les vrayes et fausses raisons que
les deux Prétendants à nôtre vaste Monarchie ont allégué, et je m’assure que
si vous aviez donné quelque attention à la chose, et que vous ne fussiez pas
du nombre des prévenus, vous auriez reconnu (comme moi) le droit |
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incontestable du
Sérenissime archiduc d’Autriche et les prétentions du duc d’Anjou chimériques
»886. |
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Malgré son habileté
politique, l’Amirante n’arriva pas à faire partager à l’Archevêque de Valence
ses préférences pour l’Autriche887, et cependant il est un fait certain, c’est que si ses avis
eussent été suivis, il eût été capable de porter l’archiduc sur le trône
d’Espagne. |
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L’Amirante fut,
tout d’abord, en grande faveur auprès du conseil de Lisbonne ; on avait
espoir que ses amis en Espagne le suivraient888, mais bientôt comme rien n’arrivait889, il fut en butte à toutes les avanies890, si bien que le
peuple portugais le regardait comme le principal auteur de la guerre.
L’archiduc |
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même lui écrivit :
« Il y a longtemps, monsieur l’Ami-rante, que vous nous flattez d’une grande
révolution en Espagne, je ne sais si vos avis seront plus justes que ceux des
années dernières ; je suis cependant persuadé que si le succès dépendait de
votre zelle, nous aurions lieu d’en être contents891. » |
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Quoique mécontent
du peu de confiance de l’archiduc à son égard, l’Amirante leva, à ses dépens
un régiment de cavalerie et lui donna la livrée des rois de Castille, et ses
attaques répétées donnèrent les plus vives appréhensions à Philippe V. |
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Le plan de campagne
de l’Amirante était celui-ci : « Pour porter le coup mortel à l’Espagne, on
devait attaquer l’Andalousie, parce que la Castille n’obéirait jamais à un
prince qui entrerait dans ce royaume par l’Aragon. Il fallait d’abord pour
abattre la monarchie en attaquer la tête, c’est-à-dire entrer en Castille et
l’Andalousie était la meilleure porte pour y arri-ver892. » Cette proposition qui aurait pu changer la face des choses
fut rejetée. |
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Après cet insuccès,
l’Amirante exprima l’intention de se rendre à Estremoz pour passer à l’armée
d’Es-tramadure, où il prétendait que son honneur lui commandait d’aller.
Cette demande fut mal reçue. Cependant, l’Archiduc accorda l’autorisation
désirée, mais ce ne fut qu’à la prière du roi de Portugal. |
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Au désespoir de
voir que le sacrifice qu’il avait fait à Charles III était aussi peu estimé
et sa personne moins considérée, l’Amirante eut, en arrivant à Estremoz, une
attaque d’apoplexie dont il mourut le 21 juin 1705, vers les 5 heures du
soir. Le corps du défunt fut embaumé, et mis provisoirement dans l’église des
Hiéronymites à Belem, qui est la sépulture des rois de Portugal893. |
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Quelques mois après
la disparition du dernier Amirante de Castille, la reine douairière
d’Espagne, Marie-Anne de Neubourg, qui avait été, on s’en souvient, reléguée
à Tolède depuis 1702, dans l’Alca-zar, qui domine toute la ville de sa masse
imposante, voulut manifester sa joie lors de l’entrée des troupes de
l’Archiduc à Madrid (juin 1706). De plus en plus passionnée pour les intérêts
de la maison d’Autriche, qu’elle défendit vainement de tout son cœur et de
toute manière, elle crut bon d’arborer l’étendard de Charles III en haut de
l’Alcazar, mais les habitants de Tolède arrachèrent l’emblème séditieux,
proclamèrent le roi Philippe V, et mirent des gardes chez la reine
douairière. Toutefois, ils la traitèrent avec respect894. |
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Philippe V,
aussitôt revenu à Madrid, jugea prudent, et ce sur l’avis intéressé de Mme des Ursins, de la
bannir du royaume ; il pria son aïeul de la prendre sous sa garde
hospitalière. Louis XIV accepta, « mais désira qu’elle fût accueillie et
traitée dans ses états, avec les honneurs dus à sa dignité royale895 ». |
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Le roi d’Espagne «
chargea donc le duc d’Ossone, l’un de ses capitaines des gardes, de prendre
cinq cents chevaux, d’aller à Tolède896, de voir en arrivant la reine douairière, de lui dire qu’il
la trouvoit là trop proche des armées pour y demeurer tranquillement, et
qu’il souhaitoit que, sans aucun délai, elle allât trouver la reine à Burgos.
La reine douairière parut fort |
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affligée et fort
interdite de ce compliment, chercha des excuses et des délais, mais le duc
d’Ossone mêla si bien la fermeté avec le respect qu’il ne lui donna que
vingt-quatre heures, au bout desquelles il la fit partir avec tout ce qu’elle
avoit là autour d’elle, et au lieu de Burgos, la fit conduire à Vittoria.
Pendant ce voyage, on avait dépêché au roi pour avoir ses ordres sur le lieu
de la frontière de France où on la mèneroit. Pau fut choisie pour la
commodité et l’agrément du château et des jardins ; mais la reine douairière,
informée enfin du lieu où elle alloit, demanda Bayonne par préférence et
l’obtint897. » |
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C’est le 20
septembre 1706, que la reine Marie-Anne fit une entrée solennelle dans la
ville de Bayonne. Le duc de Grammont, gouverneur de Gascogne, vint la
complimenter, à la porte de la ville, à la tête des magistrats en robe de
cérémonie, et lui présenta les clefs de la ville, ce qui fit dire à un
échotier : « Les honneurs qu’on a rendus à cette princesse ne sont pas
conformes à la réception qu’on fait ordinairement à une prisonnière d’État898. » Si cette
réflexion prouvait l’ignorance de son auteur, que dire des termes dont se
servit Mme
des Ursins écrivant au duc de Grammont : « Cette princesse a bien eu des
malheurs dans sa vie ; et le moindre n’a pas été je crois, de n’avoir pas eu
auprès d’elle des personnes assez désintéressées pour n’aimer que sa gloire
et ses véri- |
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tables intérêts ;
elle a eu la disgrâce de faire du bien à beaucoup de gens qui l’ont payée
d’ingratitude899.
» Nous connaissons déjà et nous verrons par la suite ce que cadeau cette «
sollicitude » de la camarera-mayor envers la reine douairière. |
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Vers 1713, le
gouvernement de Louis XIV, effrayé par les dépenses somptuaires de la reine
douairière, dont il assumait la charge, aurait bien voulu lui voir reprendre
le chemin de l’Espagne. Le marquis de Torcy, sur l’ordre du roi, écrivit à Mme des Ursins : « Le
Roi croit qu’elle serait beaucoup mieux en Espagne qu’en France, et même que
l’honneur du Roi Catholique est, en quelque façon, intéressé à ne pas laisser
la veuve du Roi, son prédécesseur, dans une espèce d’exil, quand il paraît
que son retour en Espagne, ne peut apporter aucun trouble à la tranquillité
de l’État. Je vous supplie, Madame, de vouloir bien me faire savoir les
intentions de Sa Majesté Catholique sur ce sujet900. » Rien ne put fléchir Philippe V et l’animosité de la reine
douairière envers Mme des Ursins s’accrût901. |
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Si bien que l’année
suivante, lorsque la nouvelle reine d’Espagne, Elisabeth Farnèse, nièce de
Marie- |
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Anne de Neubourg902, passa par Pau,
pour rejoindre son mari, Philippe V, une entrevue eut lieu entre les deux
reines et le sort de Mme des Ursins fut décidé, et nous nous rangeons à l’avis du duc
de Saint-Aignan quand il écrit : « J’ai ouï dire que les termes dans lesquels
s’est expliqué la reine [Elisabeth Farnèse] sur l’éloignement de Mme des Ursins et sur sa
conduite hors du royaume, étaient à peu près les mêmes que ceux dont Mme la
princesse [des Ursins] s’était servie pour faire sortir la reine douairière
des frontières d’Espagne903. » Quand Mme des Ursins traversa Bayonne après son « exécution », elle
sollicita, en vain, l’honneur de présenter ses respects à la reine
douairière, celle-ci refusa tout net de la recevoir, ce qui fit dire à
Saint-Aignan : « Son ennemie triomphante la traitait comme une pestiférée et
une maudite904. » |
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Marie-Anne de Neubourg ne manqua aucune occa- |
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sion de faire sa
cour, soit à la France, soit à l’Espagne, espérant toujours voir finir son
long exil, mais ce fut longtemps sans succès. |
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Marie-Anne de
Neubourg habita trente-deux ans Bayonne et lorsqu’elle reçut enfin
l’autorisation de rentrer en Espagne, elle mourut presque aussitôt. Durant
son séjour, la reine douairière demeura sous la surveillance des autorités
françaises qui ne cessèrent toutefois de lui témoigner les plus respectueux
égards. La reine habita successivement dans Bayonne les trois résidences
suivantes : Le Château-Vieux (1706-1712) ; le palais épiscopal (1712-1715) ;
et enfin le palais de Saint-Michel (1715-1738)905. |
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Durant son séjour à
Bayonne, elle eut une vie assez aisée mais dénuée de passion906 ; très pieuse, sa
charité n’eut d’égale que son extraordinaire générosité pour tous, et
cependant le bruit public l’accusa d’être parcimonieuse et d’entasser l’or et
les bijoux, « tout |
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en ayant en même temps la
précaution de les envoyer en pays étranger, afin de parer à toute éventualité907 ». |
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La reine douairière
aimait offrir à dîner, car elle ne mangeait point hors de chez elle ; sa
petite cour était composée de peu d’hommes et de femmes de Bayonne ; ses
serviteurs étaient des Espagnols, des Italiens ou des Allemands. Très
affable, elle donna de magnifiques fêtes et de nombreux concerts, ayant une
troupe de musiciens à ses gages, et jouant elle-même des morceaux qui étaient
de sa composition908. |
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Cependant il était
temps que son exil se terminât, sa santé étant devenu chancelante909. En 1738, le
gouvernement espagnol, tant de fois sollicité par les ministres de Louis XIV,
et de Louis XV, se décida à l’autoriser à revenir en Espagne. Son départ de |
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Bayonne, eut lieu
le 17 septembre. Arrivée à Pampe-lune, elle tomba gravement malade et gagna
lentement Guadalaraja, qui lui avait été assignée comme résidence. |
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Deux ans après, en
août 1740, la reine douairière d’Espagne, veuve de Charles II, mourut
silencieusement, et son souvenir se serait sans doute effacé de la mémoire
des peuples si elle n’était devenue l’héroïne invraisemblable d’un drame
étrange, dont la valeur poétique et scénique dépasse de loin le sens
historique910. |
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L’hypothèse, que
nous avons émise sur la possibilité d’une ascendance germano-espagnole du
comte de Saint-Germain911 peut se justifier par différents faits tirés des biographies
de la reine Marie-Anne de Neubourg et de l’Amirante de Castille, confrontés
avec certains propos rapportés sur notre personnage au cours de sa vie
aventureuse. |
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Si nous nous
reportons au document du prince de Hesse, nous lisons : « Il [le comte de
Saint-Germain] fut protégé prodigieusement par le dernier Médicis. Cette
maison possédait, comme il est connu, les plus hautes sciences et il n’est
pas étonnant qu’il y puisât les premières connaissances912. » |
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Dans l’exposé de la
vie de la reine d’Espagne, nous lisons que le dernier des Médicis,
Jean-Gaston, fils de Marguerite-Louise d’Orléans et de Cosme III, grand-duc
de Toscane, devint l’oncle de Marie-Anne de Neubourg, par le mariage de sa
sœur, Anne de Médi-cis avec l’électeur Palatin Guillaume de Neubourg, frère
de Marie-Anne, et que l’électrice devenue veuve habita Florence, de 1716 à
1743, date de sa mort. |
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Rien ne s’oppose à
ce que le jeune comte de Saint-Germain « fut mis sous la protection du
dernier Médi-cis qui le faisait coucher, comme un enfant, dans sa chambre913, » c’est-à-dire au
palais Pitti, lequel servait d’habitation au grand-duc de Toscane, à
Florence. |
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Jean-Gaston de
Médicis « était très versé dans les sciences et dans l’étude des langues
qu’il avait profondément cultivées. Il connaissait, non seulement, le toscan
et la langue latine mais il possédait parfaitement l’anglais, l’allemand, le
bohême, le français, |
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l’espagnol et le
turc914 ». De
plus, il était excellent musicien. Il aimait à se retirer, pour travailler,
dans une partie des magnifiques jardins Boboli, attenants au palais Pitti,
une sorte de « casino » dominant une terrasse d’où se déploie un horizon
spacieux sur la ville et les environs de Florence915. |
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N’y a-t-il pas là
un rapport de circonstance avec ce que dit le comte de Saint-Germain : « Il
se plaisait à raconter des traits de son enfance, et se peignait environné
d’une suite nombreuse, se promenant sur des terrasses magnifiques, dans un
climat délicieux916,
» ce qui est le cas pour Florence. |
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Si le comte de
Saint-Germain s’adonna plus tard à la chimie, il doit peut-être ses
connaissances à son séjour chez le grand-duc de Toscane, « qui ne négligea
rien pour agrandir le domaine des sciences917, » et Jean-Gaston eut à sa disposition, grâce à son père
Cosme III, des éducateurs de grande valeur918. |
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Toutefois, comment
expliquer la présence de notre personnage en Italie ? Si nous acceptons comme
véri- |
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dique ce que dit
Saint-Simon : « L’Amirante de Castille partit de Madrid accompagné de son bâtard », cet enfant se trouvait
donc au Portugal avec son père. Lorsque ce dernier mourut en 1705, l’enfant bâtard, afin d’échapper au sort
meurtrier qu’il l’attendait dût s’enfuir. Or, le comte de Saint-Germain ne
dit-il pas : «…à sept ans j’errais au fond des forêts avec mon gouverneur »,
ce qui le ferait naître vraisemblablement vers 1698919. Nous supposerons donc qu’il naquit à cette époque malgré la
surveillance active exercée par Versailles sur la cour du roi d’Espagne. On
dit même que Louis XIV était tellement aux aguets, par le truchement du
marquis d’Harcourt et de ses affidés, qu’il était arrivé à faire établir
procès-verbal de l’état de Charles II, quant à son impuissance. |
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En admettant que le
comte de Saint-Germain soit le fils bâtard de la reine d’Espagne et de l’Amirante de Castille, notre
personnage peut se dire « prince d’Espagne » puisque héritier direct
d’Alphonse XI de Castille encore que les lois de Castille excluaient de droit
les lignes bâtardes aux droits de la couronne, mais pas de fait, car la reine
Jeanne de Castille, surnommée Beltraneja, pourtant fille naturelle de Jeanne
de Portugal et, de Beltran de la Cueva, fut déclarée héritière légitime de la
couronne de Castille par Henri IV, mari de Jeanne de Portugal. |
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Peut-être aussi
l’Amirante de Castille avait-il épousé secrètement la veuve du roi Charles
II, espérant par ce moyen devenir régent de l’Espagne, en accord avec
Marie-Anne de Neubourg ; toutefois la prompte arrivée de Philippe V dans ses
États changea complètement la face des choses : la reine douairière est
reléguée à Tolède et l’Amirante s’enfuit au Portugal. |
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Supposons que la
campagne entreprise par l’Autriche, l’Angleterre, le Portugal et la Hollande
ait réussi, l’archiduc Charles aurait peut-être désiré voir sur le trône
d’Espagne un de ses alliés ou, peut-être, replacé la reine veuve de Charles
II dans ses prérogatives, sorte de pragmatique sanction avant celle de sa
fille Marie-Thérèse, mais la mort de l’Amirante de Castille en 1705, modifia
ce projet. Le principal acteur disparaît. La reine douairière est internée en
France. L’archiduc se marie, alors tout s’écroule. |
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C’est pourquoi le bâtard de l’Amirante de Castille
cherche à se dérober au regard des gens chargés de le faire disparaître. « Ma
tête était mise à prix, » dira le comte de Saint-Germain. Mais quel est donc
ce gouverneur qui accompagne notre personnage, dans sa fuite ? Seul un homme
important a pu jouer ce rôle. Nous croyons pouvoir l’identifier avec le comte
de Cifuentès, lequel après avoir été tout d’abord, l’ennemi de l’Amirante de
Castille devint, par la suite, son ami et son allié. Le comte a été l’un des
partisans le plus en vue du parti autrichien au moment de la première
incursion de Philippe V, en Catalogne. Il |
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commandait une
division de troupes catalanes auxiliaires de l’archiduc Charles, et avec ses
partisans tenait constamment, en état d’alerte, l’arrière-garde du maréchal
Tessé, chef des troupes de Philippe V devant Barcelone920. |
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Il n’est pas
impossible que le comte de Cifuentès, embarrassé de la garde de l’enfant
bâtard, l’ait déposé dans un endroit sûr, tel le monastère de Montser-rat921, qui a toujours été
le refuge des gens de qualité et une école de Bénédictins très adonnés à la
chimie et aux sciences naturelles comme ils le sont encore aujourd’hui922. Ne serait-ce pas
là le berceau de la première instruction du comte de Saint-Germain ? |
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Mais où et quand
notre personnage vit-il sa mère pour la dernière fois ? On peut supposer que
cette rencontre se fit en septembre 1706, lors du voyage de la reine veuve de
Charles II vers la France, son pays |
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d’exil. Ce voyage
qui devait avoir lieu par Burgos se fit par Vittoria et nous pensons que ce
fut dans la ville de Calatayud qu’eut lieu cette réunion, à l’instigation du
comte de Cifuentès et avec la complicité du duc d’Os-sone, chargé d’escorter
Marie-Anne de Neubourg. |
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Enfin, ce serait le
27 septembre 1711 que le fils bâtard de l’Amirante de Castille se serait embarqué de Barcelone à
destination de l’Italie, en compagnie du comte de Cifuentès ; il aurait
débarqué à Gènes, le 2 octobre suivant, pour gagner de là Florence afin de se
mettre sous la protection du dernier des Médicis. Admettons que le comte de
Saint-Germain demeura à Florence jusqu’à la mort de Jean-Gaston de Médicis,
arrivée en 1237, il sort alors de la Toscane et se rend en Sicile où
l’Amirante de Castille était riche en fonds de
terre, c’est-à-dire en propriétés rurales, ce qui
fit dire de notre personnage, lorsqu’il est en Angleterre, qu’il était « un
riche gentilhomme sicilien ». Peut-être le comte se rendit-il à l’abbaye
bénédictine de Mon-réale, près de Palerme, afin d’avoir une entrevue avec le
plus grand ami de son présumé père, Alvarez Cien-fuegos, alors archevêque de
cette ville, cela est encore fort possible. |
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On se souvient
qu’en Angleterre, notre personnage a été apprécié comme musicien et
compositeur. Or, Marie-Anne de Neubourg est aussi une passionnée de l’art
musical et compositrice à ses heures, la similitude de goût et de don est ici
flagrante. Mais le plus curieux est l’idée émise par l’écrivain Horace
Walpole lorsqu’il prétend que le comte fut soupçonné d’être |
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en rapport avec le
Prétendant. L’opinion de l’écrivain a son écho dans le fait que la
petite-fille de la sœur de Marie-Anne de Neubourg fut la mère de
Charles-Edouard Stuart. D’autre part, Casanova écrit que notre personnage fut
« grand sous le nom de Marquis de la croix noire en Angleterre923 ». Or, deux des
frères de la reine douairière d’Espagne ont été successivement, de 1684 à
1732, grands maîtres de l’ordre Teu-tonique catholique. Quand on sait que le
costume des chevaliers de cet ordre est un manteau blanc avec une croix
noire, le rapprochement est là aussi évident que les précédents924. |
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Suivons maintenant
le comte de Saint-Germain en Allemagne925 ; qu’y fait-il ? Il travaille, dit-il, « à la plus rare et à
la plus riche des découvertes » en fait |
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de teintures ;
n’avons-nous pas là la mise en pratique des connaissances acquises par notre
personnage à la cour du grand-duc de Toscane. |
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Arrivons à son
séjour en France. Louis XV, qui n’ignore pas l’ascendance du comte de
Saint-Germain, l’accueille comme « cousin », et le traite en familier, tandis
que vis-à-vis de Mme de Pompadour et des courtisans de l’entourage du roi, notre
personnage se conduit comme il se doit, en grand seigneur. Il montre aux uns
et aux autres ses bijoux et ses tableaux. Ses richesses en bijoux
s’expliquent de la façon suivante ; étant à Bayonne Marie-Anne de Neubourg «
envoie l’or et les bijoux en pays étranger afin de parer à toute éventualité
» ; n’est-ce pas là une précaution prise par la reine douairière afin
d’assurer l’existence de son « fils naturel » ? Quant aux tableaux, le comte
de Saint-Germain les tient de son présumé père, l’Amirante de Castille, qui
possédait, dit-on, la plus belle galerie de l’Europe. De même on peut
expliquer l’existence de la fameuse « minière », de notre personnage, minière
que ne put connaître le duc de Choiseul, par le fait que l’Amirante de
Castille « avait d’importants dépôts d’argent dans les banques de Venise,
Gènes et Amsterdam » ce qui permettait au comte de Saint-Germain d’être par
le seul jeu des écritures à l’abri du besoin. |
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N’oublions pas de
mentionner que la faculté linguistique de notre personnage lui venait de son
présumé père et de sa présumée mère, laquelle « parlait huit ou dix langues
», et le perfectionnement à Jean- |
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Gaston de Médicis « qui avait profondément cultivé les langues
». |
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Lorsque Louis XV «
qui avait beaucoup confiance en lui, l’employa pour négocier une paix avec
l’Angleterre, et l’envoya à La Haye926 », le comte de Saint-Germain eut, peut-être, le tort de
vouloir faire état de ses parentés, ce qui le rendit suspect aux yeux du duc
de Choiseul, lequel n’était pas arrivé à percer son incognito. |
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Et quand le baron
de Gleichen dit que le comte de Saint-Germain porta anciennement le titre et
le nom de marquis de Montferrat927, voyons là une nouvelle indication concernant l’Amirante de
Castille, lequel on s’en souvient joua un rôle prépondérant dans la cession
de la capitale du Montferrat à la France. |
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Enfin le comte de
Saint-Germain, obligé de cacher ses origines, s’en ira, après bien des
vicissitudes mourir obscurément chez l’un des parents de sa présumée mère, le
landgrave de Hesse, puisque Marie-Anne de Neubourg est de Hesse-Darmstadt,
par sa mère, et c’est ce que n’a pas voulu dire le landgrave lorsqu’il fait
semblant de se tromper de nom. |
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Le comte de
Saint-Germain, en déposant son nom patronymique, mourut à soi-même et à sa
famille, et |
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avec les liens du
sang il rompit les chaînes qui l’attachaient à des intérêts et des passions
étroites, pour revêtir une sorte d’impersonnalité. |
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CINQUIÈME PARTIE |
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— |
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… ET UNE AUTRE ÉNIGME |
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Comme celui des oiseaux,
à travers l’air, son chemin est difficile à découvrir. |
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Dhammapada, 93 |
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Chapitre unique : |
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La
légende du comte de Saint-Germain à la lumière des doctrines traditionnelles |
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Si les pages qui
précèdent apportent une explication satisfaisante aux problèmes que pose la
vie de M. de Saint-Germain, riche gentilhomme cosmopolite, savant et artiste,
elles n’expliquent nullement la légende qui s’est formée autour de sa
personne. Or, cette légende existe et, quelque opinion que l’on professe,
elle est, elle aussi, un fait historique dont on doit tenir compte. |
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Si nous voulons
ramener à ses éléments essentiels la légende dont nous avons retracé le
développement dans la troisième partie de cet ouvrage, nous dirons qu’elle
attribue au comte de Saint-Germain un rôle occulte, ou plus précisément «
initiatique », et une longévité exceptionnelle. Il s’agit là d’un ordre de
choses tout à fait étranger aux historiens modernes. S’il leur arrive
d’admettre que des personnages ont pu jouer un rôle important bien que secret
dans la marche des affaires de ce monde, ils ne voient là qu’une action
politique s’exerçant par des moyens plus ou moins avouables. Quant à une
longévité de plusieurs siècles, il va de soi que ce ne peut être, pour tout
esprit vraiment « sérieux » de notre époque, qu’une rêverie ou une imposture. |
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En réalité, une telle attitude témoigne
d’une men- |
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talité
spécifiquement occidentale et moderne et il n’y a dans les prérogatives
attribuées au comte de Saint-Germain rien qui eût pu surprendre un homme du
moyen âge ou un Oriental possédant quelques notions traditionnelles. |
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Les traditions de
tous les peuples mentionnent en effet l’existence de personnages ayant
atteint un état spirituel très élevé et dont on dit qu’ils ont vécu plusieurs
siècles et même qu’ils ne doivent pas mourir avant la fin du Cycle actuel928. Tels sont, dans
l’Ancien Testament, Hénoch, Melchissédec et Élie, dans le Nouveau Testament,
saint Jean l’Évangéliste qui doit demeurer jusqu’à ce que vienne le Christ
glorieux929.
À ces exemples connus de tous, il faut ajouter ceux que nous offrent les
traditions orientales avec les « Immortels » du Taoïsme930 et ces Yogîs de
l’Hima-laya, vieux de plusieurs centaines d’années et pourtant
resplendissants de jeunesse et de force, dont les voyageurs européens ont
entendu parler aux Indes931. |
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Si nous passons au
Bouddhisme, nous voyons que la Maitreya Samiti et un texte du Tripitaka traduit en chinois par Dharmaraksha
précisent que Kâshyapa, le célèbre disciple de Shakyamuni, n’est pas mort,
mais qu’il attend, plongé dans la méditation, l’arrivée de Maitreya, le «
Bouddha futur » ; d’après le texte chinois, Kâshyapa est l’un des quatre
disciples éminents du Bouddha qui — bien qu’ayant atteint l’état d’arhat — restent en vie jusqu’à
la fin du cycle932. Dans le Lamaïsme, nous citerons l’exemple du grand guru
tantrique Padmasambhava qui, d’après la légende, ne mourut pas et quitta le
Thibet, chevauchant à travers les nues sur un cheval volant pour se rendre au
pays des râkshasas
(démons cannibales) auxquels il prêche encore la Doctrine933. De même, il est
dit que le héros Guésar de Ling reviendra à la fin du cycle « pour exterminer
ceux qui s’opposent au règne de la justice934 ». |
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La tradition
islamique reconnaît également à plusieurs personnages une longévité
exceptionnelle. L’Imâm caché des Shiites disparu au IXe siècle dans le monde
souterrain à Samarra d’Iraq, doit revenir avant la fin du cycle et, dans la
fonction de Mahdi —
littéralement « conducteur » — réuni les peuples demeurés |
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fidèles à la
Tradition pour combattre l’Antéchrist935. D’autre part, El-Khidr, le maître des Afrâd ou « solitaires
»936, le
mystérieux compagnon de Moïse937, est réputé toujours vivant : « Je hais deux choses chez les
jurisconsultes, disait l’illustre sufi Alî al Shâdhilî : ils nient
qu’El-Khidr soit vivant et ils excommunient El Hallâj !938 » ; El-Khidr
renouvelle sa jeunesse tous les 120 ans, il parcourt incessamment le monde et
pratique l’alchimie939. |
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De telles
traditions sont, en Orient, connues de tous ; en Occident, ceux qui
s’occupent d’études ésotériques ont également connaissance de plusieurs cas
analogues en dehors de ceux mentionnés plus haut et qui concernent uniquement
des personnages bibliques et évangéliques. C’est ainsi qu’on dit qu’Ar-thur
et Merlin, les deux héros de la légende du Graal, |
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sont « endormis »
et se réveilleront pour combattre l’Antéchrist lorsque celui-ci voudra
s’emparer du « saint vessel »940 ; la légende affirme aussi que Charlemagne n’est pas mort :
il est « dans le Wunderberg, la couronne d’or sur la tête, le sceptre à la
main ; sa longue barbe lui couvre toute la poitrine ; autour de lui sont
rangés ses principaux seigneurs. Ce qu’il attend là, on ne sait ; la
tradition dit que c’est le secret de Dieu941 ». Il en est de même pour Frédéric Barbe-rousse qui demeure
depuis bien des siècles avec sa cour dans la montagne de Kisfhauser où il
doit vivre jusqu’au jugement dernier ; quelques jours avant le jour fatal, ce
puissant monarque reparaîtra et l’arbre sec de l’empire refleurira942. |
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D’après les
légendes allemandes943, Maître Eckhart qui, « comme Lao-Tseu disparut sans laisser
de traces944,
» se tient devant le Venusberg pour en interdire l’accès jusqu’au jour du
Jugement. Toutes les personnes qui s’intéressent à l’Hermétisme savent
également que Nicolas Flamel945 et l’alchimiste connu |
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sous le nom du
Philalèthe946
passent pour n’avoir pas encore quitté cette terre. Rappellerons-nous aussi
l’histoire de Gualdo ou Gualdi qui ne remonte qu’au XVIIe siècle et présente
plusieurs points de ressemblance avec celle du comte de Saint-Germain, et
aussi le mystérieux Althotas de Cagliostro947 ? |
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Une telle unanimité
des traditions les plus éloignées dans le temps et dans l’espace montre
suffisamment que la longévité au-delà du cours habituel de la vie humaine est
une possibilité qui a été plus d’une fois actualisée. Il reste à se demander
ce qu’elle signifie au juste et cela n’est pas aussi simple qu’on pourrait le
croire de prime abord. |
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N |
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Il n’est pas besoin
d’une longue familiarité avec les doctrines traditionnelles pour savoir
qu’elles s’expriment habituellement par symboles et qu’elles emploient les
réalités du monde corporel comme représentations analogiques de réalités
appartenant au monde subtil et au monde spirituel. Il est certain que la
longévité corporelle est surtout le symbole de la permanence d’une fonction
spirituelle et, secondairement, de la permanence de certains éléments
psychiques. Cela n’applique d’ailleurs pas que cette longévité corporelle ne
soit pas, elle aussi, une possibilité ; il est même
nécessaire qu’elle soit une possibi- |
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lité, car, s’il
n’en était pas ainsi, elle ne pourrait être valablement prise comme symbole
de la permanence d’une fonction spirituelle. |
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On voit déjà, par
les quelques lignes précédentes, que la longévité attribuée à certains
personnages dans les diverses traditions est susceptible de présenter
plusieurs modalités. Ce sont ces modalités que nous allons maintenant essayer
de préciser. |
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Mme David-Neel, dans son
livre Au pays des brigands gentilshommes, laisse entrevoir plusieurs des modalités auxquelles nous
faisons allusion : « La recherche du secret de l’immortalité a été aussi
passionnément poursuivie en Chine que celle de la pierre philosophale en
Occident. Certains prétendent d’ailleurs que ce qui était ésotériquement
désigné, dans nos pays, comme la transmutation des métaux vils en or,
signifiait, pour les initiés, l’art de se rendre immortels. Les anciens Tao-sses chinois se targuaient
ouvertement de posséder le secret de l’immortalité… |
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« De nos jours, on
parle moins de ce secret des secrets, mais il demeure, toujours des
chercheurs en quête de moyens capables d’assurer la persistance de leur
personnalité dans leur corps actuel. D’autre part, diverses théories
concernant la possibilité d’en prolonger indéfiniment l’existence, soit d’une
manière purement spirituelle, soit d’une manière matérielle, mais hors du
corps auquel elle est présentement liée, font, encore de nos jours, partie de
l’enseignement ésotérique de certains maîtres mystiques et de cer- |
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tains occultistes
asiatiques. D’après diverses traditions, au nombre des livres secrets cachés
par Pad-masambhava dans des endroits reculés, se trouvent des traités
décrivant les moyens d’échapper à la mort et, parmi les chercheurs de térmas, un petit nombre visent
spécialement à leur découverte. » |
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En rapprochant le
passage ci-dessus des considérations que nous avons exposées dans la première
partie de cet article, nous voyons que la longévité, outre qu’elle symbolise
avant tout la permanence d’une fonction spirituelle, peut impliquer : |
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— la persistance
d’une individualité dans la même enveloppe corporelle, au-delà des limites de
l’existence humaine normale948 |
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—la persistance
d’un agrégat d’éléments psychiques dans plusieurs formes corporelles
successives et même, comme on le verra plus loin, simultanées ; |
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— la persistance
d’une individualité dans le monde subtil sans passer par la mort corporelle,
la forme corporelle étant en quelque sorte « transmuée », résorbée dans son
principe subtil. |
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La première modalité nous
paraît correspondre au cas de Nicolas Flamel, et peut-être de saint Jean949 ; la |
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seconde au cas des tulkous du Lamaïsme ; la troisième
au cas d’Hénoch et d’Élie. Il est d’ailleurs possible d’envisager encore
d’autres modalités, mais nous ne pourrions en parler sans sortir de notre
sujet. |
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Diverses
indications contenues dans les documents qui nous sont parvenus sur le comte
de Saint-Germain nous inclinent à penser que son cas peut être rapporté à la
même modalité que les tulkous
du Lamaïsme. Il nous faut donc entrer dans quelques explications pour faire
comprendre ce dont il s’agit à ceux de nos lecteurs qui ne seraient pas
familiarisés avec les doctrines tibétaines. |
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N |
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Les tulkous sont les membres de la
hiérarchie lamaïque que les Européens appellent improprement des « bouddhas
vivants » ; pour essayer d’en donner — sans entrer dans des considérations
d’ordre métaphysique qui seraient déplacées ici — sinon une définition, du
moins une idée approximative, nous ferons encore quelques emprunts à Mme David-Neel : |
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« D’après la croyance
populaire, un tulkou est
soit la réincarnation950 d’un saint ou d’un savant défunt, ou |
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bien l’incarnation
d’un autre être qu’humain : dieu, démon, etc. Le nombre des tulkous de la première catégorie
est de beaucoup le plus grand. La seconde ne compte que quelques rares
avatars de personnages mythiques tels que le Dalaï-Lama, le Tachi-lama, la
dame lama Dordji Phagmo et, d’un rang inférieur, les tulkous de certains dieux
autochtones comme Pékar dont les tulkous remplissent les fonctions d’oracles officiels. »951 |
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« Certains lamas
croient que l’énergie subtile qui subsiste après la mort de celui qui l’a
engendrée — ou alimentée s’il est déjà un tulkou appartenant à une lignée d’incarnations — attire à elle et
groupe des éléments sympathiques et devient ainsi le noyau d’un nouvel être.
D’autres disent que le faisceau des forces
désincarnées s’unit à un être existant déjà, dont les dispositions physiques
et mentales acquises en des vies antérieures, permettent une union
harmonieuse952. » |
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« Il arrive aussi qu’un même défunt se multiplie, |
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post-mortem,
en plusieurs tulkous reconnus officiellement, qui existent simultanément.
D’autre part, certains lamas passent pour être, à la fois, le tulkou de plusieurs personnalités.
Ainsi, le Tachi-lama est non seulement le tulkou d’Eupagméd, mais aussi celui de Soubhouti un disciple du
Bouddha historique. Il en est de même du Dalaï-lama qui est, en même temps,
l’avatar du mythique Tchénrézigs et celui de Gedun-doup, le disciple et
successeur du réformateur Tsong-Khapa. — Il arrive assez souvent qu’un lama,
déjà lui-même un tulkou,
prédise, à son lit de mort, la région où il renaîtra. Parfois, il ajoute
certains détails touchant ses futurs parents, la situation de leur demeure,
etc. — Lorsqu’un enfant répondant à peu près aux conditions prescrites est
découvert, un lama devin est consulté et s’il se prononce en faveur du
candidat, celui-ci est mis à l’épreuve de la façon suivante : un certain
nombre d’objets personnels du défunt lama sont mêlés à d’autres semblables,
et l’enfant doit désigner les premiers, témoignant par là qu’il reconnaît les
choses qui furent siennes dans sa précédente existence953. » |
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Les citations qui
précèdent indiquent assez bien le double aspect de la longévité dans le cas
des tul-kous : le tulkou du
dieu correspond évidemment à la permanence de la fonction spirituelle, le tulkou du personnage historique se
rapporte à la transmission, aux différentes individualités qui exercent la
fonc- |
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tion d’un agrégat
d’éléments psychiques au nombre desquels, comme le montre le dernier passage
cité, se trouve la mémoire. Il s’agit d’un double héritage spirituel et
psychique. |
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On conçoit que, si
une possibilité de ce genre peut être envisagée dans le cas qui nous occupe,
le personnage connu sous le nom du comte de Saint-Germain pouvait fort bien,
tout en étant « né », dans les dernières années du XVIIe siècle ou les
premières années du XVIIIe, avoir le souvenir
d’événements survenus plusieurs centaines d’années auparavant. |
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N |
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Tout en admettant
que les considérations ci-dessus correspondent à une possibilité effective,
on peut se demander ce qui permet d’en faire l’application au comte de
Saint-Germain. |
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Nous pourrions dire
tout d’abord qu’il n’y a guère de légendes qui ne renferment au moins une
part de vérité et qu’il a bien fallu des motifs particuliers pour qu’on
attribue un rôle spirituel et la prérogative de longévité au comte de
Saint-Germain plutôt qu’à tels ou tels autres personnages aussi énigmatiques
que lui et ayant manifesté des prétentions d’ordre initiatique dont nous ne
retrouvons guère de traces dans l’histoire de notre héros. Tels furent par
exemple Caglios-tro et Martines de Pasqually. Il faut bien, de toute
nécessité, que les contemporains aient su des choses que nous ne savons plus,
et qui, d’ailleurs doivent être d’une nature telle qu’il est tout à fait
normal |
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qu’elles n’aient point laissé de vestiges accessibles à
l’historien. |
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Si, à titre
d’exemple, nous prenons un état spirituel compatible avec certaines
particularités attribuées au comte de Saint-Germain, celui de Rose-Croix954, nous voyons qu’il
est impossible à l’historien de savoir si cet état a été atteint par tel ou
tel personnage : « Quant à savoir quels furent les vrais Rose-Croix, écrit
René Guénon, et à dire avec certitude si tel ou tel personnage fut l’un
d’eux, cela apparaît comme tout à fait impossible, par le fait même qu’il
s’agit essentiellement d’un état spirituel, donc purement intérieur, dont il
serait fort imprudent de vouloir juger d’après des signes extérieurs
quelconques. De plus, en raison de la nature de leur rôle, ces Rose-Croix
n’ont pu, comme tels, laisser aucune trace dans l’histoire profane, de sorte
que, même si leurs noms pouvaient être connus, ils n’apprendraient sans doute
rien à personne ; et d’ailleurs ces noms n’auraient qu’une valeur bien
relative, puisqu’il est dit qu’ils en changeaient suivant les pays où ils
résidaient, ce qui marque nettement qu’ils étaient affranchis de certaines
limitations de l’individualité ordinaire… S’il s’est trouvé
exceptionnellement et comme accidentellement qu’un véritable Rose-Croix ait
joué un rôle dans les événements extérieurs, les historiens peuvent être fort loin de soupçonner
sa qualité, telle- |
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ment les deux choses appartiennent à des domaines différents955. » |
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Il serait donc tout
à fait vain de chercher dans des documents historiques la preuve que le comte
de Saint-Germain avait atteint un degré d’initiation plus ou moins élevé ou
qu’il était l’envoyé d’un centre spirituel. Notre meilleure raison de croire
qu’il en fut ainsi est sa légende, mais il ne nous est point interdit de
rechercher si parmi les écrits, faits et gestes qui lui sont attribués, il ne
s’en trouve point qui soient compatibles avec de semblables qualités. |
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Tout d’abord, il
n’est pas possible de ne pas s’arrêter au dernier vers du quatrain placé sous
le seul portrait connu du comte de Saint-Germain et qui a tant indigné le Dr
Biester : « S’il n’est pas dieu lui-même, un dieu puissant l’inspire ». Nous
remarquerons que « dieu » n’est pas écrit ici avec une majuscule, ce qui
indique qu’il ne s’agit vraisemblablement pas de « Dieu » au sens où l’entend
la théologie chrétienne, mais d’un « dieu » au sens où l’entendent les
traditions à forme « polythéiste », c’est-à-dire d’un « ange ». Or il suffit
de posséder de très élémentaires notions de la théorie des états « multiples
de l’être956 »
pour savoir que l’être qui est actuellement dans l’état humain peut réaliser
dès cette vie des états angéliques. Il n’y a pas là de quoi crier au
blasphème… Retenons en tout |
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cas que des
contemporains du comte de Saint-Germain étaient persuadés que celui-ci avait
atteint un haut état spirituel. |
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D’autres indices
très curieux nous sont fournis par le discours au prince de Hesse que le
pamphlétaire Luchet prête à Saint-Germain avec une intention évidemment
malveillante. Il se trouve que ce discours va à l’encontre du but que
poursuit Luchet, car il contient des allusions fort claires qui témoignent
d’une véritable connaissance initiatique, et, pour cette raison, nous pensons
que le pamphlétaire ne l’a pas inventé. Reprenons ce discours en soulignant
le sens qu’il convient d’attribuer aux passages essentiels : |
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|
« Je cherche un
homme [qualifié], un homme dont je puisse faire un vase d’élection, et
remplir de la céleste rosée [symbole des influences spirituelles employé
fréquemment par les hermétistes et les auteurs rosicruciens] que j’ai
ramassée dans la terre promise [symbole de l’état édénique et du centre
spirituel suprême qui s’identifie à la « Terre sainte »]. Il doit ne rien
savoir [au point de vue profane] et être propre à tout [c’est-à-dire posséder
l’ensemble des possibilités qui constituent la qualification initiatique ;
c’est un des aspects de la « matière première » du Grand-Œuvre hermétique].
D’autres connaissances [profanes] tiendraient dans sa mémoire la place de
celles [traditionnelles et plus précisément initiatiques] que je dois y
introduire ; et la lumière et les ténèbres, le pur et l’impur, Dieu et
l’homme ne s’allient pas ensemble. Je vous connais peu par moi- |
|
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|
même [en tant
qu’individu] et beaucoup par ceux que vous ne connaissez pas [les membres du
centre spirituel qui a « missionné » le comte de Saint-Germain et qui possède
des moyens d’investigation lui permettant de déceler les initiables], mais
que vous connaîtrez un jour [si vous atteignez l’état spirituel qui permet
d’entrer en contact avec un centre initiatique]. Le ciel mit dans votre âme
pure les germes de toutes les qualités ; laissez-moi les développer [par une
technique de réalisation appropriée] ; devenez le récipient céleste dans
lequel découleront les vérités surnaturelles… » |
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Le « sonnet
philosophique », publié par Mercier et que nous avons reproduit plus haut,
n’est pas moins significatif. Si les deux premiers quatrains ne nous
apportent qu’une simple affirmation des connaissances philosophiques du
comte, si le premier vers du premier tercet : « Rien n’était, Dieu voulut,
rien devint quelque chose » peut être considéré comme un raccourci de la
création ex nihilo, le
dernier vers de ce même tercet : « Rien gardait l’équilibre et servait de
soutien » ne peut avoir qu’un sens métaphysique très proche des doctrines
extrême-orientales : « Rien » ne peut ici désigner le « néant », mais bien le
Wu Wei des Taoïstes,
le non manifesté, principe de la manifestation. On conviendra que de telles
notions n’étaient pas communes à la cour de Louis XV ! |
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Le dernier vers du
sonnet : « Je mourus, j’adorai, je ne savais plus rien », qui place la mort
avant l’adoration, est bien curieux aussi. On ne peut lui |
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attribuer de
signification logique que s’il s’agit de la mort initiatique ou mystique,
l’adoration désignant alors une voie de réalisation « dévotionnelle » (la bha-kti des Hindous, la mahabba des initiés musulmans), et
l’ignorance finale symbolisant l’extinction de toute connaissance
particulière et distinctive dans la Connaissance suprême, synthétique et
principielle. |
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Enfin, il n’est pas
jusqu’à l’histoire baroque de la soubrette redevenue petite-fille, grâce à
l’élixir du comte de Saint-Germain, qui ne puisse être considérée comme une
déformation, une matérialisation grossière de la doctrine traditionnelle
concernant le retour à l’état « d’enfance », symbole de l’« état primordial
», doctrine que le comte de Saint-Germain a pu exposer un jour devant un
auditeur ignorant957. Il y a d’autres exemples de semblables déformations des
théories traditionnelles, quand celles-ci viennent à être connues du monde
profane958. |
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N |
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Un point reste
encore à préciser : de quelle forme traditionnelle, de quelle organisation
relève le comte de Saint-Germain ? Nous savons que le comte a reconnu
formellement ne pas porter son nom ; celui-ci, comme ceux du Cosmopolite et
du Philalèthe959,
n’est pas un patronyme mais un « hiéronyme », un nom de fonction ; son titre
de comte, comme celui de Cagliostro, ne se rapporte sans doute pas à sa
naissance mais à ses connaissances occultes960. Le vocable |
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sous lequel notre
personnage fut principalement connu ne signifie rien d’autre en réalité que «
Compagnon (comes) de la
Fraternité Sainte ». De quelle fraternité s’agit-il961 ? |
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Etteilla est sans
doute de tous les contemporains celui qui nous donne le plus d’indications
curieuses sur le comte de Saint-Germain, bien qu’il n’ait probablement pas
très bien compris tout ce qu’il rapporte. Etteilla parle de deux personnages
connus sous le nom de comte de Saint-Germain et, visiblement, celui qu’il
connaît n’est pas celui dont nous nous sommes fait l’historien ; aussi, pour
Etteilla, le sien seul est un véritable « alchymiste » et un « cabaliste » ;
il paraît ignorer que, comme le vocable de comte de Saint-Germain désigne une
fonction, celle-ci a pu être exercée par plusieurs individus successivement
et même simultanément962. |
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Comme ce qui importe le plus, dans le domaine où |
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nous trouvons
maintenant, ce n’est pas l’individualité mais la fonction, nous retiendrons
qu’Etteilla affirme que Saint-Germain « est le vrai et unique auteur du
Philalèthe963 ».
Or précisément, ainsi que nous l’avons vu plus haut, le Philalèthe est un des
personnages dont on dit qu’ils n’ont pas quitté cette terre. Il semble
d’après cela que la fonction hermétique qui s’est manifestée à une époque
sous le vocable de Phi-lalèthe (« ami de la vérité »), se soit manifestée
ensuite sous celui de comte de Saint-Germain964. |
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Ailleurs, Etteilla
appelle son maître « agréé de la Rose-Croix » et donne une précision
importante en le disant « favorisé de bientôt 65 lustres », c’est-à-dire 325
ans. Or, 325 ans avant la date où écrit Etteilla, c’est-à-dire 1784, nous
reportent à 1459, c’est-à-dire l’année des Noces
chimiques de Christian Rosenkreutz, le fondateur
légendaire des Rose-Croix965, 1459 qui est aussi l’année de la première constitution
maçonnique (opérative)966. Et cela permet peut-être de com- |
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prendre pourquoi
Saint-Germain pouvait se dire « le plus anciens de tous les Maçons ». |
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Autre concordance
curieuse : Gräffer prête au comte de Saint-Germain l’intention de disparaître
d’Europe et de se rendre dans la région de l’Himalaya, de même qu’on dit de
Nicolas Flamel et des Rose-Croix qu’ils se sont retirés dans l’Inde, de même
que Khunrath affirme, dans son Amphithéâtre de
l’Éternelle Sapience, que « les fidèles
interprètes de la Sagesse sont relégués en exil au-delà des monts Caspiens967. » |
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Quant au « retour »
du comte de Saint-Germain, nous ne discuterons pas la prétention des
Théosophistes qui voient dans ce personnage, identifié au « maître » R…. l’un
des chefs et inspirateurs de leur société. M. René Guénon, dans son Théosophisme a suffisamment prouvé
que la Société Théosophique, bien loin de transmettre un enseignement
initiatique, n’a fait que propager une grossière contrefaçon des doctrines
hindoues et une caricature du Christianisme ésotérique. Les théosophes ont
utilisé, pour des fins éminemment intéressées, une légende qu’ils ont trouvé
toute formée. La date de 1875, indiquée pour le « retour » du comte de
Saint-Germain, correspond approximativement à un renouveau d’influences
traditionnelles en Occident, mais la Société Théosophique en serait plutôt
l’adversaire que l’instrument968. |
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Tout ce qu’on peut
dire avec certitude, c’est que, avant la fin du cycle, doit se produire ce
qu’on appelle parfois la « réapparition des Sages », la remanifestation des
fonctions traditionnelles aujourd’hui occultées, et que, par conséquent,
avant que s’accomplissent les destins de l’humanité, reparaîtront Hénoch,
Élie, l’Imâm caché, saint Jean, Guésar, comme aussi Arthur, Merlin, l’«
Empereur endormi » et, si nos conjectures sont fondées, l’entité qui s’est
manifestée sous le nom de comte de Saint-Germain. |
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Nous n’avons eu,
quant à nous, d’autre ambition que de rassembler tout ce qu’on peut savoir
d’un des individus qui furent le support de cette mystérieuse entité. Si
modestes que soient les résultats de notre travail, il nous semble qu’un
sujet qui permet d’aborder — fût-ce en les effleurant — des problèmes du
genre de ceux que nous avons examinés en dernier lieu, il nous paraît,
disons-nous, qu’un tel sujet ne peut être entièrement dépourvu d’intérêt. Et
si nous avons pu ici ou là, offrir à quelques lecteurs matière à méditation,
nous nous estimerons amplement récompensé de nos efforts. |
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|
|
avec les douze
dernières devises, si caractéristiques, du texte dit : « Prophétie de Saint
Malachie », et qui ont un sens purement spirituel et bien plus profond que
celui qu’on envisage habituellement. |
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|
Table des matières |
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|
|
Avant-propos
....................................................4 |
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|
PREMIÈRE PARTIE — |
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|
À LA RECHERCHE DU
HÉROS |
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|
Chapitre premier : |
|
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|
Heurs et malheurs d’un
homme de guerre 8 |
|
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|
|
Chapitre II : |
|
|
|
|
|
|
L’histoire de l’enfant
mort et vivant 23 |
|
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|
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|
|
Chapitre III : « De
parents inconnus » |
|
|
|
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|
Chapitre IV : |
|
|
|
|
|
|
Où tout s’embrouille
38 |
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre V : |
|
|
|
|
|
|
Un « état civil »
compliqué 46 |
|
|
|
|
|
|
|
|
DEUXIÈME PARTIE — |
|
|
|
|
|
|
|
UN EUROPÉEN MYSTÉRIEUX |
|
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre premier : |
|
|
|
|
|
|
|
Le rideau se lève
53 |
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre II : |
|
|
|
|
|
|
À la cour du Bien-aimé
65 |
|
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre III : |
|
|
|
|
|
|
Mme d’Urfé et Casanova
83 |
|
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre IV : |
|
|
|
|
|
|
Les talents de M. de
Saint-Germain 93 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre V : |
|
|
|
|
|
|
La grande colère de M.
de Choiseul110 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre VI : |
|
|
|
|
|
|
Mission diplomatique
118 |
|
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre VII : |
|
|
|
|
|
|
Aventure en Angleterre
150 |
|
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre VIII : |
|
|
|
|
|
|
Retour en Hollande
157 |
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre IX : |
|
|
|
|
|
|
Apparition en Russie
162 |
|
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre X : |
|
|
|
|
|
|
M. de Surmont,
industriel169 |
|
|
|
|
|
|
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|
Chapitre XI : |
|
|
|
|
|
|
Douze ans de silence
192 |
|
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre XII : |
|
|
|
|
|
|
Le comte de Welldone
et les princes allemands 206 |
|
|
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|
|
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|
Chapitre XIII : |
|
|
|
|
|
|
Salons berlinois230 |
|
|
|
|
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|
|
Chapitre XIV : |
|
|
|
|
|
|
Les hésitations du
prince de Hesse239 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre XV : |
|
|
|
|
|
|
Le disciple 244 |
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre XVI : |
|
|
|
|
|
|
Le rideau retombe249 |
|
|
|
|
|
|
|
TROISIÈME PARTIE |
|
|
|
|
|
|
|
— |
|
|
|
|
|
IL ÉTAIT UNE FOIS |
|
|
|
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|
Chapitre premier : |
|
|
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|
|
Saint-Germain
l’immortel .............................261 |
|
|
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|
|
|
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|
Chapitre II : |
|
|
|
|
|
|
Le « Maître » des
Théosophes .......................... 348 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
QUATRIÈME PARTIE — |
|
|
|
|
|
|
|
UNE ÉNIGME HISTORIQUE |
|
|
|
|
|
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|
|
Chapitre unique : |
|
|
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|
|
Un secret d’État à la
Cour de Madrid ................. 376 |
|
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|
|
|
CINQUIÈME PARTIE |
|
|
|
|
|
|
|
— |
|
|
|
|
|
… ET UNE AUTRE ÉNIGME |
|
|
|
|
|
|
|
Chapitre unique : |
|
|
|
|
|
|
|
La légende du comte de
Saint-Germain à la lumière des doctrines traditionnelles.............426 |
|
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|
© Arbre d’Or, Genève,
septembre 2004 http://www.arbredor.com Illustration de couverture : Le Comte
de Saint-Germain, D.R. Composition et mise en page : © Athena Productions
/DMi |
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451 |
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